Paris 1874 - Inventer l'impressionnisme (II/II)
Nous terminons dans ce billet le parcours de la grande exposition du musée d'Orsay, dont la première partie est parue le 22 juin dernier.
La salle suivante est intitulée Convergences
En 1874, le Salon, tout comme la première exposition dite « impressionniste » – dont il diffère apparemment en tout point, par son échelle et ses principes d’organisation – montre des œuvres offrant une certaine vision du présent. Cette institution séculaire n’est plus la vitrine d’un art exclusivement académique ; des œuvres tout à fait radicales, comme Le Chemin de fer de Manet y trouvent leur place. Manet, invité quelques semaines auparavant par ses confrères à exposer avec eux au 35 boulevard des Capucines, refuse obstinément, car il ne veut pas s’abstraire du Salon – selon lui le seul véritable champ de bataille pouvant mener au succès. Tous les artistes qui en sont rejetés – comme Eva Gonzalès, avec une peinture de la vie moderne –, ne rallient pas pour autant l’exposition indépendante. Enfin, pas moins de douze artistes préfèrent multiplier leurs chances d’être vus, et de vendre, en présentant simultanément des œuvres à l’exposition de la Société anonyme et au Salon. Même parmi les futurs impressionnistes, tous ne sont pas définitivement « revenus » du Salon; beaucoup y retourneront quatre ou cinq ans plus tard. Outre deux importants tableaux « refusés », cette section rassemble les œuvres d’artistes présents à la fois à la première exposition impressionniste et au Salon de 1874. La ligne de partage entre tradition et avant-garde est, en 1874, encore très poreuse.
Stanislas Lépine (1835-1892) :
Le Canal Saint-Denis, vers 1876-1882, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, substitut au n° 81]
Paysage, 1869, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 83]
Montmartre, rue Saint-Vincent, 1873-1878, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874,substitut au n° 82]
Avec Lepic et De Nittis, Lépine fait partie des douze artistes exposant, en 1874, à la fois avec les impressionnistes et au Salon, dont il est un habitué (il s'agit de sa douzième participation). Dans ces deux expositions, ce fin paysagiste, élève de Corot, et peintre attitré de Paris, montre des œuvres aux sujets semblables : vues des bords de Seine, canaux de la capitale et alentour, rue escarpée de Montmartre ouvrant sur ses versants boisés. L'exposition chez Nadar offre à Lépine, alors en proie à des difficultés financières, de diffuser plus largement son travail. Pour ses organisateurs, ces tableaux « sains et paisibles », « plus modérés et non moins vaillants » (selon les critiques) tempèrent opportunément les audaces de ses confrères.
Giuseppe De Nittis (1846-1880 :
Éruption du Vésuve, 1872, huile sur bois [Première exposition impressionniste, 1874, substitut au no 116]
Sur les pentes du Vésuve, 1872, huile sur bois [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 117]
Sur les pentes du Vésuve, 1872, huile sur bois [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 117]
Route en Italie, 1870, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 118 bis]
Avenue du bois de Boulogne, 1874, huile sur toile [Refusé au Salon, 1874]
Dans les blés, 1873, huile sur bois [Salon, 1874, n° 1394]
D'un côté, d'austères paysages d'Italie - une route quasi- déserte, ou les flancs arides du Vésuve, directement observés par l'artiste au plus près du volcan ; de l'autre, de très raffinées parisiennes en promenade mondaine, aux champs ou en ville. De Nittis, peintre et graveur italien installé en France depuis plusieurs années, semble avoir mûrement réfléchi ses envois à l'exposition impressionniste d'une part, et au Salon d'autre part.
Ludovic Napoléon Lepic (1839-1889) : Le Déluge ; volets de gauche et de droite, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, no 1186]
Le triptyque exposé par Lepic au Salon de 1874 a pour thème le Déluge, quand Noé envoie des oiseaux s'assurer de la baisse des eaux : un corbeau, qui s'attarde à se nourrir; puis une colombe, qui rapporte une branche d'olivier, indice de la décrue. Le vicomte Lepic se conforme ici, un peu malgré lui, au goût du Salon pour la grande peinture religieuse : il y trouve l'occasion de peindre des animaux, sa vraie passion.
Éva Gonzalès (1847-1883) :
La Matinée rose, 1874, pastel sur papier et châssis entoilé [Salon, 1874, n° 2180]
Une loge aux Italiens, vers 1874, huile sur toile [Refusé au Salon de 1874]
Éva Gonzalès peint des scènes de genre modernes. Les qualités de « grâce » du pastel La Matinée rose charment le jury, qui accepte cette jolie nichée. Dans Une loge aux Italiens, elle peint avec une technique large et fluide, accentuant les forts contrastes de lumière. Élève de Manet, cherchant elle aussi le succès officiel, Gonzalès soumet ce tableau au Salon de 1874, en vain. Son allégeance à la peinture franche de Manet lui nuit sans doute, d'autant que le tableau contrevient à l'idée préconçue d'une peinture féminine et délicate. Gonzalès n'envisage pourtant pas de le montrer à l'exposition des impressionnistes, mais elle annonce dans la presse qu'il sera visible.
Edouard Manet (1832-1883) :
Le Bal de l'Opéra, 1873, huile sur toile [Refusé au Salon de 1874]
Polichinelle, 1874, lithographie [Salon, 1874, possible n° 2357]
Le Chemin de fer, 1873, huile sur toile [Salon, 1874, no 1260]
Manet, pressé par ses amis, dont Degas, d'exposer avec eux, refuse. Fort de son succès au Salon en 1873, il reste déterminé à y entrer « par la grande porte » et soumet au jury trois peintures ; Le Chemin de fer est accepté. Ce « double portrait ébauché en plein soleil », selon le critique Burty, place contre une grille, à l'arrière de la gare Saint-Lazare, une jeune femme nous fixant du regard et une fillette, de dos, captivée par le panache de vapeur d'une locomotive. Avec ses couleurs claires, sans ombres ni demi-tons, et son cadrage ramassé, le tableau est d'une modernité fracassante. Au Salon, à côté d'une composition mythologique et du très sage Dans les blés de De Nittis, il détonne. Il devient la risée du public.
La vie moderne comme motif
En 1863, le poète Charles Baudelaire fait de la «modernité» – un mot apparu au xixe siècle – une composante du beau. Industrialisation, mondialisation, urbanisation : tout change rapidement. À l’exposition de 1874, une trentaine de tableaux font écho à ces évolutions et à l’avènement d’un mode de vie urbain et bourgeois, de la sphère domestique aux rues de Paris rénovées, en passant par le développement des loisirs et des lieux de spectacle. En dehors de Degas, qui montre une blanchisseuse en plein travail, les impressionnistes peignent surtout la «high life », comme on dit alors pour désigner la haute société. Au Salon aussi, on peut voir des scènes de la vie moderne, mais souvent abordées de manière anecdotique ou moralisatrice. Pour les impressionnistes, le temps présent n’est pas seulement un réservoir de sujets nouveaux. C’est une manière neuve de voir et de peindre un monde en proie à l’accélération du temps et en perpétuel mouvement. Ils rapprochent ainsi l’art de la vie.
Henri Fantin-Latour (1836-1904) : Fleurs et objets divers, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, no 702]
Fantin-Latour s'est imposé au Salon avec de grands portraits collectifs d'artistes et intellectuels de l'avant-garde, figurant notamment Manet, Bazille, Renoir et Monet. En 1874, on se serait donc attendu à le retrouver aux côtés des impressionnistes. Mais Fantin est tout à fait réticent à les rejoindre; il contribuera sans doute aussi à en dissuader Manet.
Jules Émile Saintin (1829-1894) : Blanchisseuse de lin, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 1623]
Aujourd'hui oublié, Saintin expose régulièrement au Salon des peintures de genre comme celle-ci. Plutôt que d'évoquer les difficiles conditions de travail de la blanchisseuse, le peintre préfère s'emparer du stéréotype de la jeune aguicheuse, jouant ainsi de la réputation de petite vertu dont souffraient ces ouvrières.
Ernest Duez (1843-1896) : Splendeur. Panneau de diptyque, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n°644]
En 1874, ce portrait grandeur nature d'une jeune femme aux cheveux teints et à l'élégance tapageuse, qui n'est autre qu'une prostituée, est remarqué. Splendeur côtoie un second portrait de cette même femme, vieillie, déchue, intitulé Misère (tableau aujourd'hui disparu). L'intention est moralisatrice. Duez, par ailleurs collectionneur des impressionnistes, se fait ici l'écho d'une réalité sociale marquante du Paris des années 1870
Edgar Degas (1834-1917) : La Repasseuse, 1869, fusain, craie blanche et pastel sur papier [Première exposition impressionniste, 1874, n° 61]
Blanchisseuses et repasseuses sont très présentes dans le Paris de la seconde moitié du XIXe siècle. La croissance de la population et les nouvelles exigences d'hygiène contribuent à l'essor de ces métiers pénibles, surtout féminins. Degas a saisi en quelques traits le geste mécanique et la lassitude d'une jeune fille repassant un voilage. À l'exposition de 1874, ce tableau est le seul à représenter le monde du travail.
Berthe Morisot (1841-1895) :
Sur la falaise, 1873, aquarelle et rehauts de gouache sur traits de crayon [Première exposition impressionniste, 1874, no 110]
Vue du petit port de Lorient, 1869, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 107]
Jeune femme dans un paysage, 1872, aquarelle et rehauts de gouache sur traits de crayon [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 111]
La Lecture, 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 105]
Berthe Morisot (1841-1895)
Cache-cache, 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 106]
Morisot saisit un moment de jeu entre sa sœur Edma et sa fille aînée. La famille se retrouve à la campagne, à Maurecourt, un village situé au nord-ouest de Paris (visible à l'arrière-plan). La touche, rapide, accorde une même importance au paysage et aux personnages. En 1874, ce tableau est prêté par Édouard Manet, qui, ayant refusé de participer à l'exposition, manifeste ainsi son soutien à Morisot.
Camille Pissarro (1830-1903) : Le Jardin de la ville, Pontoise, 1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 139]
Peut-être exposé en 1874, ce paysage urbain est un tableau à part dans l'oeuvre de Pissarro, qui préfère peindre la campagne. Il représente un jardin public créé au XIXe siècle au cœur de la petite ville de Pontoise, où le peintre s'est installé.
Auguste de Molins (1821-1890) :
La Chasse à courre, 1874, huile sur panneau [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 93 ou n° 94]
Rendez-vous de chasse, 1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 93 ou n° 94]
Eugène Boudin (1824-1898) :
À Trouville, 1868, aquarelle et mine de plomb [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 22 - Cadre d'aquarelles]
Plage à Trouville, vers 1865-1867, aquarelle et mine de plomb [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 22 - Cadre d'aquarelles]
La Plage à Trouville, 1869, aquarelle sur traits de crayon noir [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 22 - Cadre d'aquarelles]
Dans les prés, 1865, aquarelle et mine graphite [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 22 - Cadre d'aquarelles]
Scène de bord de mer, vers 1865, aquarelle et mine graphite [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 22 - Cadre d'aquarelles]
Plage à Trouville, vers 1865, aquarelle et mine graphite [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 22 - Cadre d'aquarelles]
À partir des années 1860, le tourisme balnéaire prend son essor en Normandie. À Trouville et à Deauville, Boudin se fait le témoin de ces nouveaux rituels sociaux. Il exécute des milliers d'aquarelles de « plages ». Le dessin rapide et les taches de couleurs diluées restituent avec vivacité les silhouettes des citadins élégants en bord de mer.
Edgar Degas : Aux courses en province, vers 1869, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, no 63]
Probablement peint en Normandie, ce tableau « exquis », selon un critique en 1874, avait été acquis deux ans auparavant par le chanteur et collectionneur Jean-Baptiste Faure, et avait été montré à Londres. Ce sujet de la course hippique, loisir très en vogue, est cher au peintre. Il est ici relégué à l'arrière-plan, au profit de la figure de la nourrice allaitant le nouveau-né de bourgeois élégants, amis du peintre, les Valpinçon. Degas désignait parfois cette œuvre comme « la famille aux courses ».
Henri Rouart (Paris, 1833-1912) : La Terrasse au bord de la Seine à Melun, 1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 150]
L’école du plein-air
C’est sous cette bannière que le critique Ernest Chesneau rassemble certains des participants à l’exposition de la Société anonyme de 1874. Cette manière de peindre rapidement, sur le motif, la nature et les effets changeants de l’atmosphère, se pratique pourtant depuis la fin du XVIIIe siècle. Cependant les impressionnistes innovent, car s’ils n’exécutent pas intégralement leurs tableaux en extérieur, ils placent au cœur du processus de travail de l’œuvre aboutie ce qui n’était pour leurs prédécesseurs qu’un exercice, une étape préparatoire. L’importance accordée au paysage par Monet, Sisley et Pissarro reflète aussi un goût plus général. Depuis le milieu du xixe siècle, au Salon comme sur le marché de l’art, le paysage s’affirme comme le «genre moderne», dans l’esprit du temps. Chintreuil et Daubigny, peintres de la génération précédente, présents au Salon en 1874, revitalisaient déjà une production de paysages en phase avec la nostalgie du public pour une vue comme éternelle et intacte, au moment-même où la nature est menacée par l’urbanisation et l’industrialisation.
Claude Monet (1840-1926) : Coquelicots, 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 95]
Charles François Daubigny (1917-1878) : Les Champs au mois de juin, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 52?]
Au Salon, Daubigny montre deux grands paysages des environs de Valmondois dans l'Oise, Celui-ci frappe par les coquelicots du premier plan, si éclatants que l'ami Corot les juge «aveuglants» et que ceux de Monet, peints l'année précédente, paraissent bien doux. Depuis les années 1850, Daubigny rencontre le succès en peignant des «Impressions», au grand dam de certains critiques. En 1874, Paysage du mois de juin, pose Daubigny en précurseur des impressionnistes. Dès 1870, il manifeste un précieux soutien aux impressionnistes, en les mettant en contact avec Paul Durand-Ruel, qui sera leur principal marchand.
Antoine Chintreuil (1814-1873) : Le Bosquet aux chevreuils, après 1857, huile sur toile [Salon, 1874, no 387]
Mort en 1873, Chintreuil bénéficie d'une rétrospective à l'École des Beaux-Arts, tandis que le Salon lui rend hommage avec trois tableaux, dont celui-ci.
Camille Pissarro (1830-1903) :
Matinée de juin, Pontoise, 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 140]
Gelée blanche, 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 137]
Verger en fleurs, 1872, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 136]
Paul Cézanne (1839-1906) : La Maison du pendu, Auvers-sur-Oise, vers 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, no 42]
Antoine Guillemet (1841-1918) : Bercy en décembre, 1874, huile sur toile [1874 Salon, 1874, n° 878]
Cette vue panoramique de la Seine à l'Est de Paris par une froide lumière d'hiver aurait pu figurer à l'exposition des impressionnistes, en raison de son réalisme et de l'importance accordée aux effets atmosphériques, ainsi qu'aux jeux de lumière à travers les nuages. Guillemet est en outre un ami des impressionnistes. Ce tableau est pourtant acheté par l'État au Salon de 1874 et exposé au musée du Luxembourg, le musée des artistes vivants, un choix se révélant plus éclectique que conservateur.
Alfred Sisley (1839-1899) :
Pommiers en fleur - Louveciennes, 1872, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 164]
La Machine de Marly, Bougival, 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 163]
Le Bac de l'île de la Loge, Port-Marly, inondation, 1872, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 162]
Port-Marly, Gelée blanche, 1872, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 185]
Claude Monet : Le Havre, bateaux de pêche sortant du port, 1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 96]
Armand Guillaumin (1841-1927) : Soleil couchant à Ivry, 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, no 66]
Faire sensation : « Impression » et avant-garde
Impression, soleil levant a-t-il vraiment donné son nom à l’impressionnisme en 1874 ? C’est à la fois vrai et faux. Le titre du tableau a en effet inspiré, avec d’autres paysages de Monet, Pissarro et Sisley, le mot « impressionniste» au journaliste Louis Leroy, ironisant sur cette nouvelle peinture. Mais, hormis ce sarcasme, le mot ne s’impose pas encore et le tableau, passé à peu près inaperçu en 1874, ne devient célèbre qu’au début du XXe siècle. Avec cette « impression », Monet transgresse les usages. Il affirme ainsi son désir de transcrire un effet fugitif de la lumière, une sensation subjective, plutôt que de décrire un lieu. Cette intention était probablement renforcée par la présence dans l’exposition de 1874 de pastels accrochés à proximité et d’études de ciel de son maître, Eugène Boudin, car, contrairement aux usages du Salon officiel, les impressionnistes exposaient ensemble dessins et peintures. Cette quête d’instantanéité ne signifie pas que les tableaux impressionnistes sont peints en une seule fois sur le motif. Impression, soleil levant a réclamé plusieurs séances. Il s’agit pourtant de préserver, y compris quand l’œuvre est retravaillée en atelier, la fraîcheur de la sensation première, de donner l’impression d’une impression
Claude Monet : Impression, soleil levant, 1872, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 98]
Eugène Boudin (1824-1898) :
Nuages blancs, ciel bleu, vers 1854-1859, pastel sur papier bleu-gris [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 20 - Cadres de pastels]
Ciel bleu, nuages blancs, vers 1854-1859, pastel sur papier bleu gris [Première exposition impressionniste 1874, possible n° 20 - Cadres de pastels]
Soleil couchant ou ciel d'orage, vers 1959-1960, pastel sec sur papier vergé crème [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 20 - Cadres de pastels]
C'est dans l'atelier du peintre Boudin, à Honfleur (Normandie), que le poète Charles Baudelaire découvre en 1859 ses études de ciels. Ces « beautés météorologiques », « improvisées face à la mer », captant « ce qu'il y a de plus inconstant, de plus insaisissable », l'émerveillent. Monet, initié à la peinture de plein air par Boudin, sera lui aussi « fasciné par ces pochades, filles de ce que j'appelle l'instantanéité ». Ces études circulaient entre les artistes, mais n'étaient pas destinées à être montrées au public. En 1874, son envoi de quatre « études de ciels » affiche une quête qui n'est pas sans rappeler les recherches des impressionnistes, et cela alors que Boudin refusera toujours d'être associé à un groupe.
Claude Monet :
Soleil couchant, vers 1865, pastel sur papier gris [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 99, n° 100 ou n° 101]
Coucher de soleil, 1868, pastel [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 99, ou n° 100, ou n° 101]
Paysage (Paysage Crépuscule), vers 1865, pastel sur papier gris [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 99, ou n° 100, ou n° 101]
Terminons ce billet avec la dernière salle de l'exposition, qui prend un peu le large par rapport à l'année 1874.
1877 : l’exposition des impressionnistes
Le 4 avril 1877, la troisième exposition des impressionnistes ouvre ses portes, grâce à la détermination et au financement de Gustave Caillebotte, recrue récente, à la fois peintre et mécène. Elle succède aux expositions de 1874 et de 1876. Décevantes d’un point de vue commercial, elles ont néanmoins installé l’idée qu’un mouvement nouveau était né. Ainsi, pour la première et unique fois, les artistes qui exposent en ce printemps 1877 se proclament «impressionnistes ». Ils publient même un journal sous ce titre. Dans un vaste appartement parisien situé au 6 rue Le Peletier sont présentées 245 œuvres de 18 artistes dont deux femmes, Berthe Morisot et la marquise de Rambures, une amie de Degas. Par son exceptionnelle qualité et la primauté accordée à la célébration de la vie moderne, l’édition de 1877 restera peut-être la plus impressionniste de toutes ces expositions. Cinq autres manifestations collectives suivront jusqu’en 1886, mais aucune n’aura la force d’un manifeste.
Claude Monet : La Gare Saint-Lazare, 1877, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 102]
Monet, qui a passé son enfance en Normandie et vit alors à Argenteuil, est un usager assidu de la gare Saint-Lazare. Manet l'avait évoquée dans Le Chemin de fer (Salon de 1874). Deux ans plus tard, Monet décline ce sujet en douze tableaux, donnant à ces «cathédrales» de l'âge industriel la «poésie» appelée de ses vœux par Zola. La répétition d'un motif jugé indigne de la grande peinture, et la présentation, en 1877, d'un ensemble de sept «Gares», marquent une rupture. Monet amorce ce qu'il appellera des «séries»: des groupes de toiles conçues comme un tout, centrées sur un même motif (des meules, des cathédrales...) variant selon la lumière des jours et des saisons.
Claude Monet :
Un coin d'appartement, 1877, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 115]
Les Tuileries, vers 1876, huile sur bois [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 105]
Les Dindons (décoration non terminée), 1877, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 101]
Ce grand format fait partie d'un décor en quatre panneaux commandé par Ernest Hoschedé, l'un des premiers collectionneurs des impressionnistes, pour sa propriété dans l'Essonne, le château de Rottembourg. La bâtisse est visible à l'arrière-plan. En 1877, Monet montre deux de ces toiles. Les Dindons est particulièrement moqué pour ses teintes criardes et le caractère inachevé des volatiles. La peinture impressionniste est alors parfois considérée comme « décorative », dans un sens négatif, c'est-à-dire superficielle. Avec ces Dindons, qu'il nomme «décoration non terminée», Monet commet aux yeux des critiques une double offense.
Camille Pissarro :
La Moisson, 1876, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 180]
Les Toits rouges, coin de village, effet d'hiver, 1877, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 163]
Installé à Pontoise depuis 1873, Pissarro arpente la petite ville et ses abords encore agricoles et champêtres. Il s'intéresse ici à la Côte des Bœufs, ou Côte de Saint-Denis, où certaines fermes anciennes semblent se tenir à l'écart des bouleversements du siècle. Le paysage, dénué de toute présence humaine, est construit avec une rigueur presque abstraite. La ligne d'horizon très haute laisse ainsi les trois quarts de la surface de la composition à la colline, aux maisons et aux arbres dénudés par l'hiver. Les touches sont si denses, intriquées et épaisses, qu'en 1877 certains comparent le tableau à une tapisserie.
Edgar Degas (1834-1917) : Portrait de jeune femme, 1867, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, possible n° 53 ou n° 54]
Gustave Caillebotte (1848-1894) : Peintres en bâtiment, 1877, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 6]
Pour sa deuxième participation à une exposition impressionniste, après celle de 1876, Caillebotte poursuit l'exploration de thématiques urbaines. Avec Degas, il est l'un des rares à s'intéresser au monde du travail, ici des ouvriers peignant la devanture d'un magasin. La perspective accélérée de la rue, coupée au cordeau, est caractéristique du Paris remodelé à la suite des grands travaux du baron Haussmann. L'impression de froideur géométrique est le fruit de patientes études préparatoires, une méthode de travail qui distingue Caillebotte des autres impressionnistes.
et pour finir, Auguste Renoir (1841-1919) :
La Seine à Champrosay, 1876, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 195]
La Balançoire, 1876, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 185]
La Balançoire a pour cadre le jardin de la maison louée par Renoir, rue Cortot à Montmartre, proche du moulin de la Galette, sujet du tableau sur lequel il travaille en ce même été 1876. Jeanne, une Montmartroise habituée du bal, pose sur une balançoire, entourée par une fillette et deux hommes conversant. « Quel calme, quelle sérénité dans ce tableau!», s'enthousiasme Georges Rivière, journaliste et ami de Renoir, qui reproduit l'œuvre en couverture de la revue L'Impressionniste. Certains critiques sont cependant choqués par le rendu des ombres, des taches mauves et bleues parsemant la robe.
Bal du moulin de la Galette, 1876, huile sur toile [Troisième exposition impressionniste, 1877, n° 186]
Renoir transpose aux dimensions de la peinture d'histoire un bal populaire de la Butte Montmartre, où bourgeois et artistes bohèmes se mêlent aux ouvriers. Le pinceau rapide et les taches de couleurs traduisent la frénésie de la danse et le plaisir d'être ensemble. Tout à la fois scène de la vie moderne et hommage aux maîtres du XVIIe siècle français, ce tableau est pour Zola le morceau capital de l'exposition de 1877. Cette «grande toile d'une intensité de vie extraordinaire» fait sensation. Elle est commentée dans une vingtaine d'articles de presse et sera achetée par l'ami Gustave Caillebotte.