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Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

11 Octobre 2025 , Rédigé par japprendslechinois

Une très belle exposition vient d'ouvrir à l'Orangerie, dans la lignée de celles que ce musée a déjà consacrées à des marchands d'art (voir par exemple notre billet du 19 octobre 2024

En 1901, Berthe Weill ouvre une galerie au 25 rue Victor-Massé, dans le quartier de Pigalle, en bas de Montmartre. Elle choisit alors de s’engager aux côtés des artistes de son temps, en contribuant à leur révélation puis à l’essor de leur carrière, malgré des moyens limités. Parmi eux se trouvent certains des plus grands noms des avant-gardes, comme d’autres aujourd’hui moins en vue. Avec un enthousiasme et une persévérance sans faille, elle a été leur portevoix et les a soutenus pendant près de quarante ans, jusqu’à la fermeture de sa galerie en 1941, dans le contexte de la guerre et de la persécution des Juifs. Dès 1933, elle avait publié ses souvenirs de trois décennies d’activité sous le titre Pan ! Dans l’œil…, faisant œuvre de pionnière de ce genre littéraire.

Section 1 

Elle est sous-titrée comme les suivantes par une citation du livre Pan ! Dans l'œil « Ma résolution est inébranlable ; on verra bien ! »

Berthe Weill, née à Paris dans une modeste famille juive d’origine alsacienne, est placée en apprentissage, très jeune, auprès de Salvator Mayer, un marchand d’estampes renommé. Elle apprend le commerce des œuvres d’art et rencontre les différents protagonistes de la scène artistique parisienne, ainsi que de nombreux collectionneurs. Peu après le décès du marchand en 1897, elle s’associe avec l’un de ses frères pour ouvrir une boutique d’antiquités et d’objets d’art au 25 rue Victor-Massé dans le quartier de Pigalle, alors épicentre du Paris nocturne, des théâtres et des cabarets. Cette adresse se trouve en bas de Montmartre, où beaucoup d’artistes d’avant-garde vivent et travaillent, souvent dans une grande précarité. Sans ressources financières importantes, elle diversifie les activités de sa galerie pour trouver des solutions économiques viables. Elle vend des livres et expose des gravures d’artistes aux côtés d’œuvres d’illustrateurs et de caricaturistes tels Jules Chéret et Théophile Steinlen. Berthe Weill commence à se faire une réputation. Alors que l’antisémitisme virulent qui s’exprime en cette fin de XIXe siècle s’incarne dans l’affaire Dreyfus et divise dangereusement la France, elle prend position avec courage en exposant dans sa vitrine des volumes et dessins originaux en faveur d’Alfred Dreyfus et de son défenseur, Émile Zola.

Jules-Alexandre Grün (1868-1938), Chaix (imprimeur) : La Boîte à Fursy 12 rue Victor-Massé, ancien bôtel du Chat noir, 1899, lithographie
Leonetto Cappiello (1875-1942), Vercasson (imprimeur) : Odette Dulac, 1901, lithographie en couleur

Des affichistes et caricaturistes sont présentés dans la galerie qui se situe dans la même rue que la Boîte à Fursy, salle de spectacle et de fêtes ouverte en 1899.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Section 2

« J'achète les trois premiers Picasso »

En 1900, Pere Mañach, le fils d’un industriel catalan, s’est établi comme marchand de tableaux à Paris, où il s’est donné pour mission de promouvoir la jeune génération espagnole. Il présente Berthe Weill à Picasso, tout juste arrivé de Barcelone. Elle lui achète des œuvres dès ce moment et repère dans l’atelier Le Moulin de la Galette, première grande toile que le peintre de vingt et un ans exécute à Paris. Elle la vend à un prix important pour un si jeune artiste. Ainsi, elle réalise une quinzaine de ventes, avant même l’exposition « Picasso » à la galerie d’Ambroise Vollard l’année suivante.
En 1901, à trente-six ans, Berthe Weill, aidée par Mañach, transforme sa boutique, qui devient la « Galerie B. Weill » – son prénom n’est pas mentionné, sans doute pour faire oublier qu’elle est une femme. Elle est officiellement inaugurée le 1er décembre avec une exposition qui rassemble diverses œuvres très récentes de Pierre Girieud, Fabien Launay et Raoul de Mathan, ainsi que des terres cuites d’Aristide Maillol, qui rencontre peu de temps après le succès pour ses bronzes.
Le critique d’art Gustave Coquiot signe une préface pour le premier catalogue. Berthe Weill, qui repère les talents émergents dans le vivier des Salons, les encourage à se présenter à sa galerie, se constituant ainsi une notoriété de découvreuse.

Pablo Picasso (1881-1973) : La Mère, 1901, huile sur carton monté sur panneau de bois

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Pablo Picasso :
Nature morte, 1901, huile sur toile
La Chambre bleue, 1901, huile sur toile
En 1900, Berthe Weill est la toute première marchande de Picasso

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Jacqueline Marval (1866-1932) : Minerve, 1900, huile sur toile
Victorien Fabien Vieillard dit Fabien Launay (1877-1904) : Le Tournesol, 1902, huile sur toile
Présenté en 1901 à l'exposition inaugurale de la Galerie B. Weill
Meta Daux Warrick Fuller (1877-1968) : Les Malheurs, 1901, bronze
Exposé en 1901 à la Galerie B. Weill
«Mlle Warrick expose des sculptures qui promettent... qu'est-elle devenue ? » se demande Weill lorsqu'elle rédige ses souvenirs.
Cette Africaine-américaine, originaire de Philadelphie complète sa formation à Paris entre 1899 et 1902 et rencontre Auguste Rodin dont elle reçoit les encouragements. Puis elle retourne aux États-Unis où sa reconnaissance a été tardive.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Henri Matisse (1869-1954) :
Première nature morte orange, 1899, huile sur toile
Le Lit [dit aussi Ma chambre à Ajaccio], 1898, huile sur toile
« En avril 1902, je vends pour la première fois une peinture de Matisse » se souvient Berthe Weill dans ses Mémoires.
Un mot de Berthe Weill à Matisse rédigé sur une carte de la galerie.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) : Clownesse Cha-U-Kao, 1895, huile sur carton
Weill cesse progressivement de montrer les artistes emblématiques du Montmartre de la fin du XIXe siècle mais reste attachée à l'œuvre de Toulouse-Lautrec, alors surtout célèbre pour ses affiches.
Pablo Picasso : 
La Fin du numéro, 1901, pastel sur toile
L'Hétaire [ou Courtisane au collier de gemmes], 1901, huile sur toile

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Paco Durrio (1868-1940) : 
Egyptienne au serpent, broche, avant 1904, argent fondu et pierre verte (amazonite ?)
Boucle de ceinture, avant 1904, argent fondu
Pendentif, avant 1904, argent fondu, décor face et revers
Pot anthropomorphe, entre 1900 et 1905, vase en grès émaillé

Aristide Maillol (1861 - 1944) : Jeunes filles portant une cruche, 1898, terre cuite

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Section 3

« Notre-Dame des Fauves »

La salle VII du Salon d’automne de 1905 réunit les peintures de Matisse, Maurice de Vlaminck, André Derain, Albert Marquet… Elle est jugée inacceptable par beaucoup de critiques en raison de l’affranchissement des règles de la perspective et du modelé au profit de l’exaltation des couleurs pures, ainsi que d’une simplification des formes. Un buste placé au centre de la pièce fait écrire au critique Louis Vauxcelles dans un article du Gil Blas : « C’est Donatello parmi les Fauves. » La formule plaît tellement que la salle est rebaptisée « la cage aux Fauves ».
La Galerie B. Weill prend une part importante dans la reconnaissance de ce mouvement en présentant régulièrement des expositions collectives qui rassemblent les différentes configurations du groupe, constitué principalement d’élèves de Gustave Moreau, réunis autour de Matisse. Elle commence à s’intéresser à ces artistes dès 1902, bien avant le scandale du Salon d’automne. Lorsqu’il éclate en 1905, ces peintres ont déjà été montrés plusieurs fois chez la marchande. L’année précédente elle a demandé au critique Roger Marx, fervent défenseur de cette constellation, de préfacer le catalogue d’une exposition, œuvrant ainsi stratégiquement à créer le contexte nécessaire à leur reconnaissance. De même, elle a contribué à faire de Raoul Dufy, dont elle est proche, un artiste fauve contre la volonté de Matisse, qui refuse de l’accueillir dans son cercle. Bientôt Weill constate que « les Fauves commencent à apprivoiser les amateurs ».

Robert Delaunay (1885-1941) : Paysage aux vaches, 1906, huile sur toile
Peut-être exposé en 1907 à la Galerie B. Weill

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Henri Marquet (1875-1947) : La Petite Place au réverbère, Paris, vers 1904, huile sur toile

Raoul Dufy (1877-1953) :
La Rue pavoisée, 1906, huile sur toile
Paysage de Provence, 1905, huile sur toile
L'artiste fait ses débuts sur les cimaises de Berthe Weill, à qui il vend un pastel en 1902. Il est régulièrement associé au groupe « Fauve » par la marchande, bien qu'un peu en marge de ce courant. Weill tisse avec Dufy de solides liens d'amitié et de confiance au fil d'une relation au long cours faite d'encouragements mutuels. Il est l'artiste le plus montré avec une exposition personnelle et 35 expositions collectives.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Jean Metzinger (1883-1956) : Champs de pavots, 1904, huile sur toile

Pierre Girieud (1876-1948) :
Portrait de l'artiste peintre Émilie Charmy, 1908, huile sur carton
Nu au bas noir, 1905, huile sur carton
Cette œuvre est exposée à la Galerie B. Weill en décembre 1905 aux côtés d'Émilie Charmy, Othon Friesz et Jean Metzinger. Girieud vient alors de montrer cinq tableaux au Salon d'automne. Le critique Louis Vauxcelles le compte parmi les « oseurs, [les] outranciers, de qui il faut déchiffrer les intentions, en laissant aux malins et aux sots le droit de rire ». Weill montre son travail en 1901, dans l'exposition inaugurale de la galerie, puis jusqu'en 1934.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Émilie Charmy (1878-1974) :
Autoportrait, 1906-1907, huile sur toile
Piana Corsica, 1906, huile sur carton toilé
Portrait de Berthe Weill, 1910-1914, huile sur toile
Impressionnée par les peintures d'Émilie Charmy au Salon des indépendants de 1905, Berthe Weill décide aussitôt de promouvoir son travail, louant l'indépendance d'une artiste qui ne fait partie «d'aucune chapelle». Cette rencontre marque le début d'une amitié qui unit les deux femmes jusqu'à la disparition de la marchande. Elles s'épaulent et tissent des liens quasi familiaux. Weill présente les œuvres de l'artiste pendant près de trente ans au fil de 30 expositions.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Maurice de Vlaminck (1876-1958) :
Le Restaurant de la Machine à Bougival, 1905, huile sur toile
Le Cultivateur, 1905, huile sur toile

André Derain (1880-1954) : Pont de Charing Cross, vers 1906, huile sur toile
Derain expose à la Galerie B. Weill à partir d'octobre 1905, peu avant qu'il ne s'engage avec Ambroise Vollard qui l'encourage à effectuer deux séjours à Londres - dont est issue cette composition caractéristique du fauvisme. En 1907, il rejoint le marchand Daniel-Henry Kahnweiler cependant que Weill, qui a contribué à son éclosion, continue à vendre régulièrement ses œuvres jusqu'à la fin des années 1930.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Béla Czóbel (1883-1976) :
Nus de garçons [dit aussi Garçons assis], 1907, huile sur toile
L'Homme au chapeau de paille, 1906, huile sur toile
Probablement exposé en 1908 à la Galerie B. Weill
L'exposition particulière de Béla Czóbel en mars 1908 a un succès moral très appréciable « [...] je le crois très doué », écrit Weill se souvenant d'avoir organisé la première exposition de l'artiste hongrois en France. Elle porte un intérêt très vif à son œuvre fortement imprégné de fauvisme. 

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Raoul de Mathan (1874-1938)
La Cour d'assises, 1908, huile sur toile
Le Cirque, 1909, huile sur toile
Raoul de Mathan, marqué par le deuxième procès d'Alfred Dreyfus auquel il a assisté en 1899, capture dans ses œuvres la théâtralité des salles d'audience. En 1908 et 1909, il peint deux toiles aux formats comparables représentant la cour d'assises puis le cirque, suivant des compositions qui se font écho. Exposé dès l'inauguration de la Galerie B.Weill en 1901, Mathan participe régulièrement, entre 1902 et 1920, à la programmation de Weill qui le qualifie de « peintre de talent ».

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Kees Van Dongen (1877-1968) : La Jarretière violette, vers 1910, huile sur toile
 

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Section 4

« Le cubisme soulève les passions »

Le rôle joué par Berthe Weill dans la présentation des œuvres cubistes a été presque oublié, bien qu’elle ait accompagné dès leurs débuts beaucoup d’artistes dont la carrière a connu une période cubiste. Ainsi, elle montre les œuvres de Jean Metzinger, qu’il soit néo-impressionniste, fauve ou cubiste, de 1903 à 1922, avant une ultime exposition en 1939. Elle contribue dans l’ombre, comme elle l’avait fait quelques années plus tôt avec les Fauves, à façonner une avant-garde qui partage la leçon de Paul Cézanne sous des formes multiples. La galeriste insiste sur les difficultés à faire apprécier cette peinture, tandis que le débat qui fait rage depuis 1912 autour de la réception du cubisme exprime souvent, sous des dehors de querelle esthétique, des considérations à caractère nationaliste. Certains réclament, sans succès, que les cubistes soient interdits d’exposition dans les bâtiments publics ; d’autres souhaitent différencier « les indépendants français et les indépendants étrangers ». Lorsque le mouvement s’éparpille, peu avant la guerre, la marchande a montré presque tous les protagonistes du cubisme. Exceptionnellement, elle programme en 1914 trois expositions
personnelles consacrées à Jean Metzinger, Alfréd Réth et Diego Rivera.
Elle porte ensuite ses efforts sur ceux que Georges Braque nommait les « cubisteurs » : André Lhote, Louis Marcoussis, Léopold Survage, Alice Halicka, Albert Gleizes ou encore Jean Metzinger.

Diego Rivera (1886-1957) : Tour Eiffel, 1914, huile sur toile
En 1914, lorsque Berthe Weill organise une exposition personnelle de peintures de Diego Rivera, c'est la première fois que l'œuvre du peintre mexicain arrivé en Europe en 1907 est montré à Paris.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Alexander Archipenko (1887-1964) : Deux verres sur une table, 1919-1920, relief en papier mâché peint collé sur bois, nature morte [sculptopeinture]
Weill organise en 1920 l'exposition « Groupe éclectique - Fauves, cubistes & post-cubistes » qui rassemble trois générations d'artistes dont beaucoup ont débuté dans sa galerie. Elle leur associe Archipenko, venu de Kiev et installé à Paris, à la dimension internationale indéniable.

Albert Gleizes (1881-1953) : Le Port (Marseille), 1912, huile sur toile
En 1913, Weill expose ensemble Fernand Léger, Albert Gleizes et Jean Metzinger peu après que les deux derniers ont publié le traite Du cubisme.

André Lhote (1885-1962) : Le Port de Bordeaux, 1914, huile sur toile
Probablement exposé en 1920 à la Galerie B. Weill

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Alice Halicka (1894-1975) : Nature morte au violon, 1918, huile sur toile
Weill soutient l'œuvre d'Halicka en l'associant à quatre expositions collectives et en lui organisant en 1922 une présentation personnelle couronnée de succès. Elle montre l'œuvre de la peintre dans sa galerie jusqu'en 1926, et leur relation illustre l'exemplarité de la marchande dans la promotion des artistes femmes.
Louis Marcoussis (1878-1941) Nature morte: le bocal aux poissons rouges,  1925, huile sur carton
Jean Metzinger (1883-1956) : Nu debout, 1911, huile sur carton marouflé sur panneau

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Section 5

« Groupe des plus éclectiques »

Au début du XXe siècle, des artistes du monde entier viennent chercher l’émulation et la reconnaissance à Paris. Berthe Weill participe à cette effervescence en rendant visibles des talents qui cherchent à échapper aux discriminations ainsi qu’aux difficultés économiques. Ils sont natifs de partout en Europe, des confins de l’Empire russe, de Norvège, de Pologne, d’Espagne, d’Italie ou de Grèce jusqu’à l’Empire austro-hongrois, ou même les États-Unis. Sa curiosité la conduit à donner leur chance à des artistes, ne suivant aucun dogme, mais plutôt son instinct, son oeil et ses sympathies. Elle adopte une position engagée en participant, exposition après exposition, à la lutte contre certains défenseurs d’un bon goût français aux résonances xénophobes et antisémites. Si le nom de Berthe Weill est étroitement associé aux avant-gardes de la première moitié du XXe siècle, elle s’intéresse également à des personnalités n’appartenant à aucun courant précis. L’attention qu’elle porte aux jeunes artistes ne faillit jamais, malgré les vicissitudes, et c’est ainsi qu’elle encourage, en organisant une ou plusieurs expositions, des figures aujourd’hui dans l’ombre ou parfois tombées dans l’oubli. La galeriste insiste sur les difficultés à faire apprécier cette peinture, tandis que le débat qui fait rage depuis 1912 autour de la réception du cubisme exprime souvent, sous des dehors de querelle esthétique, des considérations à caractère nationaliste.

Georges Kars (1882-1945) : Dans le salon de peinture, 1933, huile sur contreplaqué
Édouard Goerg (1893-1969) : Portrait de Mademoiselle W [Berthe Weill], 1926, huile sur toile

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Francis Smith (1881-1961) Projet d’enseignes pour la Galerie B. Weill, vers 1930, gouache sur papier
Pan ! Dans l'œil..., le livre de Berthe Weill

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Raoul Dufy : Trente ans ou la Vie en rose, 1931, huile sur toile
Depuis 1925, Berthe Weill convie chaque année « ses » artistes à une exposition thématique. Ils y présentent une œuvre, exécutée pour l'occasion ou une plus ancienne. En décembre 1931, celle consacrée à « La Joie de vivre » célèbre également les trente ans d'existence de la galerie. Dufy peint alors une des représentations hédonistes qui faisaient dire à Gertrude Stein: « Dufy, c'est le plaisir ». Le tableau témoigne également de l'amitié sincère entre la marchande et l'un des artistes qu'elle a le plus montrés.

Suzanne Valadon (1865-1938) : 
La Chambre bleue, 1923, huile sur toile
Exposé en 1927 à la Galerie B. Weill
Nu à la couverture rayée [dit aussi Gilberte nue assise sur un lit], 1922, huile sur toile
Lorsqu'en 1913 Weill commence à montrer les œuvres de Valadon, celle-ci dessine et peint depuis une vingtaine d'années. L'artiste noue une relation régulière et fructueuse avec la marchande, qui contribue au développement de sa renommée et constate « le succès ascendant de Valadon. Mais que de détracteurs ! Son grand mérite est, malgré tout, de ne faire aucune concession... grande artiste! ». Les deux femmes affirment leur détermination, leur audace et leur faculté à transgresser les règles.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Jules Pascin (1885-1930) :
Portrait de Mme Pascin (Hermine David), 1915-1916, huile sur toile
Claudine au repos, 1913, huile sur toile
Deux femmes couchées, 1927, huile sur toile
Après leur rencontre en 1910, Weill expose Pascin dans sa galerie à 23 reprises La présence de la marchande lors des grands moments de la vie de l'artiste atteste de leur proximité. Ainsi, elle est assise à sa droite au dîner célébrant ses quarante ans.

Paul-Elie Gernez (1888-1948) : Nature morte, 1921, huile sur toile
Exposé en 1927 à la Galerie B. Weill où il a été acheté par le musée des beaux-arts de Strasbourg

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Hermine David (1886-1970) :
Paris-Montparnasse, fin des années 1920, pointe sèche
Le Match de boxe, vers 1927, pointe sèche
Kiosque à Menton, 1927, pointe sèche
Le Restaurant à Menton, 1927, pointe sèche
Weill rencontre Hermine David par l'entremise de Jules Pascin, son mari. Elle organise, en 1923, la première exposition personnelle de l'artiste.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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En 1917, Berthe Weill inaugure, à l’instigation du poète d’origine polonaise Léopold Zborowski, la seule exposition personnelle consacrée à Modigliani organisée de son vivant. L’écrivain Blaise Cendrars, fervent admirateur du peintre, préface le catalogue avec un rapide poème intitulé « Sur un portrait de Modigliani ». Le 3 décembre 1917, trente-deux œuvres, surtout des peintures, sont dévoilées rue Taitbout, où la galerie a déménagé au cours de la même année. Quatre nus devenus emblématiques sont présentés. Leurs poils pubiens apparents déclenchent le scandale et le désordre, qui braquent le projecteur sur la Galerie B. Weill. Le commissaire du poste de police situé en face ordonne à la marchande d’« enlever toutes ces ordures ! », exerçant sa censure pour « outrage à la pudeur ». L’échec commercial de l’exposition est cuisant malgré les cinq œuvres achetées par Weill pour soutenir
Modigliani, dont elle admire la peinture. Elle note dans Pan ! dans l’oeil… :
« Nus somptueux, figures anguleuses, portraits savoureux. »

Amedeo Modigliani (1884-1920) :
Nu au collier de corail, 1917, huile sur toile
Femme au ruban de velours, vers 1915, huile sur papier collé sur carton

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Dernière section

« Je dois lutter seule »

À la fin des années 1930, Berthe Weill choisit de montrer des artistes qu’elle n’a pas encore promus. Elle s’attache alors à des tenants de l’abstraction, proches du groupe « Cercle et Carré », puis de l’association « Abstraction-Création ». C’est ainsi qu’elle décide en 1939 d’exposer les œuvres d’Alfréd Réth ou celles d’Otto Freundlich dans la galerie qu’elle occupe, depuis 1934, rue Saint-Dominique, et qu’elle devra bientôt fermer en conséquence des mesures antisémites prises à partir de 1940. Berthe Weill, qui ne publie plus de brochures après 1935, accompagne certains de ses cartons d’invitation de courtes pensées. Sous l’Occupation, elle échappe à la déportation mais vit dans un grand dénuement. En 1946, une vente aux enchères est organisée pour mettre fin à ses difficultés financières. Elle regroupe plus de quatre-vingts œuvres offertes par des amis de longue date, artistes et galeristes. Berthe Weill peut alors prendre sa retraite. En 1951, à sa disparition, elle a défendu plus de trois cents artistes et organisé des centaines d’expositions aux quatre adresses successives de sa galerie : 25 rue Victor-Massé ; 50 rue Taitbout à partir de 1917 ; 46 rue Laffitte de 1920 à 1934, et enfin 27 rue Saint-Dominique.
 

 

Alfréd Réth (1884-1966) :
Forme dans l'espace, 1934, huile sur bois
Les Cyclamens, 1912, huile sur toile

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Jeanne Kosnick-Kloss (1892-1966) : Composition, 1934, huile sur bois

Otto Freundlich (1878-1943) : Composition, 1939, tempera sur papier marouflé sur toile
Otto Freundlich est stigmatisé très tôt en Allemagne comme représentant de l'« art juif français ». Ses œuvres sont montrées à la Galerie B. Weill en 1939, cependant que l'une de ses sculptures a été choisie deux ans auparavant par les nazis pour illustrer la couverture du catalogue de l'exposition d'« Art dégénéré » à Munich. Freundlich est interné, dès 1939, dans un camp pour les « ressortissants de puissances ennemies », puis déporté au camp d'extermination de Sobibór, où il est assassiné le 9 mars 1943.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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Louis Cattiaux (1904-1953)  La Vierge attentive [dit aussi La Vierge à l'étoile],  1939, huile sur toile
Exposé en 1939 à la Galerie B. Weill
Entre 1936 et 1939, Weill invite Cattiaux à montrer ses œuvres dans sa galerie et lui consacre une exposition personnelle.
 

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Dans cette dernière salle, sur deux murs se faisant face, une photo agrandie sur toute la paroi :
Bal des noces d’argent de la Galerie B. Weill au restaurant Dagorno à La Villette, 28 décembre 1926  (Au centre, B. Weill porte un monocle)

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et en face un ensemble de six tableaux représentant des portraits de femme.

Kees Van Dongen : La Femme au canapé, avant 1920, huile sur toile
Émilie Charmy : Autoportrait, vers 1906, huile sur toile
Odette des Garets (1891-1967)  : Brodeuse, 1927, huile sur toile
Georges Kars : Portrait de femme, 1926, huile sur toile
Exposé en 1928 à la Galerie B. Weill
Suzanne Valadon : Portrait de Mme Zamaron, 1922, huile sur toile
Exposé en 1927 à la Galerie B. Weill
Georges Émile Capon (1890-1980) : La Java, 1925, huile sur toile
Exposé en 1925 à la Galerie B. Weill

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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En guise de conclusion, sont affichées des reproductions de dessins de César Abín (1892-1974), extraites de « Leurs figures », 56 portraits d’artistes, critiques et marchands d’aujourd’hui avec un commentaire de Maurice Raynal. Seule marchande d’art figurant dans l’ensemble de portraits exécutés par César Abín, Berthe Weill est distinguée des autres effigies, presque toutes solitaires, par la compagnie d’André Derain, Pablo Picasso, Fernand Léger, Georges Braque et Marc Chagall. Ils l’entourent amicalement alors qu’elle est caricaturée en mère juive. Le dessinateur livre un instantané de la scène artistique parisienne, un an avant la publication des souvenirs de Berthe Weill, écrivant tous deux la même histoire avec chacun sa propre irrévérence.


Portrait de Berthe Weill entourée de Derain, Chagall, Léger, Picasso et Braque.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde

Pour le plaisir, quelques-uns des peintres figurant dans cet ouvrage.

Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde
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M
Merci beaucoup :)
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K
Un parcour extraordinaire. Elle les a reuni tous. Une exposition a ne pas raté. Merci, Michel.
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