ITINÉRANCE - Académie de France à Madrid
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L’exposition collective ITINÉRANCE a rassemblé au Pavillon Comtesse de Caen de l'Institut de France, que nos lecteurs fidèles connaissent bien, les œuvres de la promotion 2021-2022 des artistes en résidence de l’Académie de France à Madrid, section artistique de la Casa de Velázquez. De retour d’une année de résidence en Espagne (septembre 2021 - juillet 2022), les artistes de la 92e promotion de l’Académie de France à Madrid présentent leurs œuvres à la fois comme une restitution et un prolongement de leur immersion en péninsule Ibérique, pleinement dédiée à la création, à l’expérimentation et à la recherche.
Najah Albukai, né en 1970 à Homs, en Syrie
L'Échelle (I) et L'Échelle (II), 2022, gravures eau-forte et aquatinte
Carmen Ayala Marín (espagnole, vit et travaille à Paris)
Bien dans sa peau, 2022, huile sur toile
La Tertulia, 2022, huile sur toile
L'Image du retour, 2022, huile sur toile
Maxime Biou, né à Issy-les-Moulineaux en 1993
Sans titre, 2022, huile sur toile
Sans titre, 2022, huile sur toile
Lise Gaudaire, née en 1983, artiste photographe à Rennes
Fernando, 2022, photographie à la chambre 4x5, tirage fine art
La serre de Fernando, 2022, tirage fine-art encadré en caisse américaine sans verre
Mathilde Lestiboudois, née en 1992
Extrait de Collection d'ampoules, 2021, huile sur toile
Fauteuils et drapés version 1, 2022, huile sur toile
Eve Malherbe, née en 1987
Eden, 2022, polyptyque poussière et colle sur verre teinté
Sans titre, 2022, technique mixte sur textile
Alberto Martín Menacho, né en 1986 à Madrid
Ensueño, 2021, photographie argentique, 35 mm
Adrien Menu, né à Saint-Rémy en 1991
Sans titre, 2022, huile sur toile
Sans titre, 2022, huile sur toile
Pablo Pérez Palacio, né en 1983 à Saragosse
Superposiciones. Paisaje 0006, 2022, acrylique / carton contrecollé sur médium
Paisaje Vertical, 2022, acrylique sur toile
Terminons avec
Arnaud Rochard, né en 1986 à Saint Nazaire
Casa, 2022, linogravure et huile sur toile
André Devambez - Vertiges de l'imagination
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Une exposition très originale au Petit Palais nous a fait découvrir André Devambez (1867-1944), un artiste reconnu et en vogue de son vivant mais à présent plutôt tombé dans l'oubli.
Avant même d'entrer dans l'exposition, le visiteur est accueilli par de grandes affiches publicitaires de 1905 pour l'aliment complet Maxime Groult fils aîné. Devambez met toute son efficacité visuelle au service de ces trois affiches formant triptyque. Il utilise pleinement les ressorts de la publicité pour faire passer un message hygiéniste, porteur de réconciliation sociale. Manichéisme, outrance et une bonne dose d'humour constituent les aliments efficaces de sa recette promotionnelle.
André Devambez fut encouragé très tôt par son père - graveur et éditeur - à suivre une formation artistique académique. Il a d'abord comme maître un élève de Jean-Léon Gérôme, le peintre d'histoire Gabriel Guay (1848- 1923). Puis il s'inscrit à l'Académie Julian et réussit le concours d'entrée à l'École nationale supérieure des beaux-arts, en 1885. Le prix de Rome, remporté en 1890, lui ouvre la voie à un séjour de cinq ans à la Villa Médicis. Quelques œuvres "académiques" du jeune Devambez :
Élie enlevé dans un char de feu, 1886, huile sur toile
Le Désespoir d'Hécube devant son fils assassiné, 1885, huile sur toile
Le Renoncement de saint Pierre, 1890, huile sur toile
Il continuera à peindre des grands formats tout au long de sa vie :
Conversation, vers 1932, huile sur toile
La Complainte ou La Chanson, 1939, huile sur toile
De grandes perspectives urbaines :
L'Exposition de 1937, vue du deuxième étage de la Tour Eiffel, 1937, huile sur toile
Vue de Paris, rue [de] Monttessuy vue de la Tour Eiffel, 1937, pierre noire et huile sur bois
Une curiosité :
Portrait collectif des membres de l'Académie française, 1936, huile sur toile
À l'occasion du tricentenaire de sa création, l'Académie française conçoit, en 1934, le projet de faire réaliser un portrait de groupe des quarante académiciens en fonction. André Devambez, président de l'Académie des beaux-arts depuis le mois de janvier 1934, se voit confier l'exécution de l'œuvre.
Dans le croquis légendé qui précise l'identité des trente- huit membres représentés figure le maréchal Pétain, qui n'est pas le premier Immortel auquel on aurait pensé...Renseignements pris, il a été radié de l'Académie en 1945 et on a attendu 1952, après son décès, pour élire un nouveau titulaire au fauteuil 18.
Beaucoup de tableaux de scènes de bistrot :
Les Incompris, 1904, huile sur toile
Attablé au café, un ivrogne à l'œil vide et aux airs de Verlaine est avachi devant son bock de bière. En face de lui, une vieille femme aux traits tombants lit son quotidien L'Art, le bras posé sur une boîte de peinture. Il s'agit de l'ancien modèle de l'Olympia de Manet, Victorine Meurent, peintre elle-même. À leurs côtés, s'anime un trio en pleine conversation échevelée. Les personnages réunis ne semblent pourtant pas vraiment liés les uns aux autres. C'est l'atmosphère de la bohème que restitue ici Devambez, d'un trait féroce et pathétique à la fois.
Et divers autres buveurs ou buveuses d'absinthe, huiles sur bois non datées.
Dans la même veine, une belle lithographie couleurs, non datée, Les Projets pour l'année prochaine
Et beaucoup de portraits ou de scènes intimes :
Ses deux enfants (Pierre et Valentine), en 1914 puis en 1925, etdiverses scènes familiales
La Lecture (Cécile Devambez lisant devant un miroir), huile sur carton non datée
La Mère de l'artiste (étude pour Portrait de famille), vers 1928, huile sur toile
La Famille de l'artiste (sa mère Catherine, sa femme Cécile, sa fille Valentine), 1928, huile sur toile
Deux peintres (André-Marius Aillaud, et Jacques Pierre, élèves de Devambez à l'École nationale des beaux-arts de Paris), 1937, huile sur toile
Réunion d'étudiants, 1934, huile sur toile
Les spectacles occupent une place particulière :
Une première au Théâtre Montmartre, 1901, gouache
Concert Colonne, vers 1933, huile sur toile
Femme dansant devant une draperie, huile sur panneau non datée
L'un de ses tableaux les plus connus, La Charge, 1902-1903, huile sur toile
Une section de l'exposition est intitulée Devambez, peintre du progrès, avec ses peintures de meetings d'aviation :
Le seul oiseau qui vole au dessus des nuages, 1910, huile sur toile
Les Avions fantaisistes, 1911-1914, huile sur toile
Les Grandes manœuvres militaires, vers 1911, huile sur toile
Vol durant la "Quinzaine d'octobre" ; Port-Aviation, 14 octobre 1909, huile sur toile
On retrouve cet aspect dans ses lithographies :
Le Dirigeablobus au-dessus de la place de l'Opéra, 1909
Une Noce en aéro-taxis, 1909
Le métro parisien est très présent aussi dans son œuvre :
Quai du métro, huile sur carton non datée
L'Heure de pointe dans le métro, vers 1920, huile sur carton
Station de métro Pigalle, fin 1936-début 1937, huile sur carton
La Station de métro, 1908, lithographie
sans oublier le tramway !
Le Tram jaune, huile sur bois non datée
La poursuite, lithographie non datée
ni l'automobile :
La Vie et les inventions modernes : Le Déjeuner sur l'herbe (esquisse), vers 1910, huile sur bois
Le Passage de la course, 1901, illustration de la couverture du numéro spécial du journal Le Rire paru le 13 juillet 1901, lavis de gouache, aquarelle et crayon
L'illustration sous toutes ses formes
C'est sans doute comme illustrateur que Devambez reste le plus connu.
Sur le thème de Gulliver :
Gulliver enlève la flotte, 1909, huile sur toile
Gulliver devant les docteurs du Pays de Brobdignac
Revue des troupes de Lilliput devant le Palais de l'Empereur
(Impressions en couleurs extraites de la revue L'Illustration, 2 décembre 1911
Gulliver en tournée, 1909, huile sur bois
On retrouve sa patte sur toutes sortes de supports :
Comme dans l'introduction de ce billet, des publicités :
La revue Le Conseiller Municipal :
La Phosphatine Fallières :
Les Galeries Lafayette :
et même à l'exportation !
Encore quelques grandes scènes de genre :
Le 14 juillet en ballon, 1902, encre noire, crayon noir, gouache et aquarelle
Un grand mariage : le lunch, impression photomécanique
La Tournée électorale, impression photomécanique
Un aspect plus sombre de sa production : la guerre de 1914-1918.
En 1914, Devambez, trop âgé pour être mobilisé, participe toutefois aux premières missions de peintres envoyés sur la ligne de front pour en rapporter des images pour la presse et le musée de l'Armée. Il est frappé par ce qu'il découvre : une « dévastation complète », des « ruines grandioses », des Poilus couverts de boue. Son patriotisme et la suppression des missions aux artistes le poussent finalement à s'engager, comme de nombreux peintres, dans la section de camouflage du 13e régiment d'infanterie, au début de l'année 1915. Il s'agit d'un travail dangereux, effectué parfois à proximité immédiate de l'ennemi. Le 3 juin 1915, Devambez est blessé par l'explosion d'un obus. Plusieurs opérations et près d'un an de convalescence lui seront nécessaires pour être à nouveau sur pied, mais il gardera toute sa vie des séquelles de cette blessure.
Quatre eaux-fortes de 1917 :
Le Fou
L'Espionne
Un Schrapnell
Les Otages
Verdun, avril 1917 (ruines de la rue Mazel), 1917, huile sur toile
Verdun, près de Souville, 1917, huile sur toile
Pastilles incendiaires, 1915, impression photomécanique
L'Attaque, 1915, plume et encre de chine, crayon noir, lavis d'encre noire et gouache
Vers l'attaque, vers 1915, fusain, encre noire et aquarelle
L'Escorte du président Wilson, place Saint-Augustin-14 décembre 1918, 1918, huile sur toile
Souilly, 1917, huile sur carton
Apogée de cette section, La Pensée aux absents, triptyque de grand format que Devambez exposa au Salon des artistes français en 1924.
Autour du panneau central intitulé Le Souvenir, les panneaux de gauche, La Lettre, et de droite, Les Trous d'obus.
Vers la fin de l'exposition, de nombreux exemplaires des tout-petits tableaux que Devambez affectionnait :
Une série inspirée de contes et légendes, où l'on reconnaître notamment un Cyclope, les Rois Mages, le Petit Chaperon rouge, le Petit Poucet, le Chat Botté, Barbe-Bleue, des fées et des chevaliers...
Une autre série avec conjurés, bagarres et même des scènes contemporaines...
À la sortie de l'exposition, des illustrations d'un de ses personnages pour livres d'enfants, Auguste (1913)
Vacances de février en Bretagne
Entre deux visites d'expositions, un billet de cartes postales des vacances d'hiver, occasion de retrouver notre villégiature quittée à la fin d'août dernier.
Le bon moment pour voir les camélias en fleur, le rouge presque déjà fané, devant la maison...
et au fond du jardin, le blanc encore en boutons, promesse d'une splendeur qui profitera aux promeneurs quand nous serons déjà rentrés.
Dans le village, le lavoir du Bourg, où la lavandière stylisée en marbre permet d'instruire nos petites-filles et de leur apprendre ce qu'est un battoir.
L'Aber Benoît a ses couleurs d'hiver, celles de l'arc-en-ciel répond à celle des camélias.
Aber Wrac'h
Au port, les stagiaires du CVL se lancent sur leurs petits catamarans.
La réclame pour le restaurant Captain, ouvert seulement le weekend en cette saison, a souffert des intempéries...
En longeant l'Aber, on ne perd jamais de vue le phare de l'Île Vierge, celui de l'île Wrac'h au petit toit rouge, la maison solitaire de l'île Stagadon
Au retour, montée à l'ancien sémaphore qui domine l'Aber.
Porspoder
Depuis le parvis de l'église Saint Budoc.
Sur le sentier vers le sud ou depuis la table d'orientation, le phare du Four.
Au bout de la promenade, le petit port de Mazou avec ses perches d'amarrage.
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Tréguier
avec ses vielles maisons à colombages - encore un mot nouveau pour nos petites-filles...
Terminons avec la côte de Pleubian, au bord de l'estuaire du Jaudy...
...dans la belle lumière du soleil déclinant.
Oskar Kokoschka - Un Fauve à Vienne (II/II)
Nous poursuivons dans ce billet la visite de la rétrospective Kokoschka qui s'est terminée il y a quelques jours au Musée d'Art Moderne de Paris. Pour nos lecteurs qui regretteraient de l'avoir manquée, elle sera visible du 17 mars au 3 septembre 2023 au musée Guggenheim à Bilbao ! Ci-contre une affiche réalisée par Kokoschka en 1937 lorsqu'il était exilé à Prague, d'où le titre en langue tchèque : Aidez les enfants basques ! [Pomozte baslickým Dětem !]
Pour les deux premières sections de l'exposition, voir notre billet du 25 février.
Voyages et séjour à Paris : 1923-1934
Le décès de son père, en octobre 1923, constitue une césure dans le parcours de Kokoschka. Il abandonne son poste d'enseignant à Dresde, mais ne parvient pas à demeurer à Vienne, où son art n'est toujours pas accepté : en octobre 1924, l'une de ses toiles est lacérée par un visiteur lors d'une exposition à la Neue Galerie. Soutenu financièrement par son galeriste Paul Cassirer, Kokoschka entreprend des voyages à travers l'Europe, l'Afrique du Nord, puis l'Orient. Les paysages, vues urbaines, portraits d'hommes et d'animaux qu'il produit alors tranchent avec le style qu'il expérimentait à Dresde, où il avait réalisé une série de vues de l'Elbe depuis son atelier. La matière est fluide, la palette élargie à de nouveaux rapports de couleurs et les touches enlevées, comme un écho à la traversée rapide de ces contrées. La recherche de lieux spectaculaires pour peindre se transforme souvent en expédition et permet à l'artiste de rencontrer des personnalités hors du commun.
Lac d'Annecy I, 1927, huile sur toile
Londres, petit paysage de la Tamise / London, kleine Themse-Landschaft, 1926, huile sur toile
Jeune fille au tablier vert / Mädchen mit grüner Schürze, 1921, aquarelle sur papier
Jeune fille au caniche / Mädchen mit Pudel, 1926, aquarelle sur papier
Le Marabout de Témacine (Sidi Ahmet Ben Tidjani), 1928, huile sur toile
Leo Kestenberg, 1926-1927, huile sur toile
Constantin Brancusi, 1932, huile sur toile
La Suédoise / Die Schwedin, 1930-1931, huile sur toile
Marseille, port I /Marseille, Hafen I, 1925, huile sur toile
Marseille, port II /Marseille, Hafen II, 1925, huile sur toile
Chevreuils / Rehe, 1926, huile sur toile
Tigron / Tigerlöwe, 1926, huile sur toile
Tortues géantes (tortues alligators) / Riesenschidkröten, 1927, huile sur toile
Poissons sur une plage de Djerba / Fische am Strand von Djerba, 1930, huile sur toile
Résistance à Prague : 1934-1938
Prague, nostalgie, 1938, huile sur toile
Dès l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir, Oskar Kokoschka s'engage publiquement contre le nazisme. En mai 1933, dans une tribune du quotidien Frankfurter Zeitung, il dénonce la démission contrainte du peintre Max Liebermann (1847-1935) de l'Académie des beaux-arts de Prusse, en raison de ses origines juives. À Vienne, la guerre civile de 1934 oppose les fascistes aux socialistes. La santé de la mère de Kokoschka se fragilise ; elle meurt quelques semaines plus tard. En difficulté financière, l'artiste émigre alors à Prague, ville dont son père était originaire et où réside sa sœur, Berta. Il y rencontre Olda Palkovskà (1915-2004), étudiante en droit, qu'il épousera
en 1941. Depuis la Tchécoslovaquie, il voit le piège du nazisme se refermer progressivement sur l'Europe. Il publie de nombreux articles et organise des conférences pour alerter sur ce danger. L'exposition itinérante d'« art
dégénéré » exhibe neuf de ses peintures aux côtés de nombreux chefs- d'œuvre de l'avant-garde européenne. Il y répond par un magistral Autoportrait en « artiste dégénéré ». Comme un défi lancé au contexte, ses œuvres n'ont jamais été aussi chatoyantes et bucoliques. La touche décrit avec précision une nature luxuriante qui envahit la toile et sert de décor à des mises en scène énigmatiques.
Deux Jeunes Filles / Zwei Mädchen, 1934, huile sur toile
Au jardin I / Im Garten I, 1934, huile sur toile
La Source / Die Quelle, 1932-1938, huile sur toile
Autoportrait en «artiste dégénéré » / Selbstbildnis eines 'Entarteten Künstlers', 1937, huile sur toile
Au jardin II / Im Garten II, 1934, huile sur toile
Pan (Trudl avec une chèvre) / Pan (Trudl mit Ziege, 1931, huile sur toile
Ferdinand Bloch-Bauer, 1936, huile sur toile
Plein Été II (Zrání) /Sommer II (Zrání), 1938-1940, huile sur toile
Autoportrait à la canne /Selbstbildnis mit Stock, 1935, huile sur toile
Exil en Angleterre : 1938-1946
Depuis son exil en Angleterre, Oskar Kokoschka ne reste pas inactif. Il doit tout reconstruire dans ce pays où son art n'est pas encore reconnu. Lui et Olda vivent dans un relatif dénuement, entre Londres et Polperro, en Cornouailles, où le peintre commence avec Le Crabe (1939-1940) une série d'œuvres allégoriques sur le basculement de l'Europe dans la guerre. Ces toiles, dont les petites dimensions s'expliquent par des difficultés d'approvisionnement, constituent un témoignage unique sur la traversée de cette époque dramatique. Kokoschka recourt à de multiples registres - mythologiques, satiriques ou encore populaires - et fait voler en éclats les classifications traditionnelles de la peinture. Ses traits d'humour désespérés et la vulgarité des représentations dévoient la peinture d'histoire de sa noblesse. Kokoschka ne se contente d'ailleurs pas de commenter la situation. Les affiches qu'il réalise et fait placarder dans les rues, les articles qu'il publie sont un moyen d'affirmer son pacifisme et la nécessité d'une réconciliation.
En 1947, il obtient la citoyenneté britannique et peut à nouveau circuler à travers l'Europe. S'il rend immédiatement visite à sa famille à Vienne, il refuse néanmoins de s'y installer. Cette même année, une grande rétrospective de son œuvre est organisée à la Kunsthalle de Bâle, qui le consacre comme artiste majeur et acteur incontournable de la reconstruction culturelle européenne.
L'Œuf rouge / Das rote Ei, 1940-1941, huile sur toile
Horrifié par les accords de Munich de 1938, Kokoschka met en scène dans L'Œuf rouge les grands acteurs de cet événement : Hitler grimaçant fait face à la figure colossale de Mussolini, tandis qu'un chat indolent, incarnation de la France, est allongé près d'un bonnet phrygien; le lion impérial, figurant la Grande- Bretagne, détourne le regard et reprend avec sa queue recourbée le symbole de la livre sterling. Au centre de la table des négociations se tient un œuf rouge sang dont le fond a été fendu. Au loin, Prague brûle. Le verso de la toile mentionne la date Pâques 1939 qui évoque certainement l'invasion de Prague quelques semaines plus tôt. Cette mention dévoile également l'ironie du tableau, renvoyant à la tradition qui consiste à décorer un œuf à cette période.
Le Crabe / Die Krabbe, 1939-1940, huile sur toile
Le Crabe préfigure les allégories politiques que Kokoschka réalise pendant la Seconde Guerre mondiale. Il représente un énorme crabe que l'artiste croise sur une plage lors de sa visite d'un village de pêcheurs à Polperro, en Cornouailles. Le premier propriétaire de l'œuvre rapporte que Kokoschka voyait dans ce crabe la figure de Neville Chamberlain, alors Premier ministre du Royaume-Uni. Dans la mer, un personnage masculin qui évoquerait la Tchécoslovaquie ou le peintre lui-même semble se noyer devant le crabe impassible. À travers cette peinture, Kokoschka dénonce l'inaction de l'Angleterre face à l'occupation allemande de son ancien pays de résidence.
Anschluss - Alice au pays des merveilles / Anschluss-Alice im Wunderland, 1942, huile sur toile
Dans Anschluss - Alice au pays des merveilles, une femme nue se dresse au milieu d'une scène de guerre. Couvrant d'une main son sexe, elle pointe vers le regardeur un doigt interrogateur. Sa candeur et sa pureté contrastent fortement avec l'horreur qui l'entoure. Elle incarne l'Autriche, prisonnière d'un monde aux forces inextricables, comme Alice, le personnage de Lewis Carroll. Kokoschka dénonce ici l'Anschluss, l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne, et le comportement hésitant des grandes puissances européennes comme la France et l'Angleterre face à cet événement. Cette attitude est illustrée par un homme d'affaires, un soldat et un prêtre qui, affolés, se couvrent les yeux, la bouche et les oreilles à la manière des trois singes de la sagesse.
Loreley, 1941-1942, huile sur toile
Loreley est certainement l'un des tableaux les plus critiques de cet ensemble. Figure de la mythologie germanique, Loreley était une nymphe qui attirait par son chant les marins jusqu'à leur perte. Ici, la sirène prend l'apparence de la reine Victoria, assise sur un requin dévorant les hommes à la mer. Au loin, une pieuvre s'échappe avec un trident, symbole de la puissance maritime. Le navire frappé d'un éclair à l'arrière-plan fait allusion à l'Arandora Star, qui devait transporter des prisonniers de guerre au Canada en 1940 mais qui fut torpillé par les Allemands. Dans cette œuvre, Kokoschka exprime son amertume face à la stratégie militaire britannique menée en mer.
Marianne - Maquis - «Le Deuxième Front » / Marianne-Maquis - 'Die zweite Front', 1942, huile sur toile
Alors que l'armée soviétique combat les nazis à l'Est, les forces alliées tardent à ouvrir un front à l'Ouest malgré les appels répétés aux gouvernements britannique et américain. Kokoschka caricature ici Winston Churchill et le général Montgomery prenant le thé au Café de Paris. Ils y observent Marianne, figurant la République française, désormais associée à la résistance. Assise sur deux chaises, celle-ci retire une chaussure d'où s'échappe une souris. Une faucille et un marteau, symbole du communisme, apparaissent sur sa jupe remontée. Confus, Churchill laisse éclater un coup de fusil. À l'arrière-plan, l'image de Hitler apparaît sur un poster. Kokoschka ironise ici sur le deuxième front que constitue cette scène grotesque de café.
Déchaînement de l'énergie nucléaire / Entfesselung der Atom-Energie, 1946-1947, huile sur toile
Malgré la victoire des Alliés, Kokoschka maintient sa vigilance politique, comme le montre cette œuvre conçue dans la continuité de ses allégories antifascistes. Dénonçant la menace nucléaire, elle décrit l'aveuglement hédoniste des populations au sortir de la guerre qui ne remarquent pas que le clown au premier plan, brandissant une clé tel un jouet, a ouvert la cage du lion, incarnation de l'énergie atomique. Seule la colombe, symbole de paix, prend peur et s'envole.
INRI. Le Christ aidant les enfants affamés / INRI. Christus hilft den hungernden Kindern, 1945-1946, lithographie sur papier
Un artiste européen en Suisse : 1946-1980
En 1949, une rétrospective Kokoschka est organisée au Museum of Modern Art, à New York, qui confirme son statut d'artiste international. Le peintre multiplie les portraits de personnalités politiques de premier plan : Theodor Körner (1873-1957), premier président d'Autriche élu au suffrage universel, ou Konrad Adenauer (1876-1967), premier chancelier de la République fédérale d'Allemagne. S'installant dans les années 1950 à Villeneuve, au bord du lac Léman, en Suisse, Kokoschka peut donner l'impression de savourer la reconnaissance dont il bénéficie.
Pourtant, il ne cesse de s'impliquer dans de nombreux projets et de remettre en jeu sa peinture. Opposant véhément à l'art abstrait, qui participe selon lui de la déshumanisation des sociétés modernes, il ouvre à Salzbourg en 1953 une « École du regard » qui prodigue un enseignement par l'image et l'observation, fondé sur les écrits du pédagogue Jan Amos Komenský, dit Comenius. Cette école est financée par Friedrich Welz (1903-1980), galeriste autrichien compromis avec le régime nazi mais avec lequel Kokoschka, engagé dans un tournant politique humaniste et d'apaisement, accepte de travailler.
À cette époque, Kokoschka se distingue comme un grand Européen et un fervent défenseur d'un continent unifié. Allant au-delà des oppositions politiques, il multiplie les représentations de récits mythologiques et de tragédies grecques. De la légende de Prométhée à la pièce Les Grenouilles d'Aristophane, l'artiste recherche dans ces récits exemplaires des moyens d'analyser la situation du moment et en livre un commentaire critique.
Les œuvres des dernières années de Kokoschka témoignent d'une radicalité picturale proche des créations de ses débuts, par la crudité sans concession des descriptions et l'urgence de la touche, ouvrant la voie à une nouvelle génération de peintres. Sa croyance en la puissance subversive de la peinture, vecteur d'émancipation et d'éducation, demeure inébranlable jusqu'à sa mort.
Autoportrait (Fiesole) / Selbstbildnis (Fiesole), 1948, huile sur toile
Pablo Casals II, 1954, huile sur toile
Double portrait d'Oskar et Olda Kokoschka / Doppelbildnis Oskar und Olda Kokoschka, 1963, huile sur toile
Scène d'exécution II (sans figures) / Hinrichtungsstätte II (ohne Figuren] pour les décors de l'opéra Un Bal masqué de Giuseppe Verdi, 1962, crayons de couleur, crayon gris et pastel sur papier
Bottom à tête d'âne / Bottom mit Eselkopf pour les costumes de la pièce
Le Songe d'une nuit d'été, de William Shakespeare, 1956, crayons de couleur et pastel sur papier
Le Palais d'Orphée en ruines / Der verödete Palast des Orpheus pour les décors de la pièce Orphée et Eurydice d'Oskar Kokoschka, 1960, pastel sur papier
Peer Gynt, 1973, huile sur toile
Autoportrait / Selbstbildnis, 1969, huile sur toile
Carletto Ponti, 1970, huile sur toile
Delphes / Delphi, 1956, huile sur toile
Berlin, 13 août 1966 / Berlin 13. August 1966, 1966, huile sur toile
Thésée et Antiope (L'Enlèvement d'Antiope) / Theseus und Antiope (Raub der Antiope), 1958-1975, huile sur toile
Ce tableau s'inspire d'un marbre grec représentant l'enlèvement de l'amazone Antiope par Thésée, conservé aujourd'hui au musée archéologique d'Érétrie, et que Kokoschka voit lors de son séjour en Grèce en 1956. L'artiste met près de seize ans à terminer cette peinture, qui concentre toutes ses dernières recherches picturales. Les couleurs éclatantes construisent le tableau par des coups de pinceau toniques, certaines formes semblent seulement ébauchées. Cette bad painting revendiquée sera une source d'inspiration pour une nouvelle génération de peintres qui reprend le flambeau de l'expressionnisme pictural dans les années 1970.
La Forme magique (esquisse) / Die magische Form (Skizze), 1951, huile sur toile
En 1951, Kokoschka séjourne souvent à Hambourg, où il fréquente son vieil ami Carl Georg Heise, désormais directeur de la Kunsthalle. L'artiste avait réalisé son double portrait avec son compagnon, Hans Mardersteig, trente ans plus tôt, projet qui devait se refermer par un système de charnières à la manière d'un coffret. Pour compléter ce projet, Kokoschka réalise cette troisième toile pour ne pas laisser vierge la face cachée du diptyque refermé. Il offre à Heise La Forme magique, tableau énigmatique où le peintre se présente sur scène à la manière d'un magicien.
Matin et Soir (Le Pouvoir de la musique II) / Morgen und Abend (Die Macht der Musik II), 1966, huile sur toile
Comme dans sa jeunesse, une suite lithographique : Pan, inspiré du roman de Knut Hamsun, 1975-1976 (publié en 1978)
Les Grenouilles / Die Frösche, 1968, huile sur toile
Peu après l'établissement de la dictature militaire en Grèce, Olda Kokoschka assiste à une représentation de la comédie d'Aristophane Les Grenouilles. Les acteurs y adaptent le message politique de la pièce antique à l'actualité de leur pays. Inspiré par le parti pris de cette représentation, Kokoschka reprend le motif du chœur de grenouilles coassant. Symbolisant dans la pièce originale le peuple qui se soumet aveuglément au dieu Dionysos, Kokoschka l'interprète ici comme l'esprit qui ne peut distinguer la vérité du mensonge.
Terminons avec un tableau symbolique et émouvant :
Time, Gentlemen Please, 1971-1972, huile sur toile
C'est le dernier autoportrait de Kokoschka. Debout, la tête relevée et les mains croisées, il se dirige vers une porte. Dans l'entrebâillement, une figure représentant la mort montre la blessure au cœur de l'artiste, référence à son autoportrait de 1910 pour le magazine Der Sturm. Le titre reprend l'expression prononcée à l'heure de fermeture des pubs en Angleterre. Profondément impressionné par le dernier autoportrait de Rembrandt, Kokoschka, âgé de 86 ans, affronte ici sa mortalité. Son expression est forte. Il avance, décidé, vers l'inévitable.