Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

10 Mai 2025 , Rédigé par japprendslechinois

Petite exposition au Louvre, sur un sujet que certains qualifieraient de "niche". Organisée en partenariat avec la Národní Galerie de Prague, elle concerne une période que les commissaires situent entre "le crépuscule de la Renaissance et l'aube de la modernité", ce long règne (1576-1612) de l'empereur Rodolphe II, fils de Maximilien II et petit-fils par sa mère de Charles Quint, qui, ayant parmi ses nombreux titres celui de roi de Bohème, avait établi sa cour à Prague.
Grand protecteur des arts et des sciences, Rodolphe II était l’un des souverains européens dont l’enthousiasme pour l’étude de la nature était le plus vif. Il appela à sa cour des savants et des artistes venus de toute l’Europe, qui travaillèrent à proximité les uns des autres dans l’enceinte du château, faisant de Prague un véritable laboratoire, un lieu d’expérimentation, dans un climat propice de tolérance intellectuelle et religieuse.

Prendre la mesure des choses

Mesurer le ciel et la terre.

Jacob II De Gheyn (Anvers, 1565 - La Haye, 1629) : Tycho Brahe, 1586, gravure
Tycho Brahe (Knudstrup, 1546 - Prague, 1601) : Astronomiae instauratae mechanica, Nuremberg, 1602, papier, reliure en veau fauve
À la mort de Frédéric II du Danemark, Tycho Brahe perd son principal soutien. Pour chercher un nouveau protecteur, il fait publier ce luxueux ouvrage décrivant les installations conçues et construites par lui sur l'île de Hven, au large de Copenhague, rebaptisée Uraniborg. Il y fait aussi état de ses découvertes et des progrès qu'il introduit dans la fabrication des instruments. Il y ajoute une préface à Rodolphe II une fois reçu par le souverain en 1598, qui le prend immédiatement à son service.
Tycho Brahe & Johannes Kepler (Weil, 1571 - Ratisbonne, 1630) Tabulae Rudolphinae, Ulm, 1627
Entreprises par Brahe, et achevées par Kepler, ces Tables se présentent sous la forme d'un calendrier perpétuel, propre à déterminer toute position des sept corps célestes (Soleil, Saturne, Jupiter, Mars, Vénus, Mercure et la Lune) et des 1 005 étoiles recensées par les deux astronomes. Elles intègrent de manière novatrice des éléments corrigeant les effets de la réfraction atmosphérique, ainsi que l'utilisation de tables logarithmiques, découvertes récentes de l'optique et des mathématiques. Kepler y énonce aussi les lois astronomiques qui portent encore son nom.
Johannes Kepler : De Stella nova in Pede Serpentarii, Prague, 1606, papier, reliure en veau jaspé
En 1604, Kepler observe l'apparition d'une « nouvelle étoile », correspondant en réalité à l'explosion d'une supernova. Comme l'avait fait auparavant Tycho Brahe en 1573 face à un phénomène analogue, il publie cette observation dans un ouvrage qu'il dédie à Rodolphe II. Une telle apparition met en pièces la structure du cosmos héritée d'Aristote, où tout ce qui se trouvait au-delà de la Lune était supposé éternel et sans changement. Cela constitue une avancée décisive pour fonder l'astronomie moderne.

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Instruments réalisés à Prague par Erasmus Habermel (1538-1606) :
Instrument topographique (1592)
Cadran solaire avec cercle équatorial, vers 1600
Instrument astronomique aux armes de Rodolphe II
Quart de cercle azimutal

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Décrire le vivant :

Anselm Boetius De Boodt (1550-1632) : Rose trémière, folio 81 de l'album VIII, aquarelle sur papier.
Comme la plupart des naturalistes de sa génération, De Boodt se constitue une vaste collection d'aquarelles d'animaux et de plantes. Ces représentations précises sont alors des outils privilégiés du savoir, permettant de décrire, d'identifier et de nommer les différentes espèces. De Boodt en dessine lui-même une partie, telle la Rose trémière qui porte sa signature.
Hans HOFFMANN (vers 1545/1550 - Prague, 1591) :
Lièvre entouré de plantes, vers 1583-1585, aquarelle et gouache sur parchemin monté sur bois
Chardonneret élégant, aquarelle et gouache sur papier

Établi définitivement à Prague à partir de 1585, Hans Hoffmann sert d'intermédiaire à Rodolphe II pour l'acquisition d'un grand nombre de dessins de Dürer en possession de la famille Imhoff à Nuremberg. Parmi ceux-ci, le célèbre Lièvre est ici copié et replacé dans un environnement naturel décrit avec une grande exactitude botanique.

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Jacob Hoefnagel (1573-1630), d'après Joris HOEFNAGEL (1542-1600) :
Archetypa studiaque patris Georgii Hoefnagelii, quatre séries de douze gravures au burin éditées à Francfort en 1592, ultérieurement peintes à l'aquarelle et à la gouache, reliées en 1616
Intitulé Images et études littéraires d'après mon père Joris Hoefnagel, ce recueil de gravures représente à taille réelle des insectes et des petits animaux, des fleurs et des fruits, accompagnés de citations bibliques et humanistes. La série s'ouvre avec le plus grand insecte connu à l'époque, originaire d'Amérique, gravé d'après une miniature des Quatre Éléments. Entomologiste reconnu, Joris Hoefnagel peignait les insectes d'après nature, contrairement aux autres animaux pour lesquels il se basait sur des dessins ou gravures existants.
Jacob Hoefnagel :
Les Quatre Éléments, Aqua IL : Mollusques, écrevisses et crabe, aquarelle et gouache sur vélin
Les Quatre Éléments, Aqua XXVIII : Poissons exotiques, aquarelle et gouache sur vélin
Les Quatre Éléments, Aier  LXVII : Deux perroquets, aquarelle et gouache sur vélin
Les Quatre Éléments de Joris Hoefnagel comptent plus de trois cents miniatures d'animaux classées en quatre volumes correspondant aux éléments: le feu (vol. 1: Ignis) pour les insectes, la terre (vol. 2: Terra) pour les quadrupèdes et les reptiles, l'eau (vol. 3: Aqua) pour les animaux aquatiques et enfin l'air (vol. 4: Aier) pour les oiseaux. 

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Jacob Hoefnagel :
Les Quatre Éléments, Terra XXVIII: Bélier blanc et mouton noir, aquarelle et gouache sur vélin
Allégorie de la brièveté de la vie: Allégorie de la Mort et Allégorie de la Vie, 1591, aquarelle et gouache, or, sur vélin, collé sur panneau de bois 
Conçues en pendant, ces deux miniatures suscitent une méditation sur le caractère éphémère de la vie humaine. Celle-ci est symbolisée par l'éclosion, la croissance et le flétrissement des roses et des lys, commentés par les citations inscrites dans les cartouches, qui sont empruntées à l'Ancien Testament, à Ausone, poète aquitain du 4° siècle et à Érasme. Brouillant les frontières entre la nature et l'art, Hoefnagel a appliqué sur le parchemin de véritables ailes de papillons, animal qui symbolise la résurrection.
Et une miniature d'une autre nature, cosignée par Jacob et son père Joris :
Actéon surprenant Diane et les nymphes, 1597, aquarelle, gouache et or sur vélin, monté sur bois

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Deux sculptures de Adriaen De Vries (La Haye, vers 1556 – Prague, 1626) :
Cheval, 1610, bronze
Hercule, Déjanire et Nessus, bronze, patine brune

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Cabinet de curiosités

Des objets de ou attribués à Giovanni Ambrogio Miseroni (1551-1616) : Coupe à la sirène, bronze
Coupe : Vénus et l'Amour, agate des Grisons, monture en argent doré
Coupe couverte, lapis-lazuli, or émaillé

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Ottavio Miseroni (1567-1634) :
Coupe ovale, jaspe fleuri, or émaillé
La pierre dans laquelle cette coupe est taillée, un jaspe multicolore avec des inclusions transparentes de calcite, est caractéristique des pierres très colorées que l'on trouve en Bohème, en particulier à Kozákov, à une centaine de kilomètres de Prague. La forme ovoïde, parfaite et empruntée à la nature, contraste avec l'imperfection pittoresque de cette pierre bariolée.
Coupe couverte, jaspe sanguin, or émaillé
Terme dans une niche, agate, cornaline, jaspe, nacre

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Trois objets par Nikolaus Pfaff (1556 ? - Prague, 1612) :

Coupe, corne de rhinocéros blanc, Ceratotherium simum
S'inspirant de la forme des coupes à boire chinoises en rhinocéros, Pfaff propose ici un vertige de métamorphose. La coupe est soutenue par trois satyresses, des créatures féminines aux pattes de chèvres dont les bras se transforment en branches.
Coupe aux dauphins, ambre, ivoire doré
Cette coupe acquise par Louis XIV vers 1671 peut être reconnue dans l'inventaire de la collection de Rodolphe II. Elle a été taillée par Pfaff dans un bloc d'ambre d'une taille exceptionnelle. 
Danaé recevant la pluie d’or, vers 1600, plaquette d'ivoire

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Des tableaux en pierre dure de Giovanni Castrucci (mort en 1615) :

Vue du château de Prague, commesso de jaspes et d'agates
Paysage à l'obélisque, commesso de jaspes et d'agates sur ardoise
Vue de Prague depuis le château, avec le palais Schwarzenberg, commesso de jaspes et d'agates sur ardoise
Difficile de penser, devant cet assemblage de pierres multicolores, qu'il s'agisse d'une vue réelle. Pourtant, c'est ainsi que l'on découvrait la campagne en sortant du château de Prague, au pied de l'actuel palais Schwarzenberg où se trouve aujourd'hui la Národní galerie Praha, musée national tchèque. Les agates de Bohême mises en scène dans cette composition émerveillent, car elles semblent déjà former, par leurs taches, des paysages qui ne sont pas peints par l'homme, mais créés par la nature.
 

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Giuseppe Arcimboldo (Milan, 1526-1593) :
Autoportrait, vers 1576-1581, plume et encre bleue, lavis bleu sur papier 
Cet autoportrait est l'unique témoignage avéré de l'activité de portraitiste d'Arcimboldo. Le regard direct, hypnotique, est celui du peintre qui scrute son reflet dans le miroir pour le restituer avec la même objectivité que dans ses études de plantes. Avec son calot de feutre et sa veste de brocart, il affirme sa position d'artiste de cour, proche des empereurs Maximilien II puis Rodolphe II, peintre mais aussi concepteur de décors pour les fêtes, expert consulté pour l'enrichissement de la Kunstkammer, poète et théoricien.
Portrait de Rodolphe II en Vertumne, vers 1591, huile sur bois
Arcimboldo doit sa célébrité à l'invention des « têtes composées », assemblages d'une multitude de natures mortes qui forment des portraits allégoriques. Un poème publié en 1591 par Gregorio Comanini, un ami du peintre, indique qu'il s'agit ici d'un portrait de l'empereur Rodolphe en Vertumne, dieu de la fécondité et des jardins, qui préside au changement des saisons.

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Paulus Van Vianen (Utrecht, vers 1570 - Prague, 1613) : 
Prométhée enchaîné, 1610, pierre noire et lavis gris et bleu
Mercure surprenant Argus endormi, 1610, argent
Ces petits tableaux en relief, qui sont à la fois de la peinture, de la sculpture et de l'orfèvrerie, traitent parfois de thèmes plus conventionnels, ici tirés du livre des Métamorphoses d'Ovide. Ce jeune homme voluptueusement endormi va avoir la tête tranchée par Mercure qui apparaît au second plan. Il avait été en effet chargé par Jupiter de veiller sur la nymphe lo, transformée en vache par Junon. Van Vianen nous montre lo, non sans humour, brouter à l'arrière-plan, bien inconsciente du drame dont elle est la cause.
Massif rocheux avec un dessinateur au premier plan, vers 1606, plume et encre brun foncé, lavis gris et gris-brun
Exécutée à Prague, cette étude objective et précise doit beaucoup à l'exemple de Dürer, notamment pour le choix inhabituel chez Van Vianen de la plume comme technique d'exécution. L'orfèvre devait connaître le Paysage rocheux qui se trouvait probablement dans les collections de Rodolphe II. La figure du dessinateur devant la nature est une nouveauté qui apparaît au début des années 1600 dans les dessins de paysage de Van Vianen et Savery. Elle témoigne de leur pratique commune du dessin en plein air et revendique la qualité documentaire de l'image.
Paysage forestier, vers 1603, plume et encre brune, lavis brun, traces de dessin au crayon
Lorsque Paulus van Vianen arrive à Prague en 1603, il apporte avec lui les dessins des Alpes autrichiennes qu'il a exécutés lorsqu'il travaillait au service de l'archevêque de Salzbourg entre 1601 et 1603. Ces paysages font alors forte impression, tant pour leurs qualités esthétiques que pour leur originalité. Orfèvre, Van Vianen dessine en effet les forêts alpines sans recourir aux conventions de la peinture de paysage. Il s'agit ici d'une transcription immédiate de la nature, avec un cadrage qui correspond au point de vue réel de l'observateur.

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Dernière section :

Le renouveau de l'art du paysage

Pieter Stevens (Malines, vers 1567 - Prague, après 1626) :
Paysage de forêt avec un torrent, après 1604, plume et encre brune, lavis brun
Stevens est très impressionné par les dessins des forêts alpestres que Van Vianen apporte avec lui lors de son arrivée à Prague en 1603. Il en imite ici la technique graphique, combinant de larges aplats au lavis avec des traits de plume fins et courts. Ce coin de forêt n'est plus soigneusement composé dans l'atelier mais, à l'exemple de Van Vianen, observé directement sur le motif, en extérieur. Cette étude immédiate et spontanée d'un torrent témoigne de la fascination des artistes des anciens Pays-Bas pour la nature sauvage des Alpes où s'exprime la puissance des éléments.
Paysage avec bûcherons (Janvier), du cycle Les Douze Mois, 1607, plume et encre brune, lavis brun et rouge, rehauts de blanc
Pour traiter le thème des travaux des mois, très populaire dans l'art des anciens Pays-Bas depuis le milieu du 16° siècle, Stevens s'inspire d'un tableau de Bruegel l'Ancien des collections impériales. Grand amateur de l'art de l'illustre Flamand, Rodolphe II a en effet rassemblé la plus vaste collection jamais constituée de tableaux de sa main. L'ordonnancement de la composition en trois plans successifs qui conduisent l'œil le long d'une grande diagonale jusqu'à l'horizon est caractéristique de la tradition flamande du paysage forgée par Bruegel l'Ancien.
Aegidius II Sadeler (Anvers, vers 1570 - Prague, 1625) d'après Pieter Stevens : Janvier, du cycle Les Douze Mois, 1607, burin et eau-forte
Après avoir travaillé en Flandre, en Allemagne et en Italie, Aegidius Sadeler est appelé en 1597 à Prague, où il reste le principal graveur de la cour impériale jusqu'à sa mort. L'arrivée de Van Vianen puis de Savery en 1603-1604 l'incite à s'intéresser au genre du paysage. De sa collaboration avec les paysagistes pragois résultent pas moins de quatre séries gravées d'après des dessins de Stevens et cinq autres d'après des paysages de Savery. Le mois de Janvier, fidèlement gravé (en miroir !) d'après le dessin de Stevens, comporte une vue de Prague au second plan.
Aegidius II Sadeler d'après Roelandt Savery :
Paysage de forêt avec trois chasseurs et deux chiens de la série Six Paysages montagneux, 1609, burin
Sadeler reproduit fidèlement la composition de Savery au sein d'une suite gravée de six paysages forestiers de montagne. L'échelle réduite des chasseurs renforce la présence monumentale des arbres représentés sous toutes leurs formes: conifères élancés et rectilignes, feuillus aux troncs tordus, arbres arrachés, cassés ou tombés au sol. Le dessin complexe des souches d'arbre et de leurs systèmes racinaires leur prête des contours zoomorphes, qui soulignent le caractère sauvage, presque inquiétant, de ce sous-bois marécageux.

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Terminons avec un des artistes les plus emblématiques de la cour de Rodolphe II : Roelandt Savery (Courtrai, 1576/1578 - Utrecht, 1639) :

Torrent dans une forêt, vers 1609, huile sur bois
Les paysages peints par Savery à Prague se distinguent par leur point de vue resserré sur un coin de nature sauvage dominé par un motif remarquable, ici un torrent de montagne. Cette proximité permet au spectateur de ressentir toute la puissance des éléments qui ont arraché les troncs de hauts conifères. Plongé dans l'ombre, l'un d'entre eux barre le premier plan d'une ligne diagonale dramatique, toute hérissée de branches cassées et de racines déterrées. Au second plan, le couple de bergers au repos offre un contrepoint paisible et charmant.
Chasse au cerf, vers 1610-1612, huile sur bois
Ce paysage peint avec un point de vue rapproché évoque les forêts de feuillus de Bohême où se déroulent les chasses impériales. Savery peint à Prague de nombreuses scènes de chasse dynamiques qui plongent le spectateur au cœur de l'action. L'échelle réduite des figures renforce le gigantisme des arbres de la forêt, dont les troncs se courbent dans toutes les directions, quand ils ne sont pas arrachés et renversés, témoins de l'intervention de puissantes forces naturelles.
Marche de cavaliers hongrois (?) dans un bois, 1611 ou 1614, huile sur bois
À Prague, Savery exécute un petit groupe de dessins et de tableaux représentant des cavaliers d'Europe de l'Est, vêtus de cottes de mailles ou de manteaux et couvre-chefs richement ornés, armés de sabres, d'arcs, de masses d'armes ou de marteaux de guerre. Il s'agit probablement des cavaliers hongrois menés par István Bocskai, prince hongrois de confession protestante, dans sa révolte contre la famille royale des Habsbourg entre 1604 et 1606.

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Deux Cavaliers hongrois (?), vers 1604-1608, craies grasses noire et rouge, partiellement coloré en jaune et bleu, rehauts de craie blanche
Lors de ses promenades autour de Prague, Savery ne dessine pas seulement des éléments naturels, mais aussi les personnes et les constructions humaines qu'il rencontre sur son chemin. Il est ainsi l'un des tout premiers artistes à rechercher en plein air des modèles de figures pour ses tableaux, qu'il esquisse sur le vif, à la pierre noire, avec bien souvent des retouches de couleurs ajoutées de retour dans son atelier.
Deux Hommes, vers 1608-1609, pierre noire, plume et encre noire et brun clair
Ce dessin fait partie d'un ensemble de quatre-vingts études d'humbles figures que Savery a croisées sur son chemin : paysans, villageois, bergers, mendiants estropiés...
Paysage montagneux et rocheux avec un petit lac, vers 1605-1606, plume et encre gris-noir et brune, lavis gris
Les œuvres de Savery des années 1605-1608 témoignent de sa vive curiosité pour la géologie. On reconnaît ici les surprenantes formations de grès de la « Suisse tchèque » au nord-est de la Bohême, que l'artiste a probablement étudiées d'après nature. Il en fait le motif central, spectaculaire, de ce grand paysage très achevé à la plume et au lavis, conçu comme un petit tableau.

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II

Bouquet de fleurs, vers 1611, huile sur bois
Savery a représenté avec une grande exactitude, à taille réelle, un bouquet de fleurs cueillies vers le mois de juin. Pour de telles peintures de fleurs et d'insectes, il a multiplié les emprunts aux œuvres de la collection de Rodolphe II, en particulier celles de Joris Hoefnagel. La coexistence de fleurs en bouton, épanouies et fanées rappelle le caractère éphémère de toute chose terrestre, une méditation à laquelle invite également la présence d'une mouche, animal associé à la putréfaction, et d'un papillon, symbole de résurrection.
Orphée charmant les animaux, 1625, huile sur toile
Savery a peint pas moins de vingt-trois tableaux sur le thème d'Orphée charmant les animaux et les arbres de son chant mélodieux accompagné de la lyre, une scène décrite par Ovide au chant X de ses Métamorphoses. Le premier fut peint à Prague en 1610, alors que l'empire est déchiré par les conflits religieux. La musique, dont les intervalles obéissent à des proportions mathématiques, reflète l'harmonie de l'univers. Les animaux la perçoivent et coexistent pacifiquement, ce que les hommes doués de raison sont incapables de faire.

L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
L'Expérience de la nature - Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article