Nicolas de Staël - rétrospective au MAM de Paris (II/II)
Nous achevons dans ce billet le parcours de la rétrospective de l'œuvre de Nicolas de Staël débuté dans notre billet du 14 octobre 2023, avec la sixième salle de l'exposition :
Le spectacle du monde 1952-1953
L'attrait de Nicolas de Staël pour le paysage se prolonge dans une fascination pour tout ce qui constitue le spectacle du monde. Entre un concert, un ballet et un match de football, nulle hiérarchie, mais autant d'occasions de se confronter à la vie comme à un jeu de matières colorées et en mouvement. Staël, qui dessinait jusque dans l'obscurité des salles de cinéma, peint en spectateur passionné, recevant sans cesse de nouvelles sensations visuelles, tactiles et auditives. En 1951, déjà, il déclarait : « L'individu que je suis est fait de toutes les impressions reçues du monde extérieur depuis et avant ma naissance [...]. Les choses communiquent constamment avec l'artiste pendant qu'il peint, c'est tout ce que j'en sais. » Sous cet œil ultrasensible, un jardin prend l'allure d'un décor de théâtre, tandis que des bouteilles semblent danser un ballet.
Au mois de mars 1953, Staël est à New York pour préparer son exposition aux Knoedler Galleries. L'exposition remporte un franc succès, tant critique que commercial. En juin, Staël signe un contrat avec le puissant galeriste Paul Rosenberg, qui le pousse à produire davantage pour répondre à la demande des collectionneurs américains.
Dans cette section, peu de toiles mais toutes de grandes dimensions.
Bouteilles dans l'atelier, Paris, 1953, huile sur toile
Les Indes galantes, Paris, 1953, huile sur toile
L'Orchestre, Paris, 1953, huile sur toile
L'atelier du Sud 1953
« Tous les départs sont merveilleux pour le travail », écrit Staël en mai 1953. Sur le conseil de René Char, cet été-là, le peintre et sa famille s'installent à Lagnes, un village proche d'Avignon. Ce séjour en Provence engendre deux chocs : celui de la lumière éclatante, et celui de la rencontre avec une jeune femme, Jeanne Polge. Pour décrire ce double coup de foudre, le peintre écrit à Char, qui lui a présenté cette femme et ce paysage : « Quelle fille, la terre en tremble d'émoi, quelle cadence unique dans l'ordre souverain. Là-haut au cabanon chaque mouvement de pierre, chaque brin d'herbe vacillait [...] à son pas. Quel lieu, quelle fille. » Une liaison passionnelle se noue à partir de l'automne.
Le peintre, dont la palette devient éclatante comme la lumière provençale, multiplie les sujets d'atelier: portrait de sa fille Anne, « nus dans les nuages », natures mortes. L'intensité charnelle des sensations vécues par cet homme se diffuse dans toute chose, jusque dans la texture d'une nappe rose posée sur une table.
Nu couché, 1952-1953, pinceau et encre de Chine sur papier
Étude de nu, 1952-1953, pinceau et encre de Chine sur papier
Nu de dos, 1952-1953, pinceau et encre de Chine sur papier
Nu, 1952-1953, pinceau et encre de Chine sur papier
Étude de nu, 1952-1953, pinceau et encre de Chine sur papier
Portrait d'Anne, Lagnes, 1953, huile sur toile
Femme assise, Ménerbes, 1953, huile sur toile
Deux vases de fleurs, Lagnes, 1953, huile sur toile
Table rose, Provence, 1953, huile sur toile
Nature morte au tournesol, Lagnes, 1953, huile sur toile
Fleurs blanches et jaunes, Lagnes, 1953, huile sur toile
Lumières 1953
Le peintre, après tant d'autres, connaît la fascination pour le Sud et sa lumière : la Provence lui apparaît comme « le paradis, tout simplement, avec des horizons sans limites ». Il rêve de transformer en un point fixe ce qui ne sera qu'une halte entre deux départs et, en novembre 1953, achète une demeure austère et délabrée à Ménerbes - le Castelet.
En Provence, le peintre remet son art en jeu tout en renouant avec le petit format et les joies de la peinture sur le motif - ce qu'il appelle ses « paysages de marche ». Les tableaux du Midi exigent une réinvention : la lumière éclatante du Sud implique un nouveau regard, et donc une nouvelle manière de faire. Au plus près du monde, Staël peint alors les silhouettes alignées des cyprès, les champs labourés, la façade d'une maison, le soleil éblouissant au-dessus de l'horizon. Sculpté par le vent, son Arbre rouge se fait explosion lumineuse. Ici, Staël cherche, à tâtons, en peintre qui n'a que le travail comme possible recours : « Je suis dans un brouillard constant, ne sachant où aller, que faire [...], bouffant ces paysages à longueur de journée de quoi en avoir une nausée définitive, ému malgré tout chaque fois. »
Terre du Nord, vers 1953, huile sur toile
Grignan, 1953, huile sur toile
Paysage, esquisse, Provence, 1953, huile sur toile
Paysage, Ménerbes, Ménerbes, 1953-1954, huile sur toile
Paysage, Provence, 1953, huile sur toile
Arbres, Provence, 1953, huile sur toile
Paysage, Provence, 1953, huile sur toile
Arbre rouge, Provence, 1953, huile sur toile
Paysage de Provence, Lagnes, 1953, huile sur toile
Grignan, 1953, huile sur toile
Le Soleil, Provence, 1953, huile sur toile
Les Cyprès, Provence, 1953, huile sur toile
Sicile 1953-1954
En août 1953, Nicolas de Staël, qui s'est acheté une camionnette, embarque sa famille dans un voyage en Italie, direction la Sicile. Il y a là sa femme Françoise, enceinte de Gustave, ses enfants, Anne, Laurence et Jérôme, mais aussi Jeanne Polge et Ciska Grillet, une amie de René Char.
En Sicile, il dessine au feutre les ruines antiques d'Agrigente et Syracuse : « À part la nage dans toutes les mers, je ne fais rien, sinon quelques croquis », écrit-il alors. La peinture viendra plus tard, comme en écho différé à cette expérience vécue. En 1951, déjà, il affirmait: « On ne peint jamais ce qu'on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu. » C'est donc en Provence, où il retourne seul, après l'Italie, que Staël peint ses tableaux siciliens.
À Jacques Dubourg, son marchand parisien, il confie : « Aussi atroce que soit la solitude, je la tiendrai parce qu'il [me faut] prendre une distance que je n'ai plus à Paris aujourd'hui et que je veux pour demain. » Les paysages d'Agrigente et Syracuse sont le fruit de cette mise à distance. Radicalisation de la palette et des contrastes, construction réduite à l'élémentaire : Staël invente son paysage.
Sicile (dessiné sur le motif), 1953, stylo-feutre sur papier
Colonnes de temple à Agrigente, 1954, plume et encre de Chine sur papier
Agrigente, 1954, plume et encre de Chine sur papier
Composition, 1953-1954, collage de papiers déchirés sur papier kraft
Composition, 1953-1954, collage de papiers découpés et déchirés sur papier kraft
Temple sicilien, Lagnes, 1953, huile sur toile
Paysage, vers 1953, huile sur toile
Sicile, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Agrigente, Ménerbes, 1953-1954, huile sur toile
Agrigente, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Sicile, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Agrigente, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Syracuse, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Paysage, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Sur la route 1954
L'année 1954 est marquée par de constants déplacements : toujours à la recherche de sensations nouvelles, Staël se remet en route. Alors qu'il vient d'emménager à Ménerbes, son quotidien est rythmé de diverses incursions à Uzès, Marseille, ou encore à Martigues, sur les bords de l'étang de Berre, comme autant de détours propres à engendrer dessins et tableaux. Il retourne aussi rue Gauguet : « J'ai commencé à travailler dans le Midi, écrit-il, mais je viens à mon atelier de Paris régulièrement, cela me change de lumière et renouvelle un peu la conception des choses. » Il dessine alors sur les bords de Seine, et peint des paysages parisiens. Il séjourne également quelque temps sur la mer du Nord, dessinant sur le motif avant de peindre plusieurs tableaux évoquant le phare de Gravelines ou la plage de Calais.
Staël travaille « plus que jamais » : l'exposition chez Paul Rosenberg à New York en février 1954 est un succès, et l'artiste prépare pour juin une nouvelle exposition parisienne chez Jacques Dubourg, la première depuis trois ans. Dans cette urgence, sa peinture s'allège, renonçant à l'épaisseur au profit de la fluidité. Dans ses dessins, nombreux en ces temps de voyage, l'artiste va vers l'épure, donnant toujours plus d'importance, et de présence, au blanc du papier.
Bateaux sur la plage, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Deux Marseille, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Barques, 1953-1954, stylo-feutre sur papier
Bateaux en Méditerranée, 1953-1954, stylo-feutre sur papier
Barques aux Martigues, 1953-1954, stylo-feutre sur papier
La Barque, 1953-1954, stylo-feutre sur papier
Bateaux, 1953-1954, stylo-feutre sur papier
Arbres, 1954, pinceau et encre de Chine sur papier
Étude de fleurs, 1954, stylo-feutre sur papier
Table à palette, 1954, fusain sur papier
Étude de profils, 1954, pinceau et encre de Chine sur papier
Trois poires, Paris, 1954, huile sur toile
Les Martigues, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Agrigente, Ménerbes, 1954, huile sur toile
La Route, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Paysage sur fond rose, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Étang de Berre, Ménerbes, 1954, huile sur toile
Le Pont des Arts la nuit, Paris, 1954, huile sur toile
Plage de Calais, 1954, huile sur toile
Calais, 1954, huile sur toile
Nature morte au billot, Paris, 1954, huile sur toile
La Palette, Paris, 1954, huile sur toile
et la dernière salle de l'exposition :
Antibes 1954-1955
En septembre 1954, pour se rapprocher de Jeanne Polge, Nicolas de Staël s'installe seul dans une maison sur les remparts d'Antibes, face à la mer. La vie s'organise autour de son atelier et de sa liaison passionnelle, bouleversante. Alors que Jeanne prend peu à peu ses distances, Staël travaille avec acharnement: « Les tableaux foncent, écrit-il, il faudra bien leur donner tout ce que j'ai, le reste m'est odieux à présent. »
Cherchant la fluidité et la transparence, le peintre utilise du coton et des tampons de gaze pour étaler la couleur. Marines et natures mortes
se succèdent, Staël peignant alternativement les bateaux zébrant la Méditerranée ou les objets de l'atelier. Ses tableaux accueillent la vie, sa quotidienneté, son intimité, son immensité. Si l'homme privé est désespéré par un amour impossible, l'artiste demeure, dans sa peinture, intact malgré tout. Les tableaux d'Antibes témoignent de la permanence de son émerveillement devant le monde.
Le 16 mars 1955, Staël se tue en se jetant du toit-terrasse de son atelier, laissant derrière lui de nombreux tableaux en cours. Dans la lettre qu'il laisse à son marchand, Jacques Dubourg, il écrit: « Je n'ai pas la force de parachever mes tableaux. »
Étude de nu, Antibes, 1955, fusain sur toile
Nu de profil, Antibes, 1955, fusain sur toile
Nu couché bleu, Antibes, 1955, huile sur toile
Nature morte en gris, Antibes, 1954, huile sur toile
Coin d'atelier fond bleu, Antibes, 1955, huile sur toile
La Bouteille noire, Antibes, 1955, huile sur toile
Le Saladier, Antibes, 1955, huile sur toile
Le Bocal, Antibes, 1955, huile sur toile
L'Étagère, Antibes, 1955, huile sur toile
Nature morte en gris, Antibes, 1955, huile sur toile
Pots et pinceaux dans l'atelier, Antibes, 1955, huile sur toile
Nature morte au pot et pinceaux, Antibes, 1955, huile sur toile
Les Poissons, Antibes, 1955, huile sur toile
Bateau de guerre, Antibes, 1955, huile sur toile
Le Fort carré d'Antibes, Antibes, 1955, huile sur toile
Bouteilles grises, Antibes, 1955, huile sur toile
Marine la nuit, Antibes, 1955, huile sur toile
Le Bateau, Antibes, 1955, huile sur toile
Et pour clore ce beau parcours :
Les Mouettes, Antibes, 1955, huile sur toile