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Charles Ray au Centre Pompidou

26 Février 2022 , Rédigé par japprendslechinois

Après notre visite à la Bourse de Commerce dans notre dernier billet, nous présentons l'autre volet de ce partenariat original entre les deux institutions. Le texte de présentation est assez différent de celui de l'autre exposition : 

Né en 1953 à Chicago et vivant aujourd'hui à Los Angeles, Charles Ray compte parmi les quelques artistes de sa génération qui ont infléchi durablement l'histoire de l'art récent. Très diverse, bien que restreinte en quantité, son œuvre procède dès l'origine, sans aucun a priori, de cette question : « Qu'est-ce qu'une sculpture ? » Pénétré d'une profonde connaissance de son art, depuis les statues archaïques grecques jusqu'aux créations de certains de ses contemporains, Charles Ray propose une large gamme de réponses. Paradoxe : l'instantanéité qui caractérise la rencontre avec ses œuvres n'a d'égale que la complexité de la conception et de la production de celles-ci. Selon une perspective inédite, la présente exposition offre un éclairage sur près de cinquante ans de carrière, depuis les débuts de l'artiste-performer en tant que sculpture vivante jusqu'à ses tout derniers travaux. L'exposition est marquée par divers moments culminants de ce qui constitue en définitive une refondation de l'art sculptural.

Comme pour l'exposition partenaire, nous essaierons de faire partager au lecteur le commentaire des organisateurs, qui souvent font s'exprimer  Charles Ray lui-même.

Au début de l'exposition, un grand espace contenant quatre œuvres : 

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

Portrait of the Artist's Mother, 2021
Papier fait main et gouache

Cette œuvre appartient à un ensemble récent de sculptures qui se caractérise par l'utilisation d'un matériau nouveau et peu courant pour des objets tridimensionnels de grande taille : le papier. Papier fabriqué à la main dans l'atelier de l'artiste, à la fois assez malléable et assez résistant pour permettre un rendu du détail des figures. Ce nu féminin plus grand que nature s'inscrit dans la tradition des Vénus allongées de la Renaissance et, plus près de nous, a de l'Olympia de Manet (1863, Paris, Musée d'Orsay).
Le titre fait référence à Arrangement en gris et noir n°1, dit aussi Portrait de la mère de l'artiste de Whistler (1871, Paris, Musée d'Orsay). Les larges fleurs peintes à la gouache évoquent le Flower Power de la fin des années 1960.
« Je suis sculpteur de métier, mais la nuit je dessine des fleurs afin de laisser libre cours à mon amour de la couleur. Comme des fleurs sauvages dans un pré, ces dessins viennent d'eux-mêmes. », écrit Charles Ray. Les fleurs flottent sur le corps de la femme sans aucune recherche d'un effet d'illusion. Les deux registres de figuration - sculpture et peinture - fonctionnent pour ainsi dire indépendamment.

Charles Ray au Centre Pompidou

Clothes Pile, 2020
Aluminum peint

L'intérêt de Charles Ray pour le thème du vêtement se manifeste dès ses débuts. Plusieurs de ses mannequins en témoignent également, ainsi que l'installation cinématographique Fashions (1996) qui montre un modèle féminin sur un socle rotatif. Chaque rotation s'accompagne d'un changement de tenue, toutes confectionnées par l'artiste lui-même. Important tout au long de l'histoire de la sculpture par les effets auxquels il donne lieu (drapés, plicatures), le vêtement est cependant très rarement traité de manière isolée. Clothes Pile l'envisage sur un mode résolument contemporain et quotidien : diverses pièces de costume abandonnées à même le sol et révélant encore l'empreinte du corps qui les a portées.

Self-Portrait, 1990
Fibre de verre peinte, vêtements, lunettes, cheveux, verre et métal

« Au cours de mes études, j'ai travaillé quelque temps comme gardien de nuit dans un grand magasin ; j'y étais environné de mannequins à la présence insistante. À l'exception d'une poignée d'employés disséminés dans tout le magasin, il n'y avait personne. Les mannequins étaient partout. Leur inquiétante étrangeté les rendait inintéressants à mes yeux. Mon idée initiale, dans laquelle il entrait une certaine stupéfaction, n'était que cela, une blague, un point de départ, une sorte de figuration bon marché – une zone intermédiaire entre réalité et fiction. Des mannequins qui prennent vie après la fermeture, qui sortent en ville et doivent rentrer au point du jour. Des vampires sans le sang. Des vampires de la culture. Je m'en suis servi comme d'une donnée culturelle, un lieu d'où édifier ma sculpture. Ce serait une erreur d'envisager tout cela comme un projet. »
 

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

Unpainted Sculpture, 1997
Fibre de verre peinte

« Unpainted Sculpture est née d'une recherche sur la nature des fantômes. J'ai étudié de nombreuses automobiles qui ont été impliquées dans des collisions mortelles. J'ai fini par choisir une voiture qui, selon moi, avait la présence de son conducteur décédé. Mon idée était de reproduire toutes les bosses, tous les froissements et tous les aspects de la destruction de la voiture en prenant des moules pièce par pièce. » Une fois la voiture parfaitement reproduite, pièce à pièce, le drame auquel elle est liée s'estompe. La pureté de la forme met à distance le chaos.

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

Autour de cette salle :

Eggs, 2006-2007
Chicken, 2007, acier inoxydable peint et porcelaine
Handheld Bird, 2006, acier inoxydable peint
Hand Holding Egg, 2007, porcelaine

« Chicken oppose deux forces. Celle du spectateur curieux qui regarde à l'intérieur, est confrontée à l'énergie du poussin sortant de l'oeuf. Et je pense que cela répond enfin à la question : Qui est venu en premier, l'oeuf ou la poule ? »
 

Charles Ray au Centre Pompidou

Plank Piece I and II, 1973
2 photographies en noir et blanc

« Certaines des sculptures-performances qui utilisent mon corps, comme Plank Piece I and II, me sont venues à l'idée parce que j'étais pleinement impliqué dans la confection de mes sculptures. [...] Si guidées par l'image qu'elles puissent paraître avec le recul, je les voyais à l'époque comme très formelles, une relation entre un corps, un mur et une planche, »
 

Charles Ray au Centre Pompidou

Future Fragment on a Solid Base, 2011
Aluminium

À l'origine de cette œuvre, une figurine de guerrier trouvée par terre, est dans un premier temps reproduite et agrandie par l'artiste. À grande échelle, la figurine apparaît à Charles Ray avec une musculature totalement fantasmée et féminisée. Ray choisit de n'en garder qu'un membre, la jambe, qui contient à elle seule l'esprit général de tout le corps. Placé sur son piedestal, le fragment se fait trouvaille archéologique que des générations futures auraient découverte et érigée comme témoin de notre civilisation.
 

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

Sur le passage vers l'autre grande salle, on retrouve un grand mannequin féminin, pendant de celui de l'autre exposition, au même titre :

Fall '91, 1992
Fibre de verre peinte, cheveux, vêtements, bijoux, verre et métal

« Ce n'est pas une médiocre sculpture de femme, mais une grande sculpture de mannequin ! Lorsqu'elle est bien installée, il peut se passer deux choses à l'approche du spectateur : ou le mannequin grandit, ou le spectateur rapetisse. La sculpture respecte toutes les proportions normales d'un mannequin. La seule convention modifiée, c'est l'échelle : la sculpture est 30% plus grande qu'un mannequin de magasin. À une certaine distance, la sculpture semble avoir la bonne taille. [...] L'espace lui-même devient un matériau dynamique, qui pénètre les éléments constituant l'oeuvre. La sculpture n'est pas posée dans l'espace, elle est faite d'espace, celui-ci étant une dynamique fluide dans laquelle baigne notre existence même. »

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

 À ses pieds,

Shoe Tie, 2012
Acier inoxydable

« Un matin, sur le chemin, alors que je refaisais mes lacets dans l'obscurité, je me disais que si un fantôme devait lacer sa chaussure, il n'aurait pas besoin d'avoir une chaussure. Je ne crois pas aux fantômes, mais la logique de cette idée m'est restée. Finalement, j'ai perçu ce geste comme une sculpture. »

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

Accrochées en deux endroits de l'expositions, deux œuvres dialoguent à distance :

Yes, 1990
Photographie en couleur, cadre de l'artiste, mur convexe

Cet autoportrait photographique grandeur nature, pris sous influence du LSD, est intégré dans un dispositif comprenant le cadre, le verre de protection et le mur du fond, tous convexes. Progressivement les formes semblent se déformer puis c'est l'espace de la salle qui semble « s'arrondir », comme si on le percevait sous l'influence de drogues hallucinogènes. Ce n'est que lorsque la vision périphérique fait le distinguo entre le mur incurvé et les murs droits qui le jouxtent qu'une compréhension du phénomène perceptif se fait. « Cette prise de conscience provoque le sentiment d'interrogation et de déstabilisation caractéristique des œuvres de Ray. »

No, 1992
Photographie couleur, cadre de l'artiste

« Lorsque l'on regarde attentivement la photographie, on a l'impression de voir Ray lui-même, soumis à un très mauvais maquillage, plutôt qu'un fac-similé inanimé de lui. Comme Ray l'a déclaré, Yes était hallucinatoire, et No était délirant. »  No est le pendant de Yes. De même format mais présentée dans un cadre droit, cette photographie est celle d'un mannequin fabriqué à l'image de l'artiste. Très réaliste mais sans vie, No dialogue avec Yes qui traduit un état subjectif extériorisé jusque dans son environnement.
 

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

Dans un grand espace délimité, deux œuvres :

Family Romance, 1993
Fibre de verre peinte et cheveux

Cette sculpture de groupe représente une famille en position frontale unifiée par les mains. Les quatre figures sont d'échelles différentes (agrandie pour les enfants et diminuée pour les parents) mais aux proportions correctes. La modification des tailles et la nudité introduisent une perturbation dans la compréhension des rapports entre les membres de cette famille type. Cette distorsion d'un modèle familial standard invite à de multiples spéculations, narratives, surréalistes, psychologiques, sociales, politiques, etc.

Charles Ray au Centre Pompidou

Hinoki, 2007
Bois de cyprès

« J'aperçus au bord de la Route 101, sur la Côte centrale, en Californie, un arbre à la renverse dans une prairie. L'attraction fut immédiate. J'étais fasciné non seulement par le tronc et son lent retour à la terre, mais aussi par la prairie qui servait de scène au déroulement de ce drame naturel. J'avais l'inspiration pour faire une sculpture mais bien que je fusse saisi par ce spectacle, j'ignorais dans quelle direction aller. Par où commencer un tel projet ? L'arbre était parfait là où il gisait. [...] C'est l'acte même de sculpter qui communiquerait à l'œuvre son souffle de vie, le manifesterait, le rendrait sensible. Mon choix s'est porté sur des ébénistes nippons parce qu'il existe au Japon une longue tradition de reproduction des œuvres qui ne peuvent être restaurées. [...] Quand je compris que le bois, comme l'arbre originel, avait sa vie propre, je me sentis autorisé à laisser l'œuvre trouver son chemin auprès du public et, je l'espère, insuffler un peu de vie autour d'elle. »

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

Au fond de la dernière salle :

School Play, 2014
Acier inoxydable

« School Play forme une trilogie fortuite avec The New Beetle et Boy with Frog. Les trois œuvres utilisent le même modèle, qui est le fils d'un ami. Les sculptures [...] tracent un parcours à travers les étapes de la vie de ce jeune garçon. Dans The New Beetle, il est absorbé dans le jeu tel que peut l'être un enfant. Boy with Frog le retrouve quelques années plus tard, plein de curiosité, confronté au concept d'altérité sous la forme d'une grenouille. » Comme souvent, Charles Ray crée des ponts entre les époques, les âges, les rôles, les situations et les états psychologiques. C'est toute une histoire qui se tisse entre les adultes et ce jeune élève costumé qui, avec son épée en plastique, prend la pose pour endosser sérieusement son rôle dans le spectacle de fin d'année.
 

 

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

Mime, 2014
Bois de cyprès

« Comme la Femme endormie, le personnage de Mime est également endormi, mais il dort dans un état plus léger. Son sommeil est délicat, et en tant qu'état d'être, il est similaire à l'acte de mimer. Mais son sommeil est-il une forme de mimétisme ou est-ce lui qui mime le sommeil ? Pour Charles Ray, les sculptures, depuis l'Antiquité, donnent à voir l'espace non représenté, invisible mais palpitant de vie. Entre l'espace du spectateur et celui de la sculpture se dessine une zone de partage où se mêlent le champ gravitationnel et le champ social.

Charles Ray au Centre Pompidou
Charles Ray au Centre Pompidou

How a Table Works, 1986
Acier, boîte en métal, thermos, gobelet en plastique, pot en terre cuite, plante synthétique, pot métallique peint

« Chaque table a sa propre logique. [...] Ce qui m'intéresse est la structure entre la table et les objets ou la relation entre la table et la nature morte. J'étais curieux de savoir comment les tables et les objets fonctionnent ensemble, alors j'ai clarifié la question en réalisant How a Table Works. » 
Par le choix minutieux des objets et le remplacement du plan de la table par des arêtes, Charles Ray cherche à créer une fluidité spatiale entre les objets et leur support.
 

Charles Ray au Centre Pompidou

Puzzle Bottle, 1995
Verre, bois peint, liège

« Je voulais que le propos de la sculpture soit l'espace à l'intérieur de la bouteille. Je voulais qu'il se passe quelque chose entre moi et la bouteille... [...] Il y a une relation entre la figure et la bouteille, c'est une forme d'équation. Si le personnage était plus grand, on aurait l'impression qu'il est né dans la bouteille. Plus petit, il serait un génie dans un paysage de bouteille. » Ces propos de Charles Ray font écho à une réflexion du sculpteur Alberto Giacometti qu'il cite souvent : « Quand je vous regarde, je suis contraint de décomposer. Je vois vos yeux, et ensuite votre menton, puis votre poitrine, votre ventre, vos genoux et ainsi de suite jusqu'aux pieds. Ce n'est que lorsque je m'éloigne, que j'ai traversé la pièce ou la cour, que je vous vois en entier, et à ce moment-là, je ne vois pas seulement votre personne, mais comme un grand pan d'espace qui vous encercle et vous comprime. »

Charles Ray au Centre Pompidou

Et en sortant de l'exposition, sur la terrasse du centre :

Huck and Jim, 2014
Fibre de verre peinte

Cette sculpture représente deux personnages d'un des plus célèbres romans américains, The Adventures of Huckleberry Finn de Mark Twain. Paru en 1884, le livre, dont l'action se situe une quarantaine d'années auparavant, raconte les péripéties de deux fugitifs qui descendent ensemble le Mississippi : Huck, un adolescent blanc fuyant un père tyrannique, et Jim, un homme noir tentant d'échapper à sa condition d'esclave. Au chapitre XIX, ils contemplent, allongés sur leur radeau, le ciel étoilé et en concluent que la lune a dû pondre les étoiles. Dans sa sculpture, Charles Ray imagine Huck courbé dans l'eau du fleuve en train de ramasser des œufs de grenouille. Jim étend sa main au-dessus de lui en un geste protecteur.

Charles Ray au Centre Pompidou
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Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

19 Février 2022 , Rédigé par japprendslechinois

Retournons à l'art contemporain avec le billet de cette semaine, consacré à l'exposition que consacre la Bourse de Commerce, du 16 février au 3 juin, au sculpteur américain Charles Ray. Elle est ainsi présentée :

Né en 1953 à Chicago, Charles Ray a largement contribué à redéfinir les questionnements sur le médium de la sculpture. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des artistes les plus marquants de la scène internationale. Son œuvre met en relation formes classiques familières et représentations contemporaines. Ancrée dans une profonde connaissance de l'histoire de l'art, elle saisit par la temporalité complexe qu'elle instaure avec les visiteurs.
Concentrée sur la dimension sculpturale de l'oeuvre de Charles Ray et plus particulièrement sur la figuration humaine, cette exposition présente sa recherche la plus actuelle et donne à voir ses réflexions sur les matériaux, ses interrogations autour de l'échelle de représentation, qui altèrent notre rapport à l'œuvre. Marbre, papier fait main, béton, acier inoxydable, aluminium, fibre de verre peinte : la pratique de l'artiste américain convoque aussi bien les techniques ancestrales du travail artisanal que celles de la technologie industrielle la plus innovante. Pour Charles Ray, le choix des matériaux est aussi essentiel que celui des formes. La précision et la complexité qui accompagnent la création de ses œuvres témoignent de sa force d'invention et de son engagement envers la sculpture.

Au rez-de-chaussée, juste après l'entrée,

Jeff, 2021
Marbre  204 x 104 x 124 cm, env. 1543 kg 


Prenant pour modèle un sans domicile fixe rencontré dans la rue, Charles Ray subvertit le genre du portrait assis, généralement réservé aux représentations de la justice et des divinités. Avec Jeff, il sculpte un anti-héros dont l'aspect abattu et défait contraste avec l'ampleur de la présence du personnage et l'expressivité de ses traits. Le choix du marbre -matériau des chefs-d'œuvre depuis la Rome antique- est utilisé pour faire ressentir la difficulté de la vie de son modèle, le poids de son existence coïncidant avec celui de la sculpture elle-même, dépassant la tonne. L'œuvre constitue également pour Charles Ray une façon contemporaine d'aborder la figure du Christ, « aussi humain que divin, tel qu'il m'était décrit lorsque j'étais enfant, mais que j'étais incapable de me figurer. »

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Dans la rotonde, sous la coupole, trois œuvres : 

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Unbaled Truck, 2021
Camion écrasé, 193 x 183 x 528 cm, 1044 kg 

Pour réaliser la sculpture Baled Truck (2013) en acier inoxydable, Charles Ray a fait compresser et scanner un camion. Ce même véhicule comprimé et compressé a ensuite été démantelé et «déballoté », reconfiguré et mis en forme pour créer la sculpture Unbaled Truck. L'œuvre fait référence à la première voiture de Charles Ray, qu'il a abandonnée un jour croyant être sur le point d'être enlevé par des extra-terrestres. L'artiste a reconstitué méticuleusement cet objet détruit avec la volonté utopique de lui redonner vie. L'oeuvre peut être interprétée comme une métaphore de la discipline elle-même : la sculpture ne consiste-t-elle pas en la recomposition lente et morcelée du réel? Unbaled Truck peut également incarner une utopie du 20° siècle, productiviste et consumériste, en lien avec l'histoire industrielle de l'Amérique.

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

The New Beetle, 2006
Acier inoxydable peint, 53 x 88 x 72 cm, 91 kg

Prenant pour modèle Abel, le fils du fondeur de Charles Ray, The New Beetle représente un garçon s'amusant avec sa petite voiture. Tout entier absorbé par son jouet - dont Charles Ray sculpte l'obsession en détaillant l'objet davantage que le garçon -, l'enfant rappelle par sa posture le Gaulois mourant antique autant que la sculpture baroque : la complexité de l'ensemble encourage le spectateur à en faire le tour pour en apprécier tous les détails. L'artiste utilise le jouet tenu par l'enfant pour créer un certain rapport à l'espace : posés à même le sol, sans socle ni mise à distance, le garçon et son jouet invitent le spectateur à s'intéresser à l'espace lui-même.
 

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Return to the One, 2020
Papier fait main, 151 x 160 x 141 cm, env. 4 kg 

Return to the One est un portrait de l'artiste qui le représente en situation d'attente, bien loin des stéréotypes du créateur génial. L'œuvre est en papier, fabriqué selon des techniques traditionnelles. L'artiste considère que cette oeuvre est un dessin. Plutôt qu'avec un stylo, un crayon ou un fusain appliqué sur le support plat du papier, c'est avec l'espace lui-même que l'image du personnage a été créée. Le titre fait référence au philosophe grec Plotin et à ses écrits sur la relation entre l'individu et le cosmos.
 

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Au deuxième étage, galerie 4 :

Boy with Frog, 2009
Acier inoxydable peint, 244 x 75 x 105 cm, 204 kg

Conçue par Charles Ray pour l'ouverture de la Punta della Dogana en 2009, Boy with Frog était destiné à être exposé dans l'espace public, à «devenir un citoyen », selon les mots de l'artiste. La monumentalité inattendue de l'œuvre altère profondément l'espace dans lequel elle s'inscrit. Son iconographie renvoie aux sculptures célèbres de l'Apollon sauroctone, nu, tendant son bras pour attraper un lézard, et au David de Donatello brandissant la tête de Goliath tandis que sa facture rappelle le Spinario du 5e siècle. Charles Ray interroge la dimension spatiale de la sculpture : «Le sens de la sculpture réside dans l'espace entre le garçon et la grenouille.» Absorbé par la contemplation de l'animal, l'enfant peut figurer une métaphore de l'existence -de l'apprentissage, de la découverte d'autrui - ou bien une parabole sur le rapport du spectateur à l'œuvre.

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Galerie 5 :

Study after Algardi, 2021
Papier fait main, 350 x 262 x 75 cm, 55 kg

Cette œuvre est inspirée d'un bronze du 17e siècle d'Alessandro Algardi, souvent nommé le Cristo Vivo, un exemple notable du style baroque où le corps du Christ est figuré avec beaucoup d'expressivité, de mouvement et de sensualité. Charles Ray en tire une réplique considérablement agrandie qui déréalise l'aspect naturaliste de l'originale. La légèreté de la composition, réalisée en papier fait main, accentue l'effet d'envol que semble accomplir le personnage. L'absence de croix amplifie l'impression de flottement dans l'espace, tandis que la blancheur du papier lui confère un caractère spectral, comme si Charles Ray parvenait à vider de sa substance l'une des représentations les plus chargées de l'histoire de la sculpture pour la transformer en pur travail spatial.

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Concrete Dwarf, 2021
Béton, 94 x 160 x 109 cm, env. 114 kg

Cette œuvre s'inscrit dans les recherches de Charles Ray sur la représentation sculptée du sommeil. La posture du personnage peut rappeler les types antiques de l'Éros endormi, comme de l'Hermaphrodite du musée du Louvre ou encore la posture du Christ endormi. Les vêtements du personnage, son t-shirt, son jean et ses baskets hautes le placent cependant dans une contemporanéité évidente. Chez Charles Ray, tout un chacun peut devenir le sujet d'une sculpture monumentale. La posture et la lourdeur de Concrete Dwarf éveillent un doute: l'homme est-il endormi ou mort?

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
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Doubting Thomas, 2021
Fibre de verre peinte, 202 x 119 x 55 cm, env. 82 kg

L'œuvre se réfère à l'épisode biblique de l'incrédulité de l'apôtre Thomas face à la résurrection du Christ. Dubitatif, il demande à voir ses plaies et même à introduire son doigt dans la blessure laissée à son côté par la lance de Longin. Ce duo sculpté est l'occasion pour Charles Ray de créer une « armature » par le vide laissé entre les personnages : Thomas désigne davantage la blessure, et donc l'espace qui le sépare du Christ, qu'il ne cherche à pénétrer sa chair. Le bras levé du Christ, le doigt tendu de Thomas, le regard focalisé sur la plaie sont autant de liaisons visuelles qui confèrent à l'ensemble un grand dynamisme. Métaphore de la sculpture et de son inscription dans l'espace, Doubting Thomas renvoie à la relation entre le regardeur et la sculpture : nous regardons Thomas désigner le Christ, qui, lui, s'offre à nous.

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
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Galerie 6 :

Fall '91, 1992
Fibre de verre peinte, cheveux, vêtements, bijoux, verre et métal, 244 x 66 x 91 cm

« Fall ’91 est-il la sculpture d’une grande dame ou d’un grand mannequin de vitrine ? Vu depuis le fond de la pièce, les proportions de l’œuvre semblent normales. Lorsque vous vous approchez, elle grandit, ou vous rétrécissez. Cela dépend de votre psychologie. La sculpture est fidèle aux conventions de l’idéalisation du mannequin de vitrine. Elle ne fait que d’enfreindre la convention de l’échelle.

Un mannequin ne peut jamais avoir de sourire. Son regard est peint vers l’extérieur afin de ne jamais avoir de contact visuel avec le consommateur. Un mannequin moderne n’est pas inquiétant. Il n’a ni âme, ni dimension intérieure. Le mannequin moderne a été conçu pour que le consommateur puisse se projeter dans les vêtements qu’il porte. Une fonction différente de la sculpture classique, mais néanmoins une idéalisation. Le mannequin recèle un secret de la figuration contemporaine. Nous sexualisons ce avec quoi nous ne pouvons pas coucher. »

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
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Tabletop, 1988
Bois, assiette en céramique, conteneur en métal, bol en plastique, gobelet en plastique, shaker en aluminium, pot en argile, plante, moteur

« Tabletop n’est pas une nature morte car la table est aussi importante que les objets sur sa surface. Regardez sous la table : est-ce une bombe ? Les objets sur sa surface tournent à différents rythmes et à des vitesses presque imperceptibles.

Les objets et leurs vitesses sont des événements qui existent dans des domaines temporels distincts. Le temps et la vision sont tous deux hallucinogènes. Le son pourrait l'être aussi mais l'artiste est né dépourvu de l’oreille musicale. »

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
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et dans un coin dérobé protégé de la vue des enfants,

Oh! Charley, Charley, Charley..., 1992
Fibre de verre peinte et cheveux, 183 x 457 x 457 cm

« Réflexion sur le désir, au travers duquel l'autre n'est finalement qu'une projection de soi-même», cette sculpture présente huit répliques grandeur nature de l'artiste engagées dans ce qui s'apparente à une orgie, les corps restant cependant éloignés de toute action sexuelle, enfermés dans une forme de solitude physique. Cette oeuvre charnière marque la fin de l'intérêt de Charles Ray pour les mannequins et le début de son travail autour d'une figuration à l'échelle 1. Au-delà de son caractère provocant, elle mobilise plusieurs références artistiques - des Bourgeois de Calais d'Auguste Rodin pour le rapport à l'espace du groupe sculpté au Baiser de Constantin Brancusi constitué d'un seul bloc sculpté duquel émergent deux amoureux fusionnels. L'œuvre explore aussi l'histoire de la sculpture contemporaine, reprenant du minimalisme la façon de s'inscrire dans l'espace et de modifier la perception d'un lieu, et s'emparant des habitudes pop de présenter des images immédiatement percutantes.

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Galerie 7 :

Girl on Pony, 2015
Aluminium, 213 x 152 x 9 cm, 224 kg

Girl on Pony figure une jeune fille - la filleule de l'artiste - chevauchant son poney, lequel demeure pour l'essentiel hors cadre. Si les vêtements et les accessoires de la cavalière renvoient à notre monde contemporain, la technique du bas-relief et la position de profil rappellent les sarcophages grecs. L'image familière d'une jeune fille s'adonnant à sa passion prend alors une portée funéraire et sacrée. Le relatif effacement du cheval comme de celui des traits de la jeune fille contrastent avec le soin apporté aux détails des harnachements et des vêtements. Comme souvent chez Charles Ray, la différence de traitement de chaque détail aiguise l'engagement perceptif du spectateur. L'œuvre peut faire l'objet de lectures spatiales différentes, quand bien même l'image se déploie presque entièrement en deux dimensions.

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Sleeping Woman, 2012
Acier inoxydable, 90 x 113 x 127 cm, 2620 kg

Cette sculpture est inspirée par une sans-abri dormant sur un banc. Son poids - près de 3 tonnes - et sa dimension - légèrement supérieure à l'échelle humaine - donnent à Sleeping Woman un caractère « géologique ». Selon l'artiste, la matérialité de la sculpture transmet au spectateur le poids du sommeil de la femme. En prenant pour modèle une personne qu'il a vue dans la rue, Charles Ray poursuit son renouvellement des sujets sculptés. Les figures monumentales représentent le pouvoir et la précarité sociale. Cette œuvre a demandé plusieurs années de travail à l'artiste; l'impression d'éternité qui se dégage du personnage résonne avec la complexité de sa fabrication.

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Burger, 2021
Fibre de verre peinte, 224 x 104 x 103 cm, 54 kg

Cette œuvre montre autant un personnage que l'attention que celui-ci porte à l'objet qu'il tient entre ses mains : ce dernier semble d'ailleurs détaillé différemment de la figure humaine. A nouveau, Charles Rav modèle l'espace en créant une relation entre deux objets. Légèrement surdimensionnés, le personnage et son repas mettent en jeu des questions de densité et de présence physique. L'artiste poursuit également son exploration de la culture populaire américaine en réinterprétant un moment iconique du monde actuel, comme un reflet contemporain de l'oeuvre d'Auguste Rodin, Le Penseur (1880).

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Tractor, 2003
Aluminium, 144 x 306 x 155 cm, 885 kg

Reconstitution pièce par pièce d'un tracteur, cette œuvre est autant une réflexion sur le geste du sculpteur, recomposant le réel à partir de morceaux de matières, qu'une évocation de l'enfance de l'artiste et du souvenir d'avoir joué avec un tracteur abandonné. Le rendu en aluminium fait osciller le véhicule entre différents états: témoignage de l'Amérique rurale, évocation des jeux de l'enfance, indice du temps qui passe et qui excède la temporalité humaine. Surtout, par l'assemblage de toutes les parties, réalisées par les différents assistants et unifiées en un seul objet, Tractor apparaît comme une interrogation conceptuelle de la sculpture elle-même. Charles Ray l'envisage comme une « ruine », un objet « transparent », « philosophique », que l'on peut traverser par le regard et démonter mentalement.

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Young Man, 2012
Acier inoxydable, 180 x 53 x 34 cm, 658 kg

Suivant le thème grec du kouros - l'homme nu représenté en appui sur une jambe - Young Man a pour modèle le sculpteur Ry Rocklen, un ami de Charles Ray. Young Man évoque l'histoire de la représentation de la nudité masculine à travers l'usage du contrapposto et la notion de corps en mouvement. Loin de présenter un type idéalisé, musculeux et symétrique, la sculpture rend davantage compte de la normalité du modèle. Le corps de l'homme est représenté avec toutes ses particularités, le rendant si individualisé, si proche de nous. L'aspect métallisé de l'acier inoxydable crée une sorte de tension visuelle qui perturbe sans cesse notre regard par le jeu de déformations lumineuses et rapproche le personnage d'une forme d'abstraction.
 

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Sur le parvis du bâtiment, une autre sculpture monumentale :

Horse and rider, 2014
Acier inoxydable, 278 x 102 x 269 cm

Horse and rider reprend la figure classique de la statue équestre, dans la lignée des célèbres statues de Marc-Aurèle à Rome, des chefs de guerre Gattamelata ou Colleone en Italie ou de Louis XIV à Paris. L'œuvre subvertit ici les notions de pouvoir, d'assurance et de virilité habituellement convoquées par le genre. La représentation altière et en mouvement d'un homme ou d'une femme illustre laisse place à la figure de l'artiste vouté, la main suspendue, sans rênes pour diriger sa monture à l'arrêt: « Je ne suis pas un cavalier et le cheval le sait. J'ai tenté de sculpter ma nervosité ainsi que celle du cheval ».

Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection
Charles Ray - Bourse de Commerce Pinault Collection

Il ne nous reste plus qu'à nous traverser le forum des Halles pour nous rendre au Centre Pompidou, à quelques centaines de mètres, pour vous présenter l'autre exposition que celui-ci consacre à Charles Ray, dans un partenariat public-privé inédit. Ce sera l'objet d'un prochain billet.

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Julie Manet - La mémoire impressionniste

12 Février 2022 , Rédigé par japprendslechinois

Intéressante exposition au musée Marmottan-Monet, hommage non pas tant à une peintre - même si quelques tableaux d'elle sont présentés à cette occasion - qu'à une personne au cœur du mouvement impressionniste.

Née en 1878, Julie Manet est le seul enfant de Berthe Morisot (nos billets du 27 juillet 2019 et du 3 août 2019) et d'Eugène Manet, le frère cadet d'Édouard Manet. Elle posa tout au long de sa vie pour sa mère et pour d'autres peintres impressionnistes. Stéphane Mallarmé fut son tuteur après le décès de son père en 1892. Elle épousa en 1900 Ernest Rouart, peintre et fils du peintre Henri Rouart. Lors de la même cérémonie, sa cousine Jeannie Gobillard épousa Paul Valéry.

Avec son mari, elle s'engagea à défendre et à faire reconnaître les œuvres des impressionnistes. Au cours des années 1930, le couple va promouvoir ceux-ci en célébrant les centenaires des peintres impressionnistes à travers des expositions monographiques, aidés par leur proximité avec Paul Jamot, conservateur honoraire du Louvre. Elle consacra aussi sa vie à faire reconnaître l'art de sa mère, Berthe Morisot et publiera le tout premier catalogue raisonné des œuvres de cette dernière.

A l'entrée de l'exposition, deux toiles de son mari Ernest Rouart (1874-1942) :
Portrait de Julie Manet (non daté)
L'Heure du thé ou Mme Ernest Rouart et ses trois fils Julien, Clément et Denis, vers 1913.

 

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

Une enfant modèle

-modèle pour sa mère Berthe Morisot (1841-1895) :

Eugène Manet et sa fille dans le jardin de Bougival, huile sur toile, 1881
Petite fille assise dans l'herbe, aquarelle sur papier, 1882
Au bord du lac, huile sur toile, 1883
 

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

Fillette au jersey bleu, pastel sur toile, 1886
Julie Manet et sa levrette Laërtes, huile sur toile, 1893
Julie rêveuse, huile sur toile, 1894

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

-modèle pour Pierre Auguste Renoir (1841-1919) :

Julie Manet ou L'Enfant au chat, huile sur toile, 1887
Berthe Morisot et sa fille Julie, pastel et fusain sur papier collé sur carton, 1894
Portrait de Julie Manet, huile sur toile, 1894

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

Stéphane Mallarmé, un poète pour tuteur

C'est tout d'abord avec l'oncle de Julie, Édouard Manet, que le poète symboliste Stéphane Mallarmé (1842-1898) se lie d'amitié. L'admiration des deux hommes est sincère ; ils collaborent à l'édition du poème de l’Américain Edgar Allan Poe Le Corbeau traduit par Mallarmé et illustré par Manet en 1875. Comme pour beaucoup de ses amis, Manet offre au poète son portrait pour lequel il pose en 1876. A la mort du peintre, en 1883, Mallarmé se rapproche de la mère de Julie. Dès 1888, ses parents déclarent l'homme de lettres tuteur de Julie, une fonction qu'il occupe à la mort d'Eugène Manet, en 1892. C'est à cette période que Berthe Morisot peint sa fille en robe de deuil, accompagnée du lévrier Laërtes, cadeau de son tuteur. Marqué par le dernier portrait que Berthe fait de sa fille, une toile inachevée mais dont se dégage une présence étonnamment forte, Mallarmé compose un quatrain qui donne son titre au tableau Julie Manet au chapeau liberty. Habituée depuis son enfance à séjourner auprès du poète à Valvins, non loin de Fontainebleau, Julie continue d'y être reçue à la mort de sa mère. Elle est désormais accompagnée de ses cousines, Paule et Jeannie Gobillard, un trio que le poète surnomme sans tarder «l'escadron volant» en raison de ses nombreux voyages.

Édouard Manet (1832-1883) : Stéphane Mallarmé, huile sur toile, 1876
Berthe Morisot : La Seine à Valvins, huile sur toile, 1893
Julie Manet au chapeau liberty, huile sur toile, 1895

«Le rire prompt à se taire
Dont votre air grave est diverti
L'ombrage d'un autre mystère
Que le seul chapeau Liberty»

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

L'Escadron volant  1895-1900

Berthe Morisot et sa sœur Yves Gobillard (1838-1893) ont élevé leurs filles comme des sœurs. L'aînée, Paule Gobillard (1867-1946), est particulièrement proche de sa tante. Comme l'impressionniste, elle deviendra peintre après avoir été son élève. C'est à ce titre que Paule pose le pinceau à la main dans le salon-atelier de Berthe Morisot à vingt ans. Elle suivra ensuite les conseils de Renoir qui fait son portrait à la sanguine au tournant du siècle. Sa sœur Jeannie Gobillard (1877-1970), de dix ans sa cadette, voit le jour à Paris, dans l'appartement de sa tante Berthe Morisot, quelques mois avant Julie. Après le décès de leurs parents, les orphelines emménagent au quatrième étage d'un immeuble construit par les parents de Julie au 40, rue de Villejust (actuelle rue Paul-Valéry) dans le XVI° arrondissement. Paule veille sur les plus jeunes, elle est l'interlocutrice du tuteur Mallarmé qui lui décerne le titre de «demoiselle Patronne »,
Entre 1895 et 1900, «l'escadron volant» - comme le surnomme le poète - partage son temps entre Paris et la province où il visite ses proches. C'est à l'occasion d'une de leurs nombreuses visites à Renoir que Julie et Jeannie posent pour Le Chapeau épinglé. C'est aussi à cette période que Julie pratique la peinture avec le plus d'assiduité sous le regard bienveillant de Renoir. Le double portrait de ses sœurs-cousines présenté dans cette section est sans aucun doute l'une de ses toiles les plus ambitieuses et les plus accomplies.

Berthe Morisot : Paule Gobillard peignant, huile sur toile, 1886
Pierre Auguste Renoir : Portrait de Paule Gobillard, sanguine sur papier, non daté - Le Chapeau épinglé, lithographie en sept couleurs sur papier vergé, 1898
Julie Manet : Portraits de Jeannie au piano et Paule l'écoutant, huile sur toile, 1899

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

Mariage au Louvre


Chez les Manet, le Louvre est le lieu de toutes les rencontres et de tous les apprentissages. Dans ces familles où l'on grandit un crayon à la main, la copie d'après les maîtres est un passage obligé. Le Louvre, un incontournable. Édouard Manet le premier y fait ses gammes, copie La Vierge au lapin et Jupiter et Antiope du Titien. Vient ensuite Berthe Morisot qui travaille d'après Véronèse. C'est à l'occasion d'une de ses séances qu'elle est présentée en 1869 au déjà célèbre Manet pour lequel elle pose à de multiples reprises. Berthe Morisot étendue est peint peu avant qu'elle n'épouse le frère de l'artiste, Eugène Manet.
Entre Julie Manet et Ernest Rouart, l'histoire se répète. Julie étant inscrite au Louvre comme copiste, Edgar Degas y orchestre, en 1897, une rencontre avec son élève qui a posé son chevalet devant Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu de Mantegna. Le maître fait les présentations, Ernest qui est le fils du grand collectionneur Henri Rouart reste coi. Pour autant, l'entourage de Julie et d'Ernest est unanime et voit dans cet épisode le début de leur idylle. Leur mariage est célébré le 31 mai 1900. Julie pose dorénavant pour son mari. Ernest l'immortalise le pinceau à la main, érigeant son épouse au rang d'alter ego.

Édouard Manet :
Vierge au lapin (d'après Titien), huile sur toile, 1854
Jupiter et Antiope (d'après Titien), huile sur toile, 1856
Berthe Morisot étendue, huile sur toile, 1873

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

Ernest Rouart : 
Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu (d'après Mantegna), huile sur toile, 1897
Portrait de Julie Manet peignant, huile sur toile, 1905
Edgar Degas (1834-1917) : Rue du village de Saint-Valéry-sur-Somme, huile sur toile, vers 1896-1898

Ernest Rouart et Julie Manet sont tous deux très liés à Degas qu'ils considèrent comme un membre de leur famille. Le jeune couple commence son voyage de noces à Saint-Valéry-sur-Somme, villégiature des Degas depuis 1857, où le peintre a réalisé certains de ses rares paysages.
 

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

La dernière des Manet

À la fin du XVIII° siècle, l'arrière-grand-père de Julie, Clément Manet (1764-1814), s'installe à Gennevilliers dont il est le premier maire. L'homme acquiert d'importants terrains dans la ville au point qu'on dit qu'il en est le propriétaire. Ce patrimoine foncier est d'abord partagé entre ses quatre enfants. Leurs lignées s'éteignant peu à peu, Julie est, en 1894, la dernière descendante directe. Elle hérite à ce titre de l'ensemble du patrimoine réuni par Clément que se partagent alors deux branches, la branche De Jouy de son parrain et la branche Manet dont Julie est issue. La veuve d'Edouard Manet, sa tante Suzanne Leenhoff (1829-1906), n'ayant hérité que de dettes, l'ensemble du patrimoine foncier de la branche paternelle revient à Julie, apportant à cette dernière une aisance financière que ni ses parents, ni ses oncles et ses cousins n'auront jamais connue. Julie reste proche de sa tante Suzanne. Cette dernière lui offre régulièrement croquis et dessins en mémoire de son oncle. Toutefois, les idées des deux femmes divergent quant à la gestion de l'oeuvre de Manet, ce qui est source de tensions. Les décisions de l'une choquent l'autre ; Julie s'insurge lorsqu'elle apprend que sa tante a confirmé l'authenticité de tableaux de Manet laissés inachevés mais retouchés par d'autres, comme elle l'affirme à propos des Baigneuses.

Édouard Manet : Baigneuses en Seine, huile sur toile, vers 1874-1876

En 1899, Julie constate que plusieurs Manet douteux circulent sur le marché. La nièce du peintre s'insurge lorsqu'elle découvre Baigneuses en Seine, l'imposante esquisse d'une femme à trois jambes dont l'une a été dissimulée sous un repeint. Julie envisage d'intenter un procès et dénonce l'intervention de faussaires. Son action contribue à juguler ces pratiques, incitant les générations suivantes à restaurer les œuvres dénaturées. Ainsi, les Baigneuses ici présentées ont-elles retrouvé leur état initial.

Portrait de Madame Manet ou La Femme au chat, huile sur toile, vers 1880

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

L'Enfant aux cerises, huile sur toile, 1858
À la mort de Manet en 1883, ce tableau revient à son frère, Eugène. L'œuvre est présentée à l'exposition Manet de 1884 où elle fait sensation. Ce succès ne dissuade pas Berthe Morisot de s'en séparer sur-le-champ : « Je suis en pourparlers pour vendre mon Enfant aux cerises d'Édouard. C'est une chose relativement médiocre mais qui a eu un énorme succès », écrit-elle. C'est plus vraisemblablement la fin tragique de l'enfant-modèle qui est à l'origine de cette décision. Ce garçon mélancolique se pendit dans l'atelier de Manet en 1860. C'est sans doute pour éloigner autant que possible ce souvenir insoutenable que ce tableau ne fut jamais accroché rue de Villejust.

Monsieur et Madame Auguste Manet, huile sur toile, 1860
Portrait de Berthe Morisot à l'éventail, huile sur toile, 1874

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

Julie Manet, Berthe Morisot et les musées

L'intérieur de Julie Manet regorge de Berthe Morisot. Peintures, aquarelles et dessins de l'impressionniste envahissent l'espace. Julie est bien la pieuse gardienne de l'œuvre de sa mère. Elle ne s'arrête pas là et entend également en assurer la promotion. Telle est la mission qu'elle s'assigne, telle sera l'œuvre de Julie. L'entreprise implique de montrer et de faire circuler la peinture, comme le lui a expliqué Renoir. C'est dans ce seul but que Julie se sépare de certaines œuvres. Renoir l'y aide. C'est par son biais et celui de son cercle que le musée de Lyon acquiert la petite Niçoise, en 1907. La reconnaissance de Morisot passant nécessairement par le musée, Julie entreprend, la même année, une campagne de dons. Elle s'appuie sur ses proches et leur entregent. Ernest s'engage sans compter auprès de son épouse. Il est le premier à intervenir auprès du directeur du musée de Pau qu'il connaît par Degas pour offrir Pasie cousant dans le jardin à Bougival. Le beau-frère de Julie, Eugène Rouart, établi dans le Sud-Ouest, plaide auprès du conservateur du musée de Toulouse qui accepte Sur le banc. À Paris, l'oncle d'Ernest, Alexis, facilite l'entrée de La Fleur aux cheveux au musée du Petit Palais. Les Valéry ne sont pas en reste. Ainsi le frère de Paul, Jules, intercède-t-il auprès du conservateur du musée de Montpellier, la ville où il réside, afin que L'Été en rejoigne les collections permanentes.

Berthe Morisot :
Paysanne niçoise, huile sur toile, 1889
Pasie cousant dans le jardin à Bougival, huile sur toile, 1889
Sur le banc, huile sur toile, 1893
Jeune fille en décolleté, la fleur aux cheveux, huile sur toile, 1893
L'Été, huile sur toile, 1879

 

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
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Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

M. et Mme Ernest Rouart, Collectionneurs et donateurs

En 1912, l'extraordinaire collection du beau-père de Julie, Henri Rouart (1833-1912), est dispersée aux enchères. Ernest, son époux, rachète autant d'œuvres que possible et consacre quarante pour cent de son héritage à ces acquisitions. Entrent ainsi rue de Villejust une vingtaine de toiles et dessins, qui sont autant de témoignages de la passion pour l'art qui unit Ernest et Julie et donne un sens à leur vie. Certaines de ces toiles sont présentées dans cette section, voisinant avec des œuvres appartenant à Julie.
Julie et Ernest œuvrent également au titre de donateurs. À l'issue de la vente Henri Rouart, ses enfants offrent au Louvre des pièces majeures, tel Crispin et Scapin d'Honoré Daumier, et contribuent à l'acquisition de La Dame en bleu de Corot. Considérant avec Ernest l'art comme un patrimoine commun, Julie procède elle aussi à plusieurs dons. La spectaculaire Dame aux éventails de Manet entre au Louvre en 1930, en mémoire de sa mère, Berthe Morisot.

Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) :

La Dame en bleu, huile sur toile, 1874
Le Bois sur la côte de Grâce à Honfleur, huile sur toile, vers 1830
Volterra, route descendant de la ville, huile sur toile, vers 1834
La Source, huile sur toile, vers 1850-1855
Tivoli. Les jardins de la villa d'Este, huile sur toile, 1843

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

Eugène Delacroix (1798-1863) : Autoportrait, huile sur toile, 1830-35
Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) : Bergers dans un paysage, huile sur toile, vers 1765
Hubert Robert (1733-1808) : Vue du Louvre. Les jardins de l'Infante, huile sur toile, 1798
Johan Berthold Jongkind (1819-1891) : Un canal près de Rotterdam, huile sur toile, 1857

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

Un accrochage "dense", à la manière d'un cabinet de curiosités, où le lecteur avisé saura reconnaître des dessins et aquarelles d'Édouard Manet, Daumier, Degas, Gauguin, Renoir, Odilon Redon, Puvis de Chavannes.

Julie Manet - La mémoire impressionniste

Claude Monet (1840-1926) : Les Villas à Bordighera, huile sur toile, 1884

Julie Manet - La mémoire impressionniste

Honoré Daumier (1808-1879) : Crispin et Scapin, huile sur toile, vers 1864

Julie Manet - La mémoire impressionniste

Édouard Manet : La Dame aux éventails, huile sur toile, 1865

Julie Manet - La mémoire impressionniste

En guise de transition avec la deuxième partie de l'exposition, qui permet de mieux connaître le personnage de Julie Manet, cet accrochage avec, au centre une toile d'Ernest Rouart Au Mesnil, Julie Manet écrivant, non datée, entourée de toiles de Julie Manet Yves tenant un livre (vers 1941), Jean-Michel au col Pierrot (vers 1935), Françoise bébé (vers 1942)

Julie Manet - La mémoire impressionniste

Au premier étage du musée, dans la deuxième partie de l'exposition,, des photos de famille comme celle du double mariage, le 31 mai 1900, de Julie Manet avec Ernest Rouart (à gauche) et de sa cousine Jeannie Gobillard avec Paul Valéry (à droite)

Julie Manet - La mémoire impressionniste

Paule Gobillard : Le château du Mesnil

En1891, Berthe Morisot acquiert à Juziers (Yvelines) le château du Mesnil. Son époux décédant l'année suivante, elle se détourne du lieu. « Je m'y sens mortellement triste et ai hâte d'en sortir. » À l'été 1892, Berthe y fait un bref passage afin de mettre la maison en état et la louer au plus vite. Elle n'envisage pas de la vendre ayant « une entière satisfaction à penser que Julie en jouira et la peuplera d'enfants ». L'histoire lui donnera raison. Alors que le château est encore loué, Julie fait visiter les lieux à Ernest trois mois après leurs fiançailles, le 22 avril 1900. Le Mesnil sera leur maison. Un lieu qu'ils ne cesseront d'embellir et d'entretenir, un havre pour les familles Rouart-Manet et Valéry-Gobillard.

Julie Manet - La mémoire impressionniste

Un certain nombre d'œuvres de Julie Manet, certaines où l'on sent l'influence de sa mère Berthe Morisot :

Portrait de Paule Gobillard, huile sur toile, vers 1894
Femme et fillette au bord du lac, huile sur toile, 1893-1894
Martha en robe de velours vert, huile sur toile, 1894 et Jeune fille au chien, huile sur toile, 1898

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

D'autres où l'influence de Renoir est plus marquée, comme ce Portrait de Jeanne Baudot, Femme devant la cheminée, Avant le Bal et La cueillette du pêcher.

Julie Manet - La mémoire impressionniste
Julie Manet - La mémoire impressionniste

Terminons sur des œuvres de Berthe Morisot, qui font partie des collections permanentes du musée Marmottan et avaient bien sûr également leur place dans cette très belle exposition.

Pomme coupée et pichet, huile sur toile, 1876
Cygnes, pastel sur papier, 1885
Au Bois de Boulogne,  huile sur toile, 1893
Sous-bois en automne, huile sur toile, 1894

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Julie Manet - La mémoire impressionniste
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Signac collectionneur (2/2)

5 Février 2022 , Rédigé par japprendslechinois

Nous terminons la visite de l'exposition du musée d'Orsay "Signac collectionneur", que nous avions débutée dans notre précédent billet.

Les « néo »

Signac aime s'entourer de « toiles amies » et les peintres néo-impressionnistes sont très logiquement au coeur de sa collection. Théo Van Rysselberghe, qui a longtemps été un de ses camarades de lutte les plus proches, lui offre l'admirable portrait En mer, portrait de Paul Signac. En 1887, l'achat de L'Homme à sa toilette signe le début de son amitié avec Maximilien Luce. Celui-ci adopte dès lors la touche divisée à laquelle il renonce dans les années 1890 pour une facture plus libre. Charles Angrand compte lui aussi parmi les premiers représentants du cercle « néo ». Mais s'il dessine admirablement, il peint peu, au grand regret de Signac. Henri-Edmond Cross entre dans le cercle néo-impressionniste relativement tard, en 1891, et se lie d'une étroite amitié avec Signac. Les deux peintres échangent des tableaux et se voient régulièrement dans le Midi où Cross accompagne la réflexion théorique de Signac sur la couleur. À partir de 1895, leurs touches s'élargissent dans un usage de la couleur libre et audacieux. Après la mort de Cross en 1910, Signac continue d'acquérir ses toiles. Parmi les peintres de la seconde génération néo-impressionniste, Signac apprécie beaucoup l'art de son amie et élève Lucie Cousturier.

Charles Angrand (1854-1926) :

La Grange sous la neige, crayon Conté sur papier, 1895
Lapins, soleil levant, crayon Conté sur papier, 1905
Le mouton rouspéteur, crayon Conté sur papier, 1908-1910
Au Champ, huile sur toile, 1906

Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)

Plusieurs toiles de Maximilien Luce (1858-1941), peintre anarchiste que nous avions découvert dans notre billet du 9 novembre 2019 consacré à Félix Fénéon. Politiquement et artistiquement proche de Signac, il entretiendra avec lui une longue amitié.

L'Homme à sa toilette, huile sur toile, 1887
Le Café, huile sur toile, 1892
L'Échafaudage dit aussi Le Drapeau rouge, étude pour l'affiche La Bataille Syndicaliste, huile sur papier marouflé sur toile, 1910

 

Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)

Saint-Tropez, dit aussi Pins au bord de la mer, huile sur carton en forme d'éventail, vers 1890
Le Louvre et le Pont Neuf la nuit, huile et gouache sur papier en forme d'éventail, vers 1891
Nature morte, buisson de fleurs, huile sur toile, non daté

Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)

et toujours de Maximilien Luce, des portraits :

Portrait de Paul Signac, huile sur bois, 1889
Portrait d'Henri-Edmond Cross, étude pour Henri-Edmond Cross, huile sur carton, vers 1898
Portrait de Lucie Cousturier, huile sur carton, vers 1903

Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)

Théo Van Rysselberghe (1862-1926)

Les deux peintres se lient d'amitié en 1887, lors de la présentation à Bruxelles de Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte de Seurat. Van Rysselberghe adopte la touche divisée l'année suivante et défend dès lors avec brio le néo-impressionnisme en Belgique. En 1892, il navigue avec Signac, qu'il quitte à Sète, peu avant l'arrivée à Saint-Tropez. En 1896, il lui offre, en souvenir de cette expédition, le portrait du «captain» Signac, maître à bord d'Olympia et chef de file des néos.

En mer, portrait de Paul Signac, dit aussi Paul Signac à la barre de son bateau l'Olympia, huile sur toile, 1896
Étude pour En mer, portrait de Paul Signac, sanguine, 1896
L'Homme à la barre (Yves Priol, marin de Paul SIgnac), huile sur toile, 1892
Portrait de Berthe Signac, huile sur toile, vers 1900-1902
 

Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)

Un peu perdues dans cette section, deux femmes : la peintre belge Juliette Combier (1879-1963), élève de Maurice Denis, Sérusier, Vuillard : Ma cheminée, huile sur toile, 1917

Signac collectionneur (2/2)

et Lucie Cousturier (1876-1925), élève de SIgnac et Henri-Edmond Cross :

Nature morte fruits, huile sur toile, vers 1903
Nature morte fleurs, huile sur toile, vers 1900-1910

Signac collectionneur (2/2)
Signac collectionneur (2/2)

Terminons cette section avec Henri-Edmond Cross (1856-1910), dont l'exposition présente de nombreuses toiles, à commencer par :

Blanchisseuses en Provence, huile sur toile, vers 1885-1889 

Cross adopte la touche divisée en 1891 et refuse dès lors de montrer ses œuvres de jeunesse. La plupart ont disparu, à l'exception d'un ensemble de portraits de famille et de rares scènes de plein-air comme Blanchisseuses en Provence qui témoigne de l'intérêt précoce de Cross pour la lumière du Midi. On ne sait dans quelles circonstances ses amis Signac et Ker-Xavier Roussel entrent en possession de l'œuvre, mais c'est afin d'honorer la mémoire de Cross qu'ils l'offrent au musée des Arts décoratifs en 1929.

Signac collectionneur (2/2)

La Ferme (soir), vers mai 1892 - avant mars 1893

Signac collectionneur (2/2)

Baigneuses, dit aussi La Joyeuse Baignade, huile sur toile, 1899; repris et modifié fin 1902

Signac collectionneur (2/2)

La Plage de Saint-Clair, huile sur toile, 1901

Signac collectionneur (2/2)

Côte provençale, le four des Maures, huile sur toile, juin 1906 - février 1907

Signac collectionneur (2/2)

Le Naufrage, huile sur toile, juin 1906 - février 1907

Signac collectionneur (2/2)

Toulon, matinée d'hiver, huile sur toile, décembre 1906 - avril 1907

Signac collectionneur (2/2)

Avant l'orage (La Baigneuse), huile sur toile, novembre 1907 - janvier 1908

Signac collectionneur (2/2)

Rivière de Saint-Clair, huile sur toile, mars-mai 1908

Signac collectionneur (2/2)

Les surprises d'une collection

Co-fondateur puis président du Salon des Artistes indépendants à partir de 1908, Signac figure longtemps au carrefour des avant-gardes, et certains de ses choix témoignent d'intérêts inattendus. Proche de Vincent Van Gogh, qu'il fréquente à Paris dès 1887, il recevra en 1889 Deux harengs, en souvenir d'une visite au peintre interné à Arles. Sensible à l'expressivité de la couleur, Signac a aussi privilégié les fauves pour sa collection : Matisse, Camoin, Marquet, Puy, d'Espagnat et surtout Valtat. De Kees Van Dongen, Signac obtient deux tableaux importants, Nu à la jarretière et Modjesko, Soprano, acquis chez Bernheim-Jeune en 1907 et 1908. Il aime aussi la céramique fauve et réunit un bel ensemble d'œuvres de son ami André Metthey.

La collection de Signac révèle son engouement pour le nu, genre qu'il a lui-même rarement abordé, dont un Édouard Vuillard réduisant un nu féminin à quelques aplats de couleur. Acquis aux idées anarchistes, Signac achète sans surprise des estampes de cette veine auprès de Félix Vallotton, mais choisit aussi plus étonnamment chez ce peintre Marée basse, Honfleur, traité en aplats sombres. Et, s'il admire grandement Pierre Bonnard, ce ne sont pas ses toiles les plus lumineuses qu'il retient, mais celles aux teintes plus sourdes de gris et de verts. Il possèdera aussi deux peintures de Maurice Denis et une de Ker-Xavier Roussel, deux artistes dont il est proche. Enfin, lui qui a tant raillé les symbolistes possédait tout de même un chef-d'œuvre d'Odilon Redon : un fusain intitulé Le Centaure tirant à l'arc.

Tout d'abord trois toiles, que Signac présentait ensemble et considérait comme le joyau de sa collection :

Henri-Edmond Cross :  Composition, dit aussi L'Air du soir, huile sur toile, 1893-1894
Henri Matisse (1869-1954) : Luxe, calme et volupté, huile sur toile, hiver 1904-1905
Louis Valtat (1869-1953) : Femmes au bord de la mer, huile sur toile, vers 1904

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Deux autres œuvres d'Henri Matisse dans cette collection :

Étude pour le goûter, aquarelle sur papier, été 1904
Notre-Dame, huile sur papier, printemps 1904 ou printemps 1905

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et trois de Louis Valtat :

Nocturne (effet de lune), huile sur toile, vers 1900-1901
Les Roches rouges de l'Esterel, huile sur toile, 1900-1901
Femme à la fourrure, esquisse de Femme au renard, huile sur bois, vers 1902

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Vincent Van Gogh (1853-1890) : Deux harengs, huile sur toile, 1889

En 1887 Van Gogh fait la connaissance de Signac. Une passion commune pour la couleur les rapproche et ils peignent côte à côte sur les bords de Seine. Quand son ami Vincent est interné à Arles en 1889, Signac lui rend visite. Bien que la porte de l'atelier de Van Gogh ait été mise sous scellés, les deux peintres en forcent l'entrée. En souvenir de cette journée mémorable, Van Gogh offre Deux harengs à Signac, parce que «cela représentait deux harengs fumés, qu'on nomme gendarmes».

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Odilon Redon (1840-1916) : Le Centaure tirant à l'arc, fusain et pastel sur papier, non daté

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Louise Hervieu (1878-1954) : Papillon, fusain et estampe sur papier, non daté

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Kees Van Dongen (1877-1968) :

Nu à la jarretière, huile sur toile, 1907
Modjesko, Soprano, huile sur toile, 1908

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Félix Valloton (1865-1925) :

Deux xylographies : L'Anarchiste (1892) et La Charge (1893)
Marée basse, Honfleur, huile sur carton, 1901

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Ker-Xavier Roussel (1867-1944) : Nymphes et satyres, huile sur panneau, non daté

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Édouard Vuillard (1868-1940) : Nu au tabouret dans l'atelier, huile sur carton, vers 1900

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Maurice Denis (1870-1943) :

Trestrignel jaune, dit aussi Jeunes femmes sur la plage, huile sur bois, vers 1897
Soir de fête, en bord de Seine dit aussi La Promenade : La Fête à Meulan, jaune, huile sur carton parqueté, vers 1900

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Pierre Bonnard (1867-1947) : Bateaux au port, Cherbourg, huile sur toile, 1910

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Albert Marquet (1875-1947) : La Seine, temps gris dit aussi Quai des Grands Augustins : Quais à Paris, huile sur toile, vers 1905

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Charles Camoin (1879-1965) : La Rue Bouterie, huile sur toile, 1904

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Georges d'Espagnat (1870-1950) : Baigneuses, huile sur toile, 1909-1910

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et pour terminer ce billet, nous retrouvons à nouveau, comme lors de notre visite de la collection Morozov, notre découverte de l'été au musée de Pont-Aven, Jean Puy (1876-1960) :

Quai à Saint-Tropez, dit aussi Le Port de Saint-Tropez, huile sur toile, vers 1906

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ainsi que, juste avant la sortie, les poteries d'André Metthey (1871-1920), avec qui Jean Puy avait beaucoup travaillé et que nous avions aussi découvert à Pont-Aven.

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