Gabriele Münter - Peindre sans détours
/image%2F1508962%2F20250508%2Fob_0b91ed_affiche.jpg)
Encore une découverte cette saison avec la première rétrospective en France consacrée à l’artiste allemande Gabriele Münter (1877-1962), au Musée d'Art Moderne de Paris. Co-fondatrice du cercle munichois du Cavalier Bleu (Blaue Reiter), Gabriele Münter compte parmi les femmes artistes les plus éminentes de l’expressionnisme allemand. Si son nom reste souvent associé à celui de Kandinsky qui fut son
compagnon durant ses années munichoises (1903-1914), Gabriele Münter n’a jamais cessé de se renouveler, avec une étonnante modernité, maîtrisant un grand nombre de techniques et laissant une œuvre foisonnante.
Le MAM poursuit ainsi sa politique de présentation de figures féminines majeures de l’Art moderne dont les parcours artistiques sont étroitement liés à la capitale. Gabriele Münter débuta en effet sa carrière à Paris, où elle exposa pour la première fois en 1907 au Salon des Indépendants.
L'exposition s'ouvre sur un portrait de Gabriele Münter par Vassily Kandinsky (1866-1944), huile sur toile de 1905.
Kodak Girl
Cette première section accorde une place particulière aux photographies de Münter, qui documentent ses premiers voyages aux Etats-Unis (1898-1900) et en Tunisie (1903-1904). Ce voyage aux Etat-Unis, pour rendre visite à des parents émigrés, est considéré comme un moment charnière aux prémices de sa carrière ; là-bas, elle se familiarisa avec la technique relativement récente de la photographie et réalisa près de 400 clichés. Alors qu'elle n'avait pas encore commencé à peindre, la pratique de la photographie a marqué son regard.
Kodak Bull's Eye n° 2, modèle de 1898
Cet appareil est comparable à celui que Münter s'est acheté à Abilene, au Texas, fin février 1900, avec l'argent offert par sa sœur pour son anniversaire. Pesant à peine huit cents grammes, le Kodak Bull's Eye n° 2 permettait de faire des prises de vue autant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Le temps d'exposition en intérieur était, selon la lumière, de deux à soixante secondes et, en extérieur, de moins d'une seconde.
Quelques clichés réalisés en 1899-1900 à Plainview (Texas)
De retour en Allemagne, Gabriele Münter s’installa à Munich où elle fit la connaissance de Kandinsky. De 1904 à 1908 le couple entreprit de nombreux voyages pendant lesquels Münter peignit et photographia. Leur séjour en Tunisie est évoqué à travers des photographies de Gabriele :
Marabout de Sidi-Yahia, Sousse, mars 1905
Fête foraine pour l'Aït, Tunis, 1905
et des peintures et dessins :
Aloès, 1905, toile
Mer houleuse, 1905, toile
Ruelle à Tunis, 1905, toile
Maison dans un faubourg de Tunis, 1905, toile
Rue de la Verdure à Bab-el-Khadra, Tunis, 1905, tempera et crayon sur papier gris
Premiers pas sur la scène parisienne
Münter séjourne près d’une année entre 1906 et 1907, occasion pour elle de poursuivre sa formation et d’exposer pour la première fois de sa carrière. Elle dessine et peint d’après modèle vivant à l’Académie de la Grande-Chaumière, à Montparnasse. Elle approfondit sa pratique de la gravure, réalisant de nombreuses estampes inspirées par son environnement quotidien. Elle visite les galeries d’art et des collections privées, en particulier celle de la famille Stein, des collectionneurs américains chez qui elle peut voir des œuvres de Gauguin, Bonnard, Cézanne, Picasso et surtout Matisse. Ce séjour parisien aura une influence décisive sur sa manière de peindre, libérant sa touche et son usage de la couleur.
St. Cloud (Étude n° 3), 1906, carton entoilé
Neige à Sèvres, vers 1906-1907, huile sur carton entoilé
Parc en automne, 1906, carton entoilé
Portail de jardin à Sèvres, vers 1906, huile sur carton entoilé
Tête d'homme, Paris, 1906, huile sur toile contrecollée sur carton
Vue par la fenêtre à Sèvres, 1906, toile
Dans cette peinture, l'une des plus importantes réalisées lors de son séjour parisien, Münter donne au spectateur la sensation d'embrasser le paysage urbain qui remonte jusqu'à la colline de Saint-Cloud, à peine contrariée par la silhouette d'un arbre que l'hiver a dépouillé de son feuillage et qui se détache au premier plan. Cet élément, qui agit comme un léger obstacle à la vision tout en faisant office de point de repère, revient régulièrement dans ses compositions, en particulier dans ses photographies. Cette œuvre figure au Salon des indépendants de 1907, où Münter expose sous son nom pour la première fois de sa carrière.
Pendant le premier séjour parisien de Münter en 1906 et 1907, elle exécuta près d’un quart de l’ensemble de son œuvre gravé.
Maisonnette - Bellevue, 1907, linogravure couleur sur papier japonais
Parc de Saint-Cloud, 1907, probablement linogravure couleur sur papier japonais
Kandinsky à l'harmonium, 1907, linogravure couleur sur papier japonais
Soir d'automne - Sèvres, 1907, linogravure couleur sur papier japonais
Mme Vernot avec Aurélie, 1906, linogravure couleur sur papier japonais
Münter portraiture ici la logeuse de la chambre qu'elle loua quelques mois au 58, rue Madame, dans le quartier de Montparnasse. Sarah et Michael Stein - le frère cadet de la poétesse Gertrude Stein -, également collectionneurs, vivaient dans le même immeuble. Le goût de l'expérimentation de l'artiste se révèle notamment dans les arrière-plans des portraits, traités à chaque fois différemment. Dans cette gravure, on aperçoit Aurélie, la domestique de Mme Vernot, affairée dans la cuisine.
M. Vernot, 1906, linogravure couleur sur papier japonais
Kandinsky, 1906, linogravure couleur sur papier japonais
Aurélie, 1906, linogravures couleur sur papier japonais et papier machine
La linogravure, technique très novatrice, dérivée de la gravure sur bois, est alors surtout employée dans les écoles d'art. Le linoléum permet un travail d'incision plus aisé et spontané, ce qui convient à une pratique expérimentale. À partir d'un sujet précisément dessiné, phase préparatoire lui permettant de simplifier ses motifs, d'en isoler les ombres et les contours qui vont alors ressortir encrés en noir, Münter compose parfois plusieurs tirages de différents coloris. Les quatre portraits d'Aurélie (la domestique de sa pension, rue Madame) forment ainsi une série dans laquelle chaque couleur vient faire varier le dynamisme expressif impulsé par le sourire du modèle.
Au Salon d'automne de 1906 a lieu l'une des premières expositions publiques d'œuvres de Münter. Y figurent six sacs brodés de fines perles de couleur, et le panneau de textile brodé en appliqué et rehaussé de perles représentant un Navire sur la Volga, qu'elle a réalisé d'après une maquette de Kandinsky lors de leur voyage en Tunisie, en 1905. Ces œuvres témoignent de sa maîtrise de différentes techniques de broderie. L'artiste partage alors avec Kandinsky un intérêt pour les travaux décoratifs et manuels, et les motifs folkloriques.
Sac à main pochette : Deux dames en robe à crinoline se promenant avec un chien (d'après un dessin de Kandinsky), 1905, tissu de laine noir, broderie de perles de verre
Tenture : Navires sur la Volga (d'après un dessin de Kandinsky), 1905, tissu de laine mauve et beige, gris-vert, noir et gris-bleu, broderie appliquée rehaussée de perles de verre, fils de coton, galon métallique
La fin de cette section introduit, à travers une série de portraits, l’évolution de la peinture de Gabriele Münter sous l’influence des avant-gardes parisiennes dès son retour à Munich en 1908.
Vase rouge, 1909, toile
Mlle Mathilde au châle bleu, vers 1908-1909, carton
Mlle Mathilde, vers 1908-1909, carton
La Petite Dietrich, 1908, carton
Portrait de garçonnet [Willi Blab], vers 1908-1909, carton
Tête de femme, Munich, 1908, carton
M. Miller, propriétaire du 19 Adalbertstraße, Munich, 1908, carton
Mme Olga von Hartmann, vers 1910, toile
Le couple russe Olga et Thomas von Hartmann vécut à Munich de 1908 à 1912. Le musicien Thomas von Hartmann était un ami proche de Kandinsky. Il écrivit la musique pour la composition scénique de ce dernier, intitulée La Sonorité jaune et parue dans l'Almanach du Cavalier bleu. Chanteuse d'opéra de formation, Olga von Hartmann semble s'être vouée à la carrière de son mari plus qu'à la sienne. Elle fut un modèle privilégié pour Münter, qui la peignit et la photographia à plusieurs reprises. Ce portrait sans fioritures présente une grande simplicité de formes.
Munich, Murnau et le Blaue Reiter
La troisième section de l’exposition présente les peintures phares des années 1908-1914 qui recouvrent la période dite « expressionniste » de son œuvre.
En 1909, Münter acquiert une maison à Murnau, village situé à une heure de train de Munich, au pied des Préalpes bavaroises et au bord du lac Staffelsee. Ce site l’enthousiasme, par sa diversité des motifs – les maisons aux façades colorées, le lac, les marais, les montagnes – qui l’inspirent continuellement. Au même moment, elle participe activement au renouveau de l’art à Munich : elle est membre fondatrice de la Nouvelle Association des artistes de Munich et, en 1911, du Cavalier bleu, aux côtés de Kandinsky, Franz Marc, August Macke et Paul Klee, entre autres. (voir notre billet du 23 mars 2019).
Cette période est marquée par le travail collaboratif au sein de ce cercle d’artistes que réunit une même fascination spirituelle pour le paysage et la nature. Münter participe aux expositions du groupe et à l'édition du célèbre Almanach, ouvrage théorique et programmatique qui pose les bases d’une nouvelle avant-garde internationale et pluridisciplinaire.
Allée devant la montagne, vers 1909, huile sur carton
Habitante de Murnau [Rosalie Leiss], 1909, huile sur carton
Nature morte au fauteuil, 1909, carton
À l'écoute [portrait de Jawlensky], 1909, carton
Nature morte en gris, 1909, huile sur carton
Paysage avec cabane au couchant, 1908, huile sur papier contrecollée sur carton
Étude abstraite avec une maison, vers 1910-1912, carton
Rue de village en bleu, vers 1908-1910, huile sur panneau
Rue de village en hiver, 1911, carton sur bois
La Maison jaune, 1911, peinture sur carton
Nuages du soir, vers 1919-1910, huile sur carton
Nature morte aux vases, bouteilles et branches de sorbier, vers 1008-1909, huile sur carton
Portrait de Marianne von Werefkin, 1909, carton
Münter fait poser l'artiste Marianne von Werefkin devant le soubassement jaune de la maison qu'elle vient alors d'acquérir, en août 1909, à Murnau. Elle la représente coiffée d'un grand chapeau à fleurs lui projetant des ombres colorées sur le visage, le buste réduit à un imposant triangle blanc cerné d'une écharpe rose. Les couleurs audacieuses de ce portrait rappellent les portraits peints par Matisse à la même époque, notamment Femme au chapeau (1905), que Münter a pu voir chez Gertrude Stein. Son langage pictural est cependant plus radical, par l'emploi d'une stylisation des formes plus accentuée.
Nature morte dans le tramway, vers 1909-1912, carton
Cette peinture a été inspirée à Münter par une femme assise avec ses achats devant elle dans un tramway. L'artiste choisit de ne peindre que le tronc de la femme, fixant l'attention sur les emplettes de cette dernière, et transforme ainsi la scène en une nature morte. Münter fait preuve de créativité avec cette composition d'une grande modernité, au sein de laquelle elle prend la liberté de ne pas représenter la tête du sujet peint. Son goût pour le fragment plutôt que pour une vue d'ensemble prend sa source dans la technique de la photographie.
Au salon, 1911, carton
La fusion de la scène et du décor rappelle les peintures intimistes de Bonnard ou Vuillard, mais aussi les intérieurs et ateliers de Matisse peints la même année.
Nature morte aux œufs de Pâques, 1914, carton
Intérieur à Murnau, vers 1910, carton
La vie privée de Münter est le sujet de cette peinture qui n'est pas sans rappeler la célèbre chambre de Van Gogh. Comme si elle prenait une photographie, l'artiste montre une pièce décorée de meubles peints par elle et Kandinsky. Le tapis au centre de la composition guide le regard du spectateur vers une autre pièce située à gauche, où l'on peut voir Kandinsky en train de lire, allongé sur un lit.
Nature morte au miroir, 1913, toile
Combat du dragon, 1913, huile sur toile
Cette peinture s'inspire d'une sculpture populaire russe, dont la reproduction figurait dans l'Almanach du Cavalier bleu, et représentant le combat de saint Georges à cheval contre le dragon, sous la forme d'une hydre (monstre à plusieurs têtes). Münter transpose cette lutte légendaire du Bien contre le Mal en la vision d'une scène sanglante, ancrée dans un arrière-plan paysager. Peut-être illustre-t-elle ainsi symboliquement la lutte des artistes du Cavalier bleu pour la défense de leur art novateur dans l'environnement hostile et incompréhensif de l'époque.
Retour aux sources : intérêt pour l’enfance et l’art vernaculaire
Les artistes du Cavalier Bleu considèrent l’art populaire et les dessins d’enfants comme des expressions originales et authentiques à même de ressourcer l’art moderne. Münter collectionne les objets traditionnels et vernaculaires tels que les fixés sous-verre du sud de la Bavière, dont elle apprend la technique pour la réinterpréter avec ses propres motifs, et les statuettes de dévotion. Plusieurs de ces artefacts deviennent les sujets de natures mortes originales. Au fil des ans, Münter constitue par ailleurs avec Kandinsky une collection de plus de 250 dessins d’enfants. Certains d’entre eux sont reproduits dans l’Almanach du Cavalier Bleu. Münter copie et réinterprète quelques-unes de ces créations enfantines, selon un processus de désapprentissage et de renouvellement de sa pratique artistique.
Vue de Herford, vers 1911, fixé sous verre, cadre peint par Kandinsky
Dame des années 1860, vers 1917, fixé sous verre, cadre peint par l'artiste
Chanson, vers 1912-1913, fixé sous verre
Nature morte au saint Georges, 1911, carton
Nature morte avec figure [Mme Simonowitsch], 1910, toile
Fillette aux tresses, 1909, carton
Portrait d'enfant [Iwan], 1916, toile
Paysage avec maison (d'après un dessin d'enfant), 1914, carton
Deux dessins d'enfant de Elfriede Schroeter (nièce de Gabriele Münter), vers 1913
Au salon, 1913, toile de Münter où ces dessins sont repris
Maison (d'après un dessin d'enfant), 1914, carton
Le dessin du petit Robert qui a inspiré Münter
Berlin, Paris, les années 20 : une nouvelle figuration
Entre 1915 et 1920, Gabriele Münter réside en Scandinavie, où elle a été accueillie comme une représentante importante de l’avant-garde internationale. A son retour en Allemagne, après cet exil, elle doit pourtant repartir de zéro. Elle adopte un langage visuel inspiré d’une nouvelle tendance de la figuration, désignée sous le nom de « Nouvelle Objectivité » : dans sa peinture aux tonalités plus retenues, la figure humaine tient un rôle essentiel. Parallèlement, le dessin qui, dès ses débuts, fut pour Münter une technique de prédilection, devient son principal moyen d’expression, en cette période où l’artiste dispose rarement d’un atelier. Ses dessins se caractérisent par une grande économie de moyens : une physionomie, une posture est fixée en quelques lignes. Münter s’attache tout particulièrement à faire le portrait des femmes libres et émancipées qu’elle fréquente à Berlin et à Paris, où elle revient plusieurs mois en 1929 et 1930.
Penseuse, 1917, Toile
Münter a réalisé plusieurs portraits de cette femme, nommée Gertrud Holz, à Stockholm. Son style a évolué, il est plus graphique, avec des couleurs adoucies. Les objets disposés sur la table à l'arrière-plan semblent se mouvoir en écho à la divagation des pensées du modèle. Certaines zones encore traitées de manière indéfinie et les tons sourds baignent la peinture dans une atmosphère empreinte de nostalgie. Chef-d'œuvre de la période scandinave de Münter, cette œuvre sera exposée en 1918 à Copenhague, lors de la plus grande exposition personnelle organisée de son vivant.
Autoportrait, vers 1921, toile montée sur un autre support textile
Sténographie. Suissesse en pyjama, 1929, toile
Dans cette œuvre phare de son second séjour parisien, Münter figure une sténographe, vêtue de pantalons légers à la mode, en train de travailler à la prise de notes. L'accent mis sur la profession et l'activité du modèle, et la grande frontalité de cette œuvre, en font davantage un emblème qu'un portrait. Münter témoigne, à sa manière, des mutations culturelles de l'époque reflétant l'émancipation des femmes par le travail, autour de la construction de l'archétype de la «femme nouvelle» (Neue Frau). en Allemagne, ou de la garçonne, en France.
Auditrices, vers 1925-1930, toile
Dessins, vers 1930
Villa les Fleurettes (Paris), vers 1929-1930, toile
Échafaudage, 1930, toile
Nocturne par la fenêtre. Auteuil de nuit, 1929, carton
Chemin noir, Meudon, 20 août 1930, huile sur toile
Nature morte à la bouteille, 1930, carton
Joueurs de dés, 1930, carton
Nature morte aux couverts rouges, 1930, carton
Münter peint cette nature morte lors de son second séjour à Paris. Elle en explique la genèse dans une lettre adressée à son conjoint Johannes Eichner : « Hier soir, je voulais écrire des cartes et des lettres, comme j'avais prévu de le faire depuis longtemps - me mettre à la couture aurait été tout aussi bien - mais j'ai peint à la place une nature morte que j'ai vue en débarrassant la table. Des couverts à salade rouge dans le bol blanc (et un citron) avec des ombres portées. » La vue rapprochée sur ce coin de table, avec le saladier et le fragment d'un dossier de chaise à l'arrière-plan, rappelle un zoom photographique.
La Lettre, 1930, toile
Loulou Albert, 1929, toile
Lou Albert-Lasard (1885-1969) est une peintre franco-allemande formée à Munich au début du XXe siècle et proche des milieux artistiques et littéraires, en particulier du poète Rainer Maria Rilke. Münter l'a sans doute fréquentée successivement à Munich, entre 1904 et 1910, et à Berlin, au milieu des années 1920, avant l'installation d'Albert-Lasard à Paris, en 1928. L'artiste l'a peinte à plusieurs reprises lors de son séjour parisien, puisque c'est également Lou Albert-Lasard qui apparaît alitée dans La Lettre.
Une nouvelle vie à Murnau
En 1931, Münter s'installe définitivement à Murnau. C’est le début d’une période d’intense création. Les rues de ce village pittoresque et les paysages alentour constituent les motifs principaux d’œuvres dans lesquelles elle renoue avec sa propre tradition expressionniste. Sous le IIIe Reich, elle réduit ses apparitions publiques sans pour autant cesser de travailler, même si son compagnon, l’historien de l’art Johannes Eichner, lui enjoint d’assagir sa touche et de veiller au choix de ses sujets. En mai 1938, après la promulgation de la loi sur la « confiscation des produits de l’art dégénéré », Münter cache dans la cave de sa maison ses propres peintures et sa collection d’œuvres de Kandinsky et d’autres artistes du Cavalier Bleu.
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’art de Münter est progressivement redécouvert et son importance, réaffirmée. Un épais cerne noir séparant des aplats de couleur aux tonalités douces caractérise nombre de ses peintures à partir du milieu des années 1930. On y distingue moins les traces de pinceau, et le principe de la reprise en série évacue le contexte du sujet représenté. La radicalité formelle de ces images autonomes, très synthétiques, met à distance les catégories traditionnelles du portrait, du paysage et de la nature morte.
Autoportrait, 1935, carton
La Maison de Münter à Murnau, 1931, toile
Le Lac gris, 1932, toile
Vue sur les montagnes, 1934, toile
Route menant aux montagnes, 1936, huile sur toile
Enfant endormi (vert sur noir), 1934, carton
Fillette endormie (marron, bleu), 1934, carton
Mère avec un enfant endormi, 1934, carton
Dr Hanna Stirnemann, 1934, carton
Münter réalisa ce portrait de Hanna Stirnemann lors d'une visite de celle-ci à Murnau, ou peu après. Les montagnes bleues en arrière-plan sont une évocation du paysage typique des environs de ce village du sud de la Bavière. Hanna Stirnemann était devenue la première femme directrice de musée en Allemagne, après avoir pris la direction du musée municipal de léna, en 1930. Celui-ci fut l'une des sept étapes de l'exposition itinérante «Gabriele Münter. 50 peintures des 25 dernières années (1908-1933) », en 1934.
Rue principale de Murnau avec attelage, 1933, huile sur bois
Petit-déjeuner des oiseaux, 10 mars 1934 ; retouches minimes en janvier 1938, huile sur carton
Cette œuvre nous fait pénétrer dans l'intériorité de l'artiste, dont elle constitue une sorte d'autoportrait symbolique à l'aube de la soixantaine. Le spectateur peut en effet s'identifier à la figure de dos qui occupe le premier plan de la composition, comme s'il était lui-même assis à la table de Münter et observait, avec elle, les oiseaux dans les arbres du jardin à travers la fenêtre de sa maison, à Murnau.
L'excavatrice bleue (étude), 1935, carton
Pelle mécanique, 1935, carton
Münter a toujours représenté le monde du travail, depuis ses photographies américaines. De 1935 à 1937, elle peint, dessine et photographie à de nombreuses reprises les travaux de construction de la route et de la ligne de chemin de fer mis en œuvre pour les Jeux olympiques de 1936 à Garmisch-Partenkirchen. À la demande d'une marchande d'art, elle enverra les deux études ci-contre à une exposition intitulée « Les routes d'Adolf Hitler dans l'art », sujet hautement compatible avec la propagande officielle. Cependant, les petits personnages de La Pelle mécanique sont loin de la représentation « surhumaine » des travailleurs allemands prônée par les nazis. Münter associe d'ailleurs symboliquement le motif de l'excavatrice, autour duquel elle articule une série de douze peintures, à un « monstre qui dévore et abandonne ».
Terminons par les deux seules toiles des années 50 présentes dans l'exposition :
Nature morte devant « La maison jaune », 1953, toile
Münter superpose ici différentes réalités et temporalités. Au premier plan, elle a peint une nature morte (fleurs et fruits sur une table ronde) dans le style récurrent de ses peintures depuis les années 1930 : une très grande simplification des formes, un cerne noir délimitant des zones de couleurs primaires avec peu de touches de pinceau apparentes. L'arrière-plan reproduit l'une de ses peintures de 1911, La Maison jaune, accrochée dans la section dédiée au Blaue Reiter.
Le Lac bleu, 1954, huile sur toile
À la sortie de l'exposition, quelque affiches :
Deux expositions en 1913 à Berlin
L'affiche de l'exposition Gabriele Münter à l'association des artistes Den Frie Udstilling, Copenhague, 1918
L'affiche de l'exposition à New York en 1926 organisée par la Société Anonyme, Inc. (Katherine Dreier, Man Ray, Marcel Duchamp) dans laquelle Gabriele Münter était exposée.
L'affiche de l'exposition itinérante Gabriele Münter en 1952 à Münich