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Nous poursuivons dans ce billet la visite de l'exposition Munch à Orsay, que nous avions amorcée dans notre billet du 12 novembre.
Reprises et mutations du motif
«Il y a toujours une évolution et jamais la même – je construis un tableau à partir d’un autre.» (Projet de lettre à Axel Romdahl, 1933). Munch, comme beaucoup d’artistes de son temps, pratique l’art de la reprise. Il décline autant les motifs que la composition générale de ses œuvres : on peut ainsi considérer de nombreuses toiles ou gravures comme des variations de productions antérieures. Cette pratique ne se limite pas à une question formelle mais est pleinement intégrée à la nature cyclique de son œuvre. Les éléments communs d’une composition à une autre créent une continuité entre ses œuvres, quelle que soit leur date de création ou la technique utilisée. Par ailleurs, cet art de la variation lui permet d’approcher à chaque fois un peu plus l’émotion qu’il cherche à provoquer. Grâce aux multiples versions de ses œuvres, il peut de plus garder près de lui un souvenir de sa production, inspiration pour de futures réalisations. Afin de diffuser toujours plus largement son art, Munch s’initie à la gravure au milieu des années 1890. Cette technique devient un véritable terrain d’exploration qu’il s’approprie rapidement pour produire des œuvres toujours plus expressives.
Jeunes filles sur le pont, 1918
- gravure sur bois à la gouge, rehauts d'aquarelle
- gravure sur bois et zincographie
- zincographie
Sur le pont, 1912-1913, lithographie
Jeunes femmes sur la plage II, 1907, pointe sèche
Le Baiser, 1894-1895, pinceau et crayon sur papier vélin
Le Baiser, 1895, pointe sèche et brunissoir
Le Baiser I, 1897, gravure sur bois à la gouge et à la scie
Le drame du huis-clos
Munch n'a de cesse de se confronter au théâtre de ses contemporains, à la fois comme source d'inspiration littéraire mais aussi en s'intéressant à la mise en scène moderne et son nouveau rapport à l'espace de la scène. Ses premières expériences dans ce domaine datent de sa rencontre en 1894 avec Aurélien Lugné-Poe, directeur du nouveau Théâtre de l'Œuvre. Il réalise en 1896 et 1897, à l'occasion d'un séjour en France, les programmes illustrés de deux pièces du dramaturge norvégien Henrik Ibsen, Peer Gynt et John Gabriel Borkman.
Dix ans plus tard, Munch s'investit dans la production d'une pièce, entamant sa première véritable collaboration avec un metteur en scène, l'Allemand Max Reinhardt, fondateur des Kammerspiele (« théâtre de chambre »), une salle berlinoise où le sentiment d'intimité est renforcé par une atmosphère simple et dépouillée. Munch réalise ainsi, en 1906, le décor d'une autre pièce d'Ibsen, Les Revenants. Les deux artistes poursuivent leur collaboration avec la pièce Hedda Gabler. Ces expériences ont un impact immédiat dans l'œuvre de Munch : son regard sur la construction de l'espace en est transformé, notamment dans la série de toiles qu'il réalise en 1907, La Chambre verte.
Femme en pleurs, 1907-1090, huile et crayon sur toile
Hedda Gabler, 1906-1907, aquarelle et crayon sur papier vélin
La Meurtrière, 1907, huile sur toile
Jalousie, 1907, huile sur toile
La Mort de Marat, 1907, huile sur toile
« Les Revenants » d'Ibsen, esquisse pour un décor, 1906, détrempe sur toile
Peer Gynt, programme de théâtre, 1896, lithographie
Jean Gabriel Borkman, programme de théâtre, 1897, lithographie
Henrik Ibsen au Grand Café, 1902, lithographie
August Strindberg, 1896, lithographie
Mise en scène et introspection
« La maladie, la folie et la mort étaient les anges noirs qui se sont penchés sur mon berceau. » (Carnet de notes, non daté)
Certains thèmes du théâtre d'Henrik Ibsen mais aussi du dramaturge suédois August Strindberg, comme la solitude ou l'impossibilité du couple, font directement écho à l'univers de Munch. Celui-ci va jusqu'à emprunter des scènes précises de leurs pièces pour certains de ses autoportraits. Il se représente ainsi à plusieurs reprises dans l'attitude de John Gabriel Borkman : ce personnage d'Ibsen reste cloîtré dans sa chambre pendant de longues années, emprisonné dans ses pensées obsédantes. Cette identification trouve d'autant plus de sens depuis que l'artiste vit dans un certain isolement suite à son installation à Ekely, au sud d'Oslo, à partir de 1916.
La pratique de l'autoportrait chez Munch ne se limite pas à cette dimension théâtrale et s'étend sur l'ensemble de sa carrière. Au-delà de l'introspection, s'y exprime un certain rapport de l'artiste aux autres et au monde, oscillant entre implication dans le monde extérieur et retrait intérieur. Les portraits de Munch expriment également une conscience aiguë de la souffrance de la vie, de la difficulté à créer, du caractère inéluctable de la mort.
Autoportrait au bras de squelette, 1895, lithographie
Autoportrait à la lyre, 1897, gouache et crayon sur papier vélin
Autoportrait après la grippe espagnole, 1919, huile sur toile
Autoportrait. Le Promeneur nocturne, 1923-1924, huile sur toile
La Fleur de douleur, 1898, gravure sur bois
Harpie, 1899, lithographie
Nuit blanche. Autoportrait au tourment intérieur, 1920, huile sur toile
L'Artiste et son modèle, 1919-1921, huile sur toile
Deux êtres humains. Les Solitaires, 1906-1907, tempera sur toile
Le grand décor
« C'est moi, avec la frise Reinhardt il y a trente ans, et l'aula et la frise Freia, qui ai initié l'art décoratif moderne. »> (Lettre de Munch à la communauté des travailleurs d'Oslo, 6 septembre 1938)
Dans les premières années du XXe siècle, Munch participe à plusieurs grands projets décoratifs et se confronte à la question de la peinture monumentale. Les programmes qu'il élabore s'intègrent pleinement à ses réflexions en reprenant des thèmes et des motifs déjà présents dans son œuvre. En 1904, il répond à une commande de son mécène, Max Linde, par une série de peintures pour décorer la chambre de ses enfants. Il y reprend certains sujets constitutifs de La Frise de la vie et ajoute des évocations plus directes de la nature. Les œuvres lui sont finalement rendues par le commanditaire qui les juge, à regret, inappropriées. Entre 1909 et 1916, Munch réalise son grand œuvre en matière de décoration architecturale pour la salle d'honneur de l'université d'Oslo, en réponse à un concours national. L'artiste joue dans ce projet très politique une grande part de sa renommée internationale. Il met de nombreuses années à convaincre le jury et réalise de nombreux essais avant d'arriver au résultat final, toujours en place aujourd'hui.
Jeunes filles arrosant des fleurs. Frise Linde, 1904, huile sur toile
Jeunes Gens au bord de la plage. Frise Linde, 1904, huile sur toile
Couples s'embrassant dans le parc. Frise Linde, 1904, huile sur toile
L'Été au parc. Frise Linde, 1904, huile sur toile
Arbres au bord de la plage. Frise Linde, 1904, huile sur toile
La Montagne humaine, 1909-1910, huile sur toile
Alma Mater, 1929, huile sur toile
Le Soleil, 1912, huile sur toile
Histoire, 1914, huile sur toile
Vers la lumière, 1914, lithographie
Hommes se baignant, 1907-1908, huile sur toile
À la sortie de l'exposition, quelques œuvres voulant évoquer le rapport de Munch à la mort, dont cet autoportrait (1940-1943, huile sur toile :
Le Mort joyeux - illustration pour Les Fleurs du Mal, 1896, encre de chine sur papier vélin
Danse macabre, 1905, lithographie
Nuit étoilée, 1922-1924, huile sur toile
et pour finir, Auportrait en enfer, 1903, huile sur toile.