Encore une exposition de photos en plein-air. Celle-ci retrace l'histoire, grâce au dépôt de son fonds aux archives municipales, d'un studio-photos fondé à Ivry-sur-Seine en 1929 pour le portrait, transformé en magasin de photo en 1941 et fermé en 1995.
Sur l'affiche-titre de l'exposition, la photographe ivryenne Louise Grousteau à l'intérieur du studio Louisanne, années 1940.
MÉMOIRE PHOTOGRAPHIQUE
Inventée au 19e siècle, la photographie devient un métier qui a pignon sur rue au début des années 1900. Des passionnés de cette discipline artistique ouvrent des studios-photos gagnant une clientèle avide d'une forme inédite de représentation de soi. Des hommes mais aussi des femmes se lancent dans cette aventure. Le studio du photographe s'impose comme une institution locale témoin de la vie familiale, sociale et publique. Durant plus d'un demi-siècle, le studio Louisanne fixe ainsi sur la pellicule plusieurs générations d'lvryens et les transformations urbaines des années 1960-1970. Cette exposition présente une sélection de photographies, parmi les milliers de tirages, plaques de verre et négatifs, fruit de l'activité du studio Louisanne, désormais conservés aux Archives municipales.
Photo : Louise Grousteau sur le pas de porte du studio Louisanne, 152 avenue Jules Coutant (actuelle avenue Danielle Casanova), 1941.
FEMME PHOTOGRAPHE
Louise Grousteau naît à Ivry-sur-Seine en 1895 dans une famille de teinturiers. Elle vit son enfance à Bar-sur-Aube, étudie au collège de Langres puis à l'École nationale des arts décoratifs de Paris. Après la Première Guerre mondiale, elle devient retoucheuse photo à Troyes puis à Paris et Mâcon. Cette expérience et son caractère entreprenant la conduisent à créer son "studio d'art" en 1929. Elle lui donne le nom de "Louisanne" contraction de son prénom et de celui de son amie d'enfance Anne-Marie. En 1941, Louise Grousteau ouvre un magasin de photographie dans sa commune natale, au rez-de-chaussée d'un immeuble hérité de sa famille. Elle y présente des clichés artistiques évoquant ceux du célèbre et contemporain studio Harcourt.
Photos :
Louise Grousteau utilise un crayon à papier à la pointe longue et fine pour retoucher un portrait, années 1920
Louise Grousteau, appelée communément "Madame Louisanne", à l'intérieur de son studio-photo, 152 avenue Jules Coutant (actuelle av. Danielle Casanova), années 1940.
ALTER EGO
Né en Alsace, René Meyer a obtenu son certificat d'aptitude professionnelle de photographe en 1949. Il fait ses premières armes à Cernay chez les Wassner qui avaient ouvert un studio-photo à Ivry avant la Seconde Guerre mondiale. Après son service militaire en Algérie, il travaille pour le studio Louisanne dont il devient la figure familière. Avec Louise Grousteau dont il est le fils adoptif, il assure les prises de vue en studio et à l'extérieur, le développement des négatifs, l'accueil des clients et la conservation des plaques de verre et négatifs pour les retirages.
Photos :
René Meyer-Grousteau à la sortie du studio avenue Danielle Casanova, années 1960.
Louise Grousteau utilise son appareil Réflex pour saisir René Meyer-Grousteau devant le studio, années 1960.
LE MAGASIN DU PHOTOGRAPHE
Les photographes exposent leur savoir-faire en vitrine où ils présentent leurs réalisations. Ils assurent le développement des pellicules des photographes amateurs de plus en plus nombreux à mesure que la pratique de la photographie se démocratise. Des enseignes placées sur la façade de l'immeuble vantent la qualité des papiers-photo utilisés garantissant des tirages de qualité. Dans une même rue du centre-ville, le studio Louisanne est concurrencé par l'enseigne « Le Portrait - L'amateur ».
Photos :
- Les pochettes photos vantent les mérites des marques d'appareils, de pellicules et de papiers-photos, années 1950-1980.
- Intérieur du studio Louisanne rénové à la fin des années 1950.
- Sur la façade du studio Louisanne, on devine le nom de la teinturerie Uherek tenue par la famille de Louise Grousteau, années 1950.
TRAVAUX PHOTOGRAPHIQUES
Être photographe requiert un nombre important de compétences. Outre la prise de vue, l'opérateur doit également maîtriser les techniques de la retouche, de la mise en couleur ou encore du montage. La retouche consiste à retravailler directement le négatif (plaque de verre, négatif souple...) tandis que le repiquage se fait sur le positif (tirage, épreuve...), travail qui demande dextérité et patience.
Photos
- Une apprentie du studio Louisanne utilise un pupitre à retoucher pour rectifier les clichés selon les indications du client, années 1970.
- Un tirage noir et blanc est coloré à la main puis rephotographié, années 1930.
- Utilisée comme support photographique jusque dans les années 1950,
la photo sur plaque de verre peut être retouchée par l'application d'une émulsion non sensible à la lumière, années 1950.
- À la demande de son client, le photographe réunit plusieurs photos d'identités pour rassembler grâce au montage, les membres d'une même famille, années 1970.
PRENDRE LA POSE
Si la vitrine d'un studio-photo est un élément décisif pour gagner la clientèle, l'atelier où l'on prend la pose doit être confortable et équipé de matériel professionnel. La pièce maîtresse est la chambre noire. Soutenue par un pied, elle comprend un viseur et un objectif muni d'un diaphragme pour doser la lumière et régler la netteté de l'image. Lors de la prise de vue, les photographes se recouvrent d'un tissu noir afin d'occulter la lumière ambiante.
Photos :
- Pour réaliser cette photo de mariage, le rideau de velours utilisé en fond pour certains clichés a été tiré sur le côté, années 1950.
- L'atelier est doté de lampes diffusant un éclairage artificiel savamment dosé et de gradins pour réaliser les photos de groupe, années 1950.
TOUS SUR LA PHOTO
Pour réaliser cette photo de groupe prise à l'occasion d'un mariage, l'opérateur a utilisé des gradins pour que chacun trouve sa place, fin des années 1960.
MARIAGE CIVIL
Odette Moulan, élue adjointe au maire en 1945, procède à un mariage civil dans une salle de la mairie, années 1950. Le tirage d'après plaque de verre comporte un numéro (ici, le 25) qui apparaît en bas du cliché.
POUR L'ALBUM
Personnage incontournable des cérémonies de mariage, le photographe fixe sur la pellicule un jeune couple à la sortie de l'hôtel de ville, années 1950.
MAÎTRE DE CÉRÉMONIE
Vêtu d'un uniforme, coiffé d'un bicorne, muni d'une hallebarde et d'une canne, le « Suisse » ouvre le cortège à la sortie de l'église, années 1950.
FÊTE RELIGIEUSE
Après la cérémonie de leur profession de foi, de jeunes adolescentes quittent l'église Saint-Pierre Saint-Paul pour se rendre dans les locaux paroissiaux situés rue de Paris (actuelle avenue Maurice Thorez), années 1950.
SOUVENIRS D'ENFANCE
En reportage lors d'une fête paroissiale, le photographe saisit le plaisir des enfants à être ensemble dans la cour de récréation et dans le réfectoire de l'école Jeanne d'Arc (actuelle école Jean XXIII), années 1950.
PHOTOS GOURMANDES
Ce manège alimentaire confectionné avec dextérité, présenté dans la vitrine du charcutier de l'avenue Danielle Casanova, a retenu l'attention du photographe, années 1950.
VIE POLITIQUE
La Maison de la Jeunesse communiste voisine avec l'église Saint-Pierre Saint-Paul. Une fresque peinte associée à un message annonce le 50 anniversaire de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français et député de la commune (1950)
EN MOUVEMENT
De la fenêtre arrière d'un véhicule, le photographe saisit la place de la République et en arrière-plan l'église paroissiale. Sur la gauche, des bâtiments démolis lors de la rénovation du centre-ville (années 1950)
CHOC INÉVITABLE
Constat d'accident entre une camionnette et un engin de chantier, années 1950.
EXPERTISE
Au moindre froissement de tôle, un photographe est dépêché sur les lieux pour fixer l'étendue des dégâts. Rue Gabriel Péri, une 2 CV et une camionnette HY Citroën se sont heurtées devant le regard des badauds sortant du magasin Prisunic, années 1960.
À CONTRE-JOUR
Dans l'atelier du garagiste, l'opérateur photographe a joué sur les contrastes pour rendre compte de l'atmosphère qui règne sur le lieu de travail d'un jeune mécanicien, années 1950
INSTANTANÉS DE VIE QUOTIDIENNE
Rue Jeanne Hachette, un peintre en lettres achève d'indiquer les services rendus par le garage G. Biette devant lequel est garée une « Buick », automobile américaine alors très en vogue. Un marchand de fruits et primeurs a gagné de l'espace sur le trottoir pour installer son étal, fin des années 1950.
CONCESSIONNAIRE
Le garage « Verdun Automobiles » inaugure ses nouveaux locaux situés en direction de la porte de Vitry. Il propose à sa clientèle des voitures des marques allemandes Audi, Auto-Union et DKW, abréviation de «Das Kleine Wunder », en français « la petite merveille », 1964.
PUBLICITÉ MOBILE
La société Coplait dont l'usine se trouve à Ivry-Port, rue Molière, a passé commande au studio Louisanne pour photographier ses camions publicitaires vantant la qualité de ses produits laitiers. La prise de vue a lieu sur l'esplanade de la Mairie, années 1960
ENSEMBLE
Les ouvriers de l'entreprise Bluteau photographiés à la pause, années 1950.
HOMMES AU TRAVAIL
Le studio Louisanne réalise des reportages à la demande des entreprises. Ici, ce sont des ouvriers qui travaillent à la mise en place de canalisations qui sont photographiés témoignant des méthodes et conditions de travail, années 1950.
PHOTOGRAPHE PHOTOGRAPHIÉ
Monté sur un échafaudage, René Meyer-Grousteau est à son tour pris en photo dans l'exercice de son métier, 1960.
PHOTO INDUSTRIELLE
Le studio Louisanne réalise un reportage à Ivry-Port à l'occasion d'un vaste chantier pour la Société Industrielle des Transports Automobiles (SITA), rue Victor Hugo. L'entreprise fait construire un garage pour autotombereaux, dénomination alors utilisée pour désigner les camions poubelles, 1960.
DERNIER CLICHÉ
L'enseigne « le Bureau moderne », rendez-vous des écoliers pour leurs fournitures et livres scolaires, jouxte la mythique salle des conférences (à droite), rue Marat. À l'affiche de ce lieu culturel et festif, la pièce "Marchands de ville" sur le thème des restructurations urbaines, 1972.
INVENTAIRE PHOTOGRAPHIQUE
La rénovation du quartier du centre est imminente. Avant la démolition des immeubles, le photographe réalise un reportage systématique qui se veut un témoignage. Ici, une portion de la rue Lénine et ses commerces de bouche, années 1970.
PHOTO-TÉMOIN
En arrière-plan, une grue annonce les premiers chantiers de la rénovation du centre-ville. L'avenue Danielle Casanova que l'on voit ici, avec son tracé sinueux et ses commerces, sera bientôt élargie et transformée, fin des années 1960.
VILLE EN CHANTIER
Quelques mois plus tard, le centre de la ville est reconfiguré. La tour Raspail est achevée. Les maisons d'une partie de l'avenue Danielle Casanova ont été démolies ainsi que les bâtiments et le parc de la maison de santé Esquirol, fin des années 1960.
DISPARITION D'UNE INSTITUTION
26 novembre 1972 : deux immeubles se font face. A droite, la Tour Casanova est en voie d'achèvement. À gauche, l'immeuble du studio Louisanne vit ses derniers jours pour laisser la place à la future Cité du Liégat réalisée en 1982.
NOUVEAU STUDIO
6 janvier 1969: de la rue Raspail, le photographe a réalisé un cliché de la Tour Lénine en construction. Le studio Louisanne s'y installera au rez-de-chaussée du bâtiment de droite jusqu'en décembre 1995. Cette nouvelle adresse figure désormais sur ses documents commerciaux, tels que les bons de retrait de commande.
KIOSQUE
Au pied de la Tour Lénine, devant le studio Louisanne, une structure métallique s'impose par son originalité au milieu des chantiers. Conçu par ordinateur, cet exemple d'architecture expérimentale devient un kiosque destiné à accueillir des commerces, années 1970.
PHOTOGÉNIQUE
L'ensemble Casanova construit en 1972 se prête à la prise de vue. Sa façade lisse contraste avec ses terrasses en pointe. Une station essence est ouverte au bas de l'immeuble pour répondre aux besoins des résidents et habitants du quartier qui privilégient alors le déplacement automobile.
VISAGES
Photos d'identité et photos en pied constituent un pan important du travail du studio. Le fonds des Archives du studio Louisanne en conserve des milliers. Parcourir cette collection, c'est retrouver les femmes et les hommes qui ont habité la ville.
MUTATIONS
Le studio Louisanne cesse d'exister en 1995 après avoir photographié "trois générations d'Ivryens" et réalisé "45 000 clichés", témoigne René Meyer-Grousteau en 1994, photographié devant quelques exemples de son matériel dont une chambre en bois datant des années 1920.
Le studio de photographie s'efface devant l'usage massif d'appareils photos personnels à la veille d'une révolution technologique, celle de la photo numérique et de ses modes de diffusion, qui fait disparaître une profession centenaire, celle de photographe de ville.
Pour terminer, quelques images de l'architecture typique de la rénovation d'Ivry marquée par l'architecte Jean Renaudie (1925-1981), depuis les grilles du parc Maurice Thorez où se tient l'exposition :
Le centre commercial Jeanne Hachette,
Avenue Danielle Casanova.