Victor Vasarely / Le Partage des formes (I)

Le nom de Vasarely évoque généralement des images colorées, massivement diffusées pendant les années 1960 et 1970. L'exposition présentée en ce moment au Centre Pompidou permet de retracer le projet de cet artiste, débuté à Budapest à la fin des années 1920, dans le sillage des avant-gardes historiques et du Bauhaus et poursuivi à Paris où il s'installe avec son épouse dès 1930.
Vingt-deux ans après sa mort en 1997, c'est un hommage mérité qui est rendu à cette figure incontournable des années 70 : la dernière grande exposition consacrée à Vasarely remonte à 1963 au musée des Arts décoratifs...Nous en suivrons le parcours, organisé en 7 section.
1. Les Avant-gardes en héritage
Formé à Budapest au Muhely (« Atelier ») de Sándor Bortnyik, ancien élève du Bauhaus, Vasarely apprend à adapter le langage du modernisme à la communication commerciale. À son installation à Paris en 1930, il travaille comme graphiste publicitaire.
Les « études plastiques » qu’il réalise alors sont marquées par cette conception de la forme efficace et préfigurent les travaux à venir. La série des « Zèbres », entreprise dans les années 1930, annonce ainsi les ondes et vibrations de la période cinétique.
Catcheurs (1939), Amor 1-2 (1945)
Oeuvres diverses de 1937 à 1939...
Vasarely a d'abord gagné sa vie avec la publicité...
L'Homme (1943), dernier tableau figuratif de Vasarely...
2. Géométries du réel
C’est pendant les années de guerre que s’affirme chez Vasarely une ambition artistique à part entière. À l’origine des trois grands cycles autour desquels s’organise son oeuvre au seuil des années 1950, on décèle les structures sous-jacentes du réel, perçu dans ses grands rythmes comme dans ses manifestations les plus dérisoires. La contemplation des galets et des objets roulés dans le flux et le reflux des eaux engendre les formes adoucies qui peuplent les œuvres de la série « Belle-Isle ». Les réseaux de craquelures sur les carreaux de céramique d’une station de métro inspirent les contours des plans de couleurs de la série « Denfert ». Enfin, dans la série « Cristal-Gordes », lignes brisées et angles aigus transposent les formes cristallines et minérales du village du Luberon perché sur son rocher.
Goulphar, 1947
Belle-Isle GP, 1952-1962
Sauzun, 1950
Mar-Caribe, 1950-1956
Kerrhon, 1953-1954
Orgovan, 1950-1955
Nives II, 1949-1958
Sénanque 2, 1948-1950
Santorin, 1950
Ezinor, 1949-1953
Zante, 1949
Hô II, 1948-1952
Ruhr, 1950
Zombor (Hommage à Rizal), 1949-1953
Gordes, 1952
Kiruna, 1952-1962
Siris II, 1952-1958
Yellan II, 1949-1960
Luberon-Ménerbes, 1950
Composition abstraite (1950-1952)
Silur, 1952-1958
3. Énergies abstraites
Au début des années 1950, les séries « Photographismes » et « Naissances » marquent la réduction du langage de Vasarely au noir et blanc. Une des sources de cette évolution est la réversibilité de l’image photographique, positive ou négative. Dans la perspective d’une esthétique simple et logique, dotée d’une grande capacité de transmission de l’information, et dans le contexte de la cybernétique naissante, l’opposition noir/blanc offre un équivalent du langage binaire et oriente le processus créatif du côté de la programmation. Les contrastes du noir et du blanc engendrent en outre des phénomènes optiques qui déterminent une perception dynamique. Vasarely est en train d’inventer ce que, dans la décennie suivante, on appellera l’op art, l’une des évolutions les plus significatives de l’abstraction géométrique depuis son apparition.
Cintra, 1955-1956
Hommage à Malévitch, 1954-1958
Kantara, 1957-1959
Dobkö, 1957-1959
Procion et Procion négatif, 1959
Tlinko II, 1956
Supernovae, 1959-1961
Leyre, 1962
Ilava, 1956
Vega, 1956
T.M., 1958
Andromède, 1958
Nous poursuivrons la visite de cette rétrospective très complète dans un prochain billet
Franz Marc / August Macke L'Aventure du cavalier bleu

Franz Marc (1880-1916) et August Macke (1887-1914) sont des artistes majeurs du mouvement expressionniste allemand Der Blaue Reiter (Le Cavalier bleu).
Le musée de l’Orangerie consacre, pour la première fois à Paris une exposition aux deux peintres allemands, morts tous deux sur le front en France.
Nous vous proposons d'en découvrir avec nous le parcours, organisé en quatre sections
1. Une amitié de peintres
Les deux peintres se rencontrent en janvier 1910. August Macke est de sept ans le cadet de Franz Marc. Formés pour Macke à l’École d’arts appliqués de Düsseldorf et pour Marc à l’Académie des Beaux- Arts de Munich, ils se sont l'un et l'autre déjà rendu à Paris à plusieurs reprises, admirateurs de Gauguin, Van Gogh, Cézanne... Héritier de la tradition romantique allemande, Marc trouve dans l’animal son principal motif pictural qui lui permet d’exprimer son sentiment profond, lyrique pour la nature. Macke, quant à lui, donne la primauté à l’usage de la couleur selon une approche plus raisonnée, formaliste et naturaliste.
Franz Marc : Linge flottant dans le vent (1906), Cavalier sur la plage (1907), Étude verte (1908), Petite étude de pierre (1909), Lapin sauvage (1909), une lithographie de 1907, L'Ours, une autre de 1908-1909, Chevaux au soleil.
August Macke : Notre jardin en fleurs (1911), Torrent de forêt (1910), Cruche blanche avec fleurs et fruits (1910), Portrait avec pommes (1909) Nu féminin sur fond rose (Elisabeth) (1911), Portrait de Franz Marc (1910)
2. Les années Blaue Reiter
Franz Marc rencontre en 1911 Vassily Kandinsky. L’artiste russe occupe alors une place prééminente sur la scène artistique allemande, en tant que fondateur de la Neue Künstlervereinigung München (NKVM) [Nouvelle Association des artistes munichois]. Il projette avec Marc, dès l’été 1911, de publier un almanach, l’Almanach du Blaue Reiter, destiné à fédérer une avant-garde.
L’exposition du Blaue Reiter regroupe les œuvres de quatorze artistes, celles des fondateurs du mouvement, trois œuvres de Macke mais aussi celles de Robert Delaunay, du Douanier Rousseau, d’Arnold Schönberg…
Dans cette section :
August Macke : Clown, autoportrait caricature (1913) Géraniums devant la montagne bleue (1911), Les Jouets du petit Walter (1912), Joueuse de luth (1910), Portrait de Mme Macke, tête de femme orange et marron (vers 1911), Église Sainte-Marie de Bonn avec des maisons et une cheminée (1911)
Franz Marc : Tableau pour enfants (Chat derrière un arbre) - 1911, Chien couché dans la neige (1911), Jeune garçon avec un agneau (Le Bon Berger) (1911), Trois animaux (chien, renard et chat) - 1912, et trois encres sur papier de 1912 : Bergère dormant, La Bergère et Chevaux se reposant .
Dans cette section aussi, autour du Blaue Reiter :
Almanach du Blaue Reiter, sous la direction de Wassily Kandinsky et Franz Marc, Munich, R. Piper, première édition, 1912
Wassily Kandinsky (1866-1944) : Murnau, rue avec attelage (1909), Trois cavaliers (1911, Xylographie sur papier), Dans le cercle (1913-1914, Aquarelle, gouache et encre de Chine sur papier sépia contrecollé sur carton)
Gabriele Münter (1877-1962) : Combat du dragon (1913)
3. Une avant-garde européenne
L’année 1912 amorce un tournant. En septembre, Marc et Macke se rendent ensemble à Paris. Ils visitent l’atelier de Delaunay, y découvrent la série des Fenêtres. Macke reçoit ensuite, en janvier 1913, la visite du poète Apollinaire et du peintre qui expose ses Fenêtres au Gereonsclub de Cologne. Leur manière devient plus heurtée, l’espace de la toile se diffracte tel un kaléidoscope, découpé en plans juxtaposés.
Franz Marc: Le Rêve (1912), La Cascade (Femmes sous une cascade) - 1912, La Peur du lièvre (1912), Cheval et âne (1912), Écuries (1913), Les Premiers Animaux (1913), Moulin ensorcelé (1913), École d’équitation (1913, Encre sur papier)
August Macke : Rococo (1912), Couple dans la forêt (1912), Promeneurs au bord du lac II (1912), Deux personnages au bord de la rivière (1913), Café sur le lac (1913), Trois jeunes filles avec des chapeaux de paille jaunes (1913), Promenade en forêt (1913).
et de Robert Delaunay : Fenêtre sur la ville, lithographie de 1925 et La Tour, estampe de 1925.
4. Vers l’abstraction
Macke s’éloigne un peu plus du Blaue Reiter et de la scène artistique munichoise, explorant l’abstraction par des compositions géométriques fort éloignées des improvisations expressives de Kandinsky. En avril 1914, durant son voyage en Tunisie avec ses amis Louis Moilliet et Paul Klee, il livre à travers une série d’aquarelles et de peintures, une transcription lumineuse, gracieuse et orphiste des paysages.
August Macke : Carreaux de couleur (1913), Formes colorées II (1913), Homme sur un âne (1914, aquarelle sur papier), Paysage avec vaches, voilier et figures (1914), Paysage africain (1914), Kairouan III (1914, aquarelle), Marchand de cruches (1914, aquarelle sur papier)
Paul Klee : Maison (liée par un ton gris moyen) (1915, aquarelle sur papier grisâtre collé en plein sur carton)
Dans les mois qui précèdent la guerre, Marc opère une simplification formelle qui le fait basculer dans l’abstraction. Mû par un désir d’absolu et hostile au credo du progrès technique, il met en place un système de représentation duquel l’homme est exclu, lui préférant les animaux, seuls garants de la pureté originelle. Au cours des ans, Marc s’abstrait toujours plus du visible et disloque les corps de ses animaux jusqu’à représenter, à la toute fin de sa vie, des formes pures, abstraites.
Franz Marc : Petite composition I (1913), Naissance des chevaux (1913, encre sur papier), Paysage avec maison et deux vaches (1914), Chevreuils dans la forêt II
(1914).
Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Macke est incorporé dans un régiment d’infanterie rhénan et meurt sur le front le 26 septembre 1914. Marc est également enrôlé dans un régiment d’infanterie. Il écrit et dessine sur le front et est tué le 4 mars 1916, près de Verdun.
Cubisme (II)

Nous achevons avec nos lecteurs le parcours de l'exposition Le Cubisme commencé dans notre billet du 11 mars dernier.
La section suivante :
Les "Salons cubistes" (1911-1912)
est introduite par un panneau mentionnant :
"Le cubisme est porté à la connaissance du public parisien par le biais des Salons, grands-messes artistiques auxquelles ne participent ni Braque, ni Picasso. Partageant des convictions esthétiques communes, nourries par l’influence de Cézanne, Robert Delaunay, Albert Gleizes, Fernand Léger, Henri Le Fauconnier et Jean Metzinger obtiennent d’exposer groupés au Salon des indépendants de 1911."
De Robert Delaunay, La Ville n°2 (1910) et La Ville de Paris (1910-1912)
D'Albert Gleizes, Portrait de Jacques Nayral (1911) et Les Baigneuses (1912)
De Roger de La Fresnaye. Alice au grand chapeau, 1912
De Jean Metzinger. Femme au cheval (1912)
De Henri Le Fauconnier. L’Abondance (1910-1911)
De Fernand Léger, La Couseuse (1910), La Noce (1911), Le Passage à niveau ( 1912), La Femme en Bleu (1912)
De Francis Picabia, L'Arbre Rouge (1912), et La procession (Séville) - 1912.
Moscou la Sainte (1912) d'Henry Valensi
ainsi qu'une statue d'Amedeo Modigliani. Tête de femme (1912)
Le collage et l'assemblage
Dans la section suivante, on retrouve Braque et Picasso. Comme l'indique la présentation de l'exposition, "l’année 1912 est celle des inventions les plus radicales de Braque et de Picasso" (...) Constitués de bandes de papiers peints du commerce ou de coupures de journaux mis en rapport avec des compositions transparentes dessinées au trait, les papiers collés mis au point par Braque représentent les formes en raccourcis et réintroduisent la couleur. Les premières constructions de Picasso sont des guitares en papier ou en carton découpées, collées et pliées, punaisées au mur et accrochées par des ficelles. Ce sont aussi des objets inclassables, entre dessin et sculpture."
De Picasso, La Bouteille de vieux marc (printemps 1913)
de Braque, La Guitare (statue d'épouvante) - novembre 1913
Pablo Picasso : Femme à la guitare (1911-1914)
Georges Braque : Femme à la guitare (automne 1913)
De Braque, Guéridon (début 2013) et de Picasso, Le Guéridon (1913-1914)
Dans la même section, de Henri Laurens, ce Clown en bois peint de 1915, Nature morte (1915), Composition (Le Clown) - 1915, et Femme à la mantille (1916).
Matière et couleur
Citons le panneau de la section suivante : "Le cubisme a souvent été réduit à tort à un art de la monochromie. La couleur devient pourtant après 1912 un enjeu central pour de nombreux artistes. Robert et Sonia Delaunay ou encore Fernand Léger s’engagent dans une« bataille de la couleur » célébrant la vitalité de la ville moderne. (...) Juan Gris développe un cubisme personnel dans lequel la palette d’aplats profonds ou acides vient bousculer la structure géométrique. Parallèlement, la peinture de Braque et Picasso prise au jeu du collage s’éloigne des « toiles d’araignée » des années précédentes."
Fernand Léger : Contraste de formes (Etude). 1913, Les Maisons dans les arbres (Paysage n°3) 1914, L’Escalier (1914), Le réveille-matin (1914).
Robert Delaunay : Une fenêtre, 1912
Sonia Delaunay : la très belle composition Le Bal Bullier, 1913
Juan Gris : La Guitare, mai 1913, Poires et raisins sur une table, automne 1913, Nature morte au livre, décembre 1913, Violon et verre, 1913, Le Papier à musique, 1913-1914.
Auguste Herbin : Les Trois Arbres, 1913
Léopold Survage : Les Usines, 1914
Pablo Picasso : Étudiant à la pipe, automne 1913, Guitare et bouteille de Bass, 1913, Homme à la pipe, printemps 1914, Portrait de jeune fille, juillet-août 1914
ainsi que ces Verres d'absinthe de 1914 et Violon et bouteille sur une table (automne 1915).
Sculptures
La section suivante est consacrée à la sculture "cubiste", qualificatif attribué par la critique mais contesté par plusieurs des artistes concernés.
Sculptures en bois de Jacques Lipschitz : L'Homme à la mandoline (1917), Baigneuse (1917), Marin à la guitare (1917)
Pierre polychromée de Henri Laurens : Tête (1918 - 1919)
Constantin Brancusi : Tête d'enfant (Tête du premier pas), 1913-1915 et Cariatide-chat, 1916-1923.
Raymond Duchamp-Villon :
Les Colombes, 1913. Plâtre, Étude pour Le Chat, 1913. Plâtre peint, Les Amants, 1913. Relief en plâtre, Les Amants II, 1913. Relief en plâtre, Les Amants III, 1913. Relief en plâtre,
Poètes et critiques
A ce point du parcours, une section un peu hors chronologie présentée ainsi : "Sur la porte de son atelier au Bateau-Lavoir, Pablo Picasso avait écrit : « Au rendez-vous des poètes ». Les amitiés entre les jeunes artistes et hommes de lettres favorisent de fructueuses rencontres plastiques et littéraires, dans un même esprit d’émancipation. Les poètes, tels André Salmon ou Pierre Reverdy, apportent également un nouveau souffle à la critique d’art. Dans le journal L’Intransigeant et la revue Les Soirées de Paris, qu’il contribue à fonder en 1912, Guillaume Apollinaire publie chroniques et textes théoriques majeurs, qui formeront les chapitres de la première synthèse critique, Les Peintres cubistes."
Quelques œuvres un peu inattendues, comme le Douanier Rousseau : La Muse inspirant le poète, 1909 ou Marie Laurencin : Apollinaire et ses amis, 1909, Apollinaire croqué par Picasso en 1908, et dont l'ouvrage L'Enchanteur pourissant, illustré par Derain, est exposé.
Léopold Survage : La Baronne d’Oettingen, 1917
Des portraits de Max Jacob par Picasso en 1907, d'Alexandre Marcereau par Albert Gleizes en 1908, de l'éditeur Eugène Figuière, par Albert Gleizes en 1913.
Les « Salons cubistes » (1913-1914)
Laissons une nouvelle fois parler les panneaux de cette salle : "Dans les Salons de 1913 et 1914, les commentateurs s’accordent sur la multiplication des œuvres d’inspiration cubiste et sur la sensible internationalisation du mouvement. Le Salon des Indépendants de 1913 apporte son lot de peintures aux sujets littéraires, tel L’Oiseau bleu de Jean Metzinger, ou modernes, comme les représentations sportives d'Albert Gleizes et de Robert Delaunay. Piet Mondrian y expose un Paysage avec arbres, remarqué par Apollinaire. À l’automne, avec son monumental Udnie, Francis Picabia engage le cubisme dans la voie de l'abstraction. Aux Indépendants de 1914, l’influence du futurisme italien transparaît dans L’Atelier de mécanique de Jacques Villon(…). Les Prismes électriques de Sonia Delaunay manifestent de façon éclatante la présence de l’orphisme, dont Apollinaire s’est fait le promoteur."
L’Oiseau bleu de Jean Metzinger (1913)
Albert Gleizes. Les Joueurs de football, 1912-1913 et Robert Delaunay. L’Équipe de Cardiff, 1912-1913
Piet Mondrian. Paysage avec arbres, 1912
Francis Picabia. Udnie (Jeune fille américaine ; Danse), 1913
Jacques Villon : L’Atelier de mécanique, 1914 et Jeune femme, pointe sèche de 1913
et Sonia Delaunay, Prismes électriques, 1914.
La guerre
Comme le décrit le panneau de cette salle, la guerre sonne le glas du cubisme :
"Le début de la Première Guerre mondiale (...) marque le coup d’arrêt des Salons et provoque la dispersion des artistes parisiens. Mobilisés, Georges Braque, Fernand Léger, Albert Gleizes, Jean Metzinger, Jacques Villon font bientôt l’expérience traumatisante du Front. Certains, comme Gleizes, Léger ou Duchamp-Villon recourent au langage cubiste pour décrire la réalité de la guerre.
Dans les carnets qu’il tient durant tout le conflit, André Mare engage le cubisme dans une voie plus décorative. Parallèlement, à l’arrière, les artistes non mobilisables car ressortissants de pays neutres, tels Juan Gris, Jacques Lipchitz ou Pablo Picasso, continuent à œuvrer dans le secret de leurs ateliers. Grièvement blessé en mai 1915, Braque ne revient à la peinture qu’en 1917, poursuivant l’exploration d’un« cubisme synthétique ». Pour Picasso, la préparation du ballet Parade, créé au théâtre du Châtelet en mai 1917, constitue un tournant. Si les décors et certains costumes restent cubistes, le rideau de scène signale le retour du peintre espagnol à une nouvelle figuration, sonnant le glas du « cubisme essentiel ».
Albert Gleizes. Portrait d’un médecin militaire, 1914 et Le Chant de guerre, 1915.
Pierre Albert-Birot, La Guerre, 1916.
Jean Metzinger, L'infirmière, 1916
Roger de La Fresnaye, Le vaguemestre, 1917
Les carnets d'André Mare...
Juan Gris. Bouteille, journal et compotier (1916) et Nature morte à la plaque (1917)
Pablo Picasso. Instruments de musique sur un guéridon, 1914 et Arlequin et femme au collier, 1917
Georges Braque. La Musicienne, 1917-1918 et Café-Bar, 1919
Postérité du cubisme
A la fin de l'exposition, quelques toiles illustrent le propos suivant :
"En 1918, Blaise Cendrars proclame que, ralenti par la guerre et menacé par le courant du rappel à l’ordre, « le cube s’effrite ».
En réalité le cubisme, porté et transformé par d’autres artistes que les pionniers, demeure bien vivant. Sa leçon de simplification et de géométrisation, affirmée par la grille linéaire et la frontalité, s’impose comme le langage fondateur de la modernité. Il nourrit à distance l’évolution de Matisse, contemporain depuis 1907 de l’histoire cubiste et en 1914, proche de Juan Gris. Porte-fenêtre à Collioure centrée sur un écran noir opaque encadré de plans colorés et Tête blanche et rose qui assume la formule des papiers collés, témoignent de la portée du cubisme sur sa peinture. Si les cubistes ont récusé l’abstraction, la conjonction de la planéité, de la perte de la couleur et du sujet ouvre la voie à l’art abstrait. Mondrian est parti de l’espace cloisonné pour tendre vers l’absolu de l’angle droit néoplastique. Malévitch a tiré du système orthogonal sa grammaire de plans suprématistes en croix, cercles et carrés. "
Cubisme (I)

Nous n'avons pas encore évoqué dans ce blog la grande exposition que le centre Pompidou vient de consacrer au cubisme, évoquant en plus de 300 œuvres la période 1907-1917. Si nous y avons retrouvé beaucoup d’œuvres connues, la présentation très pédagogique des évolutions était très intéressante, et nous y avons fait de belles découvertes que nous essaierons de faire partager au lecteur.
Dans les premières salles consacrées aux sources du cubisme, des références à Cezanne, avec les Cinq baigneuses (1885-1887)
mais aussi la Femme à la cafetière (vers 1895) , rapprochée du portrait de Gertrude Stein par Picasso (1905-1906)...
Dans la salle sur le primitivisme, nous retrouvons les femmes nues de Picasso (1908) issues de la collection de Catherine Hutin que nous avions vues à Landerneau il y deux ans...
...voisinant avec, toujours de Picasso, Buste de femme, Mère et enfant, (l'un et l'autre de 1907)...
...cet autoportrait (1907), et Trois figures sous un arbre (hiver 1907-1908)
C'est à ce moment que Braque fait son apparition dans l'exposition avec le Grand nu (hiver 1907-juin 1908) et le Viaduc à l'Estaque (avril 1908), Maison et arbre (été 1908)
Pour souligner la filiation entre Cézanne et le cubisme, exposés dans la même salle, trois natures mortes de Cézanne (vers 1988-1990), Picasso (1908-1909), Derain (1910).
Les salles suivantes illustrent la proximité entre Braque et Picasso, qui travaillent souvent ensemble...
De Picasso, Paysage aux deux figures (1908)
De Braque, Arbres à l'Estaque (1908)
Une partie importante de l'exposition est consacrée à "l'éclatement de la forme homogène" (1909-1910), principalement opéré par Braque et Picaso, avec une grande similitude dans leurs tableaux. Ainsi, Nature morte à la bouteille de rhum (Picasso, 1911) et Clarinette et bouteille de rhum sur une cheminée (Braque, 1911)
Plus de peinture figurative, si l'on peut dire, chez Picasso, avec ce Nu assis, ces Femmes assises dans un fauteuil (1910)...
et ces portraits de Henry Kahnweiler et d'Ambroise Vollard (1910).
De Georges Braque, Broc et violon (1909-1910) , Usines de Rio Tinto à l'Estaque (1910).
Toujours de Georges Braque, trois tableaux de 1911: Le Guéridon, Nature morte au violon, Femme lisant.
Si la première partie de l'exposition fait une part très importante à Braque et Picasso, la suite est plus diverse et parfois surprenante, comme nous le verrons dans un prochain billet.
Mitchell Riopelle - un couple dans la démesure
Nous présentons depuis quelques années à nos lecteurs les expositions magistrales proposées chaque été par la Fondation Leclerc à Landerneau. Nous vous proposons cette fois une exposition d'hiver, tout aussi remarquable, même si les artistes présentés ne nous étaient pas aussi familiers que ceux des expositions d'été : la découverte n'en a été que plus belle. Citons le dépliant :
"La peintre américaine Joan Mitchell (1925-1992) et le peintre canadien Jean-Paul Riopelle (1923-2002) s'inscrivent, à l'image de Camille Claudel et Auguste Rodin, de Frida Kahlo et Diego Rivera, (...) dans la constellation des mythologies sentimentales et artistiques, où se révèle toute la portée d'un lien affectif étroit entre deux créateurs passionnés et audacieux. Pour la première fois, une exposition retrace leurs carrières artistiques respectives à l'aune de leur relation, à compter de leur rencontre en 1955 jusqu'à leur séparation en 1979. Des œuvres emblématiques et principalement de grand format, fruits de leur travail réalisé dans le contexte particulier de cette liaison, sont présentées à Landerneau."
PROLOGUE : AVANT LA RENCONTRE
De Jean-Paul Riopelle Le Perroquet Vert (1949) 15 Chevaux Citroën (1952), Hommage à Robert le Diabolique (1953), Escalade (1954)
De Joan Mitchell, Sans Titre (1951), Sans titre (1952-1953), Sans titre (1954-1955), Sans titre (vers 1955)
LA RENCONTRE ET SES EFFETS 1955-1958
"C'est lors d'un voyage à Paris, à l'été 1955, que Joan Mitchell fait la rencontre de Jean-Paul Riopelle (..). Pendant les premières années de leur relation, Mitchell partage son temps entre son atelier de New-York et divers studios qu'elle loue à Paris durant les étés passés auprès de Riopelle L'impact de cette rencontre est mesurable à travers certaines transformations du travail de chacun. Chez Mitchell par exemple, la forme concentrique éclate au profit d'une écriture gestuelle débridée qui anime la surface de la toile. Riopelle fait pour sa part une place accrue au blanc comme élément structurel dynamisant ses compositions."
De Mitchell, Sans titre (La fontaine) (1957), Sans titre (1957), Sans titre (vers 1958)
De Riopelle, Sans titre (vers 1956), Sans titre (1956-1957), Avalanche (1957), Sans titre (vers 1958), Sans titre (1958), Gitksan (1959)
LES ANNÉES RUE FRÉMICOURT : RÉSONANCES ET DISSONANCES 1959-1967
"En 1959, Mitchell s'installe en permanence à Paris. Elle habite avec Riopelle un appartement qui lui sert également d'atelier, rue Frémicourt. Riopelle conserve quant à lui son atelier de Vanves, en banlieue parisienne. Malgré certains accrochages dans leur relation personnelle, cette période est celle où leurs démarches artistiques individuelles présentent la plus grande convergence."
De Riopelle, qui renoue à ce moment avec la sculpture - Piège, (sculpture de 1961), Autoportrait (1959), Non, non, non, non, non... (1961), Un coin de pays (1962),...
... le grand Point de Rencontre (1963), commande pour l'aéroport de Toronto, offerte en 1989, à l'occasion du bicentenaire de la Révolution, par le Gouvernement canadien à la France pour être exposée à l'Opéra Bastille dès son ouverture, Blanc, noir, vert et rouge striés de noir (1964), Sans titre (1964)
De Mitchell, Sans titre (1960), Sans titre (vers 1960), Sans titre (vers 1960), Sans titre (1964), Sans titre (vers 1964), Sans titre (vers 1962-1964)
LES ATELIERS DE VÉTHEUIL ET DE SAINT-CYR-EN-ARTHIES : LES TERRITOIRES DISTINCTS 1968-1974
"En 1967, Mitchell acquiert La Tour, une vaste propriété avec jardin située à Vétheuil, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Paris. Le couple voit dans cet événement l’occasion d’un nouveau départ (...). Mitchell dispose enfin là d’un atelier à sa mesure, aménagé au fond du jardin, dans une dépendance où elle se retire en pleine quiétude pour peindre les grands formats qui caractérisent désormais sa production. Quant à Riopelle, il installe, un peu plus tard, un nouvel atelier dans un hangar qu’il loue, non loin de Vétheuil, à Saint-Cyr-en-Arthies. Malgré le rapprochement souhaité, l’effet de distanciation amorcé au cours des années précédentes s’accentue, chacun trouvant refuge dans un territoire distinct."
De Mitchell, Mon Paysage (1967), Sans titre (vers 1968), Sans titre (vers 1969), Fields (vers 1972)...
...le diptyque Un Jardin pour Audrey de 1974, hommage à une amie disparue et le quadriptyque Chasse Interdite de 1973, évoquant le différend qui opposait Mitchell et Riopelle au sujet de la chasse.
De Riopelle, Sans titre (vers 1968), Suivez le guide (1969), Avatac (1971), L'Esprit de la Ficelle (1971), De la grande Baleine (1973)...
...et ce retour au thème du hibou qu'il affectionnait dans sa jeunesse, avec la toile Hommage à Grey Owl (1970) et cette statue Hibou polonais (1970)
CANADA ET NORDICITÉ : EXPRESSION DE DEUX SOLITUDES 1975-1977
"En 1974, Riopelle construit et s’installe dans un nouvel atelier à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, au nord de Montréal. À l’automne, Mitchell passe donc quelque temps avec Riopelle dans cette résidence dont l’architecture à caractère rustique contraste manifestement avec celle de Vétheuil. Suite à ce séjour en terre canadienne, certains de ses tableaux comme ceux de la série Canada paraissent évoquer des sentiments mitigés de calme et de tumulte. Parallèlement Riopelle célèbre la beauté singulière des paysages nordiques dans son imposante suite des icebergs, qu’il entreprend au retour d’un voyage à l’île de Baffin et dont toutes les toiles, sauf une, traduisent le caractère extrême des lieux par l’utilisation exclusive du noir et du blanc."
De Riopelle, Micmac (1975), Piroche (quadriptyque de 1976), Iceberg n°3 (1977), Iceberg n°5 (1977)
De Mitchell, le quadriptyque Returned, de la série Canada (1975) et l'émouvant Quatuor II for Betsy Jolas (1976).
VERS LA RUPTURE 1978-1979
"Pendant les longues périodes d'absence de Riopelle, Mitchell vit en solitaire à Vétheuil, continuant à trouver le réconfort dans l'observation sans cesse renouvelée de la nature qui l'environne. Parmi ses sujets de prédilection figure le grand tilleul qui domine sa propriété et qui lui inspire un ensemble d’œuvres d'une ampleur et d'une puissance évocatrice comparable à celle de la suite des Icebergs de Riopelle."
La rupture définitive entre Mitchell et Riopelle intervient à la fin de 1979.
Joan Mitchell : When they were gone (1977) et deux toiles de la série Tilleul (1978)
Joan Mitchell, qui n'a jamais cessé de peindre malgré un état de santé précaire, meurt à Paris le 30 octobre 1992. En épilogue, l'exposition présente un diptique de 1992, qui appartient à une suite d’œuvres dont certaines s'intitulent Tree, probablement inspirées elles aussi par le majestueux tilleul de La Tour.
A l'annonce du décès de Joan Mitchell, Riopelle entreprend son monumental triptyque en 30 tableaux, L'Hommage à Rosa Luxemburg, qu'il réalise d'un seul élan et dont les signes et les codes relatent, comme en filigrane, sa rencontre avec son ancienne compagne. Il meurt au Québec le 12 mars 2002.
Terminons avec quelques vues des salles de l'exposition : vous avez jusqu'au 22 avril pour vous rendre à Landerneau si vous ne voulez pas la manquer...