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La Bande dessinée au Musée (I/II)

15 Juin 2024 , Rédigé par japprendslechinois

La BD à tous les étages est un ensemble d'expositions qui met à l'honneur le "9e art" dans tout le Centre Pompidou. Au sein même du musée national d'art moderne, au niveau 5 du musée, l'exposition "La Bande dessinée au Musée" met en regard, dans les salles, des peintres et des auteurs de bande dessinée, ou présente dans les traverses du musée des rétrospectives d'auteurs majeurs de BD.

Le parcours commence salle 7 : Henri Matisse / Philippe Dupuy

Se déployant sur une longue bande de papier faite d'une multitude de feuilles accolées, Une histoire de l'art de Philippe Dupuy constitue autant une promenade dans les musées que dans les émotions et les souvenirs de l'auteur. Matisse, « peintre préféré », y est évoqué comme fondateur dans sa pratique. « Avant bien d'autres, Matisse m'a ouvert la porte. Grâce à lui j'ai pu m'échapper », dit l'auteur, qui développe ses récits en s'éloignant de la fiction pour engager des explorations introspectives : « Partager ce qui nous touche. La couleur, la simplicité, la sensualité ou l'impertinence. Ne pas être objectif. »

Philippe Dupuy (né en 1960) :
Mon papa dessine des femmes nues, 2020, stylo bille, aquarelle et collages sur papier
Une histoire de l'art, 2016, séquence d'ouverture, stylo bille et correcteur sur papier
 

La Bande dessinée au Musée (I/II)
La Bande dessinée au Musée (I/II)
La Bande dessinée au Musée (I/II)

Traverse 7 : George McManus (1884-1954)

George McManus est un contemporain de McCay, dont les aventures de Nemo lui ont d'ailleurs inspiré une de ses nombreuses séries de strips. Mais si l'un explore le champ du merveilleux, l'autre est un maître du burlesque. Sa série la plus célèbre, Bringing Up Father (La Famille Illico), débute en 1913 dans le New York American – publiée jusqu'à la mort de McManus, en 1954, elle sera reprise ensuite par d'autres auteurs. Son potentiel comique repose sur un schéma théâtral : une famille d'immigrés irlandais adopte des réactions contrastées suite à l'acquisition soudaine d'une immense fortune. Jiggs, le père, ancien maçon, ne rêve que de retrouver ses vieux amis; Maggie, sa femme, développe une vie mondaine tapageuse; tandis que leur fille devient une véritable pin-up. Les voyages de la famille sont aussi l'occasion pour McManus d'emmener son lecteur dans une multitude de villes, esquissant un panorama de l'Amérique urbaine contemporaine.

La Bande dessinée au Musée (I/II)
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Salle 12 : Jules Pacsin / Joann Sfar

En ouverture de Pascin. La Java bleue, Joann Sfar avertit : « Ceci n'est pas une biographie de Pascin. » De fait, la vie de Jules Pascin est lacunaire. Après Bucarest, Vienne, Munich et Berlin, l'artiste gagne Paris en 1905 et s'installe à Montparnasse, point de ralliement des artistes venus de tous horizons. Tandis que ses dessins conservent un trait aiguisé, sa peinture gagne peu à peu en douceur de tons et sa touche s'accorde avec la sensualité des sujets. Parmi les portraits, ceux représentant Hermine David sont singuliers et témoignent du lien étroit entre le peintre et son modèle. Également épris de Lucy Vidil, Pascin se retrouve finalement seul. En 1930, il se suicide, léguant son œuvre aux deux femmes.
S'immisçant dans les interstices vacants de cette histoire, Joann Sfar fait largement dériver le cours du récit vers des rivages fictionnels et érotiques. Dans les trois carnets de La Java bleue, l'aquarelle réhausse avec une prodigieuse liberté son graphisme ténu et vibrant. Les six volumes précédents de Pascin n'usent quant à eux que de l'encre de Chine. Les lignes fines, heurtées et tremblées, y sont parfois noyées de flaques d'encre, entraînant le dessin dans les profondeurs.

Jules Pacsin (1885-1930) : La Belle Anglaise, 1916, huile sur toile

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Joann Sfar (né en 1971) : Pacsin, La Java bleue

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Traverse 4 : Winsor McCay (1869-1934)

McCay crée en 1904 une bande dessinée au développement quasi cinématographique, Dreams of a Rarebit Fiend (Cauchemars de l'amateur de fondue au chester). L'année suivante, il fait paraître Little Nemo selon le même schéma narratif : le protagoniste se trouve dans une situation fantastique avant de se réveiller et de comprendre qu'il était en plein rêve. Dans l'univers onirique de Slumberland, Nemo rencontre le roi Morphée et sa fille, ainsi que Flip, personnage affublé d'un cigare et d'un chapeau haut-de-forme qui provoque immanquablement des catastrophes. Little Nemo paraît jusqu'en 1926 dans divers grands journaux américains. Pionnier du dessin animé, McCay travaille des 1911 à une adaptation de Little Nemo puis conçoit entre autres Gertie the Dinosaur (1914). Dans le même temps, il est chargé d'illustrer les éditoriaux politiques d'Arthur Brisbane, rédacteur en chef du New York American ; ce corpus de dessins se caractérise par une veine allégorique. Il poursuit ce travail jusqu'à sa mort, le 26 juillet 1934.

Dream of a Rarebit Fiend, 15 mars 1905, encre de Chine sur papier
A Tale of the Jungle Imps #15, 26 avril 1903, encre de Chine et encres de couleur sur papier
Little Nemo in Slumberland, 1906-1910, encre de Chine sur papier

La Bande dessinée au Musée (I/II)
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La Bande dessinée au Musée (I/II)
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Ignorance, 1920, encre de Chine sur papier cartonné
If a Rat Laughs at a Cat, 25 février 1923, encre de Chine sur papier
Born in the Brain, 9 juillet 1922, encre de Chine sur papier

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Traverse 5 :  George Herriman (1880-1944)

Un chat est épris d'une souris nommée Ignatz qui, insensible à cet amour, y répond par des jets de briques. Tel est le motif qui traverse les épisodes de Krazy Kat. George Herriman publie cette série dans le Los Angeles Herald durant plus de trente ans, de 1913 à sa mort, en 1944. Si Krazy Kat ne connaît pas un succès populaire, il est prisé par les milieux artistiques, en particulier par Charlie Chaplin, Jack Kerouac ou, en France, par Pablo Picasso. L'intrigue, caractérisée par une propension à l'absurde, se situe dans le comte de Coconino, au beau milieu du désert de l'Arizona. Le rigoureux agencement de la page joue de l'alternance entre de grands espaces vides et un graphisme très fouillé ; entre de longues vignettes panoramiques et d'étroites cases carrées. La symétrie, la géométrie, le traitement particulier de certains encadrements, tout contribue à faire de chaque page une composition d'avant- garde. Quant aux textes, ils sont d'un anglais mâtiné d'irlandais, de yiddish, de créole louisianais, incluant des emprunts au français et à l'espagnol. Les envolées lyriques côtoient des dialogues argotiques, parsemés de transcriptions phonétiques, formant un nouveau langage.

Krazy Kat, planches s'échelonnant entre 1916 et 1943 (de gauche à droite)

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Salle 16 : Theo van Doesburg / Chris Ware

Fondateur avec Piet Mondrian de la revue De Stijl et du néo plasticisme, Theo van Doesburg met en œuvre dans Composition X un processus radical de réduction de la forme au signe. Dans le même esprit que les vitraux qu'il réalise alors, des plans modulaires y sont répartis de façon dynamique dans une gamme chromatique réduite aux noirs, gris et blancs.
Au sujet de cette œuvre, Chris Ware, dont les planches témoignent d'une même recherche de radicalité, note : « Cet entrelacement de lignes horizontales et verticales n'est pas sans parenté avec celui que je dois invariablement tisser avant de me mettre à ma table à dessin. » Caractérisées par un traitement graphique d'une extrême minutie, ses bandes dessinées développent depuis la fin des années 1980 une tonalité caustique et sombre. Jouant de tous les formats, en miniaturiste ou en affichiste, il révolutionne l'usage de la grille, page après page.

Theo Van Doesburg (1883-1931) : Composition X, 1918, huile sur toile

La Bande dessinée au Musée (I/II)

Chris Ware (né en 1967) :
Jimmy Corrigan, 1988, encre de Chine et crayon bleu sur papier cartonné
Rusty Brown, 2003, encre de Chine, gouache blanche et crayon bleu sur papier
 

La Bande dessinée au Musée (I/II)
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Salle 16 Paul Klee / Brecht Evens

Durant la période du Bauhaus, Paul Klee expérimente de nombreux médiums: encre, gouache, aquarelle, craie, aérographe ou pochoir. Ses images, à l'équilibre parfois instable, deviennent un espace mental, jalonné de pictogrammes, de motifs mécaniques ou de lettres isolées, déposés sur la toile ou le papier comme des indices. Perturbée par ces éléments énigmatiques, la structure quadrillée devient une séquence rythmique qui semble danser, pathologiquement distordue.
Le motif du damier est aussi présent dans Le Roi Méduse, livre dont Brecht Evens vient tout juste de publier le premier tome. Il fait écho à la construction par les personnages d'un monde à part, dont les règles se transforment en carcan mortifère. Développant des univers fantasmagoriques, l'auteur explore ici les relations entre un père et son enfant, sur le mode de l'osmose et du déchirement. Dans une transcription qui privilégie les émotions et les sensations, les personnages et les décors sont liés par la fluidité des encres de couleur et de l'aquarelle. Ces pages, sans cases ni bulles, nous plongent dans un chaos sombre et luxuriant, où se mêlent suavité et violence, féerie et cauchemar.

Paul Klee (1879-1940) :
Analyse verschiedener Perversitäten, 1922 [Analyse des perversités diverses], encre de Chine et aquarelle sur papier collé sur carton
Rhythmen einer Pflanzung, 1925 [Rythmes d'une plantation], aquarelle sur papier collé sur carton

La Bande dessinée au Musée (I/II)
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Brecht Evens (né en 1986) : Le Roi Méduse, 2023-2024, encres de couleur, gouache, aquarelle et crayons de couleur sur papier

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Salle 19 : Christian Schad / Gabriella Giandelli

En 1927, année de réalisation du Comte Saint-Genois d'Anneaucourt, Christian Schad déclare : « C'est l'Italie qui m'a ouvert les yeux. » Après avoir réalisé à Munich des gravures de style expressionniste, puis des photomontages Dada à Zurich, Schad se tourne vers la peinture ancienne italienne. Dans l'Allemagne de la République de Weimar, il recherche une objectivité glacée afin de décrire sans complaisance cette société décadente. Ici, trois figures des nuits berlinoises apparaissent devant une vue de Montmartre, tel un décor de théâtre.
C'est précisément cette peinture qui inspire à Gabriella Giandelli un dessin destiné à la rubrique littéraire de La Repubblica. L'autrice décrit ainsi sa fascination pour ce portrait : « C'est un homme cynique mais aussi fatigué et son regard semble nous prévenir que ce sera bientôt pire. Il nous invite à vivre, vivre encore un peu avant que la mort n'arrive et que tout ne s'achève. » Les dessins de Giandelli vont de l'âpreté du trait à la délicatesse du modelé. Nourris par le graphisme underground et la culture punk, ils se réfèrent aussi largement à la peinture d'Otto Dix, de George Grosz et de Christian Schad, une association d'influences dont la bande dessinée Lisa offre le parfait témoignage.

Christian Schad (1894-1982) : Graf St. Genois d'Anneaucourt, 1927, [Comte St-Genois d'Anneaucourt], huile sur bois

La Bande dessinée au Musée (I/II)

Gabriella Giandelli (née en 1963) :
Prenazi, 2013, crayon de couleur sur papier
Lisa, 1984, crayon graphite, crayon de couleur et gouache sur papier

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Salle 20 : Francis Picabia / Anna Sommer

Dans les années 1910, les œuvres de Francis Picabia sapent les notions de beauté, d'authenticité, ainsi que la pratique picturale elle-même. D'un style proche de celui des affiches publicitaires, Le Dresseur d'animaux de 1923 met en scène un dompteur sans fauves. Destiné au Salon d'automne, à Paris, ce tableau renvoie au scandale des artistes « fauves » présentés au salon de 1905. Selon Picabia, toute audace est révolue dans la pratique artistique de ses contemporains, et le classicisme prévaut - symbolisé ici par la chouette d'Athéna.
Bien que n'apparaissant pas au premier regard, un même esprit subversif est à l'œuvre dans les images d'Anna Sommer. Ses portraits de femmes semblent condenser d'étranges narrations. L'une, parée de tous les artifices de la femme fatale, est ici accompagnée d'un tigre dont le réveil contient en germe tous les débordements possibles. Chez l'autre, c'est le féminin frondeur qui l'emporte; le modèle, avec aplomb, affirme son plaisir de jouer avec le feu. Tandis que le cutter d'Anna Sommer s'enfonce dans de fins papiers japonais, elle révèle de manière incisive les contours des fantasmes et des désirs féminins, bien loin du « dressage » des images opéré par la publicité.

Francis Picabia (1879-1953) : Dresseur d'animaux, 1923, Ripolin sur toile

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Anna Sommer (née en 1968) :
Barbara, 2020, papiers collés sur papier
Joséphine, 2018, papiers collés sur papier

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Salle 21 : André Breton / David B.

Parmi les voix singulières qui émergent en bande dessinée dans les années 1990, celle de David B. se distingue par un univers ésotérique, une prédilection pour les rêves, les contes et les métamorphoses. En 2019, il fait paraître Nick Carter et André Breton. Une enquête surréaliste. Créé par John Russell Coryell en 1886, le personnage de Carter, repris ensuite par plusieurs auteurs, a passionné les surréalistes.
Intégrant le personnage de Carter à son propre récit, au côté de ceux, historiques, d'André Breton et des surréalistes, David B. en réactive la fiction et l'augmente de nouveaux mystères. Carter, chargé par Breton de trouver la cause des malheurs qui le frappent, quitte le champ rationnel pour des champs « magnétiques »; ses aventures s'orientent vers une quête alchimique, poétique. David B. s'inspire du roman de Breton, Nadja, qui repose sur « la rencontre fortuite, le hasard et la poésie, le merveilleux et le goût pour les péripéties ». La quête fondamentale du personnage - comme celle de l'auteur - est énoncée à la toute dernière ligne du livre : « continuer à parcourir les chemins d'ici-bas et de l'au-delà à la recherche de l'or du temps ».

Arrivés à la mi-parcours de cette exposition, qui marque la fin de ce premier billet, nous donnons au lecteur un aperçu conséquent de cet ouvrage (19 tableaux, que nous avons classés selon les numéros qui y apparaissent, sans être certain qu'ils correspondent au récit).

La Bande dessinée au Musée (I/II)
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Concluons par une œuvre de l'auteur, David B. , né en 1959 : Un Rêve, 2009, encre de Chine et encres de couleur sur papier

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B
'attend le II/II et le Corto Maltese avec impatience...
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