Jean Hélion - La prose du monde (I/II)
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Très belle rétrospective, au Musée d'Art Moderne de Paris, de l'œuvre de Jean Hélion (1904-1987).
Peintre et intellectuel dont l’œuvre traverse le XXᵉ siècle, Jean Hélion est l’un des pionniers de l’abstraction qu'il introduisit en Amérique dans les années 1930, avant d’évoluer vers une figuration personnelle à l’aube de la seconde guerre mondiale. Revenu en France après la guerre et salué dans les années 1960 par la nouvelle génération des peintres de la Figuration narrative comme Gilles Aillaud ou Eduardo Arroyo, Jean Hélion bénéficiera de son vivant de nombreuses expositions dans les galeries et les institutions françaises et internationales comme celle du MAM en 1977 et 1984 - 85, la dernière rétrospective ayant été présentée au Centre Pompidou en 2004. Malgré son importance et sa singularité, son œuvre reste aujourd’hui encore peu connue du public.
Le parcours de l'exposition, chronologique, se déroule en six sections.
Commencement et construction
À ses débuts, Hélion subit l’influence du néoplasticisme de Mondrian (et de Van Doesburg ) qui préconise la stricte orthogonalité des aplats de couleurs et des lignes mais aussi l’utilisation des couleurs pures . On peut se rappeler aussi son passage par des études de chimie (inabouties) et son expérience de dessinateur en cabinet d’architecture, où il effectue des relevés en vue de la reconstruction de sites détruits par la guerre. Puis, sans doute sous l’influence de Arp et de Calder, Hélion donne à son abstraction plus de souplesse : lignes horizontales et verticales associées à des lignes courbes, tâches biomorphiques se mêlant aux formes géométriques, gamme chromatique enrichie de nuances. Ces principes, mis en pratique dans les œuvres abstraites, l’accompagneront toute sa vie, y compris dans ses œuvres figuratives. Construction, composition, équilibre sont les mots clés qui président à la fabrique du tableau.
Hors chronologie, Défense d', 1943, huile sur toile
Trombone, 1928, huile sur toile
Homme assis, 1928, huile sur toile
Nature morte au pot, aux trois bols et à l'allumette, 1929, huile sur toile
Composition orthogonale, vers 1929, huile sur toile
Composition orthogonale, 1930, huile sur toile
Tensions, 1932, huile sur toile
Composition, 1930, huile sur toile
Composition, 1932, huile sur toile
Équilibre, 1933, huile sur toile
Tensions rouges, 1933, huile sur toile
Équilibre sur fond blanc, 1933, huile sur toile
Composition abstraite, 1933, huile sur toile
En 1931, Hélion rejoint le groupe Abstraction-Création, qui réunit toutes les tendances de l'art abstrait. La série des « Tensions » marque un premier infléchissement de l'orthogonalité, avec l'apparition de courbes. Composition abstraite va plus loin dans cette évolution, en plaçant en son centre une forme aux contours irréguliers et une palette renouvelée. Elle reflète également la rencontre de l'artiste avec Jean Arp, qui l'amène à s'inspirer des formes de la nature.
Abstraction, 1932, gouache, encre de Chine et crayon sur papier
Composition orthogonale, 1932, encre de Chine, aquarelle et crayon sur papier
Tensions diverses, 1932, encre de Chine et aquarelle
Composition-Équilibre,1934, huile sur toile
Équilibre,1933, huile sur toile
Composition,1934, huile sur toile
De la forme à la figure
Les « figures » (1935 1939) telles que l’artiste les nomme viennent après les « équilibres » (1932 1935). Le passage au terme « figures » dit bien la transition qui s’opère dans l’œuvre d’Hélion. Mais les principes à l’œuvre dans l’abstraction restent cependant bien présents. Profondeur, modelé, anthropomorphisme, sont autant d’indices qui mènent à la figuration sans qu’une référence au réel soit expressément désignée.
Figure, 1936, encre et aquarelle sur papier
Figure debout, 1937, aquarelle, gouache et encre de Chine sur papier
Composition aux bandes bleues, 1938, encre de Chine et aquarelle sur papier
Composition, 1935, encre de Chine et aquarelle sur papier
Complexe, 1938, gouache, aquarelle et encre de Chine sur papier
Composition, août-décembre 1935, huile sur toile
Composition verticale, 1936, huile sur toile
Figure rose, avril-septembre 1937, huile sur toile
Configuration, 7 avril - 21 octobre 1937, huile sur toile
Frise, 1938, huile sur toile
Monument, 1937, huile sur toile
Figure bleue, 1935-1936, huile sur toile
Figure bleue est un assemblage de plans courbes et anguleux qui forment un volume plastique renforcé par des jeux d'ombres. Le fond, composé d'un dégradé bleu-vert, donne son titre à l'œuvre et suggère une figure anthropomorphe, notamment par la forme coudée cylindrique évoquant un bras. Hélion trouble ainsi les limites entre la représentation figurative et l'expression abstraite.
Figure tombée, avril - septembre 1939, huile sur toile
« Dernière œuvre abstraite du peintre », Figure tombée est une toile charnière dans le parcours artistique d'Hélion. Au sein d'un espace théâtral, la figure, assemblage de formes géométriques et de volumes, vient se disloquer sur le devant de la scène. À la veille de la guerre, le peintre a associé cette toile à ses propres désillusions concernant l'abstraction : « J'ai atteint, en quelques secousses et en deux années, la Figure tombée, ce tableau de 1939 qui fait un monument à la chute en moi de l'abstraction. »
Réel et imaginaire
Au moment des Émile , Édouard et Charles (1939 ), le cap est bien franchi et les figures, désignées par des prénoms, ne laissent aucun doute quant à la référence au réel. Mais il ne s’agit pourtant pas de convoquer une ressemblance ou l’imitation d’un modèle. Les têtes sont réalisées à partir de formes abstraites.
Même quand la figure humaine devient parfaitement identifiable, c’est le strict jeu de formes utilisées dans les tableaux précédents qui la recompose.
Hélion démontre comment les formes figuratives contiennent l’abstraction et comment les formes abstraites suggèrent la figuration. L’affirmation de la volumétrie des formes, l’emploi des plages chromatiques, définissent un langage plastique qui veut avant tout « faire voir » le réel au travers de signes et d’archétypes. Ainsi la figure humaine n’est pas le lieu de la sensation, mais de la construction.
Au cycliste, 1939, huile sur toile
Au cycliste est une des premières scènes de rue décomposée en trois séquences distinctes, soulignées par l'utilisation de trois couleurs spécifiques. Les personnages, reprenant une esthétique mécanomorphe, deviennent des archétypes urbains. Au centre, un homme au chapeau et au parapluie sort de l'embrasure d'une porte. A droite, une figure féminine À immobile est appuyée dans l'encadrement d'une fenêtre, tandis qu'un troisième personnage, à gauche, un cycliste, s'éloigne, créant une perspective. Hélion joue ici sur les oppositions visuelles entre mouvement et immobilité.
Homme au parapluie et femme à la fenêtre, 1944, huile sur toile
L'Escalier, 1944, huile sur toile
Édouard, 1939, huile sur panneau, huile sur toile
« J'ai commencé, à partir des éléments abstraits dont je connaissais le fonctionnement, à construire des figures, notamment le premier Émile. » En 1939, après la réalisation de Figure tombée, Hélion commence ses premières études de têtes. Les personnages sont représentés de face, de profil ou de dos. Émile, Édouard et Charles sont construits autour d'un cadrage serré et d'éléments purement abstraits. Leur personnification obéit à un subtil agencement de formes géométriques et d'aplats de couleur.
Émile, 1939, huile sur bois
Charles, 1939, huile sur Isorel
Nature morte au parapluie, 1939, huile sur toile
Nature morte à la flaque d'eau, 1944, huile sur toile
Homme à la face rouge, 1943, huile sur toile
Homme à la joue rouge, 1943, huile sur toile
Homme au chapeau, 1943, aquarelle, gouache et encre sur papier
Le Trio, 1943, encre de Chine et aquarelle sur papier
Mannequinerie, 1944, aquarelle et encre sur papier
Homme au parapluie et femme à la fenêtre, 1944, aquarelle et encre de Chine sur papier
Les Salueurs, 1945, gouache sur papier
Les Salueurs, 1945, gouache sur papier
Salueur à la vitrine, 1944, encre de Chine, aquarelle et gouache sur papier
Allumeur, 1944, mine de plomb, encre et aquarelle sur papier
L'Allumeur, 1944, huile sur toile
L'Allumeur, 1944, huile sur toile
Deux parapluies, 1948, fusain sur papier
Journal plié, 1939, encre et aquarelle sur papier
Figure gothique, New York, 1945, encre de Chine, crayon, gouache et aquarelle sur papier
Portrait de Pegeen, 1945, encre, aquarelle et gouache sur papier
Jean Hélion a rencontré Pegeen Vail, fille de la collectionneuse Peggy Guggenheim, à New York en 1943, et l'a épousée en 1945 (séparés en 1956).
Cette section se termine par de grandes toiles de 1945-1946 :
À rebours, janvier-février 1947, huile sur toile
Hélion résume son cheminement artistique en suggérant que son exploration de l'abstraction a finalement abouti à la figuration. Ce tableau agit par contrastes et oppositions: homme/femme, fermé/ouvert, intérieur/extérieur, endroit/ envers, figuratif/abstrait (avec la représentation d'un « Équilibre »). Il parvient ainsi à intégrer ces dualités dans une représentation visuelle où les éléments s'accordent en jouant avec les formes géométriques et les couleurs. Il suggère également le thème traditionnel du peintre et de son modèle, sans ignorer la charge érotique du sujet, souligné par le geste de l'artiste.
Nu renversé, 1946, huile sur toile
Les Trois Nus, 1946, huile sur toile
Le Peintre demi-nu, 1945, huile sur toile
Femme accoudée, 1946, huile sur toile
Nous terminerons le parcours de cette rétrospective dans un prochain billet.
Le Paris de la modernité, 1905-1925 (II/II)
Nous poursuivons dans ce billet le parcours de l'exposition au Petit Palais entamé dans notre billet du 9 mars dernier.
« Poiret le magnifique »
Fils de drapier, Paul Poiret fonde très jeune une maison de couture, en 1903. L'histoire retiendra qu'il a « libéré » la femme du corset en 1906. Poiret insuffle surtout de la souplesse à ses modèles, tout en s'inspirant des Fauves et de l'esthétique orientale. Génie du « marketing », il invente le concept de produit dérivé, lançant dès 1911 le premier parfum de couturier. Sur le modèle des ateliers viennois, le Wiener Werkstätte, il fonde la même année l'Atelier Martine, où de jeunes apprenties créent des objets et accessoires d'art décoratif. Confortant sa réputation grâce aux « stars » de l'époque, comme les actrices. Réjane et Mistinguett, Poiret perçoit rapidement l'importance des nouveaux médiums que sont le film, la presse et la photographie pour diffuser ses modèles. Il est aussi parmi les premiers couturiers à s'installer dans le quartier des Champs-Élysées. Dans son hôtel particulier, il orchestre de mémorables fêtes costumées, aux mises en scène spectaculaires.
Marie Laurencin (1883-1959) : La Songeuse, 1910-1911, huile sur toile
Robert Delaunay (1885-1941) : Portrait d'Henri Cartier, 1906, huile sur toile
Paul Poiret (1879-1944) (et atelier Martine) :
Robe Directoire, années 1910, crêpe de soie, broderie au point de chaînette, perles de verre
Robe Delphinium, dite « Robe Bonheur » avec fond de robe, 1912, taffetas de soie crêpé ivoire, toile de coton crêpé, broderies en fils de coton, lainage bleu marine, dentelle aux fuseaux
Robe estivale, vers 1911, crêpe de coton ivoire, velours bouclé vert, broderies de fil de soie rouge, vert et blanc, ruban en satin vert foncé, pongé de soie ivoire
Corsage Les fleurs et faluche, vers 1915, filet en coton rose brodé de fil de soie polychrome à motifs floraux
Tenue Minaret comprenant un turban à aigrette, une tunique, une culotte bouffante façon sarouel, une combinaison de dessous (mannequinage moderne), un face-à-main miroir, une paire de souliers, 1913
Turban : satin de soie vert drapé, fond de tarlatane et toile de coton avec aigrette et ornement de perle
Tunique « abat-jour » : satin de soie vert bordé de galons et franges métalliques
Face-à-main: plumes bleues et brunes tachetées, rubans de filés métalliques, taffetas bleu marine, manche en bois
Souliers: toile argentée et cuir, brodés de strass vert
Dans la vitrine, Georges Lepape (1887-1971) : Femme au turban persan, 1911, gravure rehaussée au pochoir
Paul Iribe (1883-1935) : Planches extraites de l'album Les Robes de Paul Poiret racontées par Paul Iribe, 1908, gravure rehaussée au pochoir
Georges Lepape : Planches extraites de l'album Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape, 1911, gravure rehaussée au pochoir
Paul Poiret et atelier Martine : Paravent à trois feuilles, vers 1912-1913, bois, broderie en application sur fond de soie Paris
Naissance du Théâtre des Champs-Élysées
À son ouverture en 1913, le Théâtre des Champs-Élysées est à la pointe de la modernité. Construit par Auguste et Gustave Perret, le bâtiment en béton armé allie des technologies innovantes à une esthétique épurée, qui annonce l'Art déco. Le sculpteur Antoine Bourdelle conçoit le décor de la façade et supervise la décoration intérieure, à laquelle participent divers artistes, dont Maurice Denis, Édouard Vuillard ou Jacqueline Marval.
La programmation novatrice est inaugurée par les Ballets russes, que dirige Serge Diaghilev. Le Sacre du printemps, d'après une partition d'Igor Stravinsky et avec Vaslav Nijinski en danseur vedette, déchaîne un scandale le 29 mai 1913, faisant entrer l'œuvre et le Théâtre des Champs-Élysées dans la légende. Les ballets hauts en couleur qui y sont donnés, arborant des costumes souvent inspirés du folklore traditionnel russe, suscitent un véritable engouement et influencent à la fois la mode et la joaillerie de l'époque.
Auguste Perret (1874-1954) : Théâtre des Champs-Elysées, avenue Montaigne, Paris 8
- élévation de la façade principale, encre de Chine et aquarelle sur papier
- axonométrie éclatée de l'ossature en béton armé, 1913, encre et lavis rehaussé de blanc sur papier
Antoine Bourdelle (1861-1929) : Onzième étude de la deuxième façade, crayon au graphite, plume et encre brune, aquarelle sur papier vélin
Jacqueline Marval (1866-1932) : La Danse bleue, 1913, huile sur toile marouflée sur panneau
(d'un ensemble de dix tableaux pour le Foyer de la danse, situé dans les coulisses, autour du thème de Daphnis et Chloé)
Cartier :
Montre bracelet Santos-Dumont, 1912, or jaune, or rose, saphir, bracelet cuir
Bijoux divers
(d'après) Nicolas Roerich (1874-1947) :
Costume pour une jeune femme rouge dans Le Sacre du printemps, ballet de Vaslav Nijinski, reprise à l'opéra de Paris en 1991, tissu, coton, cuir
Costume pour L'Élue dans Le Sacre du printemps, ballet de Vaslav Nijinski, reprise à l'opéra de Paris en 1991, tissu, cuir
Jacques-Emile Blanche (1861-1942) :
Igor Stravinsky, 1915, huile sur toile
Tamara Karsavina dansant L'Oiseau de Feu, 1910, huile sur toile
Jacqueline Marval : Nijinski et la Karsavina, vers 1910, huile sur toile
SEM (Georges Goursat, dit) ,1863-1934, Le Massacre du printemps [Gabriel Astruc, Vaslav Nijinski, Frédéric Madrazzo], planche XXXVI, extraite du portfolio 19, Tangoville-sur-Mer, 1913, lithographie en couleurs
La France en guerre
Le 3 août 1914, l'Allemagne déclare la guerre Les artistes engagés pour la France à la France. La vie de tout un peuple bascule : 72 millions d'hommes sont mobilisés et beaucoup connaissent bientôt l'enfer des tranchées. Le Grand Palais sert de caserne, puis d'hôpital militaire, dépendant du Val-de-Grâce. Il accueille les soldats estropiés et soigne les « gueules cassées », victimes de cette guerre scientifique menée avec des armes modernes. Les femmes s'engagent comme infirmières, remplacent les hommes aux postes laissés vacants, et gagnent notamment leur vie dans des usines d'armement, où elles ne perçoivent néanmoins que la moitié du salaire des hommes. Les enfants, parfois eux aussi amenés à travailler, sont nombreux à se retrouver orphelins, «pupilles de la nation ».
Le 29 juillet 1914, le poète suisse Blaise Cendrars, l'écrivain italien Ricciotto Canudo et le sculpteur lituanien Jacques Lipchitz lancent « l'appel aux étrangers vivant en France ». Il s'agit d'inciter les créateurs d'origine étrangère, par définition non concernés par la mobilisation générale, à se joindre aux Français mobilisés, tel Fernand Léger, pour défendre le pays. Ossip Zadkine ou Guillaume Apollinaire s'engagent et obtiendront ainsi la nationalité française. Gravement blessé, Apollinaire sera trépané à deux reprises, tandis que Cendrars perdra un bras dans la bataille. Marie Vassiliev se forme comme infirmière mais, n'étant pas appelée, crée à Paris une soupe populaire pour les artistes. Jean Cocteau devient infirmier auprès de la Croix- Rouge. Enfin, Amedeo Modigliani est réformé pour raisons de santé, malgré son souhait de s'engager.
Paul Poiret : Capote de troupe en drap bleu horizon, fermée par six boutons métalliques gris, 1915, drap, métal, cuir, coton
Mobilisé le 14 août 1914, Paul Poiret intègre l'infanterie territoriale. Jaugeant sa tenue militaire d'un œil expert, il suggère à l'armée certaines améliorations, en particulier concernant la capote. Son modèle simplifié nécessite moins de tissu et de main-d'œuvre ; il est adopté en septembre 1914. A l'usage, il se révèle peu satisfaisant: les poches font défaut pour les munitions, les jambes sont insuffisamment couvertes, et le haut du corps n'est pas assez protégé contre le froid et l'humidité. Un autre modèle lui est préféré dès 1915.
Alfred Roll (1846-1919) : Soldat et infirmière, étude pour l'affiche Les Blessés de la tuberculose, 1916, pastel sur papier contrecollé sur toile
François Flameng (1856-1923) : Les Masques, août 1917, aquarelle, gouache et crayon graphite sur papier vergé
Félix Vallotton (1865-1925) :
Soldats sénégalais au camp de Mailly, 1917, huile sur toile
Église des Hurlus en ruines, 1917, huile sur toile
Félix Vallotton fait partie des peintres aux armées qui se voient investis d'une mission officielle pour traduire en peinture « l'atmosphère du front ». Il réalise ainsi en 1917 une tournée de trois semaines sur le front de Champagne. Les deux œuvres présentées dans cette salle datent de cette période. L'Église des Hurlus en ruines montre un paysage dévasté, traversé par un chemin boueux menant vers un horizon hérissé de ruines. Plutôt que de montrer la crudité de l'horreur, Vallotton exprime une trouble mélancolie.
Jacqueline Marval : Poupées patriotiques, 1915, huile sur toile
Jean Cocteau (1889-1963) : Guillaume Apollinaire, 1917, stylo-feutre noir sur papier
Mela Muter (Marie-Melania Klingsland, dite) 1876-1967, Les Soudanais, vers 1919, huile sur toile
Ossip Zadkine (1888-1967) : L'Escalier, 1918, issu d'un ensemble de 20 eayx-fortes
Loin du front, la vie reprend
La vie culturelle parisienne s'interrompt brutalement lorsque la capitale est déclarée en état de siège en août 1914. Elle reprend progressivement à la fin de l'année 1915. L'association Lyre et Palette propose des lectures, des concerts, mais aussi la première exposition française d'art africain et océanien, en novembre 1916, dans l'atelier du peintre Émile Lejeune. Dans le « Salon d'Antin » chez Paul Poiret, André Salmon organise en juillet 1916 « L'Art moderne en France », où Pablo Picasso expose pour la première fois ses Demoiselles d'Avignon. L'année suivante, des tableaux d'Amedeo Modigliani présentés à la galerie Berthe Weill doivent être décrochés pour «atteinte à la pudeur », ses Nus affichant des poils sur certaines parties du corps! Les théâtres et salles de spectacle rouvrent peu à peu, et le cinéma offre au public un nouveau divertissement. Comme l'illustre la création du ballet Parade en 1917, cette période connaît, paradoxalement, une effervescence culturelle et des innovations artistiques majeures.
Jacqueline Marval : Jeune fille assise, vers 1918, huile sur toile
Marevna (Marie Vorobieff, dite), 1892-1976 : La Mort et la Femme, 1917, huile sur bois
André Derain (1880-1954) : Portrait de Paul Poiret, 1915, huile sur toile
Léonard Foujita (1886-1968) : Fillette, 1917, huile sur toile
Amadeo Modigliani (1884-1920) : Portrait de Dédie [Odette Hayden], 1918, huile sur toile
Jeanne Hébuterne (1898-1920) : Autoportrait, 1916, huile sur carton
Jeanne Hébuterne, à la fois peintre et modèle, étudie à l'académie Colarossi lorsqu'elle réalise cet autoportrait. Les teintes bleues font ressortir la pâleur de son teint, qui lui vaut le surnom de « noix de coco ». À tout juste 18 ans, elle pose, à l'occasion, pour Foujita. Peu de temps après, la sculptrice Chana Orloff lui présentera Amedeo Modigliani, avec qui elle formera le couple sans doute le plus célèbre des Montparnos.
Kies Van Dongen (1877-1968) : La Vasque fleurie, 1917, huile sur toile
Tullio Garbari (1892-1931) : Les Intellectuels au café, 1916, huile sur toile
Marie Vassilieff (1884-1957) : Le Banquet de Braque, 1917, gouache sur carton
Pendant la guerre, Marie Vassilieff crée une «cantine » pour artistes. Dans cette œuvre, elle immortalise le banquet qu'elle y a donné le 14 janvier 1917 en l'honneur de Georges Braque, revenu du front (ici, couronné de lauriers). Marie Vassilieff coupe une dinde, Henri Matisse fait le service, Blaise Cendrars (amputé du bras droit) est attablé face à Picasso. Au fond, Modigliani fait irruption, ivre: il n'avait pas été invité, afin d'éviter la confrontation avec son ancienne maîtresse, Béatrice Hastings (en haut à droite). Le nouvel amant, furieux, se lève et pointe sur lui un pistolet.
Pablo Picasso : Costumes du ballet Parade : le Manager new-yorkais et Le Cheval
Refaits en 1979 d'après l'original de 1917. Structure : bois, toile de coton peinte; porte-voix: bois, papier mâché
Pour les personnages des managers, Picasso imagine un costume imposant, de près de trois mètres de haut. Construit en bois, toile peinte et papier mâché, il entrave les danseurs et leur confère des allures d'automate. Le manager américain est équipé d'un mégaphone et porte sur le dos des gratte-ciel new-yorkais, sur lesquels flottent des fanions de paquebot.
Le costume du cheval est prévu pour deux danseurs et leur donne une grande liberté de mouvement.
Picasso applique à ces costumes les codes esthétiques du cubisme et semble donner vie aux personnages de ses tableaux.
Pablo Picasso :
L'Atelier de l'artiste rue La Boétie, 12 juin 1920, crayon graphite et fusain sur papier
Portrait d'Olga dans un fauteuil, Montrouge, printemps 1918, huile sur toile
André Derain : Portrait de jeune fille, 1914, huile sur toile (probablement acheté par Picasso lors d'une exposition de soutien consacré à ce peintre, qui passe quasiment toute la guerre sur le front)
Jean Leprince (actif au début du XXe siècle) : Le Boulevard et la Porte de Saint-Denis, 11 novembre 1918, huile sur toile
Les années folles : Montparnasse, carrefour du monde
La paix retrouvée voit arriver les « Années folles », caractérisées par une intense activité artistique, sociale et culturelle. Des myriades d'artistes arrivent du monde entier et se ruent sur Montparnasse. Ils constituent ce que le critique André Warnod nommera en 1925 l'« École de Paris ». Les Salons, les galeries, les académies libres se réorganisent. Lieux de rencontre, les cafés accueillent aussi, à l'occasion, des expositions. Des artistes comme Chaïm Soutine ou Tsugouharu Foujita connaissent un véritable succès.
Kiki de Montparnasse est l'égérie de ce Paris des années 1920, qui vit également la nuit grâce à ses premiers dancings. Les Américains, nombreux à venir en Europe pour échapper à la prohibition qui sévit aux États-Unis ou pour fuir les lois ségrégationnistes, y importent le jazz. Se multipliant, les bals concrétisent «l'union des arts ». Ceux des Martiniquais, dont le Bal colonial (plus tard renommé Bal nègre), attirent également le Tout-Paris.
Félix Vallotton : Portrait d'Aïcha Goblet, 1922, huile sur toile
Chana Orloff (1888-1968) : David Ossipovitch Widhopff, dit aussi D.O. Widhopff, 1923, bronze
Léonard Foujita :
Mon intérieur (Nature morte au réveille-matin), Paris, 1921, huile sur toile collée sur panneau de bois marqueté
Nu, 1925, huile sur toile
Amedeo Modigliani : Maternité, 1919, huile sur toile
Chaïm Soutine (1893-1943) :
La Fiancée, 1923, huile sur toile
Portrait d'homme ( Émile Lejeune), [vers 1922-1923], huile sur toile
Pablo Gargallo (1881-1934) : Kiki de Montparnasse, 1928, laiton
Tarsila (Tarsila de Amaral, dite), 1186-1973 : A Cuca, vers février 1924, huile sur toile, cadre de Pierre Legrain
Francis Picabia (1879-1963) :
Portrait de Simone Breton, 1922, encre et aquarelle sur papier brun
Les Masques, 1923-1924, crayon graphite et encre sur papier
Max Ernst (1891-1976) :
Aquis Submersus, 1919, huile sur toile
André Breton, 1923, encre sur carton
Fernand Léger (1881-1955) : L'Homme à la pipe, 1920, huile sur toile
Le Paris des années folles : un nouvel art de vivre
Caractérisées par une grande soif de vivre, les « Années folles » (1920-1929) célèbrent la paix retrouvée. La génération qui a vécu la Grande Guerre cherche l'oubli d'elle-même, dans l'alcool et la débauche. Comme le résumera Ernest Hemingway dans un roman publié en 1964: « Paris est une fête » ! Les tenues reflètent ce nouvel art de vivre: robes de cocktail, à paillettes et à plumes sont idéales pour danser sur les rythmes échevelés du jazz et du fox-trot. L'époque consacre la vitesse dans tous les domaines : le cinéma, les automobiles, le train, les paquebots... C'est dans ce contexte qu'apparaît la figure ambivalente de la garçonne, une « femme nouvelle » aux multiples facettes, qui fascine et dérange. Érigée en héroïne par l'écrivain Victor Margueritte, elle se diffuse à travers la littérature et gagne la presse féminine, la publicité et l'industrie cosmétique.
Tamara de Lempicka (1898-1980) :
Saint-Moritz, 1929, huile sur toile
Perspective ou Les Deux Amies, 1923, huile sur toile
Foujita : Les Deux Amies, 1926, huile sur toile
Kees Van Dongen : Autoportrait en Neptune, 1922, huile sur toile
Chana Orloff : Portrait de Romaine Brooks, 1923, bronze
Jacques-Émile Blanche : Étude pour le portrait de Raymond Radiguet, 1923, huile sur toile marouflée sur carton
Jean Cocteau : Autoportrait « Écrivez lisiblement », 1919, lithographie
Robe de cocktail et éventail pliant, 1925
Deux robes de Madeleine Vionnet (1876-1975), 1925
Un corsage (1922) de Jean Patou (1887-1936) et un chapeau cloche (vers 1925) de Lucienne Rabaté (1838-1927)
Jacques-Émile Blanche : Le Groupe des Six, 1922, huile sur toile
Raoul Dufy (1877-1953) : Le Bœuf sur le Toit, 1920, xylographie sur papier
En 1920, Raoul Dufy est chargé des décors du Bœuf sur le Toit, ballet-pantomime inventé par Jean Cocteau. Dans cette lithographie, il réunit tous les protagonistes de l'action : un barman, une dame décolletée, une dame rousse, un joueur de billard noir, un monsieur en habit, un jockey, un boxeur noir, un policeman. Les têtes disproportionnées des personnages rappellent les costumes imaginés par Guy-Pierre Fauconnet, caractérisés par une énorme tête en carton-pâte.
Jean Cocteau : Étude de mains sur papier à en-tête du Boeuf-sur-le-Toit, vers 1923, encre sur papier
Irène Lagut (1893-1994) : Les Mariés de la Tour Eiffel, 1921, huile sur toile
Cette peinture rappelle le rôle qu'Irène Lagut joua dans la création du ballet Les Mariés de la tour Eiffel, dont elle conçut les décors. La musique de ce ballet, fruit de la collaboration de Georges Auric, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre, est la seule œuvre collective du groupe des Six. Jean Cocteau en composa le livret.
Les Suédois et la Revue Nègre au Théâtre des Champs-Élysées
En 1920, le Théâtre des Champs-Élysées renouvelle son répertoire grâce aux Ballets suédois, compagnie fondée par le collectionneur Rolf de Maré. Celui-ci conçoit ses spectacles à la façon d'une œuvre d'art totale qui mettrait en scène sa propre collection. Le danseur suédois Jean Börlin en assure la chorégraphie jusqu'en 1925. Explorant les relations entre scène et tableau, il repousse les limites de la danse, en interaction avec les arts plastiques. Les compositeurs du groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre), réunis autour de Jean Cocteau, participent à certaines saisons - de même que les peintres Marie Vassilieff et Fernand Léger.
Après le départ des Ballets suédois au printemps 1925, le Théâtre des Champs-Élysées programme La Revue nègre. Arrivée des États- Unis, la jeune Joséphine Baker y fait sensation avec ses danses trépidantes, aux côtés notamment de Sidney Bechett. Accueillie à Paris dans une société non régie par des lois de ségrégation, elle adopte la France comme sa patrie de cœur.
Per Lasson Krohg (1889-1965) : Jean Börlin - Affiche de la première saison des Ballets suédois, 1920, lithographie couleur
Marie Vassilieff : Poupée des Ballets suédois, 1924, tissu, carton et Rhodoïd
Jan et Joël Martel (1896-1966) Skating Rink - Jean Börlin dans le rôle du Fou, 1922, céramique polychrome
Fernand Léger :
Couverture du programme des Ballets suédois, vers 1923
Projet de costume pour le ballet Skating Rink, vers 1921, graphite, encre de Chine et gouache sur papier
Charlot cubiste, 1924, éléments en bois peint cloués sur contreplaqué
Maquette du décor du ballet La Création du monde, 1922 (reproduction en 1995), assemblage en bois peint
Paul Colin (1892-1985) : affiche du spectacle La Revue Nègre, 1925, lithographie
Jean Dunand (1877-1942) : Joséphine Baker voilée, 1927, panneau de laque blonde, noire et argent
Kees Van Dongen : Joséphine Baker, 1925, encre de Chine et aquarelle sur papier
Jean Cocteau : Joséphine Baker, vers 1925, encre de Chine sur papier
Dernière salle de ce parcours marathon :
L'exposition internationale des Arts décoratifs de 1925
Reportée à trois reprises, l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes ouvre ses portes le 28 avril 1925. À sa clôture, le 25 octobre, elle aura accueilli plus de 15 millions de visiteurs et rencontré un immense succès populaire.
Cette manifestation d'envergure s'étend de la place de la Concorde au pont de l'Alma et du rond-point des Champs-Élysées à l'esplanade des Invalides, en passant par le pont Alexandre-III. Elle réunit vingt et une nations - l'Allemagne et les États-Unis en sont absents -, représentées par 150 galeries et pavillons éphémères, auxquels s'ajoute le Grand Palais.
Son enjeu est à la fois économique et culturel. Il s'agit de faire valoir l'excellence des traditions françaises face à l'Allemagne vaincue et à la concurrence internationale. Il faut également relancer la production industrielle et le commerce de luxe, dans une France fragilisée par l'inflation.
Dédiée à l'art, à la décoration et à la vie moderne, cette grande fête est parfois considérée comme le chant du cygne d'une esthétique du luxe. Elle signe l'apparition du terme «Art déco».
Joseph Bernard (1866-1931) : Jeune fille à la cruche ou Porteuse d’eau, 1921, plâtre ; au mur, La Danse, 1925, moulage d'après la frise en marbre de 1913, plâtre
Jacques-Émile Ruhlmann (1879-1933) : Argentier [meuble au char], 1921, ébène de Macassar, marqueterie d'ivoire et d'acajou de Cuba
Edgar Brandt (1880-1960) : Les Bouquets, porte intérieure du pavillon du Collectionneur, 1925, fer forgé et argenté
Porte en fer forgé et verre de la boutique Siégel et têtes de mannequins de la maison Siégel.
On retrouve Paul Poiret :
Fauteuil cambodgien, vers 1925, hêtre laqué rouge et noir, assise en cuir
Robe d'intérieur imprimée de rayures tabac, vers 1920, toile de lin
Dans ce salon, comme à l'exposition de 1925, trois robes de Jeanne Lanvin (1867-1946). Les mannequins sont de la maison Siégel et la chaise à dossier renversé et crosse en merisier de Armand-Albert Rateau (1882-1938) pour Lanvin-Décoration.
Terminons sur une touche animalière avec :
Panthère marchant, réalisée pour le pavillon de l'Élégance par les frères Baguès, 1925, fer forgé, socle en marbre
et le célèbre ours de François Pompon (1855-1933).
Mark Rothko (1903-1970) (II/II)
Nous terminons le parcours de la rétrospective Rothko à la Fondation Louis Vuitton, amorcée dans notre billet du 2 mars dernier.
Les années 1950
Au début des années 1950, la peinture de Rothko se fait immédiatement identifiable : deux ou trois formes rectangulaires et colorées se superposent, jouant d’une infinité de tons et de valeurs, créant la vibration si caractéristique de ses œuvres. La touche atmosphérique donne à la toile une qualité mystérieuse, quasi magique. Derrière la couleur, c’est la lumière que l’artiste dit rechercher. Les formats s’agrandissent encore, jusqu’à envelopper le spectateur. Rothko est bien conscient de l’emprise sensuelle de sa peinture, mais il refuse la qualification de « coloriste » tout comme il réfute la sérénité apparente de son œuvre : « J’ai emprisonné la violence la plus absolue dans chaque centimètre carré de leur surface ».
No. 9 (Dark over Light Earth/ Violet and Yellow in Rose), 1954, huile sur toile
Light Cloud, Dark Cloud, 1957, huile sur toile
No. 7 (Dark over Light), 1954, huile sur toile
Untitled (Red, Black, White on Yellow), 1955, huile sur toile
Yellow Band, 1956, huile sur toile
No. 13 (White, Red on Yellow), 1958, hulle et acrylique avec pigments en poudre sur toile
No. 9/No. 5/No. 18, 1952,huile sur toile
Green on Blue (Earth-Green and White), 1956, huile sur toile
Untitled, 1955, huile sur toile
No. 15, 1958, huile sur toile
No. 6 (Yellow, White, Blue over Yellow on Gray), 1954, huile sur toile
No. 10, 1957, huile et techniques mixtes sur toile
No. 14/No. 10 (Yellow Greens), 1953, huile sur toile
Untitled, 1955, huile sur toile
Seagram Murals
À partir de 1956 les couleurs s’assombrissent et les formats évoluent, comme en témoignent les trois ensembles réunis au niveau 1 du bâtimant de la Fondation Louis Vuitton :
En juin 1958, Rothko accepte la commande d’une série de peintures murales destinées au restaurant conçu par l’architecte Philip Johnson pour le nouveau gratte-ciel de Mies van der Rohe, le Seagram Building. Rothko s’enthousiasme à l’idée d’avoir la maîtrise totale d’un lieu où il cherche à créer une oeuvre indissociable de l’architecture.
Dans un nouvel atelier, il installe un échafaudage aux dimensions de la salle du restaurant. Quelque trente œuvres seront ainsi réalisées. Rothko restreint sa palette à une dualité de couleurs dans chaque panneau et privilégie les formats horizontaux ; modifiant sa composition, il passe d’une forme fermée à ouverte, dont les horizontales et les verticales peuvent suggérer une fenêtre ou un portail. Notons que les tableaux devaient être placés suffisamment haut pour rester visibles derrière les convives.
En décembre 1959, réalisant que le lieu ne correspond nullement à l’esprit du projet qu’il avait conçu, Rothko résilie le contrat. Dix ans plus tard, il sélectionne neuf de ces panneaux et en fait don à la Tate, sensible à l’idée d’une proximité avec l’œuvre de Turner qu’il admire. Les œuvres arrivent à Londres le jour de sa mort et sont exposées dans la « Rothko Room ». Leur présentation, dans le respect des directives données par l’artiste, est une occasion exceptionnelle de voir cet ensemble en dehors du Royaume-Uni.
– en préambule, cinq œuvres de 1956 à 1958 qui par leur structure et leur palette annoncent les Seagram Murals, 1958-1959, dont le No. 9 (White and Black on Wine), 1958, qui est le tout premier de la série.
The Black and the White, 1956, huile sur toile
Brown and Black in Reds, 1957, huile sur toile
No. 15, 1957, huile sur toile
Pink and White over Red, 1957, huile sur toile
Ce tableau acquis en 1958 par Phyllis Lambert, architecte et fille du propriétaire de la firme Seagram, est à l'origine de la commande pour le Seagram Building passée à Rothko cette même année.
No. 9 (White and Black on Wine), 1958, huile sur toile
– La «Rothko Room» de la Tate est ensuite présentée en totalité avec ses neuf Seagram Murals.
Ces œuvres, réalisées entre 1958 et 1959, intitulées pour les unes Black on Maroon, pour les autres Red on Maroon, sont présentées, comme à la Tate Modern de Londres, dans une lumière parcimonieuse selon les instructions qui ont accompagné le don de l'artiste.
– Le parcours se poursuit dans la salle suivante avec les Blackforms, 1964-1967.
Au cours de l’année 1964 dans la lignée des Seagram Murals, l’artiste expérimente la capacité de panneaux sombres à la limite de la monochromie à générer leur propre lumière. Mêlant au noir des bruns, des rouges et du violet, ces tableaux connus sous le nom de Blackforms exigent l’accoutumance de l’oeil avant de se révéler pleinement au regard. Ils coïncident avec le début de la réflexion de Rothko pour la chapelle de Houston, à laquelle il se consacrera jusqu’à la fin des années 1960.
Untitled, 1964, huile et acrylique sur toile
No. 8, 1964, huile, acrylique et techniques mixtes sur toile
No. 3, 1967, huile sur toile
Quelques autres toiles dans la galerie 6 :
Untitled (Black, Red over Black on Red), 1964, huile sur toile
No. 3 (Green and Blue)[Untitled], 1957, huile sur toile
et dans la petite galerie 7, toujours au niveau 1 :
La « Rothko Room » de la Phillips Collection
Emblématiques de la période classique – couleurs vibrantes et effet de sfumato d’où émergent deux rectangles distincts –, les trois peintures réunies ici proviennent de la Phillips Collection (Washington, DC) où elles sont présentées ensemble dans un espace dédié, la « Rothko Room ». Les dimensions étroites du lieu convenaient à l’artiste qui souhaitait un accrochage des œuvres proche du sol, et un éclairage tamisé. Il fit ajouter un simple banc, incitant ainsi à la contemplation. Inaugurée en 1960, la « Rothko Room » est la première salle consacrée à Rothko dans un musée et la seule ouverte au public de son vivant. Elle suscitait chez Duncan Phillips, fondateur de la Phillips Collection, une sensation de « bien-être soudain assombri par un nuage ».
Ochre, Red on Red, 1954, huile sur toile
Orange and Red on Red, 1957, huile sur toile
Green and Tangerine on Red, 1956, huile sur toile
Les années 1960
Au cours des années 1960, Rothko poursuit la réalisation de tableaux individuels. Chacun d’eux propose au visiteur à travers un « état d’intimité » une expérience immersive. Co-créateur comme le souhaite Rothko, ce
visiteur doit « prendre le risque » et « entreprendre le voyage » [sauf à] « passer réellement à côté de l’expérience essentielle du tableau ». Comme toujours chez l’artiste, les couleurs en sont le vecteur. Elles se sont alors assourdies et densifiées, les rouges, les noirs et les marron prenant une importance croissante. Associés à des bleus profonds, ils créent un contraste renforçant l’incandescence et accentuent la luminosité de l’œuvre.
No. 1, White and Red, 1962, huile sur toile
Number 207 (Red over Dark Blue on Dark Gray), 1961, hulle sur toile
Untitled, 1960, Technique mixte sur toile
Blue, Orange, Red, 1961, huile sur toile
No. 5, 1963, huile sur toile
No. 2, 1963, huile, acrylique et colle sur toile
No. 14 (Painting), 1961, huile sur toile
Untitled, 1962, huile sur toile
La couleur, encore
Rothko continue d’utiliser jusqu’à la fin des couleurs éclatantes – rose, rouge, orange et bleu – comme le montrent les trois œuvres présentées dans la salle 11
Untitled, 1967, huile sur toile
No. 3 (Untitled/Orange), 1967, huile sur toile
Untitled, 1967, huile sur toile
Comme dans chaque grande exposition de la Fondation Louis Vuitton, le parcours se termine en apothéose dans la galerie 10 :
Black and Gray, Giacometti
La série des Black and Gray, 1969-1970, se distingue par une nouvelle composition en deux parties bien définies, séparées par une ligne continue : un rectangle noir dans la zone supérieure et un rectangle gris dans la zone inférieure. Chaque peinture, sauf une, est entourée d’une bordure blanche tracée à l’aide d’un ruban adhésif enfermant les deux rectangles. Ici on regarde l’oeuvre plus qu’on n’y pénètre. Rothko utilise de l’acrylique, employée auparavant seulement dans ses œuvres sur papier de 1967-1968. Marqués par une certaine sévérité, ces tableaux ont trop souvent été rapportés aux problèmes de santé de Rothko et à un état dépressif. Une lecture plus contemporaine, portée par les artistes, fait valoir une autre interprétation les reliant au minimalisme.
Ici, la présence de Giacometti évoque la commande d’une peinture monumentale passée à Rothko en 1969 par l’Unesco, pour son nouveau siège parisien. Cette oeuvre aurait dû être présentée à proximité d’une grande figure de Giacometti, artiste dont il se sentait proche et dont la couleur des peintures aurait, selon Motherwell, inspiré les Black and Gray. Dès juillet 1969, Rothko renonce à la commande, tout en poursuivant son travail sur cette série jusqu’à sa disparition en février 1970.
Tous ces tableaux sont peints à l'acrylique sur toile, sans titre (Untitled), mention parfois suivie de Black and Gray, et datés de 1969 ou 1969-1970.
Le Paris de la modernité, 1905-1925 (I/II)
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Le Petit Palais présente depuis novembre une exposition très riche et variée, « Le Paris de la modernité (1905-1925) ».
De la Belle Époque jusqu'aux années folles, Paris continue plus que jamais d'attirer les artistes du monde entier. La Ville-Monde est à la fois une capitale au coeur de l'innovation et le foyer d'un formidable rayonnement culturel. Le parcours présente près de 400 œuvres de Robert Delaunay, Sonia Delaunay, Marcel Duchamp, Marie Laurencin, Fernand Léger, Tamara de Lempicka, Amedeo Modigliani, Chana Orloff, Pablo Picasso, Marie Vassilieff et tant d'autres. L'exposition montre également des tenues de Paul Poiret, de Jeanne Lanvin, des bijoux de la maison Cartier, un avion du musée de l'Air et de l'Espace du Bourget et même une voiture prêtée par le musée national de l'automobile à Mulhouse. À travers la mode, le cinéma, la photographie, la peinture, la sculpture, le dessin, mais aussi la danse, le design, l'architecture et l'industrie, l'exposition donne à vivre et à voir la folle créativité de ces années 1905-1925.
Montmartre et Montparnasse, viviers de la création
Au début du XXe siècle, les ateliers d'artistes sont d'abord concentrés à Montmartre puis à Montparnasse, véritables viviers de la création. Alors situés aux limites de Paris, ces quartiers offrent à la bohème artistique un cadre animé, avec leurs nombreux cafés et réseaux d'entraide.
Montmartre attire dès la fin du XIXe siècle les « rapins », ces artistes en devenir. Originaires de la capitale ou d'autres régions françaises, mais aussi d'Espagne et d'Italie, ils s'installent dans des ateliers bon marché: ceux du Bateau-Lavoir accueillent à partir de 1904 la « bande à Picasso ». Ce lieu de discussions esthétiques et artistiques passionnées devient un véritable laboratoire de la modernité. Au cabaret du Lapin agile, les artistes se mêlent aux poètes et écrivains, ainsi qu'à des « canailles crapuleuses». Cependant, les chantiers incessants, l'insécurité, l'arrivée du tourisme, l'augmentation des loyers poussent peu à peu les artistes à quitter Montmartre pour Montparnasse, sur la rive gauche de la Seine.
Marie Laurencin (1883-1959) :
Autoportrait, 1905, huile sur toile
Portrait de Max Jacob, 1908, huile sur bols
Max Jacob fréquente Le Bateau-Lavoir et soutient son ami Picasso. Excentrique personnage en redingote bretonne, le peintre, poète et écrivain y anime les soirées par ses bons mots, son talent d'imitateur et ses supposés dons de divination. Réalisé par Marie Laurencin, ce portrait reprend ses traits glabres sous la forme d'un masque. L'artiste s'est sans doute inspirée des collections d'œuvres extra-européennes de son compagnon, le critique d'art et poète Guillaume Apollinaire, ou par Les Demoiselles d'Avignon, qu'elle a pu voir dans l'atelier du Bateau-Lavoir de Picasso.
Kees Van Dongen (1877-1968) : Portrait de Fernande Olivier, 1907, pastel
Beauté vedette de Montmartre, Fernande est modèle - un métier grâce auquel elle a acquis l'indépendance financière lui permettant de s'arracher aux griffes d'un mari abusif. En ménage avec Picasso à partir de 1904, elle pose dès lors exclusivement pour lui et ses proches, comme ici le peintre hollandais Kees van Dongen. Installé au Bateau-Lavoir depuis 1903, ce dernier la représente à de nombreuses reprises, avec ses yeux en amande et ses cheveux remontés en chignon.
Jules Pascin (1885-1930) : Le Modèle, 1912, huile sur toile
André Gill (1840-1885) : Enseigne du Lapin-Agile, 1880, huile sur bois
Pablo Picasso (1881-1973) :
Buste de femme ou de marin (étude pour Les Demoiselles d'Avignon), 1907, huile sur carton
Le Repas frugal, 1904, eau-forte dur zinc
Le Fou, 1905, bronze
Michel Kikoïne (1892-1968) : La Ruche sous la neige, 1913, huile sur toile
Marc Chagall (1887-1985) :
L'Atelier, 1911, huile sur toile rentoilée sur toile fine
Ma fiancée aux gants noirs, 1909, huile sur toile
Marie Vassilieff (1884-1957) :
Projet d'affiche pour un bal à l'Académie Vassiliev, vers 1913 ou 1914, fusain sur papier
Scipion l'Africain, 1916, huile sur toile
La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, livre composé du poème du même nom de Blaise Cendrars et des couleurs de Sonia Delaunay, 1913, éditions Les Hommes nouveaux.
József Csáky (1888-1971) : Tête, 1914, pierre blanche
Ossip Zadkine (1888-1967) : Tête de jeune fille, 1914, marbre
Jacques Lipchitz (1891-1973) : Marin à la guitare, 1914-1915, bronze patiné
Amedeo Modigliani (1884-1920) : Tête de femme, 1911-1912, pierre
Les salons parisiens au cœur de l'échiquier artistique
Célèbres expositions artistiques héritières d'une tradition académique, les Salons parisiens demeurent des rendez-vous incontournables au début du XXe siècle. Organisés par des sociétés d'artistes, ces Salons ont toujours été ouverts aux femmes. Lieux d'exposition et de vente des œuvres au public et aux amateurs, ils revêtent une grande importance pour les artistes.
Fondé en 1884, le Salon des indépendants s'oppose au Salon des artistes français qui représente les tendances officielles.
Le Salon d'automne est créé en 1903 au Petit Palais, avant de s'établir en face, au Grand Palais, dès l'année suivante. L'objectif est d'offrir des débouchés aux jeunes artistes et de faire découvrir les nouveaux courants à un public étendu. En 1905, il est marqué par le scandale des œuvres fauves. Exposant notamment les néo-impressionnistes et les cubistes le Salon d'automne accompagne la naissance de l'art moderne.
Natalia Gontcharova (1881-1962) : Nature morte aux lilas, 1911, huile sur toile
Kees Van Dongen : Nini, danseuse aux Folies-Bergères ou La Saltimbanque au sein nu, 1907-1908, huile sur toile
Henri Matisse (1869-1954) : Marguerite lisant, 1906, huile sur toile
Henri Rousseau, dit Le Douanier Rousseau (1844-1910) : La Charmeuse de serpents, 1907, huile sur toile
Jean Puy (1876-1960) : Flânerie sous les pins, 1905, huile sur toile
Albert Marque (1872-1939) :
Buste d'enfant, 1903, terre cuite
Buste de fillette, 1906, terre cuite rouge
Le scandale créé au Salon d'automne de 1905 est tel que le président de la République Émile Loubet refuse de l'inaugurer. En cause, les œuvres d'Henri Matisse, Maurice de Vlaminck, Albert Marquet, Henri Manguin, André Derain et Charles Camoin réunies dans la salle VII, dont les teintes vives, appliquées en larges traits de pinceau, évoquent à certains critiques des « bariolages informes ». André Vauxcelles remarque au centre de la pièce un portrait d'enfant et un petit buste du sculpteur Albert Marque dont « la candeur surprend au milieu de l'orgie des tons purs : Donatello chez les fauves ». L'expression restera, faisant du fauvisme la première avant- garde du XXe siècle.
Pablo Picasso : La Femme au pot de moutarde, 1910, huile sur toile,
Georges Braque (1882-1963) : Tête de femme, 1909, huile sur toile
De 1907 à 1914, Georges Braque et Pablo Picasso travaillent conjointement, « en cordée », comme ils se plaisent à le dire, pour élaborer un nouveau langage pictural. Influencés par Paul Cézanne, « le père de l'art moderne », ils recomposent le volume en facettes, réduisant la palette des couleurs à des teintes sourdes, multipliant et combinant les points de vue. Ensemble, ils élaborent et donnent naissance au cubisme.
Fernand Léger (1881-1955) : Le Passage à niveau, 1912, huile sur toile
Piet Mondrian (1872-1944) : Paysages avec arbres, 1912, huile sur toile
Roger de la Fresnaye (1885-1925) : Cuirassier, 1910-1911, huile sur toile
Henri Le Fauconnier (1881-1946) : L'Abondance, 1910, huile sur place
Albert Gleizes (1881-1953) : Les Baigneuses, 1912, huile sur toile
Jean Metzinger (1883-1956) : L'Oiseau bleu, 1912-1913, huile sur toile
Carlo Carrà (1881-1966) : Stazione di Milano, 1911, huile sur toile
Gino Severini (1883-1966) :
Les voix de ma chambre, 1911, huile sur toile
La Danse du pan-pan au "Monico", [1909 / 1960], huile sur toile
Carrà et Severini sont deux figures du mouvement "futuriste"
Marcel Duchamp (1887-1968) : Roue de bicyclette, 1913/1964, métal, bois peint
Le « Boom » des salons du cycle, de l'automobile et de l'aviation
Le vélocipède, l'automobile et l'aviation, nouveaux modes de transport émergents, ont bientôt leurs propres Salons à Paris. Le Grand Palais accueille en 1901 le Salon international de l'automobile, du cycle et des sports, qui se tiendra ensuite chaque année, excepté en 1909 et 1911. Les visiteurs s'y pressent par centaines de milliers pour découvrir les premières automobiles Renault et Serpollet, entre autres.
En 1908, une petite partie du Salon est réservée aux aéroplanes et aux ballons : on peut y admirer l'avion de Clément Ader, l'Antoinette de Léon Levavasseur, la Demoiselle d'Alberto Santos-Dumont... Le succès est tel qu'une nouvelle manifestation spécialement dédiée aux « choses de l'air » s'impose. La première « Exposition internationale de la locomotion aérienne » est inaugurée en 1909 par le président de la République Armand Fallières.
Peugeot
Automobile Peugeot Type BP1, dite « Bébé Peugeot », torpédo, 1913, métal, cuir (classée Monument historique, Mulhouse, musée national de l'Automobile, Collection Schlumpf)
Bicyclette pliante système Gérard transformée en 1912, édition vers 1920, acier, pneus caoutchouc, selle cuir, bretelles cuir
Quelques œuvres dans ce contexte :
Le douanier Rousseau : Les Pêcheurs à la ligne, entre 1908 et 1909, huile sur toile
Robert Delaunay (1885-1941) : Hommage à Blériot, 1914, huile sur toile
Raymond Duchamp-Villon (1876-1918) : Le Cheval majeur, 1914 (épreuve de 1984), acier inoxydable brossé
Terminons ce premier volet avec ce qui est sans doute le "clou" de cette exposition :
Louis Béchereau (1880-1970), Armand Deperdussin (1864-1924) :
Aéroplane Deperdussin Type B, 1911, bois, toile enduite, peinture, métal, matériaux synthétiques, collection du musée de l'Air et de l'Espace (Le Bourget)
La première Exposition internationale de la locomotion aérienne se tient au Grand Palais en 1909. Avec son « monoplan», le constructeur et homme d'affaires Armand Deperdussin fait sensation. S'allouant les services du jeune ingénieur Louis Béchereau, l'aéroplane type B dépasse pour la première fois les 200 km/h et remporte le trophée Gordon-Bennett des éditions 1912 et 1913. Le talent de Béchereau survit à la faillite de Deperdussin et s'exerce sur les appareils destinés à la guerre aérienne.
Nous poursuivrons la visite dans un prochain billet.
Mark Rothko (1903-1970) (I/II)
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La grande exposition de la saison automne-hiver de la Fondation Louis-Vuitton est cette année consacrée au peintre américain Marc Rothko.
Né Marcus Rotkovitch en 1903 à Dvinsk dans l’Empire russe, aujourd’hui Lettonie, il émigre à 10 ans, avec sa famille, à Portland, aux États-Unis. Brillant élève, il intègre Yale qu’il quitte en 1923 pour s’installer à New York. Là, il découvre fortuitement sa vocation et intègre l’Art Students League dont il devient membre jusqu’en 1930. Naturalisé américain en 1938, il prend deux ans plus tard le nom de Mark Rothko.
Si les œuvres abstraites dites « classiques » (1950-1970), devenues iconiques, forment le cœur de l’exposition, le parcours, globalement chronologique, commence dans les années 1930 avec un ensemble de peintures figuratives.
Scènes urbaines, Métro et portraits
De ses débuts à 1940, Mark Rothko développe une œuvre figurative prenant pour sujet la figure humaine. Il représente des personnages anonymes – nus, portraits et scènes urbaines. L’artiste éprouve la plasticité des figures jusqu’aux limites de la représentation, tendant vers toujours plus de simplification et de réduction des formes. Sa touche expressionniste évolue sous l’influence de peintres particulièrement admirés, Milton Avery et Henri Matisse.
Self-portrait, 1936, huile sur toile (le seul autoportrait de l'artiste)
Nude, 1938-1939, huile sur toile
Family, vers 1936, huile sur toile
Untitled, 1939, huile sur toile
Untitled, 1938, huile sur toile
Street Scene, vers 1937, huile sur toile
Untitled, 1939, huile sur toile
Untitled, 1938-1939, huile sur toile
Untitled (The Subway), 1937, huile sur toile
Underground Fantasy, vers 1940, huile sur toile
Untitled (Subway), 1937, huile sur toile
Untitled, 1935, huile sur toile
Entrance to Subway, 1938, huile sur toile
Portrait, 1939, huile sur toile
Street Scene, 1936-1937, huile sur toile
The Road, 1932-1933, huile sur toile
Movie Palace, 1934-1935, huile sur toile
Contemplation, 1937-1938, huile sur toile
Mythologie et néo-surréalisme
Dans le contexte tragique du début des années 1940, Rothko reprend la peinture et, avec ses amis Adolph Gottlieb et Barnett Newman, cherche à inventer un « mythe contemporain ». Puisant dans les mythologies antiques et dans certaines formes totémiques, il tente d’élaborer un langage universel en réponse à la barbarie.
Son vocabulaire se peuple d’éléments biomorphiques au contact du surréalisme – dont les artistes américains sont devenus familiers depuis l’exposition du MoMA en 1936, « Fantastic Art, Dada and Surrealism » et l’exil de ses principaux représentants à New York. Peggy Guggenheim promeut cette nouvelle esthétique dans sa galerie Art of This Century où Rothko expose pour la première fois en 1944.
Untitled, 1941-1942, huile sur toile
Antigone, vers 1941, huile et fusain sur toile
Untitled, 1941-1942, huile sur toile
The Omen of the Eagle, 1942, huile et graphite sur toile
The Omen of the Eagle [Le Présage de l'aigle] s'organise autour de trois registres superposés : en haut, des têtes répétées en frise ; au milieu, des ailes - en écho au titre, lointaine évocation des anges de la première Renaissance italienne ; en bas, des formes organiques moins identifiables. Dans un de ses rares commentaires, Rothko écrit : « Le thème dérive de la trilogie d'Agamemnon d'Eschyle. La peinture ne traite pas d'une anecdote particulière, mais de l'Esprit du Mythe, générique de tous les mythes à toutes les époques ». Le titre évoque le présage annonçant la guerre de Troie ; l'ombre de la Seconde Guerre mondiale est aussi présente.
Untitled, 1941-1942, huile sur toile
Untitled, 1941-1942, huile sur toile
Sea Fantasy, 1946, huile sur toile
Aeolian Harp/No. 7, 1946, huile sur toile
Hierarchical Birds, 1944, huile sur toile
Agitation of the Archaic, 1944, huile sur toile
Gethsemane, 1944, huile et fusain sur toile
Slow Swirl at the Edge of the Sea, 1944, huile sur toile
Tiresias, 1944, huile sur toile
Sacrifice of Iphigenia, 1942, huile sur toile
Multiformes et début des œuvres dites «classiques»
À la fin de 1946, s’ouvre pour Rothko une phase de plus en plus abstraite avec les Multiformes. Si les premières compositions restent denses et organiques, à partir de 1948 elles se caractérisent par une structure plus définie, des couches plus fines et des formats verticaux qui s’agrandissent. Dès 1949, apparaît sa composition caractéristique aux rectangles superposés, dans une palette lumineuse et translucide. Rothko abandonne alors les titres pour une numérotation des œuvres.
Untitled, 1946, huile sur toile
Untitled, 1948, huile sur toile
Untitled : Abstraction Number 11, 1947, huile sur toile
Untitled, 1948, huile sur toile
Untitled, 1948, huile sur toile
Untitled, 1948, huile sur toile
Number 19, 1949, huile sur toile
No. 17 [or] No. 15, 1949, huile sur toile
No. 14 (Golden Composition), 1949, huile sur toile
No. 1, 1949, huile sur toile
No. 21 (Untitled), 1949, huile et techniques mixtes sur toile
No 11 / No 20 (Untitled), 1949 - Huile sur toile
No. 7, 1951, huile sur toile
No 16, 1951, huile sur toile
Untitled, 1949, colle de peau pigmentée et huile sur toile
No 5, 1949, huile sur toile
Untitled, 1949, huile et acrylique avec pigments en poudre sur toile
Untitled (Blue, Yellow, Green on Red), 1954, huile sur toile
Number 18, 1951, huile sur toile
No 8, 1949, huile et techniques mixtes sur toile
No 5/No 22, 1950, huile sur toile
Nous terminerons dans un prochain billet le parcours de cette magistrale rétrospective.