Nicolas de Staël - rétrospective au MAM de Paris (I/II)
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Très belle rétrospective, au Musée d'art moderne de Paris, de l'œuvre de Nicolas de Staël (1914-1955) : deux billets ne seront pas trop pour en parcourir les 11 salles qui retracent les périodes de sa vie artistique, tragiquement écourtée par son suicide à 41 ans mais si riche et variée.
Le voyage d'un peintre 1934-1947
Les années de formation de Nicolas de Staël sont faites de voyages et de rencontres. S'il étudie l'art à Bruxelles, le jeune peintre cherche vite à élargir ses horizons: après deux étés passés à sillonner le sud de la France puis l'Espagne, il parcourt pendant un an le Maroc où il rencontre Jeannine Guillou, une peintre qui deviendra sa compagne. Il travaille avec ardeur, détruisant beaucoup et hésitant sur la voie à suivre. « Je sais que ma vie sera un continuel voyage sur une mer incertaine, écrit-il, c'est une raison pour que je construise mon bateau solidement. »
Faites de déplacements et de haltes, ces années de maturation sont à la fois dures et exaltantes, sur fond d'ambition et d'extrême pauvreté. Staël l'apatride s'engage en novembre 1939 dans la Légion étrangère ; démobilisé en septembre 1940, il vit pendant trois ans. à Nice puis s'installe à Paris. En 1942, il se tourne vers l'abstraction, tendance alors en plein essor. Le peintre explore ce nouveau langage dans des œuvres dominées par des tons sombres, que Jeannine décrit comme « sans fin torturées, repeintes, massacrées, bousculées. »
Au sortir du conflit, Staël expose à la galerie Jeanne Bucher: sa carrière est lancée. En 1946, la mort tragique de Jeannine suite à un avortement thérapeutique signe la fin de cette première époque.
Vue de Cassis, 1934, plume, encre de Chine et rehauts d'aquarelle sur papier
Musiciens arabes, Maroc, 1936-1937, mine de plomb sur papier
Étude, visage de femme, vers 1939, fusain sur papier
Étude, visage de femme, Jeannine, vers 1939, fusain sur papier
Portrait de Jeannine, Nice, 1941, huile sur toile
Deux Étude de bateaux, vers 1939, crayon gras sur papier
et une des rares peintures figuratives des débuts de Staël qui nous soient parvenues,
Pont de Bercy, Paris, 1939, huile sur contreplaqué
Composition, Nice, 1942, pastel sur papier
Composition, Nice, 1942, fusain et pastel sur papier
Composition (Les Mouettes), Paris, 1947, pinceau et lavis d'encre de Chine sur papier
Composition en noir, Paris, 1946, huile sur toile
Composition, Paris, 1946, huile sur toile
De la danse, Paris, 1946-1947, huile sur toile
Le Cube, Paris, 1946, huile sur toile
Trois Composition, Paris, 1946, pinceau et encre de Chine sur papier
Rue Gauguet 1948-1949
Située près du parc Montsouris, la rue Gauguet devient dès 1947 le point d'ancrage du peintre : le lieu où Staël, qui s'est marié avec Françoise Chapouton, va trouver un véritable atelier et un toit pour sa famille. Avec ses huit mètres de hauteur sous plafond, l'atelier « tient du puits, de la chapelle et de la grange », écrit le critique Patrick Waldberg, qui décrit « sa blancheur austère et son atmosphère d'activité intense, mais recluse ». Adossant ses toiles contre le mur, Staël conçoit plusieurs œuvres en même temps, passant de l'huile à l'encre de Chine, de la toile au papier.
À la fin des années 1940, dans ce lieu inondé de lumière, sa palette s'éclaircit. Aux élans obscurs des toiles précédentes succède une manière de peindre moins violente, plus organique. Peu à peu, ses compositions se desserrent: les faisceaux dynamiques et enchevêtrés laissent place à des formes plus amples, plus stables et aériennes.
Renouvelant constamment sa pratique, Staël se méfie de la répétition comme des étiquettes. Ce peintre que l'on dit abstrait déclare alors, à rebours de l'époque, que « les tendances non figuratives n'existent pas », affirmant que « le peintre aura toujours besoin d'avoir devant les yeux, de près ou de loin, la mouvante source d'inspiration qu'est l'univers sensible ».
Composition, Paris, 1948, encre de Chine et lavis sur papier
Deux Composition, Paris, 1948, pinceau et encre de Chine sur papier
Histoire naturelle, Paris, 1948, huile sur toile
Eau de vie, Paris, 1948, huile sur toile
Hommage à Piranèse, Paris, 1948, huile sur toile
Composition, Paris, 1949, plume et pinceau, encre de Chine et lavis d'encre de Chine sur papier
Composition, Paris, 1948, pinceau et encre de Chine sur papier, collé sur carton
Composition, Paris, 1949, huile sur toile
Composition grise, Paris, 1949, huile sur toile
Composition, Paris, 1949, huile sur toile
Condensation 1950
En 1950, le travail de Staël se densifie : des masses plus amples et ramassées s'agencent à la surface de la toile. Des études sur papier jusqu'au tableau dans sa version définitive, il multiplie les étapes, travaille longuement et sans relâche ses compositions. Les tableaux racontent leur propre genèse : les couches de couleur se superposent, laissant apparaître, sur les bords de formes énigmatiques, d'autres couleurs sous-jacentes, tel un secret entrevu. La peinture se fait étalement, recouvrement, travail de la matière. « Je manie le couteau et la brosse de plein fouet », dit-il alors. L'ambition est claire : «faire de mieux en mieux et toujours plus simple ».
Bien qu'abstraites formellement, ses toiles semblent habitées par une présence physique du monde : Staël parle à leur sujet des « images de la vie » qu'il reçoit « en masses colorées », « à mille vibrations ». Il se tient fièrement à l'écart de ce qu'il désigne comme le « gang de l'abstraction avant » par allusion ironique au « gang des Tractions avant », célèbre bande de malfaiteurs de l'après-guerre.
Cette année-là, le Musée national d'art moderne acquiert une première toile du peintre, tandis que Jacques Dubourg devient officiellement son marchand et que des toiles commencent à se vendre aux États-Unis.
Composition, Paris, 1950, huile sur panneau
Composition, Paris, 1950, huile sur toile
Deux Composition, Paris, 1950, huile sur toile
Trois Composition, Paris, 1949-1950, plume et pinceau, encre de Chine et gouache sur papier
Deux Composition, Paris, 1950, stylo-feutre sur papier
Oiseau noir, Paris, 1950, huile sur toile
La Procession, Paris, 1950, huile sur toile
Grande composition bleue, Paris, 1950-1951, huile sur isorel
Fragmentation 1951
Les tableaux de l'année 1951 apparaissent, rétrospectivement, comme une réaction à ceux de l'année 1950, Staël remettant en jeu les acquis de l'année précédente. Après la condensation, ce sera donc la fragmentation : après les formes concentrées, vient le règne des formes fragmentées, faites de tesselles colorées que l'on dirait empruntées au monde de la mosaïque. Ce nouveau vocabulaire offre à l'artiste une grande liberté. Tantôt il construit, par accumulation de ces formes en pavés, tantôt il ouvre son tableau à une spatialité nouvelle et dynamique, quasi aérienne.
Les références au monde extérieur, déjà là, à l'état latent, dans les tableaux de 1950, émergent plus nettement. Staël, malgré l'époque, malgré la critique, revient courageusement vers la figuration : au tout début de l'année 1952, une simple tesselle, forme abstraite s'il en est, devient une pomme, tandis que le jaillissement vertical des petits pavés de couleur évoque soudain un bouquet de fleurs. À son nouvel ami René Char, pour lequel il réalise un ensemble de gravures sur bois, il écrit : « Tu m'as fait retrouver d'emblée la passion que j'avais, enfant, pour les grands ciels, les feuilles en automne et toute la nostalgie d'un langage direct. »
Composition, Paris, 1951, huile sur toile
Le Mur, Composition, Paris, 1951, huile sur toile
La Ville blanche, Paris, 1951, huile sur toile
Composition, Paris, 1951, huile sur toile
Fugue, Paris, 1951-1952, huile sur toile
Composition, Paris, 1951, huile sur contreplaqué
Les Toits, Paris, 1951, huile sur bois
Composition fond blanc, Paris, 1951, huile sur isorel
Fleurs grises, Paris, 1952, huile sur toile
Fleurs, Paris, 1952, huile sur toile
Trois pommes en gris, Paris, 1952, huile sur toile
Fleurs, Paris, 1952, huile sur toile
Terminons ce premier billet par la cinquième section de cette rétrospective :
Un an dans le paysage 1952
En 1952, les références au monde sensible deviennent explicites. Staël élargit alors son champ visuel, sortant de l'atelier pour s'adonner au paysage et travailler en plein air, sur le motif. Entre joie et urgence, « des couleurs plein les mains à ciel ouvert », il peint plus de deux cent quarante œuvres. La majorité sont des petits ou moyens formats sur carton, travaillés directement face au paysage, en Île-de-France, en Normandie et dans le Midi. Chaque lieu, chaque région engendre ses propres impressions et ses manières de faire. À Mantes-la-Jolie ou Gentilly, l'art de Staël atteint un équilibre entre observation et abstraction. Au Lavandou, il peint sur la plage et s'émerveille de la lumière « vorace » et « fulgurante » du Sud, qui lui procure des sensations nouvelles : « À force d'être bleue, la mer devient rouge. » En Normandie, ses paysages se font plus atmosphériques et traduisent les subtiles nuances de la mer et du ciel.
À Paris, le 26 mars, Staël assiste au match de football France-Suède au Parc des Princes. Le tableau magistral qu'il en tire est exposé au Salon de mai et fait sensation. Pas de côté dans une année largement consacrée au paysage? Approfondissement, plutôt, comme si ses paysages d'Île-de-France trouvaient là leur destin monumental.
Différents Paysage (peint sur le motif), 1952, huile sur carton
Mantes (peint sur le motif), 1952, huile sur carton
Mantes-la-Jolie (peint sur le motif), 1952, huile sur carton
Gentilly, 1952, huile sur carton
Les Toits de Paris, 1952, huile sur carton
Gentilly, 1952, huile sur toile
Le Parc de Sceaux, Paris, 1952, huile sur toile
Ciel à Honfleur, Paris, 1952, huile sur toile
Mer et nuages, Paris, 1953, huile sur toile
Le Lavandou (peint sur le motif), 1952, trois huiles sur carton
Étude de paysage, 1952, huile sur panneau
Paysage, 1952, huile sur carton
Composition, 1952, huile sur carton
Parc des Princes, Paris, 1952, huile sur carton
Parc des Princes, Paris, 1952, huile sur toile
La fin du parcours de cette belle exposition fera l'objet d'un prochain billet.