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À l'occasion des deux cents ans de la naissance de Rosa Bonheur, le musée d'Orsay présente une rétrospective de l'oeuvre de cette artiste hors du commun, la première organisée à Paris depuis plus d'un siècle.
Sans être aussi exhaustif qu'à l'accoutumée, nous en donnerons un aperçu, tant la personnalité de Rosa Bonheur est originale et le succès que son oeuvre a rencontré immense.
De Marie Rosalie à Rosa Bonheur
Marie Rosalie Bonheur naît à Bordeaux en mars 1822 d'un père peintre et d'une mère musicienne. Elle est l'aînée d'une fratrie de quatre enfants, qui deviendront tous artistes. La famille Bonheur s'installe en 1829 à Paris. Passionnée dès l'enfance par les animaux qu'elle dessine inlassablement, la jeune Rosa Bonheur quitte l'école à 13 ans pour rejoindre l'atelier de son père. Sa vie s'organise alors entre les leçons de dessin, de modelage et les séances de peinture en plein air dans les bois environnants l'appartement familial. Son père l'encourage à copier les maîtres anciens au Louvre. Elle participe pour la première fois au Salon en 1841 avec son œuvre Deux lapins. Deux ans plus tard, elle signe pour la première fois « Rosa Bonheur » en souvenir du diminutif que lui donnait sa mère, décédée prématurément en 1833.
Édouard Dubufe (1819-1883) et Rosa Bonheur : Portrait de Rosa Bonheur, 1857, huile sur toile (l'animal est peint par Rosa Bonheur, elle-même par Dubufe)
Consuelo Fould (1862-1927) Portrait de Rosa Bonheur, 1893, huile sur toile
Rosa Bonheur : Portrait de Nathalie Micas (1850-1875), 1837, fusain sur papier
Deux lapins, 1841, huile sur toile
La Famille heureuse, vers 1840, encre sépia, lavis, crayon graphite sur papier
Les travailleurs de la terre
Rosa Bonheur observe avec le plus grand intérêt les relations qu'entretiennent les animaux et les hommes. Elle représente leurs interactions, en insistant soit sur le rapport de pouvoir exercé par l'homme sur l'animal soit sur l'harmonie qui semble les relier. Elle illustre le quotidien des bergers et des pâtres, le labeur des charbonniers et les travaux des champs. Dans les années 1840, elle poursuit ses recherches en sillonnant les campagnes d'Auvergne, des Pyrénées ou dans le Nivernais. Elle étudie chaque race rencontrée. Au Salon de 1845, elle reçoit une médaille de troisième classe, avant d'être la grande révélation du Salon de 1848. L'État lui commande alors son premier chef-d'œuvre : Labourage nivernais, hommage au travail des animaux, devenu icône d'une ruralité heureuse.
Labourage nivernais, dit aussi Le Sombrage, 1849, huile sur toile
Le Labourage, 1844, huile sur toile
Bœufs au pâturage, esquisse pour La Fenaison en Auvergne, vers 1855, huile sur toile
Dans cette salle également, de petits bronzes d'animaux réalisés par Rosa Bonheur et une Étude de fleurs et chardons, non datée, huile sur papier
Le Marché aux chevaux
Rendue célèbre grâce au Labourage nivernais, Rosa Bonheur connaît ensuite un triomphe lors de l'exposition de son Marché aux chevaux au Salon de 1853. Elle s'impose comme une créatrice de talent, car elle s'attaque à un genre traditionnellement réservé aux hommes et en utilisant le très grand format de la peinture d'histoire. L'artiste peint la puissance des chevaux et la violence des hommes. Elle se souvient des frises antiques du Parthénon tout en se mesurant aux peintres romantiques du XIXe siècle comme Théodore Géricault (1791-1824). Pour préparer cet immense tableau, elle dessine beaucoup, réalise des études de détails et de compositions qui sont ici réunies avec une esquisse sur toile. Le tableau original, conservé au Metropolitan Museum of Art de New York, n'a pu voyager en raison de sa fragilité mais une réplique peinte par Rosa Bonheur elle-même avec l'aide de son amie Nathalie Micas est exposée.
Rosa Bonheur et Nathalie Micas : Le Marché aux chevaux, 1855, huile sur toile
Une eau-forte de Thomas Landseer (1793-1880), The Horse Fair in Paris, d'après Rosa Bonheur
Un succès populaire
Très rapidement, Rosa Bonheur connaît un grand succès grâce à la reproduction de ses œuvres en gravure et lithographie. Elle collabore avec des marchands qui travaillent aussi dans l'édition d'estampes comme Ernest Gambart (1814-1902). La vente de ces planches est un tel succès qu'elle permet à l'œuvre de Rosa Bonheur d'être diffusé dans les intérieurs des particuliers en Europe et aux États-Unis. Elle illustre aussi des ouvrages liés à l'agriculture ou au monde animal. Il naît une vraie « rosamania » : ses œuvres sont reproduites sur des objets du quotidien (papier peint, boîtes d'allumettes, etc.). Sa personnalité fait figure de modèle à suivre : une figure du féminisme en pantalon et aux cheveux courts dont l'effigie orne les cahiers d'écoliers.
Toutou, le bien aimé, 1855, huile sur toile
Cet engouement reste vif auprès des enfants qui visitent l'exposition, auxquels on propose une tablette et du papier pour s'exercer au dessin des animaux d'après Rosa Bonheur...
Georges Achille-Fould (1865-1951) : Rosa Bonheur dans son atelier, 1893, huile sur toile
« C'est sauvage et beau, mille fois beau » : voyages en Ecosse et dans les Pyrénées
Rosa Bonheur voyage pour observer, comprendre la vie des animaux et des hommes dans les campagnes ou dans les montagnes, et pour exprimer ensuite dans sa peinture l'essence des différents terroirs et les spécificités de tel animal ou de telle pratique agricole. L'artiste se rend particulièrement en France : en Auvergne, dans le Nivernais et dans les Landes. Les Pyrénées restent une destination importante pour la peintre où elle étudie les ânes et les moutons. En 1856, elle va en Écosse et y découvre les races écossaises dont elle rapporte des études qu'elle utilisera toute sa vie.
Le Sevrage des veaux, 1879, huile sur toile
Pâturage dans le montagne, non daté, huile sur carton marouflé sur toile
Berger landais, après 1859, huile sur toile
Muletiers des Pyrénées, 1879, huile sur toile
Moutons au pâturage dans les Pyrénées, non daté, huile sur toile
Le Berger des Highlands, 1859, huile sur toile
Parc à moutons, 1858, huile sur toile
Changement de pâturages, dit aussi Une barque (Écosse), 1863, huile sur toile
Vaches et bœufs traversant un lac à Ballachulish, 1867-1873, fusain, pastel, encre et craie sur papier coloré
Les Poneys de l'île de Skye, 1861, huile sur toile
L'atelier des animaux
Dans les années 1850, la renommée médiatique de Rosa Bonheur s'accompagne d'un succès commercial. La vente de ses toiles et de leurs versions gravées lui permet d'acquérir le château de By, en lisière de la forêt de Fontainebleau. La peintre cherche une maison isolée et proche de la nature. Un grand atelier est adjoint à la maison. Elle emménage en 1860 avec Nathalie Micas et sa mère qui s'occupent de la gestion du château et du soin des animaux permettant ainsi à l'artiste de peindre librement. Le domaine est conçu comme le « Domaine de la Parfaite Amitié » et « une véritable arche de Noé » où Rosa Bonheur étudie les animaux au quotidien. Chiens, chevaux, moutons, fauves, cerfs et sangliers sont des modèles, des amis et des muses.
Étude de renard, 1869, huile sur toile
Étude de renard, non daté, huile sur toile
Tête de bouc - Etude, 1869, huile sur toile
Portrait de taureau, esquisse, vers 1857, huile sur toile
Cheval blanc dans un pré, non daté, huile sur toile
Barbaro après la chasse, vers 1858, huile sur toile
Tête de chien, 1869, fusain et pastel sur papier marron
L'étude au cœur de la création
A By, Rosa Bonheur étudie ses modèles quand elle le souhaite et observe les animaux dans leur cadre naturel. Elle étudie aussi la terre, les arbres et leur feuillage. Elle croque tous les jours les attitudes des animaux. Elle accumule les études de détails, au crayon, à l'huile ou à l'aquarelle, qui lui serviront pour créer de nouvelles compositions. La peintre avait baptisé son atelier « le sanctuaire » : c'est le lieu, quasi sacré, de la liberté absolue de l'artiste. Elle y élabore de grandes toiles, sous le regard d'animaux naturalisés, parallèlement au travail d'après nature qui vise à capter l'étincelle de vie de chaque animal.
Études de bouc, un mouton, un perroquet, non daté, crayon graphite sur papier
Études de tête et d'œil de bœuf, non daté, huile sur toile
Études de tête de bœuf et d'encolure de bœuf brun, non daté, huile sur toile
Études de cerf, non daté, aquarelle, encre et crayon sur papier
Études de Barbaro, vers 1858, huile sur toile
Animaux en majesté
Sous l'œil de Rosa Bonheur, les animaux deviennent les sujets de portraits grandeur nature. Elle emploie des grandes toiles avec des cadrages atypiques, des formats panoramiques, qui révèlent la vie des animaux de la forêt de Fontainebleau. Rosa Bonheur porte une grande attention à leur regard, qui agit comme un lien entre les humains et les animaux qui les entourent. Pour l'artiste, les animaux ont une âme, visible à travers leurs yeux. Par son art, elle tente de rendre la vérité de cet instant fugace où les mondes se rejoignent.
Le Roi de la forêt, 1878, huile sur toile
Une famille de cerfs, ou Cerfs dans un espace découvert, ou Les Longs rochers, 1865, huile sur toile
Un cerf, 1893, huile sur toile
L'Aigle blessé, vers 1870, huile sur toile
Les fauves
Parmi les animaux peints par Rosa Bonheur, les lions occupent une place de choix. L'artiste commence son étude des grands fauves à la ménagerie du Jardin des plantes. Puis elle héberge des lions et des lionnes à By. Elle les dessine au quotidien et crée une réelle relation avec eux. Pierrette, Brutus, Néro et Fathma lui ont été offerts par des directeurs de cirques et de ménageries. Rosa Bonheur admire leur intelligence et leur noblesse et s'identifie à leur puissance. Elle produit de nombreuses esquisses sur le vif pour réaliser ses grands tableaux de lions.
Tête de lion, 1870-1891, huile sur toile
(pour la première fois, nous voyons apparaître sur le cartel de cette toile "Royaume-Uni, prêté par Sa Majesté le Roi Charles III")
El Cid, tête de lion, 1879, huile sur toile
Chat sauvage, 1850, huile sur toile
Étude de lions, non daté, huile sur toile
Études de lion, non daté, crayon graphite sur papier
Études de lions, non daté, crayon graphite et rehauts de gouache blanche sur papier
Le Lion chez lui, 1881, huile sur toile
Le rêve de l'Ouest américain
Rosa Bonheur est très célèbre aux États-Unis dès les années 1860, pour son talent de peintre et son statut d'artiste femme libre. Malgré son souhait, elle n'a jamais pu s'y rendre. Elle est fascinée par les grands espaces de l'Ouest autant que par la population autochtone d'Amérique et la faune, particulièrement les chevaux sauvages et les bisons. William Cody (1846-1917), dit Buffalo Bill, installe en 1889 son Wild West Show à Neuilly : Rosa Bonheur y assiste et y rencontre les acteurs lakotas. Elle s'inquiète de la disparition de ces peuples ainsi que des bisons décimés dans les plaines de l'Ouest.
Affiche du spectacle, associant Napoléon, Rosa Bonheur et Buffalo Bill
Colonel William F. Cody, 1889, huile sur toile
Dans ce rare portrait d'humain peint par Rosa Bonheur, et qui est devenu le plus célèbre portrait de Buffalo Bill, on remarque que ce dernier est traité avec moins de précision que sa monture. Le cheval - et en particulier son regard - capte en effet toute l'attention de l'artiste, dans un renversement du rapport traditionnel d'importance entre l'animal et le cavalier.
Peau-Rouge assis [Rocky Bear?], 1889, huile sur bois
Peau-Rouge à cheval [Red Shirt?], 1889, huile sur bois
Rocky Bear and Red Shirt, 1890, huile sur carton
Rocky Bear and Red Shirt, 1890, huile sur toile
L'appel du monde sauvage
Plutôt qualifiée de réaliste, l'artiste use parfois d'effets évoquant le romantisme: atmosphères brumeuses et propices au rêve où elle joue des contrastes entre noir et blanc; animaux énigmatiques et fascinants. Son amour pour les chevaux est imprégné de la vision de Géricault, dont elle possédait des estampes, ou encore de celles de George Stubbs (1724-1806). Dans l'inachevée Course de chevaux sauvages, elle rend compte du mouvement d'un troupeau de mustangs. Plus que leur rendu, c'est la liberté de ces chevaux dans un espace infini qui devient le véritable sujet.
Le Duel, 1896, fusain et rehauts de craie blanche sur papier
Troupeau de bisons, vers 1889, pastel et fusain sur papier
Nous terminons cet aperçu par un des derniers tableaux de Rosa Bonheur, laissé inachevé sur son chevalet :
Chevaux sauvages fuyant l'incendie, vers 1890-1899, huile sur toile