Bourse de Commerce : Le Monde comme il va
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La Bourse de Commerce - Pinault Collection propose ce printemps, dans tout son espace, une très belle exposition réunissant une vaste sélection de pièces de la collection de François Pinault principalement réalisées entre les années 1980 et aujourd’hui, et dont la moitié est exposée pour la première fois.
Son titre, emprunté à un conte philosophique de Voltaire, renvoie selon les organisateurs aux turbulences et soubresauts du monde. Tout comme le personnage principal du conte — un observateur envoyé pour tenter de comprendre l’humanité —, le visiteur est confronté à une vision ambivalente, oscillant entre faiblesses et vigueurs d’un monde qui semble se laisser aller vers sa perte, mais qui conserve espoirs et grâces. Les artistes présentés dans « Le monde comme il va » produisent de puissantes images, tantôt ironiques, tantôt violentes, de cette situation paradoxale, et deux générations d’œuvres dialoguent à parts égales dans le parcours : celles réalisées dans le contexte des décennies 1980-1990, et celles réalisées à partir des années 2000.
Le visiteur est accueilli dans le hall du bâtiment par une œuvre de Maurizio Cattelan, né à Padoue (Italie) en 1960 :
Untitled (Picasso), 1998, polystyrène, résine, coton, cuir
À l'entrée du parcours, deux œuvres de Mohammed Sami, né à Bagdad (Irak) en 1984 :
One Thousand and One Nights, 2022, technique mixte sur lin
Weeping Walls II, 2022, technique mixte sur lin
Au passage, une œuvre in situ : un drôle de lampadaire en pointillés, faisant partie d'une série de sculptures réalisée en 1989 par l'artiste allemand Martin Kippenberger (1953, Dortmund-1997, Vienne), s'est lové dans l'architecture de la Bourse de Commerce.
Ohne Titel, de la série « Laternen », 1989, fer, laque, verre, ampoule, câble
Comme souvent, en marge des expositions, la fondation donne carte blanche à un artiste pour une installation dans la rotonde de la Bourse de Commerce. Cette fois, c'est l'artiste coréenne Kimsooja, née en 1957 à Daegu (Corée du Sud), qui présente « To Breathe — Constellation ». Elle consiste en un immense miroir recouvrant le sol qui renverse, dès lors qu’on l’approche, toute l’architecture et, avec elle, l’ordre du monde, le ciel se creusant sous nos pieds au centre du bâtiment.
Galerie 2. Vestibule et Salon - Rez-de-chaussée : La Comédie humaine.
Le monde comme il va : est-il livré aux clowns équilibristes et animaux de cirque qui peuplent la toile de Sigmar Polke? Est-il dirigé par les vieillards de Sun Yuan et Peng Yu, autorités politiques ou religieuses du passé ou du présent, dont les fauteuils roulants automatisés se cognent mollement les uns contre les autres?
Entre bal des fantômes, chez Salman Toor, Pol Taburet ou Cindy Sherman, effondrement des villes et du savoir chez Liu Wei, ou encore réunion politique et culturelle impossible sur les tapisseries monumentales de Goshka Macuga, les œuvres présentées nous convient à une foire aux vanités, qui montre différentes manières dont les artistes s'emparent du trouble de l'époque.
Sigmar Polke (1941, Oels-2010, Cologne) : Zirkusfiguren, 2005, acrylique, résine artificielle et craie sur tissu
Salman Toor, né en 1983 à Lahore (Pakistan) :
Two Citizens, 2003, huile sur toile
Ghost Ball, 2023, huile sur toile
Pol Taburet (né en 1997 à Paris) :
Toys and a Knife, 2022, acrylique, pastel à l'huile et peinture à l'alcool sur toile
Jo, 2023, acrylique, pastel à l'huile et peinture à l'alcool sur toile
Cindy Sherman, née en 1954 à Glen Ridge (USA) : Untitled #574, 2016, tirage par sublimation thermique sur métal
Entre ces œuvres :
Sun Yuan (né en 1972 à Beijing) et Peng Yu (né en 1974 à Heilongjiang) :
Old People's Home, 2007, sculptures grandeur nature, fauteuils roulants dynamoélectriques
Des figures masculines recroquevillées, somnolentes dans des fauteuils roulants électriques forment une étrange et lente chorégraphie. À la sidération de cette scène silencieuse, absurde et chaotique, s'ajoute une ironie grinçante lorsque l'on pense reconnaître, sans pouvoir en être certain, les traits de dirigeants de ce monde, du passé ou du présent : politiciens, militaires, religieux, dictateurs, philosophes... Séniles et apathiques, ces personnages incarnent une vision patriarcale et pathologique du pouvoir, dans une interprétation décadente des instances dirigeantes.
Les chaises de Sun Yuan et Peng Yu circulent également dans la salle contiguë, entre les œuvres de Goshka Macuga (née sous le nom de Małgorzata Macuga en 1967 à Varsovie) :
Of what is, that it is; of what is not, that it is not 1 et 2, 2012, tapisserie
Avec ces deux images monumentales tissées en noir et blanc, l'artiste polonaise Goshka Macuga réinvestit de son caractère institutionnel la tapisserie, médium historiquement lié au pouvoir. Réalisées pour la DOCUMENTA 13 en 2012, l'une était exposée à Kassel, ville organisatrice de l'exposition en Allemagne, l'autre à Kaboul en Afghanistan (l'événement ayant été conçu, de manière controversée, comme un échange entre les deux villes). L'une des tapisseries met en scène, tel un collage, des intellectuels et diplomates réunis par la commissaire d'exposition et l'artiste devant le Palais Darul Aman de Kaboul, bâtisse de style occidental. L'autre figure des personnalités du monde de l'art ainsi que des manifestants du mouvement « Occupy » dirigé contre les inégalités économiques et sociales avec leurs bannières devant le musée de l'Orangerie de Kassel, architecture du 18e siècle européen. Ces deux bâtisses ont pour seul point commun d'avoir été partiellement détruites par une guerre. Les tapisseries de Macuga, commentaire politique sur l'impossible communication entre ces deux villes, pays, cultures, rendent visibles les paradoxes insolubles du monde de l'art.
Liu Wei (né en 1965 à Pékin) : Library III, 2012, livres, bois, fer
Ayant grandi en Chine dans les années 1970, Liu Wei a souvent mis en scène les déviances qui ont découlé de cette période de changements sociétaux accélérés. Library III (Bibliothèque III) est une installation composée de sculptures de villes verticales formées à partir de livres compressés sur des structures métalliques à roulettes, certaines menaçant de s'effondrer.
Galerie 3 - 1er étage : Soudain cette vue d'ensemble
Dès leur rencontre en 1979, les artistes suisses Peter Fischli (né en 1952 à Zurich) et David Weiss (1946, Zurich-2012, Zurich) vont joyeusement remettre en cause le sérieux de l'art et prôner la naïveté et l'ironie comme valeurs de création L'épopée sculpturale Plötzlich diese Übersicht (Soudain cette vue d'ensemble), commencée en 1981 et dont la date de fin correspond à la disparition de David Weiss, est constituée de plusieurs centaines d'œuvres, exécutées rapidement et sans préparation, dont une partie importante est conservée par Pinault Collection.
La dernière image des caprices de Goya
La maison de l'idiot
Opposés populaires : pratique et théorie
Le chat botté
L'intrigue
L'oiseau nommé « E7 » prêt à s'envoler pour son périple de 11 500 kilomètres sans arrêt de l'Alaska à la Nouvelle Zélande
La victoire et la défaite (Cassius clay au début de sa carrière)
Trois extraterrestres admirent Stonehenge
Pont du Rialto avant restauration
Économie de libre marché
Nature morte alpestre
Opposés populaires : mélancolie et frivolité
Opposés populaires : drôle et stupide
L'intello
Le chien d'André
Une baignade à Asnières
Terminons par un tour des galeries du deuxième étage, avec des oeuvres variées et emblématiques de la collection Pinault.
Galerie 4 :
Bertrand Lavier (né à Châtillon-sur-Seine en 1949) : Dino, 1993, Ferrari Dino 308 GT4 accidentée
Anne Imhof, née en 1978 à Giessen(Allemagne) : Untitled, 2022, huile sur toile
Kiki Kogelnik (1935, Bleiburg-1997, Vienne) :
R=R, 1975, céramique émaillée
Untitled (Sea Monster), 1974, céramique émaillée
Sleepy Head, 1974, céramique émaillée
Galerie 5 :
General Idea, collectif d'artistes de trois Canadiens (Felix Partz, Jorge Zontal et AA Bronson), actif de 1967 à 1994 :
Complete Set of Five SelfPortraits, 1983-1994, laque sur vinyle (impression numérique), 5 parties
Baby Makes 3, 1984/1989
Nightschool, 1989
Fin de Siècle, 1994
Playing Doctor, 1992
P is for Poodle, 1983/1989
Test Pattern Wallpaper installation, 1989, sérigraphie sur papier peint
Jeff Koons, né à York (Pennsylvanie) en 1955 :
Balloon Dog (Magenta), 1994-2000, acier inoxydable au poli miroir avec revêtement transparent coloré
Moon (Light Blue), 1995-2000, acier inoxydable au poli miroir avec revêtement transparent coloré
Travel Bar, 1986, acier inoxydable
New Hoover Convertible, New Shelton Wet/ Dry 10 Gallon Doubledecker, 1981, 2 aspirateurs, acrylique, tubes fluorescents
Richard Gober, né en 1954 à Wallingford (Connecticut) :
Death Mask, 2008, plâtre, aquarelle, graphite
Deep Basin Sink, 1984, plâtre, lattes métalliques, bois et peinture émaillée semi-brillante
Damien Hirst, né en 1965 à Bristol (Royaume-Uni) : The Fragile Truth, 1997-1998, verre, acier inoxydable et boîtes de médicaments
Galerie 6 :
Christopher Wool (né en 1955 à Chicago) :
Untitled (Black Book Drawings), 1989, émail sur papier, suite de 22 dessins
Christopher Wool réalise ces 22 dessins pour un livre publié en 1989. Ils étalent une litanie de mots en capitales, généralement de neuf lettres, fracturés en trois lignes et que le spectateur doit recomposer.
Untitled, 2007, émail sur toile
Wolfgang Tillmans, né en 1968 à Remsheid (Allemagne) : Concorde L449-19, 21, 22, 23, 25, 27, 28, 1997, installation de 7 tirages jet d'encre sur papier non encadrés, clips
Rosemarie Trockel, née en 1952 à Schwerte (Allemagne) :
Shutter 2, 2010, céramique émaillée
Replace Me, 2009, impression numérique
Storied, 1990, plâtre, peinture, fer à repasser, ficelle
Trauma, 1992, fer, vernis cuisine, plaques chauffantes
Galerie 7 :
Frank West (1947, Vienne-2012, Vienne) : Lemurenköpfe, 1992, plâtre, gaze, carton, fer, peinture acrylique, mousse, caoutchouc
Luc Tuymans, né en 1958 à Mortsel (Belgique) :
Eternity, 2021, huile sur lin
De Wandeling, 1991, huile sur toile
Marlene Dumas, née en 1953 au Cap (Afrique du Sud) :
Militaristic Monomaniac, 2013, huile sur toile
Losing (Her Meaning), 1988, huile sur toile
Canary Death, 2006, huile sur toile
Homage to Michelangelo, 2012, huile sur toile
Peter Doig, né en 1959 à Édimbourg (Royaume-Uni) : Pelican (Stag), 2003-2004, huile sur toile
Frank Walter (1926, Antigua-2009, Saint John's) :
Psychedelic Rabbit, non daté, huile sur contreplaqué
Self-Portrait as Christ on the Cross, non daté, huile sur Masonite
Untitled (Frank as King), 2000, peinture à l'huile et stylo sur papier cartonné jaune
Untitled (Self-Portrait as Oscar Wilde), non daté, peinture à l'huile sur papier cartonné
Untitled (Changing Man Blue Grey), non daté, huile sur contreplaqué
Artiste inclassable, Frank Walter est métis et descend à la fois de propriétaires d'ascendance européenne et d'esclaves. En 1953, Walter entreprend un grand voyage en Europe, avec le désir de se former aux nouvelles techniques agricoles. Mais la désillusion est immense : victime de discrimination et du racisme, il peine à subsister. Sa santé physique et mentale sera très affectée par ce séjour. Sa couleur de peau et ses origines deviennent une obsession. Revenu dans les Caraïbes dans les années 1960, il finit par s'établir comme photographe. Dans ses notes et mémoires aux élans cryptiques, et à travers ses petites peintures, souvent réalisées sur des supports abîmés, se révèle un monde complexe où la fiction et la réalité autobiographique se mêlent.
On retrouve Martin Kippenberger :
Ohne Titel, 1996, de la série « Window Shopping bis 2 Uhr Nachts », 1996, huile sur toile
Martin, ab in die Ecke und schäm dich, 1989, bois, métal, styromousse, caoutchouc mousse, fer et vêtements
L'artiste répond définitivement à ses critiques en créant en 1989 une sculpture de bois à son effigie, en mauvais garçon puni dans un coin, qu'il nomme : Martin, ab in die Ecke und schäm dich (Martin, va au coin et honte sur toi).
On retrouve aussi Cindy Sherman : Untitled #571, 2016, tirage par sublimation thermique sur métal
et on retrouve, pour terminer ce billet, Maurizio Cattelan dont le Picasso nous avait accueilli dans le hall.
Him, 2001, cire, cheveux, costume, résine polyester, pigment
Him avec un H majuscule, c'est Hitler, c'est l'Humanité perdue, le vertige de découvrir un visage terrifiant quand on s'attendait à découvrir celui d'un enfant innocent.
Pays basque
En cette période de vacances de printemps, un billet de cartes postales du Pays basque, comme à l'habitude (notre billet du 19 mai 2019) des deux côtés de la frontière. En commençant par Biarritz, où nous découvrons sur la place Bellevue une statue du sculpteur basque Jorge Oteiza (1908, Orio - 2003, Saint-Sébastien), Euskal baserri.
La vue toujours spectaculaire de la grande plage depuis la place Bellevue...
mais une nouveauté en ces jours de grande marée, une imposante protection de sacs de sable Wave Bumper entre la promenade et la plage.
En suivant le bord de mer vers le sud,
on atteint le charmant petit Port-vieux.
Nous retrouvons notre hôtel qui a été rénové, mais dans le respect de son style Art-Déco, jusqu'à la rembarde du balcon.
En longeant la côte vers Saint-Jean-de-Luz, le temps reste aussi maussade...
Mais la promenade le long de la baie de Saint-Jean est plus calme.
De part et d'autre de la pointe de Sainte-Barbe, les plis des falaises au Nord, la jetée, Socoa et son fort au Sud.
À l'autre extrémité de la baie, vers Socoa...
Retour vers la ville par le port, avec Ciboure en fond de décor.
L'usage de la langue basque n'est pas contraire avec la célébration des victoires de la jeune République française, comme le montre cette plaque de la rue du 17 Pluviôse (an II), date de la bataille dite du camp des Sans-Culottes, où les armées de la Convention ont repoussé à Urrugne Espagnols et Anglais.
Impossible d'oublier de passer à Bayonne, avec un pèlerinage au cloître de la cathédrale Sainte-Marie...
Sur la rive droite de la Nive, les rues si calmes du Petit-Bayonne
Sur la hauteur, la Citadelle, qui abrite le 1er régiment de parachutistes d'infanterie de marine.
Une excursion de l'autre côté de la frontière, à Getaria, à l'ombre du mont San Antón à la silhouette de souris (El Ratón de Getaria).
Le grand homme de la localité, dont le monument surplombe la plage, la statue trône devant l'hôtel de ville, et les exploits en céramique ornent la petite halle de marché, est Juan Sebastián Elcano (né en 1486 à Getaria et mort dans l'océan Pacifique le 4 août 1526) qui fut le premier homme à boucler le tour de la planète. Membre de l'expédition de Magellan, il prit en effet le commandement de cette dernière après le décès de Magellan aux Philippines en 1517.
En traversant la vieille ville,
on retrouve Elcano qui nous invite à grimper au sommet de la Souris...
Du sommet, une très belle vue sur le bourg et l'église paroissiale San Salvador de Getaria...
...la mer et et le port.
Petit clin d'œil à un thème récurrent de la décoration locale, les ravaudeuses de filets.
Terminons ce billet avec Zarautz, juste à l'est de Getaria, dont la plage de 2,5 km, paradis des surfeurs, offre une vue imprenable sur la Souris de Getaria
La longue promenade est ponctuée de statues modernes, qui provoquent parfois la perplexité des touristes parisiens.
Jean Hélion - La prose du monde (II/II)
Nous poursuivons la visite de la rétrospective consacrée par le Musée d'Art Moderne de Paris à Jacques Hélion (1904-1987) amorcée dans notre billet du 30 mars dernier, avec des œuvres de la fin des années 1940, où nous retrouvons les thèmes favoris de l'artiste.
Nature morte à la citrouille, 1948, huile sur toile
Nu étoilé au Fumeur et au Journalier, 1949, huile sur toile
La Belle Étrusque (le porteur de citrouille), 1948, huile sur toile
Grande scène journalière, 1948, huile sur toile
Dans les année 1940, Hélion invente de nouveaux sujets. Les figures qui peuplent ses toiles sont désignées par des néologismes : « Salueurs », « Allumeurs », « Journaliers ». Dans Grande scène journalière, le caractère énigmatique de la scène est traduit par le thème de l'homme assis (motif abordé dès 1928), qui rappelle la figure alors populaire du Bibendum de Michelin. Il est encadré par deux « journaliers » de profil, en marche, qui se distinguent par les plis stylisés de leurs journaux et de leurs vêtements. La symétrie, l'absence d'expression et les coloris ajoutent à l'étrangeté de la composition.
Trois nus et le gisant, 1950, huile sur toile
Nu accoudé, 1948, huile sur toile
Journalier gris, 1947, huile sur toile
L'Homme assis, 1947, huile sur toile
L'Homme assis, 1947, huile sur toile
De dessins, principalement de cette période :
Chaussures, 1950, fusain sur papier
L'Énuméré des choses 21, 1951, fusain, rehauts d'aquarelle sur papier
Chapeau, 1948, fusain sur papier
Journal chiffonné, 1950, fusain, rehauts d'encre sur papier contrecollé
Le Lit, 1950, fusain et gouache sur papier
Holocaustes, 1977, pastel et aquarelle sur papier Canson brun
Tête de poisson, 1977, pastel sur papier
Suite de poissons, 1976, encre, aquarelle, gouache et pastel sur papier coloré marouflé sur toile
Frédéric assis de dos, 1950, fusain sur papier
Nu affalé, 1950, fusain sur papier vergé
Autoportrait, 1953, fusain et huile sur toile
Homme couché, 1950, fusain sur papier
Mannequin, 1950, fusain sur papier
Les Mains d'Oscar, 1951, fusain sur papier
Mains, 1950, fusain sur papier
Le Dos de l'acrobate, 1952, fusain, aquarelle et gouache sur papier
Deux harengs, 1946, encre et aquarelle sur papier
Le parti pris des choses
Avec les « mannequineries » (La Grande Mannequinerie, 1950) - associant les motifs de la vitrine, ses mannequins masculins, et de l'homme couché -, dans lesquelles il introduit divers objets du quotidien (parapluies, chapeaux, chaussures), Hélion infléchit la volumétrie des plis des vêtements, accentue les ombres, et atténue la gamme chromatique. Même s'il partage avec des amis, comme Francis Ponge ou Alberto Giacometti, un intérêt passionné pour la réalité, Hélion traverse une période difficile et poursuit sa quête, en abordant des thèmes nouveaux, en particulier avec les Chrysanthèmes, qui marque son « recommencement ». Il privilégie de fascinantes compositions en rébus (baguette de pain, citrouille éclatée, vêtements féminins et masculins, chapeaux, parapluies, bancs, plantes) souvent teintées d'érotisme, comme dans Le Goûter (1952). L'espace de travail de l'artiste se prête à des mises en scène élaborées, comme dans L'Atelier (1953), où l'on reconnaît Pierre Bruguière, son plus important et proche collectionneur. Le thème de la Vanité (La Jeune Fille et le Mort, 1957) fait son apparition et l'amène à se confronter à l'histoire de la peinture, qu'il ne cesse d'interroger.
Hors de l'atelier, le peintre fait face aux éléments de la nature, en particulier au jardin du Luxembourg (Marronniers, 1957), et aux paysages que lui offre Belle-Île, où il séjourne régulièrement (Le Grand Brabant, 1957), dans un style cursif et nerveux. Avec la série des « Toits » (Toits, 1960), Hélion aborde un autre versant de cette peinture d'extérieur, explorant les rues et les vitrines qui avoisinent son atelier, et donne à voir, dans une armature où la géométrie est toujours présente, « le visage de la ville ».
En 1967, ressentant, une fois encore, le besoin de faire le point sur son évolution et sa vie, il peint le Triptyque du Dragon, exposé dans la
galerie du même nom. Dans une composition monumentale de près de dix mètres de long, il déploie les thèmes qui ont jusqu'alors façonné son œuvre, tout en leur conférant une dimension allégorique.
L'Homme couché sur un banc, 1950, huile sur toile
Mannequinerie d'argent, 1950-1951, huile sur toile
Grande mannequinerie, 1951, huile sur toile
Vanité à la rose (planche), 1957, huile sur toile
La Citrouille et son reflet, 1958, huile sur toile
Le Grand Brabant, 1957, huile sur toile
Chrysanthème, 1951, carton entoilé
Chrysanthèmes, 1951, huile sur bois
Nature morte au hareng saur et au pain, 1952, huile sur toile
Citrouillerie, 1952, huile sur toile
Les Anémones d'hier et d'aujourd'hui, 1952, huile sur toile
L'Atelier, 1953, huile sur toile
L'atelier, lieu de travail, revêt une importance capitale pour Hélion, qui aime à dire que c'est « l'âme du peintre ». Ici, l'artiste met littéralement son œuvre en scène. Dans une composition très structurée, il reproduit en miniature toutes ses créations : Le Goûter, Citrouillerie... Parmi cette accumulation de peintures qui rappelle la manière des cabinets d'amateurs du XVII° siècle, seuls sont présents ses rares soutiens du moment, sa femme Pegeen et son ami Pierre Bruguière.
Le Goûter, 1953, huile sur toile
Chou sous la lucarne, 1960, acrylique sur toile
Marronniers, 1954, huile sur toile
Les Toits, 1960, huile sur toile
Quatuor, 1958-1959, huile sur toile
Intérieur au parapluie, 1955, huile sur toile
Self ou Dans un miroir (autoportrait), 1958, huile sur toile
La Jeune Fille et le Mort, 1957, huile sur toile
Autoportrait (planche), 1959, acrylique sur toile
Triptyque du Dragon, 1967, acrylique sur toile
Quartier libre
Hélion trouve, dans les manifestations de Mai 1968, un événement à sa mesure et qui ravive ses convictions politiques (Choses vues en mai, 1969). À partir de cette époque, un sentiment d'allégresse face au spectacle du quotidien s'empare de l'artiste. Paris est un décor de théâtre grandeur nature avec ses bouches de métro, ses pissotières, ses amoureux, ses bouquinistes des quais de Seine et ses terrasses de café. Cet euphorique tohu-bohu offre d'insolites rencontres de thèmes qui produisent des allegories inattendues. Elles prennent la forme de suites comme des phrases d'objets (Escalade chapelière, 1978, Suite pucière, 1978).
Dans Suite pour le 11 novembre (1976), Hélion se réfère une fois encore à l'histoire de la peinture, en réinterprétant la Parabole des aveugles de Pieter Brueghel l'Ancien pour dénoncer les monuments aux morts de la guerre de 1914. Le caractère volontairement parodique du tableau est traduit par la stridence des couleurs.
Pour clore cette décennie, Hélion éprouve le besoin de livrer ses réflexions dans une œuvre de synthèse. Méditant sur l'existence, le triptyque du Jugement dernier des choses (1978-1979) réunit l'ensemble de ses thèmes et objets fétiches dans une composition qui prend la forme d'un étal de marché aux puces.
La Voiture de fleurs et le boucher, 1964, huile sur toile
Métro, 1969, acrylique sur toile
Suite pucière, 1977, fusain, pastel et encres sur papier Canson vert
Escalade chapelière, 1978, acrylique sur toile
Suite pucière n°2, 1978, acrylique sur toile
Nature morte et comique, 1979, acrylique sur toile
Pantalonnade, 1978, acrylique sur toile
Un Borsalino pour Émile, 1981, acrylique sur toile
Une Fable pour Richard Lindner, 1981, acrylique sur toile
Suite pour le 11 novembre, Lamento, 1976, acrylique sur toile
Bataille de chaises à Skyros, 1980, acrylique sur toile
Accident le 6 novembre, 1981, acrylique sur toile
Chou, 1982, gouache et pastel sur papier
Trois araignées de mer, 1976, pastel sur papier brun
Citrouille, 1972, pastel sur papier bleu
Suite pour le 11 novembre (dyptique)
Panneau 1: Monument
Panneau 2 : Farandole
1976, acrylique sur toile
Jugement dernier des choses (triptyque), 1978-1979, acrylique sur toile
Composition de synthèse, ce triptyque, qui prend la forme d'un étal de marché aux puces, réunit l'ensemble des thèmes et motifs poursuivis sa vie durant par le peintre. De gauche à la droite : friperie, soupière, machine à coudre, banc du jardin du Luxembourg; au centre, mannequin de vitrine; à droite, escalier, instruments de musique, le peintre portant son chevalet... Conçue comme « une immense vanité », cette toile pourrait faire figure, par son titre, d'œuvre testamentaire, mais son ironie laisse aussi entendre une leçon méditative sur l'existence.
Dernière section :
À perte de vue
Les troubles oculaires apparus dans les années 1960 s'amplifient jusqu'à la cécité presque complète de Jean Hélion, en 1983. De 1981 à 1983, il n'en continue pas moins de peindre « pour voir clair », comme il le dit. L'aveugle, motif prémonitoire apparu en 1944 dans L'Escalier (1944) puis dans le Triptyque du Dragon (1967), prend alors tout son sens. Dès lors, le songe se substitue au réel. Pour lui, cet aveuglement prend une dimension métaphorique et finit de le délivrer de toute convention plastique.
Hélion recycle tous les thèmes de sa vie, se paraphrasant souvent avec humour. Sa manière de peindre est hâtive, pressée par le temps, mais froide et précise. Cette désinvolture toute apparente se traduit par un chromatisme exacerbé. Le peintre se concentre sur les thèmes de la chute et de la relève : L'Instant d'après (1982) et Les Relevailles (1983). Le combat quotidien du peintre face à la toile et à son modèle est illustré par Le Peintre piétiné par son modèle (1983) et par Parodie grave (1979), où il est symbolisé par le chevalet du peintre porté comme une croix.
Dans le même temps, Hélion produit une série d'autoportraits particulièrement émouvants, dans lesquels il confie au miroir le soin de refléter son visage à l'approche de la mort (R... pour requiem, 1981, Requiem 2, 1981).
Autoportrait, 1980, fusain, pastel, encres sur papier Canson gris
R... pour requiem, 1981, acrylique sur toile
Requiem 2, 1981, acrylique sur toile
Festival d'automne à l'atelier, 1980, acrylique sur toile
Portrait de famille, 1982, acrylique sur toile
Suite vaniteuse à l'atelier, 1982, acrylique sur toile
L'Instant d'après, 1982, acrylique sur toile
Les Relevailles, 1983, acrylique sur toile
Le Peintre piétiné par son modèle, 1983, acrylique sur toile
Parodie grave, 1979, acrylique sur toile
Trombone pour un peintre, 1983, acrylique sur toile
Grand autoportrait, 1981, huile, gouache, encre et crayon sur papier coloré
À la sortie de l'exposition, dans le grand hall du rez-de-chaussée du musée, le triptyque monumental Choses vues en mai, 1969, acrylique sur toile.
Dana Schutz, Le Monde visible
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Une intéressante exposition vient de fermer ses portes au Musée d'Art moderne de Paris : elle nous a fait découvrir une artiste contemporaine très originale, l'américaine Dana Schutz.
Dana Schutz est née en 1976 à Livonia (Michigan). Elle vit et travaille à Brooklyn, New York. C'est la première fois que le travail de cette artiste américaine de renommée internationale est montré en France avec une telle ampleur, d'après les organisateurs, qui précisent : Dana Schutz est une conteuse. Son œuvre construit un univers de personnages turbulents, de folie humaine, de situations calamiteuses et de désastres physiques. Elle dresse un portrait dystopique du monde actuel, détaché des notions traditionnelles de beauté. Avec un usage virtuose de la couleur, elle a mis en place au fil des années un sens de la tension dramatique qui se révèle dans ses compositions complexes. Ses peintures montrent des scènes imaginaires, inspirées par des situations hypothétiques et des corps improbables, mêlés à la vie et au langage contemporains.
L’exposition donne à voir les thématiques qui traversent cette œuvre : des sujets intangibles souvent observés avec humour ; l’artiste au travail dans son atelier ; la transformation et la construction de soi ; les tensions entre l’individu et le groupe.
À l'entrée de l'exposition, quelques toiles d'un format plus petit :
Sneeze, 2001, huile sur toile
Représenter un éternuement pourrait sembler repoussant et grotesque. L’histoire de l’art n’en regorge pas, pas plus que de scènes de bâillement ou d’éclat de rire. Pourquoi ? Peut-être en raison de la fugacité de ces phénomènes. Pour représenter un éternuement, l’artiste dispose surtout de son intuition et de ses sensations les plus intimes – qui sont aussi les mieux partagées. À partir d’un phénomène physiologique, Dana Schutz peint une image mentale.
Face Heater, 2004, huile sur toile
Le motif est grotesque, un pur produit de l’imagination qu’il est impossible de visualiser dans la vie réelle. On dit souvent d’une personne qu’elle « ne mâche pas ses mots », qu’elle « avale ses mots » ou que des cris restent « coincés dans sa gorge ». Ici, l’extérieur du visage est englouti par la bouche pour en ressortir digéré et transformé dans un va-et-vient entre le dedans et le dehors, deux zones dont Schutz semble en permanence vouloir enfreindre la limite.
Myopic, 2004, huile sur toile
Guilty Swimmer, 2001, huile sur toile
Daughter, 2000, huile sur toile
La plupart des autres toiles sont de très grand format, et très colorées et décoratives, même si leur sujet est souvent complexe.
Civil Planning, 2004, huile sur toile
Dès ses premières toiles, Dana Schutz poursuit l'idée de construire des mondes. Dans Civil Planning, deux femmes en jeans sont affairées à fabriquer des immeubles dans un espace commun, tandis que l'univers qui les entoure semble plongé dans le chaos. Au milieu d'une forêt qui rappelle les tropiques peints par Gauguin, des jambes arrachées sont suspendues dans les arbres, et des personnages fuient au loin. Des miroirs surplombent la scène depuis la cime des arbres. Mais à quel regard renvoient-ils ? La tâche de ces personnages est immense, peut-être aussi un peu vaine. Au loin, d'autres êtres leur apportent des briques si lourdes que rien n'indique qu'elles arriveront à bon port pour servir à édifier quoi que ce soit. Dans ce faux paradis, la sensation d'échec est patente.
New Legs, 2003, huile sur toile
Sur une plage au bord de la mer, une figure féminine émerge d'un tas de matière. Pour des raisons que l'on ignore, elle a mangé ses jambes, et s'en invente à partir de ce qui semble être sa propre chair. Comme les personnages représentés dans Twin Parts (2004) et Reformers (2004), elle tente de se construire un être nouveau, dans une démarche de recyclage. Intimement lié à l'acte de construire, créer est pour elle une nécessité.
Twin Parts, 2004, huile sur toile
Reformers, 2004, huile sur toile
Self Eater 3, 2003, huile sur toile
En 2003 et 2004, Schutz a réalisé une série de peintures intitulée « Self Eaters ». Elles mettent en scène la situation hypothétique dans laquelle on pourrait se manger soi-même, puis se recréer à partir de sa propre chair que l'on aurait digérée. Les Self Eaters sont en état de consommation et de production permanente de leur propre image. Les œuvres Self Eater 3, Face Eater, Twin Parts, Reformers et Civil Planning font toutes partie de ce corpus.
Party, 2004, huile sur toile
Party a été peint pendant l'élection présidentielle de 2004. Cette année-là, George W. Bush est élu pour la deuxième fois à la tête des États-Unis, contre le sénateur démocrate John Kerry. Schutz produit une image grotesque de l'administration Bush, telle un amas de corps dont les frontières se fondent les unes dans les autres. Plusieurs personnages semblent transporter un homme sur une plage. Ils sont enchevêtrés dans des fils de micros. Portent-ils leur héros en triomphe? En dépit des couleurs vives, la victoire prend un goût d'épuisement. La coiffure de Condoleezza Rice émerge de ce groupe. Peut-être est-ce l'ancien secrétaire d'État Colin Powell qui se cache le visage de la main, et l'ancien vice-président Dick Cheney qui, à côté de lui, tient une liasse de papier. À eux tous, ils ne forment qu'un seul corps à la silhouette d'éléphant, le symbole du parti républicain aux États-Unis.
Presentation, 2005, huile sur toile
Cette peinture représente un grand corps en train d'être examiné, dont on ne sait pas s'il est sur le point d'être inhumé ou exhumé. C'est une image effroyable. Il ne fait aucun doute que cet homme est mort, pourtant, quelqu'un est en train de sonder l'une de ses cuisses du bout de son bâton, tandis qu'une femme dissèque sa main avec son scalpel. Elle agit comme l'incrédule saint Thomas qui a voulu voir la marque d'une lance après la crucifixion, et y mettre le doigt.
Fanatics, 2005, huile sur toile
Divers individus se sont regroupés pour menacer, implorer, gesticuler violemment ou s'agenouiller et prier, tout en brandissant des rouleaux et des livres, et en distribuant des prospectus. Le grillage qui nous sépare d'eux a été éventré, et l'un des personnages, prêt pour un attentat-suicide, est sur le point de faire détoner sa ceinture d'explosifs. Les scènes que peint Dana Schutz sont issues de visions imaginaires, mais l'état désastreux du monde actuel hante un grand nombre de ses toiles.
Men's Retreat, 2005, huile sur toile
Leurs chemises ouvertes et leurs cravates desserrées trahissent leurs intentions. Ces hommes d'affaires accomplis ont pris congé. Comment occupent-ils leur temps libre? L'artiste les imagine en route vers un endroit qui ressemblerait à un paradis terrestre. Les derniers représentants de cette procession portent, sur leur dos, l'un de leurs compagnons, nu. Ce sont des hommes puissants partis dans la nature pour consolider leur pouvoir.
I'm into Shooting in Natural Environments, 2008, huile sur toile
Le protagoniste masculin de I'm into Shooting in Natural Environments pourrait être un artiste. Il se tient dans un espace composé de différents plans, dont deux, au moins, sont explicitement des toiles tendues sur des châssis : l'une, abstraite, et l'autre, aux accents surréalistes. Au milieu de cette scène étrange, un verre à la main, l'homme a les yeux bandés comme un otage. A ses pieds, une plante renversée confirme un certain désordre. Il semble terrorisé. Un autre personnage, debout derrière un paravent, et caché par un drap, pointe un fusil sur sa tempe. Dans ce tableau, Schutz aborde le motif de la peinture comme énigme, faisant de la pratique artistique une affaire de suspense, d'accumulation de tensions, de risques et de hasards.
Swimming, Smoking, Crying, 2009, huile sur toile
Il est impossible de nager, de fumer et de pleurer en même temps, et pourtant, c’est bien ce que cette jeune femme est en train de faire, dans l’urgence du temps qui la presse. Le destin et les éléments l’asphyxient.
Shaving, 2010, huile sur toile
The Painter, 2017, huile sur toile
Flasher, 2012, huile sur toile
The Visible World, 2018, huile sur toile
Dès ses premières œuvres, Dana Schutz a souvent représenté des catastrophes au bord de la mer, des paysages idylliques devant lesquels des mondes s'effondrent. Ici, une femme nue est allongée sur un rocher au milieu de la mer. Autour d'elle, les vagues charrient des détritus qui contribuent à l'atmosphère de désastre de la scène. S'agit-il de la victime d'un naufrage ou d'une déesse désignant de son bras tendu la gravité de la situation? Prométhée au féminin, elle fixe le spectateur de son regard implacable, reçoit une framboise en offrande de la part d'un oiseau. Elle possède même un troisième bras. Schutz dit que ses yeux sont d'un vert de feux de circulation. Le titre, The Visible World, désigne la réalité des images, un contenant pour l'intangible, une condition à laquelle le sujet de cette peinture semble lié pour toujours, bien qu'il fasse tous les gestes pour y échapper.
Juggler, 2019, bronze
Ce jongleur pourrait être en train de faire une parade pour attirer les spectateurs sur un marché. On songe aux carnavals du Nord, à ces moments de tous les renversements, mais aussi à la peinture à la tempera de Marc Chagall pour l’Introduction au théâtre d’art juif (1920), réunissant sur une piste un peuple d’acrobates. Comme Seurat, Picasso ou Chagall l’ont fait avant elle, Schutz s’est intéressée aux enjeux plastiques des représentations du cirque. . Comment sculpter un jongleur sous le poids de la matière ? Peut-être l'équilibre que Schutz cherche à atteindre est-il celui de la création.
Presenter, 2018, huile sur toile
Blind Search Party, 2020, huile sur toile
Beat Out the Sun, 2018, huile sur toile
Un groupe d’hommes, semblable à un amoncellement de nuages, pénètre dans la toile, au pas et sur une même ligne, pour aller lyncher le Soleil. Plutôt que de l’adorer, ils veulent l’éteindre, et ne laisser qu’ombre et ténèbres derrière eux. L’armée qu’ils forment est étrange. L’un d’eux est vêtu d’une marinière qui rappelle celle de Picasso (1881-1973). Un autre, dont les joues sont couvertes de larmes, a des traces de clous sur les pieds. Leur horde évoque des guerriers antiques. Mais une fois arrivés, ils se rendent compte que les rayons du soleil ressemblent aux planches de bois qu’ils portent en guise de fusils. Alors ils s’arrêtent, déçus.
Bound, 2019, huile sur toile
Sigh, 2020, huile sur toile
The Interview, 2020, huile sur toile
The Traveller, 2019, huile sur toile
The Victor , 2020, huile sur toile
Boatman, 2018, huile sur toile
Un homme est seul sur une barque, immobile au milieu de l'eau verte, un petit personnage dans les bras. On reconnaît la figure du ventriloque que Dana Schutz a également représentée en sculpture (Ventriloquist, 2021). Presque plus vivante que son maître, cette petite figure bleue constitue le prototype de celui que Schutz a peint dans The Public Process. La peinture est - en général - un objet silencieux et non verbal. Le ventriloque est un double, telle une peinture, un objet et une représentation à la fois. Ce tableau montre enfin l'absurdité d'un spectacle sans public, donné par un performer seul sur la mer.
Six eaux fortes avec aquatinte de 2018 :
Trouble and Apparence
Beat Out the Sun
Pan
To Have a Head
Weeper
The Wanderer
La plupart des statues présentées sont regroupées pour former un ensemble impressionnant.
Ventriloquist, 2021, bronze
Baggage, 2022, bronze
Couple with Waves, 2021, bronze
Odalisque, 2022, bronze
The Expressionist, 2021, bronze
Victor, 2021, bronze
En 2021, Dana Schutz peignait la figure d'un vainqueur malheureux, la tête bandée, affalé sur un siège, un bras pointant le sol, et l'autre, le ciel. Ce sujet est ici repris en volume. Tel Sisyphe, un petit personnage – ou peut-être
est-ce un oiseau - semble pousser ce vainqueur au sommet d'une colline depuis laquelle il pourrait aussi basculer vers l'avant. Un autre oiseau est perché sur son bras. Quand on lui demande d'où vient ce bestiaire, Dana Schutz parle des primitifs italiens. On pourrait imaginer également qu'elle ait puisé aux sources de la bande dessinée ou de la caricature, du côté d'Art Spiegelman ou de Robert Crumb. Mais elle-même cite plus volontiers les dessins de George Grosz et leur caractère expressionniste.
Encore de grandes toiles colorées, plus récentes que celles du début de l'exposition.
Mountain Group, 2018, huile sur toile
Boat Group, 2020, huile sur toile
Sea Group, 2021, huile sur toile
Dear Ones, 2023, huile sur toile
Dans cette œuvre, l'une des plus récentes de Dana Schutz, un chien porte sur son dos un groupe de personnages grotesques: une femme portant une voilette, un bébé ressemblant à un astronaute, une poitrine exagérément affaissée, un homme tenant une bouteille.. Serrés les uns contre les autres, ils regardent tous dans des directions différentes. Le bon chien loyal semble jouer, avec une balle, à attraper la Lune en attendant une récompense - une lune en carton- pâte, comme dans les films bricolés de Georges Méliès à l'époque du premier cinéma. La forme du sol, qui pourrait être une piste de cirque, fait écho à celle de son dos. Bien que le ciel rougeoie derrière eux, l'atmosphère est moins lourde que dans d'autres œuvres. C'est un jeu un peu vain, une scène à la fois tendre et ironique.
The Wheel, 2022, huile sur toile
The Arts, 2021, huile sur toile
The Family, 2021, huile sur toile
The Public Process, 2022, huile sur toile
Sommes-nous en train d'assister à la construction d'une nouvelle société, ou au démantèlement d'un ancien monde ? Le titre, The Public Process, évoque un procès, avec jugement et châtiment, à moins qu'il ne s'agisse de mystérieux rituels. Le mur de planches en bois rappelle aussi symboliquement la toile de l'artiste, enduite de peinture - un grand rectangle allongé semblable au tableau lui-même. Schutz interroge souvent la représentation de l'art par l'art. Des événements décisifs sont en train d'avoir lieu et les nuages s'amoncellent, mais le temps semble s'être ralenti autour de la figure assise au centre de la composition. Ce petit homme en bleu doit, selon Schutz, décider de l'issue des événements : il est comme un poète, à la fois témoin et observé. Contorsionné contre le mur, il redresse l'horizon. Son attitude, décontractée, contraste avec l'agitation qui l'entoure. La peintre à sa droite est en train d'accoucher, bien qu'elle soit absorbée par sa petite toile. A gauche, un homme armé d'un seau de peinture rouge sang s'avance d'un pas menaçant vers le vandalisme et la sauvagerie.
La fin de l'exposition est moins colorée :
Dead Guy, 2003, gouache et fusain sur papier
Leg, 2004, gouache sur papier
The Argument, 2004, gouache et fusain sur papier
Shadow, 2004, gouache et fusain sur papier
Trois fusains sur papier de 2015 :
Bowler
The Philosopher
Sleepwalker
Quatre fusains sur papier de 2022 :
Line Painter
Treading Water
Hiker
The Ride
Terminons la découverte de cette artiste si forte même si elle est quelque peu déroutante avec :
Face Eater, 2004, gouache et fusain sur papier
Chest Eater, 2004, gouache et fusain sur papier
Flower Girl, 2003, fusain, aquarelle, gouache et mine de plomb sur papier