Musée Picasso : Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo
Comme annoncé dans notre billet précédent, le Musée Picasso présente simultanément à l'exposition autour des nouvelles œuvres de la dation Maya Picasso, une exposition centrée sur elle.
María de la Concepción, surnommée Maya, naît le 5 septembre 1935. Elle est la première fille de Pablo Picasso et le fruit de son amour passionnel pour Marie-Thérèse Walter, jeune femme rencontrée en 1927. L’arrivée de cette enfant est un bouleversement pour Picasso. Dans son œuvre, elle se traduit par la représentation de scènes de vie intimes emplies de tendresse et la réalisation d’un ensemble exceptionnel de portraits. Maya, qui grandit dans une période marquée par les conflits et les restrictions, inspire également à l’artiste la création de jouets de fortune. Les silhouettes en papier découpé et les poupées articulées résonnent alors avec ses préoccupations plastiques du moment. Au lendemain de la guerre, alors que Picasso s’installe dans le sud de la France où il fonde une nouvelle famille, Maya continue de partager des moments de grande complicité avec son père en participant en tant qu’assistante au tournage du film Le Mystère Picasso. (...) Cette exposition met en évidence l’amour unissant Picasso et sa fille tout autant que l’extraordinaire énergie créatrice que l’artiste a déployée pour Maya. Perpétuant le profond désir de filiation qui transparait dans l’œuvre et la vie de Picasso, elle révèle au public un volet intime de son histoire familiale.
Les trois autres enfants de Pablo Picasso :
Portrait de Paulo, fils de Pablo et d'Olga Khokhlova, né en 1921, Dinard, septembre 1922, huile et lavis sur bois
Claude écrivant, fils de Pablo et de Françoise Gilot, né en 1947, Vallauris, 11 janvier 1951, huile sur toile
Paloma aux têtards, fille de Pablo et de Françoise Gilot, née en 1949, Vallauris, 15 avril 1954, huile sur toile
Première Neige, Le Tremblay-sur-Mauldre, 1938, craie, fusain et huile sur toile
Pablo Picasso réalise ce portrait en s'inspirant d'une photographie qu'il avait prise de Maya, au Tremblay-sur-Mauldre, le 7 février 1937. Sur ce cliché, la petite fille apparaît de profil, avec un bonnet sur la tête. L'effet vaporeux, à l'origine du titre Première Neige, donne à l'œuvre l'aspect d'un pastel. En réalité, Picasso l'a exécutée avec un mélange d'huile, de fusain et de craie, une technique mixte originale qui témoigne des innovations plastiques de l'artiste. Plus tard, Maya précisera que la photographie initiale avait immortalisé le jour de ses premiers pas.
Particulièrement mis en valeur au débouché du grand escalier de l'hôtel Salé, un Portrait de Marie Thérèse (la mère de Maya), Paris, 6 janvier 1937, huile sur toile
Portrait de Marie-Thérèse, Paris, 27 décembre 1935, crayon sur papier vélin
Portrait de Marie-Thérèse, Paris, 4 décembre 1937, huile et crayon sur toile
Nu couché, Boisgeloup, 4 avril 1952, huile sur toile
Portrait de Maya à trois mois, Paris, 11 décembre 1935, crayon sur papier vergé
Mère et enfant, Marie Thérèse Walter emmitouffle Maya, 1936
Portrait de Maya endormie, Paris, 1938, aquarelle et encre sur papier quadrillé
La Minotauromachie, Paris, 23 mars 1935, eau-forte, grattoir et burin sur cuivre, VIe état, épreuve tirée en noir-brun par Lacourière
Véritable chef-d'œuvre de la gravure, La Minotauromachie, réalisée durant les premiers mois de grossesse de Marie-Thérèse Walter, annonce l'arrivée de Maya dans une fable intime qui combine récit mythologique et univers de la corrida. Au centre de la composition apparaît une femme torero enceinte. Celle-ci blessée, est supportée par un cheval éventré, possible symbole de la fin tragique du mariage du peintre avec Olga dont il se sépare quelques semaines plus tard. Face à un Picasso-Minotaure avançant à tâtons, Marie-Thérèse apparait une seconde fois, allégorie d'espoir et symbole de sérénité pour l'artiste, sous la forme d'une jeune femme qui tient un bouquet de fleurs.
Famille mythologique, Juan-les-Pins, 27 avril 1950, encre sur papier vergé bleu
Maya à la poupée, Paris, 16 janvier 1938, huile sur toile
Maternité, Paris, 22 janvier 1938, huile sur toile
Maya à la poupée et au cheval, Paris, 22 janvier 1938, huile sur toile
Sagement assise, Maya semble regarder le spectateur d'un air solennel, dans une attitude qui évoque les portraits d'enfants royaux réalisés par Diego Velázquez (15991660). Mais ici, l'artiste compose une œuvre qui porte une double signification. La première, la plus immédiate, est donnée par le titre même du tableau : il s'agit du portrait de sa fille avec ses jouets. La deuxième renvoie à une image sacrée de la sainte famille. Le visage de la poupée ressemble étrangement à celui de Pablo Picasso, tandis que celui de Maya revêt les traits de Marie-Thérèse Walter. Le baiser que Maya échange avec sa poupée, dont le nez, la bouche et le menton s'entremêlent, symbolise le bonheur que l'une et l'autre apportent à l'existence de l'artiste.
Maya au tablier, Paris, 27 février 1938, huile sur toile
Maya au bateau, Paris, 28 janvier 1938, huile sur toile
Maya au bateau, Paris, 4 février 1938, huile sur toile
Maya au bateau, Paris, 5 février 1938, huile sur toile
Dans les peintures de Pablo Picasso, mère et fille se confondent souvent. En effet, quand l'artiste représente sa fille, il emprunte des attributs utilisés auparavant pour figurer sa compagne. Ce visage face-profil, le béret ainsi que les cheveux aux couleurs acidulées sont caractéristiques des portraits de Marie-Thérèse Walter que le peintre réalise au début des années 1930. Toutefois, quand il s'agit de représenter Maya, Picasso parvient toujours à faire transparaître, dans le traitement du regard notamment, la personnalité enjouée et le caractère déterminé de son enfant.
Fillette couronnée au bateau, Paris, 18 juin 1939, huile sur toile
Maya en costume marin, Paris, 23 janvier 1938, huile sur toile
« Quand j'étais enfant, je dessinais comme Raphaël, mais il m'a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. » On retrouve dans cette toile la spontanéité et la naïveté propres au monde de l'enfance. Transgressant volontairement les règles de proportions et de perspectives, l'artiste organise sa composition sans profondeur : la silhouette simplifiée de la fillette occupe toute la hauteur de la toile et est plaquée sur un fond bicolore. En signant de son nom le galon du béret de Maya, Picasso revendique sa paternité.
Fillette, Royan, 7 novembre 1939, huile sur toile
Enfant sur une chaise (Maya), Royan, 5 octobre 1939, huile sur toile
Dans cette même salle, trois sculptures :
Tête de femme, Boisgeloup, 1931-1932, original en plâtre et bois
Tête de femme, Boisgeloup, 1931, plâtre original
Buste de femme, Boisgeloup, 1931, plâtre original
Maya dansant, Paris, 1er juin 1942, crayon sur papier quadrillé, feuille de carnet
Portrait de Maya, Paris, 25 octobre 1942, crayon sur papier vélin, feuille de carnet à spirale
Portrait de Maya à la poupée dans les cheveux, Paris, 17 juin 1943, crayon, tissu, ruban et épingle sur papier vélin, feuille de carnet à spirale
Pablo Picasso représente ici Maya d'un trait fin et rapide. L'accentuation des contours donne davantage de volume à son visage qui est semblable à ceux des poupées de porcelaine. Suivant les principes de l'assemblage, l'artiste épingle une poupée miniature dans les boucles anglaises de la fillette. Confectionné à partir de chutes de tissu et de ruban, l'objet sommairement façonné tranche avec le tracé délicat qui caractérise le dessin. Unique en son genre. ce portrait témoigne de l'inventivité artistique que Maya inspire à Picasso
Portrait de Maya, Paris, 25 décembre 1943, crayon sur papier vélin, feuille de carnet à spirale
Portrait de Maya, Paris, 21 août 1944, aquarelle et encre sur papier vélin, feuille de carnet à spirale
Pablo Picasso dessine ce portrait de Maya à la veille de la Libération de Paris par les Alliés, le 25 août 1944. Coiffée de son habituelle natte remontée en chignon, la jeune fille est tournée vers sa gauche, le regard dirigé vers un avenir meilleur. A l'aube de son neuvième anniversaire, elle incarne par sa jeunesse l'espoir qui renaît après cinq longues années de guerre. L'artiste porte une attention particulière aux détails de sa chevelure, notamment aux petits cheveux laissés sur sa nuque, ainsi qu'à la douceur de son profil.
Portrait de Maya de profil, Vallauris, 13 février 1951, crayon sur papier vélin
Parmi les figures crées par Picasso à l'époque de la petite enfance de Maya :
La Porteuse de jarre, Paris ou Boisgeloup, 1935, éléments de bois peints, objets et clous sur socle de ciment et bois
Figure, Paris ou Boisgeloup, 1935, louche, griffes, bois, ficelle et clous
Dans l'exposition figurent aussi un certain nombre de memorabilia de la famille de Picasso. Parmi ceux-ci, pour conclure ce billet, des dessins réalisés par Maya lorsqu'elle était écolière :
Musée Picasso : « Nouveaux chefs-d'œuvre. La dation Maya Ruiz-Picasso »
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Le musée Picasso de Paris présente actuellement une double exposition consacrée à Maya Ruiz-Picasso, articulée en deux volets : « Nouveaux chefs-d'œuvre. La dation Maya Ruiz-Picasso » et « Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo ». C'est l’occasion de présenter au public l’ensemble des neuf œuvres exceptionnelles de la collection Maya Ruiz-Picasso ayant rejoint les collections nationales par dation, tout en explorant les témoignages d’une relation entre un père et sa fille.
Nous en présentons dans ce billet le premier volet. Que le lecteur se rassure, les vacances de l'auteur ne sont pas terminées, ces visites ont eu lieu avant notre départ.
Les nouvelles œuvres entrées au musée par la dation faite en 2021 par Maya Ruiz-Picasso sont présentées en résonance avec d'autres œuvres de l'artiste, du fonds du musée ou d'autres institutions.
À l'entrée, une oeuvre de jeunesse de Picasso, L'Homme à la casquette, La Corogne, début 1895, huile sur toile et une toile de son père José Ruiz y Blasco (1838-1913) avec des colombes, un de ses sujets de prédilection.
« A la Escuela » (Lola Ruiz-Picasso, sœur de l'artiste, allant à l'école), La Corogne, 1895, encre sur papier
María Picasso-López et Lola Ruiz-Picasso, mère et sœur de l'artiste, brodant, Barcelone, 1896, aquarelle, encre et gouache sur papier
Autoportrait, Paris, automne 1906, huile sur toile
Étude pour Les Demoiselle d'Avignon : nu de face aux bras levés, Paris, printemps 1907, gouache, fusain, crayon graphite et craie blanche sur papier marouflé sur toile
Nu debout de profil, Paris, printemps 1908, gouache et pastel sur papier
Femme assise dans un fauteuil (Dora), Paris, 31 mai 1938, huile sur toile
Tête de femme, Royan, 4 octobre 1939, huile sur toile
Tête de femme, Royan, 30 novembre 1939-10 mars 1940, huile sur toile
Femme au chapeau bleu, Royan, 3 octobre 1939, huile sur toile et un carnet de croquis.
Émilie Marguerite Walter (dite « Mémé »), Royan, 21 octobre 1939, huile sur toile.
Émilie Marguerite Walter est la mère de Marie-Thérèse et la grand-mère de Maya, fille de Pablo Picasso. Cette toile fait partie de la Dation Maya Ruiz-Picasso.
Enfant à la sucette assis sous une chaise, Paris ou Mougins, 27 juillet 1938, huile sur toile (Dation Maya Ruiz-Picasso)
Femme, chat sur une chaise et enfant sous la chaise, Paris ou Mougins, 5 août 1938, encre sur papier
Baigneuses à la cabine, Paris, 20 juin 1938, encre, crayons de couleur et crayon graphite sur papier
Baigneuses au crabe, Mougins, 10 juillet 1938, encre, aquarelle, gouache et pétales frottés sur papier
Femme assise, Mougins, 8 septembre 1938, encre sur papier
Deux femmes à l'ombrelle, Le Tremblay-sur-Mauldre, 8 octobre 1938, encre sur papier
Au milieu d'une salle, autre élément de la Dation Maya Ruiz-Picasso,
La Vénus du gaz, Paris, janvier 1945
Créée en 1945, La Vénus du gaz est née d'une seule action, celle de dresser verticalement le brûleur d'un fourneau à gaz. Avec ce geste, Picasso transforme un objet utilitaire en une déesse de la fécondité qui évoque par ses formes les statuettes féminines du paléolithique. Marquée par le contexte de la guerre, cette statue constitue ainsi tout autant une évocation du désastre qu'un talisman porteur d'espoir. La métamorphose du quotidien en oeuvre d'art s'observe tout au long de la carrière de Picasso. L'historien d'art Werner Spies parle du « regard divinatoire » de l'artiste, qui parvient à extraire l'objet de sa fonction pour en révéler uniquement la forme esthétique. En témoigne également la Tête de taureau, née de l'assemblage au printemps 1942, d'une selle et d'un guidon de bicyclette. Toutefois, La Vénus du gaz est la seule oeuvre de Picasso produite par le détournement d'un unique objet. Elle relève en ce sens des ready-made de Marcel Duchamp - à l'instar de l'iconique Fontaine -, ces objets manufacturés élevés avec provocation au rang d'oeuvre par la seule décision de l'artiste.
Le Buffet de Vauvenargues, Cannes-Vauvenargues, 23 mars 1959-23 janvier 1960, huile sur toile
En regard l'un de l'autre,
- Jusepe de Ribera (1591-1652) : Le Pied-bot, 1642, huile sur toile (Musée du Louvre)
- Pablo Picasso (1881-1973) : El Bobo, Vauvenargues, 14-15 avril 1959, huile et peinture glycérophtalique sur toile (Dation Maya Ruiz-Picasso)
Scène de corrida : la pique [Vallauris], 3 avril 1959, encre sur papier, 26e feuillet recto du carnet MP1990-113
- Variation sur Le Déjeuner sur l'herbe de Manet, Mougins, 4 juillet 1961, linoléum gravé à la gouge, plateau principal, 1er état
- Le Déjeuner sur l'herbe d'après Manet I, Mougins, 26 janvier-13 mars 1962, linoleum gravé à la gouge, Ve état, épreuve tirée en six passages
- Le Déjeuner sur l'herbe d'après Manet, Vauvenargues, 3 mars - 20 août 1960, huile sur toile
- Le Déjeuner sur l'herbe d'après Manet, Mougins, 12 juillet 1961, huile sur toile
Cette exposition autour de la dation Maya Ruiz-Picasso s'achève sur une petite salle tapissée d'œuvres du peintre, où l'on reconnaîtra, de gauche à droite en haut :
Buste d'homme au chapeau, Mougins, 12 février 1972, huile et crayon gras sur toile
Tête d'Homme, Mougins, 31 juillet 1971, huile sur toile (Dation Maya Ruiz-Picasso)
Jeune fille assise, Mougins, 21 novembre 1970, huile sur contreplaqué
Le Jeune Peintre, Mougins, 14 avril 1972, huile sur toile
Vieil homme assis, Mougins, 26 septembre 1970-14 novembre 1971, huile sur toile
La Famille, Mougins, 30 septembre 1970, huile sur toile
Maternité, Mougins, 30 août 1971, huile sur toile
Le Vieil homme, Mougins, 25 septembre 1970, huile sur toile
Dans notre prochain billet, nous présenterons l'autre volet de l'exposition : « Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo ».
La Mouette Chauvin à Saint-Pabu
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Ouvrons la série des billets de l'été avec la désormais traditionnelle exposition "déambulatoire" organisée par notre commune de villégiature (voir par exemple notre billet du 10 juillet 2021). Elle est cette fois consacrée à Aurélie Chauvin, artiste peintre illustratrice, qui a pris pour nom d'artiste "la Mouette Chauvin".
Après un parcours scolaire dans les écoles d'arts appliqués de Sèvres, Duperré, Corvisart en région parisienne, une formation aux outils multimédias autant qu'aux techniques artistiques traditionnelles, Aurélie Chauvin évolue plusieurs années dans le monde de l'infographie et du dessin industriel assisté par ordinateur. Nostalgique de ses années de pratique artistique et bercée par les contes et légendes de Bretagne, région qui la fascine, il était évident pour elle de revenir, aux sources, vivre en famille, à Guissény. La voilà qui prend les pinceaux, Rotring, feutres, Poscas... Commence alors cette activité, qui la mène à fréquenter les expositions, salons d'art, marchés artisanaux de la région Bretagne. Les œuvres de La Mouette Chauvin sont présentes dans la galerie d'art du comptoir des produits Bretons à Landerneau.
Le parcours débute au dessus de Korn Ar Gazel.
Le numéro 2 est devant la maison des Abers.
Le numéro 4, sur la route de la pointe de Kervigorn, domine l'Aber.
Le numéro 5 est sur la rue Béniguet, à l'entrée de la plage du même nom.
Le 6 domine la plage de Béniguet, en haut de l'escalier qui y descend.
Le 7 est placé au dessus de la plage de Ganaoc'h.
Le 8 domine l'ancien passage, lieu du bac qui a relié jusqu'à la fin des années 1960 Saint-Pabu à Landeda.
Le 9 est placardé sur les nouveaux bâtiments en bois installés sur le quai du Stellac'h.
Le 10 est près du petit port de Pors Ar Vilin.
Près de l'église Saint-Tugdual, à côté du bar Le Thalassa, le numéro 11.
Le parcours s'achève sur la place principale du bourg, place Teven Ar Reut, à côté de la fontaine où trône la reproduction de la balise Le Chien, emblème de la localité.
Le lecteur attentif aura remarqué l'absence de tableau numéro 3, situé d'après le plan vers la table d'orientation, au bout de la rue de la pointe de Kervigorn. Il a été impossible à l'auteur de le dénicher, et la personne de permanence à la mairie de Saint-Pabu n'a pas pu le renseigner...
Fondation Giacometti
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Belle découverte, un peu par hasard il y a quelques jours, dans une rue paisible de Montparnasse à deux pas du cimetière : la Fondation Giacometti, installée dans l’ancien atelier de l’artiste-décorateur Paul Follot, un hôtel particulier Art Déco, dont les décors ont été préservés, restaurés et réaménagés et constituent par eux-mêmes un des attraits du lieu.
C'est cette fondation qui avait organisé au Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la Culture de Landerneau l'exposition dont nous avions rendu compte dans notre billet du 25 août 2015 , le premier d'une série sur les belles expositions organisées à Landerneau.
Au rez-de-chaussée de l'immeuble a été reconstitué l'atelier d'Alberto Giacometti, petit atelier de 23 m2 au confort rudimentaire qui était situé au 46 rue Hyppolyte-Maindron et lui a servi de lieu de vie et de travail à partir de 1926 et jusqu'à sa mort en 1966. Devant libérer les lieux en 1972, sa veuve Annette a fait démonter les murs peints par son mari et a conservé le mobilier et tous ses outils. Il a été réinstallé en 2018 dans l'hôtel qui abrite la fondation.
Au rez-de-chaussée, deux petits plâtres peints :
- Figurine dans une cage (1950)
- Femme assise (1949-1950)
et un cabinet d'art graphique peuplé d'œuvres dessinées et peintes par Alberto Giacometti, à commencer par un autoportrait vers 1914, aquarelle et crayon graphite sur papier.
Maisons dans la vallée, 1914, aquarelle et crayon graphite sur papier
Le chemin bordé d'arbres, 1914, aquarelle et crayon graphite sur papier
Vue de Stampa avec les maisons, vers 1957, aquarelle et crayon graphite sur papier
Maisons perchées sur la montagne, 1914, aquarelle et crayon graphite sur papier
Route au bord de la forêt, vers 1918, aquarelle et crayon graphite sur papier
Colline au bord du lac, 1919, aquarelle sur papier
L'Hôtel à Majola, vers 1920, aquarelle et crayon graphite sur papier
Le chemin bordé d'arbres, 1914, aquarelle et crayon graphite sur papier
Arbres et montagne, vers 1920, gouache, crayon grphite sur papier
Arbres au bord du lac, vers 1918, aquarelle et crayon graphite sur papier
Paysage, colline de Capolago et lac de Sils, 1919, aquarelle et crayon graphite sur papier
Paysage, vers 1918, aquarelle et crayon graphite sur papier
Paysage, vers 1918, aquarelle et crayon graphite sur papier
Esquisse de lac et montagnes, vers 1920, gouache et crayon graphite sur papier
Montagne à facettes, vers 1923, aquarelle sur papier
Pour terminer cette visite du cabinet graphique,
- Arbre, vers 1964, crayon graphite et gamme sur papier
- L'arbre à Stampa, vers 1964, crayon graphite sur papier
- Paysage de montagne, vers 1918, encre noire sur papier
La montée vers l'étage noble est agrémentée de beaux carrelages...
Dans le vestibule, Portes du tombeau Kaufmann, 1956, bronze
La plus belle pièce, à l'éclairage zénithal, avec la bibliothèque de la fondation.
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Au centre, trois sculptures en plâtre peint :
Grande femme, 1960
Grande tête, 1958
Grande tête, 1960
Aux murs,
Paysage à Stampa, vers 1961, huile sur toile
Paysage noir (Stampa), 1952, huile sur toile
À une extrémité de la pièce, un petit salon avec une cheminée,
à demi séparé par une cloison de bois ornée de vitraux
À l'autre extrémité, l'ancienne salle à manger
Dans celle-ci, La Clairière, 1950, bronze
Femme debout, 1956, bronze
Femme debout, 1959-1960, bronze
Femme debout, 1961-1962, bronze
et La Forêt, 1950, bronze
Aux murs, des manuscrits de Giacometti dont un qui décrit la genèse de La Forêt
En enfilade, un salon donne sur la rue Victor-Schoelcher
D'un côté :
Buste d'homme, 1956, bronze
Buste d'homme dit New York II, 1965, bronze
Buste d'homme dit New York I, 1965, bronze
Buste d'homme dit Chiavenna II, 1964, bronze
Buste de Fraenkel II, 1960, plâtre
Buste d'homme, 1965, plâtre
Un corridor richement décoré
Petit homme sur socle, 1939-1945, bronze
La Montagne (I)
Les Hommes à cheval au galop (I)
Illustrations pour Retour Amont de René Char, 1965, aquatinte sur papier
En sortant, quelques vues de la façade de l'hôtel de Paul Follot.
Allemagne / Années 1920 / Objectivité / August Sander (II/II)
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Nous poursuivons la visite commencée dans notre dernier billet avec la section suivante de l'exposition :
Les choses
Les artistes de la nouvelle objectivité s’intéressent particulièrement au genre de la nature morte et représentent les objets avec une grande netteté, leur regard étant tout à la fois scrutateur et tranchant. En raison de sa prétendue objectivité, la photographie paraît particulièrement adaptée au rendu précis des choses dans leur matérialité. Inspirés par cette fidélité hyperréaliste, les peintres s’emparent du langage visuel photographique. Les cactus et figuiers à caoutchouc sont très populaires dans les années 1920 en Allemagne, où ils sont recherchés pour leur exotisme. Les artistes se passionnent pour ces plantes alors perçues comme l’équivalent végétal de la pierre cristalline : architecturées, géométriques, abstraites. Xaver Fuhr et Alexander Kanoldt peignent des ficus avec une grande méticulosité, dans des compositions épurées qui font apparaître leur structure nette. Georg Scholz valorise la raideur du cactus, en résonance avec le style pictural rigide de la Nouvelle Objectivité.
Cette nature réifiée s’inscrit dans une fascination plus large pour le monde des objets. Photographes et peintres s’intéressent également aux objets en verre, ampoules et vaisselles, souvent figurés dans des perspectives plongeantes ou inhabituelles.
Franz Xaver Fuhr (1898-1973) : Stillleben (Gummibaum [Nature morte (Caoutchouc)], vers 1925, huile sur toile
Alexander Kanoldt (1881-1939) : Stillleben mit Gitarre [Nature morte avec guitare], 1926, huile sur toile
Georg Scholz : Kacteen und Semaphore [Cactées et sémaphores], 1923, huile sur panneau dur
Rudolf Dischinger (1904-1988) : Grammophon [Gramophone], 1930, huile sur contreplaqué
Franz Lenk (1898-1968) :
Amaryllis, 1930, tempera sur toile
Stillleben mit gelber Tüte [Nature morte avec sachet jaune], 1927, technique mixte sur toile
Bernhard Dörries (1898-1978) : Frühstückstillleben [Nature morte de petit déjeuner], 1927, huile sur panneau de particules
Hans Mertens (1906-1944) : Stillleben mit Hausgeräten [Nature morte avec ustensile domestiques], 1928, huile sur toile
Erich Wegner (1899-1980) : Wirtshaustheke [Comptoir d'auberge], vers 1927, toile sur contreplaqué
Hannah Höch (1889-1978) : Gläser [Verres], 1927, huile sur toile
Davantage connue pour ses collages et ses photomontages dadaïstes, l'artiste berlinoise Hannah Höch réalise ici une nature morte hyperréaliste dont la composition est fortement influencée par la photographie de l'époque : point de vue surplombant, cadrage resserré, espace neutre, absence de contexte particulier. La texture des objets en verre est rendue avec une grande précision: cette transparence symbolise une nouvelle conception de la peinture, qui doit montrer les objets de manière limpide. sans filtre. Au tout premier plan, dans un reflet inversé, la peintre s'est représentée à son chevalet devant une fenêtre.
Persona froide
Les quatre années meurtrières de la guerre soldées par une défaite engendrent en Allemagne une forme de désillusion générale. Selon l’historien de la littérature Helmut Lethen, l’humiliation infligée par les vainqueurs fait naître une culture de la honte, caractérisée par un embarras généralisé vis-à-vis des utopies d’avant-guerre. Si la culpabilité implique une démarche introspective et suppose de s’interroger sur ses torts, la honte relève de l’extériorité et requiert avant tout de préserver son image auprès des autres. Dans les années 1920 apparaît alors ce que Lethen nomme la « persona froide », nouveau type social qui consiste à chercher à se dérober au sentiment d’humiliation en affichant un masque de froideur, d’indifférence.
Ce nouveau comportement modifie en profondeur la pratique du portrait. Auparavant tourné vers l’intériorité et l’expression psychologique du modèle, il se concentre désormais sur les signes extérieurs des individus. Les artistes de la Nouvelle Objectivité figurent ainsi moins des personnalités que des types sociaux, définis par leur profession. Souvent affichée dans le titre même de l’œuvre (homme d’affaires, marchand de textiles, médecin…),
elle est également identifiable à travers des attributs qui permettent de la reconnaître.
Dans Menschen des 20. Jahrhunderts [Hommes du 20e siècle], August Sander consacre un groupe aux « Catégories socio-professionnelles », photographiant moins des caractères individuels que des métiers.
À l’instar de Julius Bissier, qui se représente forgeant sa propre image sans émotion ni affect, les portraits apparaissent froids, vidés de tout sentiment, en résonance avec leurs arrière-plans souvent neutres et déserts. Les sujets y figurent seuls et arborent une expression détachée, un regard absent, voire vide. Comme la jeune fille représentée par Lotte Laserstein, ils semblent chercher à maquiller leurs ressentis derrière une apparence impénétrable.
Les artistes s’intéressent également aux changements des normes de genre, à l’image d’August Sander, qui photographie « La femme » dans Menschen des 20. Jahrhunderts.
Avec un oeil quasi sociologique, ils construisent une typologie de la Neue Frau [nouvelle femme] émancipée : Bubikopf (variante courte de la coupe au carré), cigarette, port de la chemise voire de la cravate deviennent des attributs récurrents dans les portraits féminins de l’époque.
Heinrich Maria Davringhausen (1894-1970) : Der Schieber [Le Profiteur], 1920-1921, huile sur toile
Grethe Jürgens (1899-1981) : Stoffhändler [Marchands de textile], 1932, huile sur toile
Walter Schulz-Matan (1899-1965) : Der Fayencesammler [Le Collectionneur de faïences], 1927, huile sur toile
Otto Dix :
Bildnis der Journalistin Sylvia von Harden [Portrait de la journaliste Sylvia von Harden], 1926, huile et tempera sur bois
Rothaarige Frau (Damenporträt) [Femme rousse (Portrait de dame)], 1931, technique mixte sur toile sur bois
Bildnis des Kunsthändlers Alfred Flechtheim [Portrait du marchand d'art Alfred Flechtheim], 1926, huile sur bois
Lotte Laserstein (1898-1993) : Russisches Mädchen mit Puderdose [Jeune fille russe avec poudrier], 1928, huile sur bois
Georg Scholz : Weiblicher Akt auf dem Sofa [Nu féminin sur le sofa], 1928, huile sur toile
Leonore Maria Gräfin Stenbock-Fermor (1906-1990) : Porträt Hildegard Schroeder (Konzertpianistin) [Portrait de Hildegard Schroeder (pianiste concertiste)], 1930, huile sur toile
Rudolf Schlichter (1890-1955) : Margot, 1924, huile sur toile
Julius Bissier (1893-1965) : Selbstbildnis eines Bildhauers [Autoportrait d'un sculpteur], 1928, huile sur toile
Carlo Mense (1886-1965) : Don Pepe, 1924, huile sur toile
Franz Radziwill (1895-1963) : Einer von den Vielen des XX. Jahrhunderts [L'Un des nombreux du XXe siècle], 1927, huile sur bois
Willi Müller-Hufschmid (1890-1966) : Akademiemodell [Modèle académique], vers 1922, huile sur papier sur contreplaqué
Christian Schad (1894-1982) :
Anna Gabbioneta, 1927, huile sur toile
Bildnis Dr. Haustein [Portrait du Dr Haustein], 1928, huile sur toile
et trois photographies d'August Sander :
Sekretärin beim Westdeutschen Rundfunk in Köln [Secrétaire à la Westdeutscher Rundfunk de Cologne], 1931
Frau eines Architekten [Femme d'un architecte (Dora Lüttgen)], 1926
Junge Frau [Jeune femme], 1922
Rationalité
À la crise économique et à l’inflation spectaculaire d’après-guerre succède une période de stabilisation et de croissance relative, favorisée notamment par le plan Dawes et l’injection de capitaux américains en 1924. Une fascination pour l’Amérique et son modèle de société vu comme méthodique et harmonieux, gouverné par la technique, naît alors en Allemagne.
La rationalisation du travail mise au point par Taylor s’importe au sein des entreprises allemandes, entraînant une industrialisation rapide et une mécanisation des tâches. L’esthétisation de machines se retrouve chez les artistes de la Nouvelle Objectivité, qui en louent la beauté. Les tableaux de Carl Grossberg montrent des sites industriels étincelants de propreté dans des compositions épurées, méticuleusement détaillées. Le culte de la technique se poursuit avec l’apparition de la radio, nouvelle machine domestique perçue par le peintre Max Radler ou le dramaturge Bertolt Brecht comme un potentiel outil d’émancipation.
Max Radler (1904-1971) :
Der Radiohörer [L'Auditeur de radio], 1930, huile sur toile
Station SD/2 [Gare SD/2], 1933, huile sur panneau
Wilhelm Heise (1892–1965) : Verblühender Frühling. Selbstbildnis als Radiobastler [Printemps fané. Autoportrait en amateur de radio], 1926, huile sur bois
Carl Grossberg (1894-1940) :
Selbstbildnis [Autoportrait], 1928, huile sur bois
Jacquard-Weberei [Atelier de tissage Jacquard], 1934, huile sur bois
Schwungrad mit Treibriemen [Volant avec courroie d'entraînement], 1934, huile sur carton
Franz Xaver Fuhr : Eisenbrücke [Pont de fer], 1928, huile sur toile
Karl Völker (1889-1962) : Beton [Béton], vers 1924, huile sur toile
Le principe de rationalisation devient bientôt une nouvelle norme qui structure la vie sociale et culturelle. L’aménagement intérieur du logement de petites dimensions est étudié par les architectes et designers pour optimiser l’espace. Dans cette même optique, Marcel Breuer et Franz Schuster mettent au point un mobilier épuré et peu encombrant, qui libère le maximum de place. L’architecte Margarete Schütte-Lihotzky conçoit à Francfort une cuisine moderne et fonctionnelle, organisée comme un espace de travail permettant de limiter les déplacements de la ménagère. Ce souci d’amélioration du quotidien des femmes s’inscrit dans un désir général d’émancipation : les années 1920 sont celles de l’apparition d’une Neue Frau [nouvelle femme] financièrement indépendante, qui sort de son rôle traditionnel pour se confronter à la technologie moderne ou aux sports jusque-là réservés aux hommes.
Lino Salini (1889-1944) : Bildnis im Sitzen nach links der Grete Schütte-Lihotzky, erste Architektin am Hochbauamt der Stadt Frankfurt [Portrait de profil gauche de Grete Schütte-Lihotzky assise, première femme architecte au service de la construction de la ville de Francfort], 1927, crayon de couleur sur papier
Margarete Schütte-Lihotzky (1897-2000) : Frankfurter Küche, Wegstudie: Schrittersparnis in der alten Küche (links) und in der Frankfurter Küche (rechts) [Cuisine de Francfort, étude de déplacements : économie de pas dans l'ancienne cuisine (à gauche) et dans la cuisine de Francfort (à droite)], 1927
et la cuisine reconstituée dans l'exposition
Willi Baumeister (1889-1955) : Affiche pour l'exposition du Deutscher Werkbund « Die Wohnung » [Le logement], Weißenhofsiedlung, Stuttgart, 1927, impression offset, noir, gris et rouge sur papier blanc
Hans Leistikow (1892-1962) : Affiche de l'exposition « Die Wohnung für das Existenzminimum » [Le logement pour le minimum vital], Werkbundhaus, Francfort-sur-le Main, 26 octobre-10 novembre 1929, lithographie
Franz Schuster (1892-1972) : Modell « Schrank SCH II » für die Hausrat GmbH, Frankfurt am Main [Modèle d'armoire « Schrank SCH II » conçu pour le Hausrat GmbH, Francfort], vers 1926, bois laqué et Chaise pour la maison May, vers 1929, bois, tressage vernis à partir de bandes de parchemin
Christian Dell (1893-1974) : Lampe, 1929, tige mobile coulissant sur axe central en laiton nickelé, socle en fonte et réflecteur orientable en aluminium
Marcel Breuer (1902-1981) : chaise
Richard Schadewell et Marcel Breuer (designers) Fernsprechtischapparat « Modell Frankfurt », Nebenstellenapparat [Téléphone « Modèle Francfort », combiné secondaire], 1929, bakelite, métal, textile
Utilité
Liée a la Nouvelle Objectivité, la notion de Gebrauch [utilité] apparait dans l'Allemagne des années 1920 dans les domaines du théâtre, de la musique et de la littérature. Ce nouveau concept favorise l'émergence d'œuvres à caractère didactique, pensées pour un large public.
Aux antipodes des épanchements lyriques de l’expressionnisme, les metteurs en scène Erwin Piscator et Bertolt Brecht développent le théâtre épique. Déjouant la fiction, ils introduisent dans leurs pièces des dispositifs scéniques permettant au spectateur d’analyser l’intrigue, et ainsi contribuer à son éveil politique. L’introduction de narrateurs ou la rupture de l’unité de l’action sont autant d’éléments engendrant une distanciation propice à la réflexion. Les décors conçus par Traugott Müller ou George Grosz contribuent au développement de ces ambitions anti-illusionnistes. Tout en demeurant un divertissement, le théâtre devient ainsi un lieu d’éducation et un moyen d’information.
George Grosz : Gefängniskapelle [Chapelle de la prison], 1928, dessin pour le décor de la pièce Die Abenteuer des braven Soldaten Schwejk [Les Aventures du brave soldat Svejk] d'Erwin Piscator, aquarelle et encre sur papier
Egon Wilden (1894-1931) : dessins pour le décor de Jonny spielt auf [Jonny mène la danse] d'Ernst Křenek, au théâtre d'Elberfeld-Barmen, 1928, encre de Chine, aquarelle et crayon sur papier
Johannes Schröder : dessin pour le décor de l'opéra Maschinist Hopkins [Machiniste Hopkins] de Max Brand, Vereinigte Stadttheater, Duisbourg, vers 1929, fusain, tempera
Transgressions
En Allemagne, les rôles genrés traditionnels sont redéfinis à l’issue de la Première Guerre mondiale. Après avoir occupé les postes vacants durant le conflit, les femmes sont désormais implantées sur le marché du travail, et obtiennent le droit de vote dès 1918. Cette nouvelle position les conduit à adopter une apparence androgyne en s’appropriant les codes de la masculinité : cheveux courts, chemise, cravate et torse plat, comme le montre Selbstbildnis als Malerin [Autoportrait en peintre] (1935) de Kate Diehn-Bitt (1900-1978), huile sur contreplaqué.
À Berlin, dans le célèbre cabaret de l’Eldorado, les artistes travestis poussent plus loin encore cette confusion des genres. Une importante subculture homosexuelle se développe dans ces clubs tolérés par la police. La peintre et dessinatrice Jeanne Mammen réalise des aquarelles croquant le quotidien des lieux de rencontre lesbiens, figurant les relations entre femmes avec une certaine tendresse.
Jeanne Mammen (1890-1976) :
Valeska Gert, 1928-1929, huile sur toile
Café Nollendorf, vers 1931, aquarelle et encre de Chine sur crayon sur papier
Zwei Frauen, tanzend [Deux femmes, dansant], vers 1928, aquarelle et crayon sur papier
Transvestitenlokal [Bistrot pour travestis], vers 1931, aquarelle et crayon
Rudolf Schlichter : Damenkneipe [Bistrot pour dames], vers 1925, aquarelle, encre de Chine et crayon sur papier
Les portraits d’Otto Dix sont en revanche davantage empreints des stéréotypes homophobes de l’époque. La danseuse Anita Berber, vedette ouvertement bisexuelle aux multiples frasques, est caricaturée comme une personnification du péché. Le bijoutier Karl Krall apparaît avec des hanches démesurément creusées et larges, en écho aux idées du physiologiste Eugen Steinach sur les « hommes féminisés ».
Otto Dix :
Bildnis der Tänzerin Anita Berber [Portrait de la danseuse Anita Berber], 1925, huile et tempera
Bildnis des Juweliers Karl Krall [Portrait du joaillier Karl Krall], 1923, huile sur toile
Gert Wollheim (1894-1074) : Ohne titel (Paar) [Sans titre (Couple)], 1926, huile sur toile
Transgressions de l’hétérosexualité et décloisonnement des genres génèrent chez certains artistes masculins une angoisse qui se traduit dans leurs oeuvres par un rappel violent à la norme. Rudolf Schlichter, Karl Hubbuch ou Otto Dix multiplient les représentations de Lustmörder, crimes sexuels montrant des femmes violemment assassinées par arme blanche ou pendaison.
Heinrich Maria Davringhausen : Der Träumer [Le Rêveur], 1919, huile sur toile
Otto Dix :
Lustmord [Meurtre sexuel], 1922, eau forte
Szene II (Mord) [Scène II (Meurtre)], 1922, aquarelle sur papier
Traum der Sadistin I [Rêve de la sadique l], 1922, aquarelle et crayon
On retrouve enfin dans cette section deux peintres de notre précédent billet :
Franz Wilhelm Seiwert : Freudlose Gasse [Rue sans joie], 1927? huile sur toile
Anton Räderscheidt : Selbstbildnis [Autoportrait], 1928, huile sur toile
Regard vers le bas
La fascination pour l’industrie et les machines se heurte à la dure réalité du quotidien des populations les plus modestes. Mus par une volonté de représenter le revers du capitalisme triomphant, certains artistes de la Nouvelle Objectivité tournent leur regard vers ces invisibles que le progrès technique exclut ou réprouve. Bien que prétendant à une représentation
objective du monde social, ils refusent la neutralité politique, la plupart étant engagés au parti communiste.
Karl Völker et Oskar Nerlinger réalisent des portraits des foules anonymes de travailleurs dans l’environnement oppressant de l’architecture industrielle : désindividualisés, ils ne sont plus que de simples rouages de la machine économique capitaliste. À l’aide d’un style détaché, les artistes figurent les populations précaires vivant en bordure des grands centres urbains modernes, vitrines du capitalisme allemand. Loin des boulevards animés et de leurs enseignes lumineuses, Hans Baluschek et Hans Grundig peignent les exclus des divertissements urbains, les familles pauvres évoluant dans des terrains vagues à la périphérie des villes.
Oskar Nerlinger (1893-1969) :
Straßen der Arbeit [Routes du travail], 1930, tempera sur carton
An die Arbeit [Au travail], 1930, tempera pulvérisée sur toile
Hanna Nagel (1907-1975) : Sans titre, 1929, crayon et aquarelle sur papier
Karl Völker :
Industriebild [Tableau de l'industrie], vers 1924, huile sur toile
Bahnhof [Gare], 1924-1926, huile sur bois
Die Arbeitermittagspause [Pause déjeuner des ouvriers], vers 1928, huile sur carton
Hans Baluschek (1870-1935) : Sommerabend [Soir d'été], 1928, huile sur toile
Hans Grundig (1901-1958) : Am Stadtrand [En bordure de la ville], 1926, huile sur toile
Rudolf Schlichter :
Schwachsinnige II [Demeurée II], 1923-1924, mine graphite sur papier
Verstümmelte Proletarierfrau [Femme prolétaire mutilée], 1922-1923, crayon sur papier
Arbeiter mit Mütze [Ouvrier avec casquette], 1926, crayon sur papier
Terminons ce parcours avec des photographies d'August Sander, deux portraits classés dans le portfolio des persécutés du nazisme : Arthur Julius Oppenheim et sa fille (1938).
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et deux national-socialistes photographiés en 1934.
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