Le modèle noir de Géricault à Matisse

Exposition un peu "hors normes" ce printemps au musée d'Orsay, qui la présente ainsi :
"En adoptant une approche multidisciplinaire, entre histoire de l'art et histoire des idées, cette exposition se penche sur des problématiques esthétiques, politiques, sociales et raciales ainsi que sur l'imaginaire que révèle la représentation des figures noires dans les arts visuels, de l'abolition de l'esclavage en France (1794) à nos jours. (...)
L'exposition s'intéresse principalement à la question du modèle, et donc du dialogue entre l'artiste qui peint, sculpte, grave ou photographie et le modèle qui pose. Elle explore notamment la manière dont la représentation des sujets noirs dans les oeuvres majeures de Théodore Géricault, Charles Cordier, Jean-Baptiste Carpeaux, Edouard Manet, Paul Cézanne et Henri Matisse."
Nouveaux regards
L'exposition prend pour point de départ le premier décret d'abolition de l'esclavage le seize pluviose de l'an II de la République (4 février 1774)
Bien que Napoléon 1er le rétablisse dès 1802, et aussi grâce à l'émergence de la république de Haïti le 1er janvier 1804 après l'échec de son expédition, de premiers portraits d'individus noirs émancipés apparaissent, même s'ils demeurent anonymes tel ce Portrait de Madeleine de Marie-Guillemine Benoist présenté au salon de 1800 sous le titre "Portrait d'une négresse"...
Géricault, actif dès sa jeunesse dans le mouvement abolitionniste qui voit le jour après le rétablissement particulièrement dur de l'esclavage dans les colonies par Bonaparte, multiplie les représentations de noirs, notamment avec le modèle connu sous le nom de Joseph...
...modèle qu'on retrouve dans cette étude de Théodore Chasseriau...
ou dans ce portrait par Delacroix.
Toujours de Delacroix, ce portrait d'une femme au turban bleu et cette étude d'après le modèle Aspasie.
L'exposition présente aussi une copie par Fantin-Latour des Femmes d'Alger de Delacroix (pourquoi cette copie et non pas l'original du Louvre que je reproduis ici : zizanie entre les deux musées nationaux parisiens ?)
Quelques tableaux "de genre", dénonçant l'esclavage avant son abolition définitive de 1848 (Marcel Antoine Verdier, tableau refusé en 1843) ou la célébrant ensuite (François Auguste Biard, 1849)...
Des tableaux eux aussi plus intéressants sur le plan documentaire que sur le plan artistique...
De très belles sculptures, Pourquoi naître esclave? de Jean_Baptiste Carpeaux,...
...des bustes de Charles Cordier (1827-1905)
...et de Hubert Ward (1863-1919)
Dans ce parcours parfois cahotique, un Puvis de Chavannes Jeune Noir à l'épée (1848-1849)
L'esclave captif de John Philip Simpson (1827)
La Mort du Camoêns de Joseph-Léon-Roland de Lestang-Parade (1834)
et cette caricature d'Alexandre Dumas père par Cham...
Édouard Manet : Jeanne Duval, dite aussi La Femme à l'éventail (1862)
et comme Jeanne Duval était la maîtresse de Baudelaire, une série d'études intitulées Martiniquaise, réalisées en 1946 par Matisse en vue d'illustrer une édition des Fleurs du Mal.
Des portraits variés, quelquefois anonymes, réalisés dans les ateliers de l'école des Beaux-Arts...
La photographie est également présente avec ce portrait de Maria l'antillaise de Nadar (vers 1850):
Plusieurs tableaux de Jean-Léon Gérôme, dont Le Bain Turc (1870) et l'esclave cairote reprise dans l'affiche de l'exposition, qui se retrouve dans A vendre, esclaves au Caire (1873).
Un peu pèle-mêle, Un Soudanien de Carolus-Duran (1886)
De Paul Cézanne, le Noir Scipion (1866-1868)
Une Négresse, panneau décoratif présenté au salon de 1866 par Eugène Faure,
Le Baiser enfantin, de Jacques-Eugène Feyen (1865)
et un Manet de 1861-1862 Enfants aux Tuileries avec la servante noire qu'on retrouvera dans l'Olympia.
L'Olympia de Manet (peinte en 1863, présentée au salon de 1865 en déclenchant le scandale que l'on sait) occupe une place centrale dans l'exposition, avec pour prétexte la servante noire...
Autour d'elle, des tableaux au sujet analogue, comme Esther se parant pour être présentée au roi Assuérus de Théodore Chassériau (1841)...
ou cette autre Esther de François-Léon Bénouville (1844)
ou, plus intéressant à notre goût, La Toilette (1970) de Frédéric Bazille, également auteur la même année de Jeune femme aux pivoines.
On découvre que Gauguin a réalisé en 1891 une copie très fidèle - et très belle aussi - du tableau de Manet.
et n'oublions pas Une moderne Olympia présentée par Paul Cézanne à la première exposition impressionniste en 1874.
Deux échos inversés à l'Olympia, contemporains : I like Olympia in black face (1970) de Larry Rivers (où même les couleurs des chats sont inversées)...
et Olympia II (2013), peinture sur pièces de contreplaqué de Aimé Mpane.
Une section évoque les arts du spectacle,
avec le clown Chocolat, incarné récemment à l'écran par Omar Sy...
...l'acrobate Miss Lala au cirque Fernando, immortalisée par Degas en 1879...
...La Revue Nègre (Paul Colin, 1925)
Jazz, Fernand Léger, vers 1930,
et Joséphine Baker avec Paul Colin et deux maquettes de costumes de scène par Tamara Kristin.
Terminons avec un patchwork d’œuvres plus ou moins récentes, présentées vers la fin du parcours de cette exposition foisonnante mais au final très riche et intéressante.
Paul Gauguin : Tête de femme, Martinique, 1887
Charles Laval : Femmes au bord de la mers, esquisse (entre 1887 et 1889)
Emile Bernard : Portrait d'une femme (titre initial : Etude de négresse), 1895
Kees Van Dongen : Jack Johnson, dit aussi The Morning Walk, 1919
Félix Valloton :
Les Tirailleurs sénégalais au camp de Mailly (1917)
Aïcha (1922)
Moïse Kisling : Portrait d'Aïcha (1919)
Man Ray : Rire de rêve (1937)
Wifredo Lam : Femme nue, 1939
Jean Dunant : Éléphant, laque, 1942
André Masson : Antille , sable et tempera sur toile, 1943
Henri Matisse :
Aïcha et Lorette (1917)
Dame à la robe blanche (1946)
L'Asie (1946)
Danseuse créole (papiers découpés et collés, 1950)
et des dessins des années 1943 à 1947
William Henry Johnson :
Nude (huile sur toile de jute, 1939)
Portrait of a Woman with Blue and White Striped Bloose (tempera sur carton, vers 1940-1942)
Romare Bearden : Patchwork Quilt (tissu et papier coupé et collé, peinture polymère sur panneau, 1970)