Sous un titre un peu complexe, l'exposition hivernale de la Fondation Louis Vuitton s'attache à montrer l'importance durable du Pop Art, en prenant pour fil conducteur un artiste, Tom Wesselmann (1931-2004). Se destinant au dessin humoristique, il a débuté une carrière de peintre à la fin des années 1950 et est devenu rapidement une des figures majeures du Pop Art. Poursuivie sur près d'un demi-siècle, son œuvre combine les aspects-clés du mouvement : elle embrasse l'imaginaire américain et l'iconographie de son époque, intègre la publicité et les objets du quotidien. Comme le présente les organisateurs, l'exposition est double : 150 œuvres de Tom Wesselmann (ses premiers collages, les immenses Still Lifes, les emblématiques Great American Nudes, les séries Mouths et Smokers, les Sunset Nudes et les oeuvres abstraites en métal. C'est aussi une exposition thématique regroupant 70 œuvres de 35 autres artistes. Wesselmann y dialogue avec l’histoire du Pop Art, de ses sources à ses manifestations actuelles. Ses premiers collages voisinent avec des œuvres dadaïstes. Ses réalisations sont replacées dans le contexte des années 1960, aux côtés de grandes icônes du Pop Art. Cette histoire du Pop se poursuit avec des œuvres de nos contemporains. Plus récemment, Wesselmann a été redécouvert par de plus jeunes artistes dont Mickalene Thomas, Derrick Adams et Tomokazu Matsuyama, qui ont tous les trois créé des œuvres spécialement pour l’exposition. Ils appartiennent à une nouvelle génération qui continue à travailler sur cette fusion de l’art et de la réalité opérée par Wesselmann prolongeant ainsi le récit du Pop – un «Pop Forever».
Ce premier billet sera consacré au galeries du niveau (-1) du bâtiment de la Fondation.
Icônes Pop des années 1950 et 1960
C'est un artiste français qui ouvre l'exposition, Martial Raysse, né en 1936 :
America America, 1964, néon et peinture sur métal
À New York, en 1962, l'exposition « New Realists » réunit à la galerie Sidney Janis une trentaine d'artistes originaires de France, d'Angleterre, d'Italie, de Suède et des États-Unis. Martial Raysse y figure, comme Roy Lichtenstein, Andy Warhol et Tom Wesselmann. L'expression « Pop Art », abréviation de « popular art » sera rapidement préférée à celle de « New Realist », traduite du « Nouveau Réalisme » français. Le « Pop » qualifie davantage l'esthétique publicitaire et cinématographique privilégiée par les Américains. Mais l'œuvre de Martial Raysse, signataire en octobre 1960 du Manifeste du Nouveau Réalisme, appelant à de « nouvelles approches perceptives du réel » rappelle les points de convergence de part et d'autre de l'Atlantique.
Tom Wesselmann :
Still Life #57, 1969-1970, huile sur toile et base de peinture acrylique sur tapis, en six parties
Still Life #31, 1963, acrylique et collage sur panneau, téléviseur
Still Life #15, 1962, technique mixte et collage sur bois
Great American Nude #34, 1962, technique mixte, collage et assemblage sur bois, comprenant un oiseau mécanique
Ici, Wesselmann anime sa composition avec un petit oiseau mécanique muni d'un moteur à piles. L'œuvre témoigne de la fusion de genres picturaux classiques et de l'utilisation expérimentale de divers médias. Comme beaucoup de ses contemporains pop, Wesselmann reprend l'emblématique « imagerie américaine » et propose une analyse des images fortes des années 1960.
Jasper Johns, né en 1930, États-Unis : Flag, 1958, encaustique et collage sur toile
Barkley L. Hendricks, 1945-2017, États-Unis : Untitled, 1967-1968, huile sur toile
Avec Untitled, Hendricks paraît citer les Flags de Johns ou les emblèmes patriotiques de Wesselmann, mais son traitement de la bannière étoilée, oblitérée de noir, suggère une tonalité plus sombre. Sa présentation à plat n'est pas sans évoquer le drapeau qui recouvre à cette époque le cercueil des soldats américains morts au Vietnam, parmi lesquels la population africaine-américaine est surreprésentée.
David Hammons, né en 1943, États-Unis : African American Flag, 1990, coton imprimé
David Hammons signe depuis plus d'un demi-siècle une œuvre où les accomplissements majeurs de la culture africaine-américaine résonnent avec les expérimentations artistiques des années 1960. Son African American Flag reformule le drapeau des États-Unis en intégrant les couleurs rouge, vert et noir du drapeau panafricain inventé dans les années 1920 pour célébrer l'unité de la diaspora africaine des deux côtés de l'Atlantique.
Rosalyn Drexler, née en 1926, États-Unis :
Love and Violence, 1965, acrylique, huile et papier collé sur toile
After Sex, 1969, acrylique et collage papier sur toile cartonnée
Rosalyn Drexler est, avec Marjorie Strider, l'une des deux femmes (sur dix artistes) à participer à l'exposition « First International Girlie Exhibit » (Pace Gallery, 1964) qui explorait l'imaginaire de la pin-up comme symbole américain.
Marjorie Strider, 1931-2014, États-Unis : Welcome, 1963, acrylique sur isorel, avec construction en bois
Roy Lichtenstein, 1923-1997, États-Unis :
Thinking of Him, 1963, magna sur toile
Girl in Window (Study for World's Fair Mural), 1963, huile et acrylique sur toile
En 1962, Roy Lichtenstein expose à la galerie Leo Castelli une suite de tableaux, inspirés de publicités et de cartoons, à la palette limitée et aux couleurs appliquées par points imitant la trame d'un procédé de reproduction. À l'inverse du lyrisme gestuel qui prévalait alors, sa peinture crée un effet de distanciation et reprend le plus souvent des sujets populaires.
Andy Warhol, 1928-1987, États-Unis : Shot Sage Blue Marilyn, 1964, acrylique et encre sérigraphique sur lin
En 1962, le décès de Marilyn Monroe entraîne une apparition massive de son image dans les médias. L'événement est déclencheur pour Warhol qui, grâce à la technique de la sérigraphie qu'il commence à utiliser, en réalise des portraits légendaires, noces de la peinture et du star-system.
Yayoi Kusama, née en 1929, Japon : Self-Obliteration, 1966-1974, peinture sur mannequins, table, chaises, perruques, sac à main, tasses, assiettes, pichet, cendriers, plante, fruits et fleurs en plastique
Yayoi Kusama pratique dès l'enfance le dessin et la peinture. En 1957, elle quitte le Japon pour les États-Unis. A New York, son œuvre se développe au sein de la scène expérimentale où peinture, sculpture, environnement et happening se croisent. En 1962, elle expose aux côtés d'Andy Warhol et de Claes Oldenburg à la Green Gallery - où seront montrés quelques mois plus tard les Great American Nudes de Wesselmann.
Kiki Kogelnik, 1935-1997, Autriche : Self Portrait, 1964, huile et acrylique sur toile
Travaillant d'abord dans une veine abstraite et gestuelle, Kiki Kogelnik quitte Vienne et l'Autriche pour les États-Unis en 1961. Ce déplacement inaugure une œuvre pop par ses sujets, sa palette et sa forme, mais inédite dans ses symboles et ses contenus.
Evelyne Axell, 1935-1972, Belgique :
La Femme de marbre, 1968, émail sur polyester et Formica
Ice Cream, 1964, huile sur toile
Evelyne Axell est une figure historique du Pop Art européen. Actrice et comédienne, c'est en se familiarisant avec le travail d'Andy Warhol, Jim Dine et Marisol qu'elle décide de se tourner vers la peinture en 1963. Si elle apprend la peinture à l'huile auprès de René Magritte, elle s'empare ensuite des résines plastiques, une technique alors expérimentale
Robert Rauschenberg, 1925-2008, États-Unis : Vitamin, 1960 & 1968, huile, papier imprimé, carton, caoutchouc, plastique, clous et crochets sur toile
Robert Rauschenberg apparaît, dès les années 1950, comme un précurseur de nombreux mouvements artistiques qui émergent alors aux États-Unis - qu'il s'agisse d'art plastique, de performances mêlant textes, musique et danse, ou d'expérimentations technologiques. Visant à abolir la frontière entre l'art et la vie, l'artiste crée des combine paintings qui, à l'instar de Vitamin, sont à la lisière de la peinture, de la sculpture, du collage et de l'assemblage.
Frank Bowling, né en 1934, Guyane britannique :
Blazing Cane Field with Rum Shop, 1967, acrylique, huile, et encre sérigraphique sur toile
Cover Girl, 1966, acrylique, huile et encre sérigraphique sur toile
Mother's House with Beware of the Dog, 1966, acrylique, huile et encre sérigraphique sur toile
Né en Guyane britannique (actuelle Guyana), Frank Bowling s'installe à Londres en 1953. Pris entre Londres et New York, il s'éloigne des modèles académiques pour faire fusionner figuration, pop, abstraction, éléments autobiographiques et sociopolitiques.
Kiki Kogelnik : Bombs in Love, 1964, technique mixte avec Plexiglas et acrylique sur douilles de bombe
Marjorie Strider : Triptych II (Beach Girl), 1963, acrylique sur polystyrène revêtu d'une couche d'époxy, monté sur isorel et panneau de bois
Marisol Escobar, artiste et sculptrice vénézuélo-américaine née en 1930 à Paris et morte en 2016 à New York : John Wayne, techniques mixtes
Sur la route
Wesselmann et les artistes pop explorent les clichés, les promesses et l’imagerie de l’Amérique des années 1960. La mythologie de l’automobile et de la route en font partie. Selon ses mots, Wesselmann cherche à capturer une «réalité officielle». Pour cela, il récupère des affiches dans les poubelles du métro new-yorkais dans l’objectif de reproduire des bouts de vie, évoquant aussi ses propres voyages sur les autoroutes à la recherche d’affiches aux images parfaites. Intégrant à ses œuvres des objets quotidiens comme autant de fragments du réel, il développe l’idée d’une « diversité des réalités » et utilise des drapeaux et des portraits de présidents comme symboles de la culture des États-Unis. Tout comme le Flag de Jasper Johns ou la représentation monumentale par James Rosenquist, dans President Elect, d’un John F. Kennedy souriant, juxtaposé à une voiture, ses œuvres renvoient au «rêve américain».
Tom Wesselmann :
Landscape #4, 1965, acrylique et collage sur panneau de fibres
Landscape #1, 1964, huile, collage sur toile et son [il s'agit de bruits de moteur ]
Little Landscape #1, 1964, Liquitex et collage sur bois
Still Life #35, 1963, huile et collage sur toile quatre parties
Sylvie Fleury, née en 1961, Suisse : Skin Crime 3 (Givenchy 318), 1997, peinture émail sur Fiat 128 compressée
L'art minimal, la mode, le custom automobile, la science-fiction sont autant de sujets que Sylvie Fleury convoque dans des œuvres qui, depuis le début des années 1990, ont assumé le glamour et la consommation comme attitudes artistiques. « Les artistes sont des espèces de vecteur de choses qui sont dans l'atmosphère. Un peintre l'exprimera avec son pinceau et moi, il m'arrive de rechercher d'autres moyens de le faire » explique l'artiste. Le maquillage, dont la nature même (l'illusion et la couleur) a trait à l'exercice de l'art, figure dans sa palette. Ici, c'est sur une épave de voiture, fracassée et désormais inapte à la vitesse que Fleury a appliqué une couleur de vernis à ongle Givenchy.
James Rosenquist, 1933-2017, États-Unis : President Elect, 1960-1961, huile sur isorel
Originaire du Minnesota, James Rosenquist arrive en 1955 à New York où il gagne sa vie en peignant des publicités. Fin 1960, il décide d'utiliser pour sa propre pratique artistique l'échelle, la technique et les sujets de son travail alimentaire. Pour President Elect, il prend comme modèles une affiche électorale, une réclame culinaire et une publicité automobile. Sur le portrait souriant du candidat John F. Kennedy, il fait apparaître une main grisée tenant une part de gâteau.
Claes Oldenburg, 1929-2022, États-Unis :
Light Switches - Hard Version, 1964, bois peint, Formica et métal
Soft Fur Good Humors, 1963, fausse fourrure avec kapok, bois et peinture émaillée
En 1961, Claes Oldenburg invite Tom Wesselmann à participer à plusieurs de ses performances. L'année suivante, tous deux figurent au générique de « The International Exhibition of the New Realists », exposition fondatrice du Pop Art. Les premières sculptures d'Oldenburg ont pour sujet des objets du quotidien.
Une petite salle est intitulée Dada & Pop
Les œuvres de Marcel Duchamp et de ses contemporains dadaïstes sont aux racines du Pop Art. Dada, qui émergea comme un mouvement « anti-art » à Zurich à la toute fin de la Première Guerre mondiale se propagea rapidement à Berlin, Hanovre, Cologne, Paris et New York. Les artistes de ce mouvement utilisaient fréquemment la technique du collage. Leur influence se fit d’abord sentir directement sur le surréalisme, après-guerre elle prit une nouvelle vigueur avec le Pop. Avec ses premiers collages réalisés à partir de matériaux trouvés dans la rue, d’objets banals et de panneaux publicitaires, et par l’intégration directe dans ses œuvres de fragments du réel, Wesselmann témoigne de la persistance de l’héritage dadaïste.
Tom Wesselmann :
Green Camp Pond, 1959, pastel, collage et agrafes sur carton de composition
After Matisse, 1959, pastel, collage et agrafes sur carton de composition
Collages de petites dimensions de Tom Wesselmann, parmi lesquels :
Portrait Collage #1, 1959, crayon, pastel, collage et agrafes sur carton
San Francisco Nude with Green Wall, 1959, pastel, tissu, papier peint avec reproduction imprimée, pigment noir non identifié et fleurs séchées sur panneau
Dans la même section,
Tadanori Yokoo, né en 1936, Japon : The Rose-Colored Dance, A La Maison De M. Civeçawa (Poster for a performance by Tatsumi Hijikata's butoh dance company), 1966, sérigraphie sur papier
Tadanori Yokoo est dans les années 1960, l'un des graphistes les plus influents du Japon, notamment connu pour ses réalisations pour le théâtre indépendant. Depuis 1980, il se consacre à la peinture. Au centre de ce poster réalisé pour un spectacle de Tatsumi Hijikata - inventeur du butoh et figure de l'avant-garde japonaise - les silhouettes maniéristes du Portrait de Gabrielle d'Estrées et une de ses sœurs (1575-1600) sont flanquées de vagues évoquant celle d'Hokusai et du motif impérial du soleil levant.
Eduardo Paolozzi, 1924-2005, Royaume-Uni : Sack-o-Sauce, 1948, papiers imprimés collés sur carton
Eduardo Paolozzi est attiré très jeune par la vitalité du langage publicitaire, à commencer par celui du commerce de glace de ses parents, émigrés italiens en Écosse. Après des études d'art à Londres, il séjourne à Paris dans l'immédiat après-guerre et se réclame du Surréalisme. Paolozzi manipule des images de science-fiction, de magazines, de publicité. Issus de cette série, ces collages sont à la fois des signaux précoces du Pop Art et des échos immédiats du Surréalisme et du Dadaïsme.
Terminons la visite du niveau (-1) - et ce billet avec les grandes natures mortes de Wesselmann
Natures mortes
À partir de 1962, Wesselmann approfondit sa pratique du collage en démarchant des compagnies publicitaires pour récupérer des affiches. Il débute sa série des Still Lifes, des natures mortes qui intègrent des objets du quotidien, des publicités et des appareils électriques. Si le genre de la nature morte est traditionnellement de format modeste, il en délivre une version monumentale et agressive en combinant des éléments disparates. L’immense pomme rouge de Still Life #29 provient de l’un des tout premiers panneaux publicitaires fourni par un fabricant. C’est un exemple significatif de la manière dont l’affiche, sa taille, son impact ajoutent à son œuvre une audace visuelle, un effet habituellement crucial pour attirer le regard du consommateur.
Still Life #56, 1967-1969, huile sur toiles mises en forme
Still Life #25, 1963, huile et assemblage sur carton de composition
Still Life #21, 1962, acrylique et collage sur bois avec enregistrement du son du vin versé
Still Life #34, 1963, acrylique et collage sur bois
Still Life #29, 1963, huile et papier imprimé, collage sur toile
Avec ses objets surdimensionnés aux couleurs intenses, Still Life #29 synthétise l'esthétique pop de Wesselmann. Chaque élément de la composition se détache, méticuleusement délimité par des lignes nettes et des surfaces vibrantes. L'artiste agrandit des objets quotidiens, comme la pomme tirée d'un panneau publicitaire à la surface brillante et le collage de paysage derrière une Volkswagen, mêlant ainsi textures et messages publicitaires. La salière surdimensionnée accentue encore une impression immersive, proposant une nouvelle perspective sur des objets familiers.
Dans cette section, curieusement, une seule œuvre d'une autre artiste :
Jann Haworth, née en 1942, États-Unis : Rhinestones, 1963, satin, rembourrage et raidissement en polyester, en cinq parties
Jann Haworth grandit à Los Angeles, immergée dans l'industrie du spectacle. Arrivée en Angleterre en 1961 elle intègre la Slade School of Fine Art (Londres) où, désarçonnée par le sexisme du vieux continent, elle décide d'utiliser le textile comme matière première un « territoire qui était [le sien] en tant que femme et auquel aucun étudiant mâle n'avait accès ».
Tom Wesselmann :
Still Life #33, 1963, huile et collage sur toile, trois parties
Still Life #44, 1964, papier imprimé et vernis mat Liquitex sur panneau de fibres, avec recouvrement en Plexiglas jaune
Still Life #48, 1964, acrylique, collage et assemblage sur bois
Still Life #51, 1964, Formica et papier imprimé commercialement avec plastique et acrylique sur toile
Still Life #49, 1964, technique mixte et assemblage sur bois
3-D Drawing (For Still Life #42), 1964, fusain, gesso, et assemblage (horloge, verre, contreplaqué, Formica, panneau composite, bois et métal) sur bois
Still Life #37/Interior #1, 1964, acrylique, collage et assemblage comprenant un ventilateur, une horloge et une lumière fluorescente
Still Life #46, 1964, plastique peint et formé sous vide
Still Life #36, 1964, papier trouvé, huile et acrylique sur lin, quatre parties
Nous poursuivrons dans un prochain billet la visite de cette exposition.