Soulages, une autre lumière - peintures sur papier
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Nous avons déjà consacré un billet au peintre Pierre Soulages (1919-2022), lorsqu'il a eu de son vivant les honneurs du Louvre l'année de son centenaire (voir notre billet du 1er février 2020).
Il fait de nouveau l'actualité des expositions parisiennes avec une très belle manifestation au musée du Luxembourg, exclusivement consacrée à son œuvre sur papier, qui rassemble 130 œuvres réalisées entre les années 1940 et le début des années 2000, dont 25 inédites. On y découvre un ensemble de peintures sur papier, longtemps conservées dans l’atelier de l’artiste, qui témoignent de la constance et de la liberté avec lesquelles Soulages aborde ce support.
1. Années 1940
Né dans un milieu d’artisans, Soulages s’essaye à peindre les paysages des Causses alors qu’il est encore adolescent. Marqué par sa visite de l’abbaye Sainte-Foy de Conques, il décide de faire de la peinture mais se refuse à entrer aux Beaux-arts de Paris où il est pourtant admis car l’enseignement qui y est délivré ne lui convient pas. De retour à Montpellier, il s’inscrit à l’École des Beaux-arts où il rencontre Colette Llaurens qu’il épouse en octobre 1942. Pour échapper au service du travail obligatoire, il entre ensuite dans la clandestinité. Il s’installe à Courbevoie au printemps 1946 puis à Paris l’année suivante dans un nouvel atelier à Montparnasse. D’emblée abstraites, ses premières œuvres sont remarquées tant par d’autres artistes comme Francis Picabia ou Hans Hartung que par des critiques et écrivains tels que Michel Ragon et Roger Vailland. Si Soulages peint une quinzaine de toiles en 1946-47, ce sont surtout des peintures sur papier qui constituent le véritable début de son œuvre. Il commence par des fusains inscrits énergiquement sur la feuille. Mais ces lignes retraçant un mouvement le laissent vite insatisfait. Il opte alors pour le brou de noix, une matière ordinaire utilisée par les menuisiers pour teindre le bois. Sa tonalité sombre et chaude permet d’obtenir naturellement des transparences et des opacités au moyen d’outils de peintres en bâtiment. Les traits sont larges et affirmés, inscrivant des signes hiératiques qui occupent progressivement l’espace de la feuille.
Fusain sur papier, 1941-1942 : dessins d'après modèle réalisés lorsque Soulages était élève à l'École des Beaux-Arts de Montpellier en 1941-1942
Fusain sur papier, 1946
Fusain sur papier, 1946
Fusain sur papier, 1946
Fusain sur papier marouflé sur toile, 1946
Fusain sur papier, 1946
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1946
Brou de noix sur papier, 1946
Dernière image :
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1947
Brou de noix sur papier, 1947
2. Französiche Abstrakte Malerei, Allemagne, 1948-49
À l’initiative du docteur Ottomar Domnick, amateur d’art abstrait, une exposition itinérante de peintres abstraits français est organisée dans les musées allemands en 1948-49. Elle fait suite à la participation de peintres allemands à Paris au IIIe Salon des Réalités nouvelles rassemblant des artistes qui avaient été interdits de peindre et d’exposer par le régime nazi. L’exposition Französische Abstrakte Malerei réunit dix peintres de différentes générations, choisis par le Dr Domnick, certains figurant parmi les pionniers historiques de l’abstraction comme František Kupka ou César Domela. Elle est présentée successivement dans sept musées et constitue un évènement politique et culturel de grande importance. Soulages est de loin le plus jeune participant avec des œuvres sur toile mais aussi un ensemble de peintures sur papier qui sont remarquées pour leur puissance graphique. Sa présence dans l’exposition, alors qu’il est encore quasi inconnu, et le choix de l’un de ses brous de noix pour l’affiche, vont contribuer à sa notoriété qui dès lors ne cessera de s’affirmer.
L'affiche de l'exposition et le brou de noix sur papier, 65 x 50 cm, 1947-4.
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1947
Brou de noix et huile sur papier marouflé sur toile, 1947
Encre d'imprimerie sur papier marouflé sur toile, 1947
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1948
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1947
Gouache sur papier marouflé sur toile, 1947
Brou de noix et crayon sur papier marouflé sur toile, 1947
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1947
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1948
Encre sur papier marouflé sur toile, 1947
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1947
3. Le centre de documentation
La création d’environ huit cents peintures sur papier (1946-2004) de Pierre Soulages constitue un champ majeur de son œuvre, présent dès ses premières expositions. Selon le choix de l’artiste, les papiers sont montrés avec des tableaux, des estampes ou des bronzes, ou parfois seuls. Dès les premières rétrospectives au début des années 1960, une large part est accordée aux peintures sur papier, permettant au public de découvrir l’art de Soulages selon différents supports et techniques. Ces œuvres sont reprises dans plusieurs affiches d’exposition collective ou personnelle, ou encore d’événement culturel, leur donnant une large visibilité. Les années 2000 témoignent de leur place fondatrice dans la production de l’artiste, présentée au sein du musée Soulages à Rodez, inauguré en 2014, ainsi que dans des expositions consacrées aux peintures sur papier, dont celle au musée du Luxembourg est la première rétrospective organisée à Paris.
4. Années 1950
L’œuvre de Soulages connaît une visibilité internationale accrue pendant cette décennie. Dès 1954 et pendant les dix années suivantes, la Galerie Kootz à New York expose à huit reprises ses peintures récentes qui rencontrent le succès auprès des collectionneurs américains. Dans le même temps, Soulages expose peu dans son pays natal même si la Galerie Berggruen à Paris rassemble en 1957 les gouaches et les eaux-fortes qui tiennent dans ces années une place importante. Le brou de noix reste au début de la décennie un matériau privilégié avec de larges traits parfois travaillés au couteau. Matériaux et techniques se diversifient avec des rythmes variés. Certaines peintures aux traces entrecroisées sont à rapprocher des toiles de la même période dans lesquelles on retrouve parfois la même structure formelle.
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1949 et 1953
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1949 et 1952
Gouache sur papier marouflé sur toile, 1949
Encre sur papier marouflé sur toile, 1949,1950,1952
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1949
Encre sur papier marouflé sur toile, 1949
Brou de noix sur papier, 1950
Brou de noix et mine de plomb sur papier marouflé sur toile, 1950
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1950
Gouache sur papier, 1952
Brou de noix sur papier, 1959
Brou de noix sur papier collé sur carton, 1954
Gouache et brou de noix, 1957
Gouache sur papier marouflé sur toile, 1951 et 1954
Encre de Chine sur papier Ingres filigrané, 1955
5. Années 1960
Soulages travaille désormais dans deux ateliers, l’un à Paris et l’autre à Sète, dans la maison que Colette et lui ont fait construire face à la mer. Les années soixante sont celles des premières rétrospectives dans les musées, d’abord en Allemagne (Hanovre, Essen…) puis aux États-Unis (Boston, Houston) et enfin à Paris, au Musée national d’Art moderne.
Les peintures sur papier y sont présentes en grand nombre aux côtés des toiles, preuve de l’importance que le peintre leur attache. 1963 voit la première exposition consacrée exclusivement aux peintures sur papier à la Galerie de France à Paris avec une cinquantaine d’œuvres rassemblées datant de 1946 à 1963. Le critique Michel Ragon publie parallèlement le premier ouvrage consacré à ces œuvres. Durant cette décennie, Soulages privilégie l’encre et intervient souvent par contraste entre des nappes d’encre noire, parfois traitées en lavis, et le blanc du papier tandis que les formats s’agrandissent. La peinture de 1963 aux dimensions exceptionnelles est exposée à la Documenta III à Kassel en 1964.
Gouache et encre de Chine sur papier, 1961
Encre sur papier marouflé sur toile, 1951
Encre sur papier marouflé sur toile, 1951
Gouache sur papier, 1952
Gouache et encre de chine sur papier, 1951
Encre sur papier, vers 1961
Encre sur papier marouflé sur toile, 1950
Encre sur papier marouflé sur toile, 1961
Brou de noix sur bristol, 1974
Encre de Chine sur papier marouflé sur isorel, 1963
Encre sur papier marouflé sur toile, 1963
Encre sur papier marouflé sur toile, 1961
6. Années 1970
Une importante rétrospective au musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne en 1976 donne une large place aux peintures sur papier, particulièrement aux brous de noix des années 1947-51. À la même époque, de nombreuses expositions ont lieu dans les musées d’Amérique latine, confirmant la stature internationale du peintre. En 1973, puis en 1977, Soulages délaisse la toile et privilégie le papier. Tout au long de l’année 1977, il réalise une centaine de grandes gouaches vinyliques qu’il poursuivra l’année suivante. C’est à nouveau la Galerie de France qui révèle ces œuvres à l’occasion d’une double exposition à la Foire internationale d’art contemporain et dans ses propres murs. Ces nouvelles peintures se caractérisent par leur monumentalité consistant, pour certaines, en larges traits traversant le blanc du papier. Mais Soulages ne s’enferme jamais dans un style unique. Une série de gouaches laisse place à la couleur bleue souvent présente dans les toiles de la même époque. D’autres sont dominées par le noir associé à des gris subtils obtenus en lavis.
Gouache sur papier marouflé sur panneau, 1977 [4 gouaches montées sur un même panneau]
Encre sur papier marouflé sur toile, 1977
Gouache vinylique sur papier marouflé sur toile, 1973
Gouache sur papier, 1977
Gouache sur papier, 1973
Gouache sur papier, 1977
Gouache sur papier marouflé sur toile, 1977
Gouache et encre sur papier, 1978
Gouache sur papier marouflé sur toile, 1977 (5 tableaux)
Gouache vinylique sur papier marouflé sur toile, 1977
Gouache et encre sur papier, 1978
Gouache et encre sur papier marouflé sur toile, 1978 (2 tableaux)
7. Dernières peintures sur papier : 1995-2004
L’année 1979 voit les débuts d’une nouvelle phase de l’œuvre peint que Soulages nommera outrenoir, exposé pour la première fois au Centre Pompidou. Les toiles sont désormais intégralement recouvertes d’un unique pigment noir. Selon les outils employés pour appliquer la matière, la lame ou brosse, la texture de la surface, striée ou lisse, change la lumière et fait naître des valeurs différentes. Les peintures sur papier se raréfient. Pourtant, il arrive certaines années que Soulages retrouve ce support pour de grands formats traités à la mine de plomb sur fond noir (une méthode qu’il n’avait jamais employée précédemment) ou encore par contraste noir et blanc en appliquant l’encre par arrachages ou empreintes aux surfaces aléatoires comme dans certaines toiles contemporaines. Il renoue enfin avec le brou de noix en structurant l’espace en larges bandes horizontales noires ou brunes d’une grande puissance laissant place à des éclats de blanc. Après 2004, Soulages ne recourt plus au papier et se consacre uniquement aux infinies possibilités que lui permet la peinture outrenoir, et ce jusqu’à son décès en octobre 2022 à l’âge de 102 ans.
Encre sur papier, 2003
Encre sur papier, vers 1985
Encre sur papier marouflé sur toile, 2003
Encre sur papier marouflé sur toile, 1995 (2 tableaux)
Encre sur papier, 2003 (4 tableaux)
Gouache et mine de plomb sur papier, vers 1999-2000 (3 tableaux)
Terminons avec certains des derniers tableaux sur papier de Soulages, presque tous de 2003 et 2004, où il revient souvent au brou de noix, sans doute sa matière favorite, et où nous fait irrésistiblement penser à Rothko, sans qu'on aie envie de comparer ces deux génies de l'abstraction.
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 1999
Brou de noix sur papier, 2003 (3 tableaux)
Et deux tableaux de 2004, la dernière année où il peint sur papier :
Brou de noix sur papier marouflé sur toile, 2004
Gouache sur papier marouflé sur toile, 2004