Monastères cisterciens de Catalogne
Un peu de patrimoine, à l'occasion d'une excursion lors d'un séjour à Tarragone. Tentés par la "route des monastères cisterciens", nous avons commencé par le plus fameux, Poblet, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. Fondé à l'initiative du comte Raimond-Bérenger IV de Barcelone, qui donne en 1151 aux moines cisterciens de Fontfroide une terre, tout juste reconquise sur l'occupant arabe, sur laquelle ils vont bâtir leur abbaye, le monastère de Sainte-Marie de Poblet est à l'heure actuelle le plus grand monastère encore habité d'Europe.
Passé la muraille qui ceinture le domaine,
nous suivons une allée dans l'axe de l'église du couvent, au portail richement décoré
pour atteindre l'esplanade qui s'étend devant la muraille médiévale aux douze tours construite par le roi d'Aragon Pierre IV le Cérémonieux (1319-1387) : à droite l'entrée de l'église ; à gauche, entre deux tours massives, l'entrée des locaux du monastère.
L'entrée débouche sur un sombre vestibule voûté, au fond duquel une porte romane laisse passer la lumière du cloître.
Sur la droite du vestibule, une grande salle, autrefois dortoir des frères convers puis pressoir du monastère ; sur la gauche, l'ancien réfectoire des frères convers.
Passée la porte romane au fond du vestibule, le très beau cloître (40 x 35 mètres) même styles roman et gothique.
On remarque à l'extérieur d'une des ailes le pavillon du lavabo.
Cet élégant édifice situé en face du réfectoire abrite une grande vasque où les moines venaient se laver les mains au retour du travail.
Sur la même aile du cloître, la cuisine et le vaste réfectoire des moines
Sur une autre aile, la vaste salle capitulaire;
Au niveau supérieur, l'impressionnant dortoir des moines,
qui débouche sur le sur-cloître, d'où on a une très belle vue sur les clochers de l'abbatiale et sur la sobriété des murs de la nef aux petites ouvertures romanes.
Il reste quelques arcs qui supportaient la galerie du sur-cloître. On a de celui-ci une belle vue sur le jardin du cloître et le pavillon du lavabo.
Terminons avec la très belle église abbatiale, construite en 1166, très vaste, à cause de la taille de la communauté monastique. Elle est construite suivant une architecture romane dans laquelle les techniques gothiques, comme la croisée d'ogives, commencent à apparaître, notamment dans les bas-côtés et le déambulatoire. La forme cistercienne traditionnelle n'est pas entièrement respectée, avec l'absence d'un chevet plat remplacé par une abside autour de laquelle court un déambulatoire.
Le retable monumental, en albâtre blanc, a été réalisé entre 1527 et 1529 par Damián Forment.
De chaque côté du chœur, les tombeaux royaux, réalisés tout au long du XIVe et du XVe siècles, monument funéraire insolite par sa position élevée au-dessus de deux arches. Construit à l'initiative de Pierre le Cérémoniaux, ce panthéon royal d'Aragon abrite les tombes d'une quinzaine de rois et de reines d'Aragon, de Alphonse II le Chaste, mort en 1196 à Jean II d'Aragon mort en 1479.
À la sobriété romane du déambulatoire...
s'oppose la pompe de la nouvelle sacristie, grand bâtiment baroque du XVIIIème siècle couvert d’une grande coupole avec la lanterne correspondante que nous avions aperçue depuis le sur-cloître.
Enfin, la très belle nef romane, vue du chœur et vue de l'entrée du public.
Un dernier regard d'ensemble, sur le monastère entouré de vignes...
et nous dirigeons vers un autre monastère cistercien de ce circuit, Santes Creus, dans la commune de Aiguamúrcia, toujours dans la province de Tarragone, à une trentaine de kilomètres de Poblet.
Garés au pied des murailles d'où émerge une coupole du monastère,
passant sous l'arche d'une maison aux façades décorées comme nous en avions déjà vu à Tarragone, nous gagnons une esplanade, où une porte monumentale surmontée d'une tour ornée d'une clocheton...
débouche sur une place monumentale au fond de laquelle l'église abbatiale nous attend.
Malheureusement, l'église et son cloître sont fermés pour rénovation.
Heureusement, la place elle-même vaut la visite...
et nous découvrons, parmi les maisons qui la bordent, l'hôtel de ville de Aiguamúrcia, ancien palais abbatial, avec son charmant petit cloître et ses colonnades.
Un dernier regard sur ce si beau site pour terminer ce billet.
Matisse - L'Atelier rouge
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Une exposition d'assez modeste dimension partage en ce moment avec d'autres le bâtiment de la Fondation Louis Vuitton. Elle a pour fil conducteur un tableau peint en 1911 par Henri Matisse (1869-1954) qui marque un tournant dans son œuvre et a été, pour des générations d'artistes, une découverte fondatrice. La toile représente un coin de l'atelier de Matisse à Issy-les- Moulineaux, ainsi que onze des œuvres qu'il contenait, créées au cours des treize années précédentes. À un stade tardif de l'exécution du tableau, Matisse a décidé de recouvrir la majeure partie de la surface d'une couleur uniforme, le rouge de Venise. L'Atelier rouge demeure l'une des expériences les plus complexes de sa carrière, et une tentative pour repenser la peinture moderne à son origine.
L'exposition se propose d'en retracer l'histoire tout en montrant chacune des œuvres qui y sont représentées. Sont ainsi rassemblés, pour la première fois depuis qu'ils ont quitté Issy-les-Moulineaux, des peintures, sculptures et objets décoratifs alors présents dans l'atelier. L'exposition analyse la genèse et les pérégrinations du tableau : incompréhension, indifférence, puis adhésion. Il fallut attendre quatre décennies avant que cette peinture soit reconnue comme une œuvre majeure de l'histoire de l'art moderne, d'abord auprès des artistes, dès sa présentation au Museum of Modern Art de New York en 1949. L'Atelier rouge avait été exposé pour la dernière fois à Paris il y a une trentaine d'années, au Centre Pompidou.
Dans l'entrée de l'exposition, une photographie agrandie de Matisse avec son chien sur les marches de l'atelier.
Depuis son arrivée à Paris au début des années 1890, Matisse avait logé dans différents quartiers et ses espaces de travail furent souvent exigus - quai Saint-Michel, rue de Sèvres et boulevard des Invalides. Au printemps 1909, la vente imminente de sa dernière résidence parisienne, l'ancien couvent du Sacré-Cœur, contraint Matisse à déménager. C'est hors de Paris, à Issy-les-Moulineaux, qu'il trouve l'espace dont il a besoin, correspondant à ses nouveaux moyens - grâce à son collectionneur Chtchoukine (voir nos billets des 4 mars et 5 mars 2017). Il opte pour une propriété entourée d'un grand jardin et d'un terrain attenant où il pourra installer un atelier moderne, à environ six kilomètres au sud- ouest du centre de la capitale.
L'atelier est construit durant l'été 1909 par la Compagnie des Constructions Démontables et Hygiéniques spécialisée dans les bâtiments préfabriqués. Il s'agit d'un bâtiment spacieux de dix mètres sur dix, aux murs de cinq mètres de haut, surmonté d'un toit en shed à deux versants inclinés se rejoignant en un sommet décentré, dont le plus court, au nord, est pourvu de verrières. Le mur nord de l'atelier est, lui aussi, presque entièrement vitré. L'atelier était entouré d'un jardin rempli de fleurs que Matisse citait souvent comme l'une de ses sources d'inspiration.
L'exposition présente divers documents d'époque, dont ce plan, et des photos de l'atelier et de la famille de Matisse.
Au fond de la grande salle, le tableau, peint en 1911.
Parmi les œuvres représentées dans l'Atelier rouge, également présente dans la photo de l'atelier, est devant laquelle pose la famille, Le Grand Nu n'est aujourd'hui connu que par ses photographies et sa présence dans L'Atelier rouge. Peint à Collioure à la fin de l'été 1911, il présente un nu féminin allongé sur fond de fleurs à cinq pétales - celles-là même qui ornent les céramiques décorées par l'artiste en 1907. Peint à la détrempe, le Grand Nu mesurait environ 2 x 2,5 mètres, son cadre rouge fabriqué à la main était rehaussé de fleurs stylisées en écho à celles de la toile. Le Grand Nu ne fut jamais exposé ni vendu, et selon la fille de Matisse, Marguerite Duthuit, il considérait la peinture comme inachevée et avait demandé qu'elle soit détruite après sa mort.
À sa place, cinq dessins [1911] développent le motif du Grand Nu :
Nu, fond fleuri, encre bleue sur papier
Étude de nu allongé, graphite sur papier
Étude de femme, graphite sur papier
Étude, Nu couché, graphite sur papier
Étude, Nu, pastel et graphite sur papier
Baigneurs, Collioure, 1907, huile sur toile
Les Baigneurs de Matisse font directement écho à l'exploration de ce sujet par Cézanne, qui le traita fréquemment dans des dizaines de peintures et d'œuvres sur papier. Cézanne était très important pour Matisse. En 1899, alors qu'il avait à peine de quoi payer son loyer ou se nourrir, Matisse avait acheté Trois Baigneuses (1879-1882) de Cézanne, et en 1908, six de ses aquarelles. Dans cette toile de 1907, Matisse adopte la stratégie cézannienne consistant à laisser certaines zones non peintes, afin de créer une impression d'état provisoire. Sa représentation de l'œuvre dans L'Atelier rouge accentue encore cet aspect, en simplifiant le sujet au point de le réduire à des champs de couleurs. Les deux figures sont rendues par des touches de rose et quelques lignes librement tracées au crayon reprenant les contours de la peinture originale.
Le Luxe (II), Collioure, 1907-1908, détrempe sur toile
Le Luxe (II) marque le début d'une série de compositions à figures monumentales et très simplifiées qui allaient absorber Matisse jusqu'en 1911. Son thème ravive une tradition séculaire de la peinture européenne : des groupes de figures se délassant dans un cadre naturel. Dans sa représentation du Luxe (II) intégrée à L'Atelier rouge, Matisse a altéré les couleurs originelles de l'oeuvre. À l'origine, il avait peint les trois nus dans des tons plus proches de ceux observés ici, mais lorsqu'il a recouvert de rouge de Venise le sol et les murs, il a également repeint ces figures qui apparaissent désormais plus brunes de peau. Depuis la fin du XIXe siècle, et suivant l'exemple de Gauguin, de nombreux artistes d'avant-garde représentaient des types physiques extraeuropéens, tel un défi lancé aux canons culturels du temps. Cette œuvre est le premier exemple, chez Matisse, de peinture à la détrempe, une technique utilisée pour obtenir des surfaces mates et uniformes.
Cyclamen, Issy-les-Moulineaux, 1911, huile sur toile
L'installation à Issy-les-Moulineaux donna à Matisse bien des occasions de peindre des natures mortes florales. Géraniums, capucines, tulipes, violettes, lilas, cyclamens et bien d'autres fleurs poussaient en abondance dans la serre et les jardins entourant la maison familiale et l'atelier. Cette toile - l'unique nature morte reproduite dans L'Atelier rouge - semble avoir été brossée rapidement : la couche picturale est mince et la touche vive, et des zones de toile laissées en réserve apparaissent autour des feuilles du cyclamen et des feuillages alentour. On sait d'après d'autres peintures que la petite table ronde se trouvait dans la serre, et il se peut que l'œuvre y ait été peinte. Sa représentation dans L'Atelier rouge, moins naturaliste que l'original, est une interprétation presque abstraite des pétales violets et des feuilles vertes. Matisse met en relief la toile en réserve lui donnant ainsi un rôle important dans l'expressivité globale de l'œuvre.
Nu à l'écharpe blanche, Paris, 1909, huile sur toile
Matisse a peint Nu à l'écharpe blanche au printemps 1909, dans son atelier du couvent du Sacré-Cœur. L'œuvre se fonde sur des études d'après le modèle professionnel Loulou Brouty, qui avait posé pour plusieurs de ses toiles cette même année. Matisse a profondément modifié la figure, faisant varier sa position à maintes reprises tout en peignant. Les traces d'états précédents restent visibles à la surface de la toile achevée, elles sont particulièrement évidentes dans les zones sombres autour des jambes du modèle et de son bras gauche. Dans L'Atelier rouge, la position du corps est plus horizontale que dans l'original. Dans le même temps, les éléments sombres du tableau ont été omis et son intensité adoucie.
Corse, le vieux moulin, 1898, huile sur toile
Corse, le vieux moulin est l'œuvre la plus ancienne de l'artiste représentée dans L'Atelier rouge. Après leur mariage, Henri et Amélie Matisse passèrent leurs premiers six mois ensemble à Ajaccio, en Corse, où Matisse découvrit pour la première fois la mer et le soleil de la Méditerranée. Dans une lettre à un ami, il décrit ainsi la mer : « bleu, bleu, si tellement bleu qu'on en mangerait ». Cette expérience transforme sa peinture et sa palette, les descriptions réalistes cèdent alors la place à des compositions structurées avant tout par la couleur. Cette ancienne huilerie était l'un des sites préférés de Matisse ; ici, son rendu de la lumière dissout les détails des troncs d'oliviers et de la porte en haut de l'escalier. L'inclusion de Corse, le vieux moulin dans L'Atelier rouge suggère que Matisse attachait beaucoup d'importance à ce séjour sur l'île et à l'impact qu'il avait eu sur son développement artistique. Seules les grandes lignes de la composition apparaissent ici, mais ce rendu schématique permet à Matisse d'actualiser l'image et de la mettre en résonance avec le mode d'expression qui est le sien en 1911.
Jeune Marin (II), Collioure, 1906, huile sur toile
L'une des rares figures masculines de l'œuvre de Matisse, ce portrait d'un jeune marin fut peint à Collioure, où l'artiste fit de longs séjours entre 1905 et 1914. C'est là que l'artiste et ses amis commencèrent à utiliser la palette vive et la large touche qui leur valut, en 1905, le sobriquet de fauves. Les aplats colorés simplifiés et le visage évoquant un masque témoignent d'une stylisation hardie dont Matisse pressentait qu'elle surprendrait ses admirateurs : son ami et collectionneur Leo Stein se souvenait que Matisse avait d'abord prétendu que le postier local de Collioure l'avait peint. Dans sa reproduction de cette toile dans L'Atelier rouge, Matisse a réduit le format du tableau comme celui de la figure, et adapté sa tonalité générale afin de l'harmoniser avec les peintures qui l'entourent.
Nu féminin, Asnières, 1907, faïence stannifère
Cette assiette en céramique peinte résulte de la collaboration féconde de Matisse avec le céramiste André Metthey (1871-1920), dont l'atelier se trouvait à Asnières au nord-ouest de Paris. Metthey s'attachait à faire revivre l'art délaissé de la peinture sur céramique. Il invitait de nombreux artistes à venir décorer les pièces qu'il fabriquait à partir d'argiles locales et qu'il émaillait ensuite afin d'offrir un support stable à la peinture. En 1907-1908, Matisse produisit près de quarante céramiques avec Metthey. Il choisit d'en conserver la plupart et elles ne furent longtemps connues que par leur fréquente représentation dans ses œuvres. Ici, la figure n'est définie que par une simple ligne bleue - ce qui témoigne de l'habileté de l'artiste, l'émail étant un support impitoyable qui ne tolère aucune correction. En donnant à cette assiette une position privilégiée au premier-plan de L'Atelier rouge, Matisse souligne l'importance des arts décoratifs dans sa vision artistique.
Nu debout, très cambré, Collioure, 1906-1907, terre cuite
Nu debout, très cambré fait partie d'une série de petites statuettes de nus féminins réalisées par Matisse lors de sa période fauve. La sculpture a été initialement modelée à partir de la photographie d'un modèle anonyme publiée dans Mes modèles, l'un des magazines de l'époque proposant ce type d'images à l'usage des artistes. La pose, typique de ces publications, est maniérée et plus explicitement érotique que celles adoptées par les modèles vivants dans une salle de classe ou un atelier.
Cette terre cuite mutilée a été récemment découverte parmi les objets ayant appartenu à l'un des fils de l'artiste, Jean. La tête et les avant-bras sont désormais perdus mais la figurine a conservé ses principales caractéristiques. Dans L'Atelier rouge, la figurine apparaît de dos, enroulée dans les tiges s'échappant du vase à proximité. Matisse a reproduit avec soin les bras levés et les genoux fléchis du sujet.
Jeannette (IV), Issy-les-Moulineaux, 1911, bronze, fonte 1/10
Matisse a commencé la série des cinq Jeannette au début 1910. Il utilisa l'argile pour Jeannette (I), modelée directement d'après le modèle Jeanne Vaderin, une connaissance d'Issy-les-Moulineaux. Les versions successives de ce portrait renoncent à tout naturalisme pour développer une logique formelle propre. Au moment où l'artiste réalise Jeannette (IV), les volumes très stylisés de la coiffure et les traits du modèle se sont encore affirmés. Jeannette (IV) fut exposée pour la première fois sous la forme d'un bronze, comme ici, mais c'est sa version en plâtre que Matisse a représentée dans L'Atelier rouge, adaptant ses formes pour rendre la coiffure plus spectaculaire encore que dans la sculpture, tout en omettant de représenter le long nez légèrement courbé. Le plâtre ne fut jamais exposé et fut finalement détruit.
Figure décorative, Paris, 1908, bronze, fonte 1/10
Cette Figure décorative fut créée en 1908-1909 au couvent du Sacré-Cœur, un ancien couvent appartenant à l'État où Matisse vivait, travaillait et enseignait dans l'académie qu'il y avait créée. Durant cette période, l'artiste se focalisa tout particulièrement sur la sculpture, en prenant toujours pour sujet le nu féminin. Ici, le corps tout en tension est à la fois sinueux et redressé, curviligne et géométrique. Il ne se définit pas simplement par ses masses mais aussi par les espaces négatifs entre elles. Un glissement du point de vue vers le côté ou le dos de la sculpture révèle des configurations totalement nouvelles. Dans la représentation qu'il donne du bronze dans L'Atelier rouge, Matisse rend soigneusement la couleur de la patine en mélangeant l'ambre et le gris. La sculpture y paraît plus svelte que l'original, et empreinte de plus de sinuosité et de souplesse.
Dans la salle suivante, on évoque le sort du tableau-titre de l'exposition.
Le rejet de L'Atelier rouge par Chtchoukine - qui en avait fait la commande avec deux autres panneaux décoratifs - affecte Matisse, qui choisit de ne pas l'exposer immédiatement en France après son achèvement. L'Atelier rouge est présenté pour la première fois aux Grafton Galleries à Londres à l'automne 1912. Il s'agit de la « Seconde Exposition postimpressionniste » organisée par Roger Fry, écrivain et artiste qui joua un rôle clé dans l'introduction de l'art moderne au Royaume-Uni. La réaction du public à l'exposition, et particulièrement à la peinture de Matisse, est alors largement négative.
L'Atelier rouge voyagera ensuite aux États- Unis, où il est inclus dans l'exposition de l'Armory Show à New York, Chicago et Boston. Plusieurs peintures de Matisse exposées aux Grafton Galleries, notamment Le Luxe (II) (1906), le Jeune Marin (II) (1907-1908) et Poissons rouges et Sculpture (1912) y figurent également. L'Armory Show a offert au public américain un large aperçu de l'art moderne, mais fut souvent tourné en dérision.
- Roger Fry (1866-1934) : Une salle de la « Second Post-Impressionist Exhibition », Londres, 1912, huile sur bois
- reproduction d'une photographie de l'Armory Show
On reconnaîtra, devant l'Atelier rouge, une œuvre de Brancusi, Mlle Pogany (cf. notre billet du 11 mai dernier)
La Fenêtre bleue, Issy-les-Moulineaux, 1913, huile sur toile
Durant les mois qui suivirent son voyage en Russie à la fin 1911, Matisse continua de se consacrer à cette catégorie singulière de natures mortes que sont ses vues d'atelier. La surface monochrome introduite dans L'Atelier rouge se retrouve dans deux peintures plus tardives, présentées dans cette salle, qui se caractérisent par une nouvelle spatialité quasi abstraite.
C'est l'unique œuvre de Matisse montrant son atelier d'Issy vu de l'extérieur. Elle fut peinte depuis la chambre qu'il partageait avec sa femme Amélie au second étage de leur maison toute proche. Cette vue depuis la fenêtre montre l'atelier niché dans la végétation.
Poissons rouges et Sculpture, Issy-les-Moulineaux, 1912, huile sur toile
Cette peinture fit ses débuts aux côtés de L'Atelier rouge lors de la « Second Post-Impressionist Exhibition » de Londres et l'accompagna ensuite à l'Armory Show à New York. Elle montre le mur arrière de l'atelier d'Issy, et la petite porte menant à la réserve couverte. Cette porte, de couleur ocre, est ouverte afin de révéler le paysage extérieur. Un bocal de poissons rouges, un vase de fleurs sur un plat et une sculpture en terre cuite, Nu allongé (1907), reposent sur une table (celle que l'on voit dans L'Atelier rouge). Cette peinture fait écho à L'Atelier rouge du fait de sa couleur enveloppante - bleue et non rouge - finement appliquée par touches rapides plutôt que de manière étale.
Epilogue
Grand intérieur rouge, Vence, 1948, huile sur toile
Matisse termina cette toile trente-sept ans après avoir peint L'Atelier rouge, presque en guise de salut amical à l'œuvre qui l'avait précédée. Grand intérieur rouge représente un coin de la maison de l'artiste à Vence, où il vécut et travailla de 1943 à 1949. Deux œuvres récemment achevées sont accrochées aux murs: un grand dessin au pinceau et à l'encre, et la peinture L'Ananas (1948). Grand intérieur rouge partage avec L'Atelier rouge le dispositif de « l'œuvre dans l'œuvre », constant chez Matisse au fil des décennies. Pourtant, ce n'est qu'alors que réapparaît la planéité radicale de la peinture de 1911, dans ce que le directeur du MOMA Alfred H. Barr Jr. décrivait comme « l'excitation gardée au plus près de la surface du tableau. »
Grand intérieur rouge sera la dernière peinture à l'huile de l'artiste. En février 1949, peu après l'acquisition de L'Atelier rouge par le MOMA, Pierre Matisse organise dans sa galerie new-yorkaise une exposition d'œuvres récentes de son père comprenant des peintures et des dessins, ainsi que des papiers découpés. Durant les cinq dernières années de sa vie, Matisse allait recouvrir les murs de son espace de travail à l'hôtel Régina de papiers découpés, faisant ainsi passer l'atelier de sujet et d'image en deux dimensions à une œuvre d'art totale à trois dimensions. Le Grand intérieur rouge revient à Paris en 1949 pour la rétrospective organisée au Musée national d'art moderne au palais de Tokyo, puis il rejoint ses collections en 1950.
En guise de conclusion, quelques papiers découpés de 1951, maquettes de la couverture d'une exposition à la galerie de Pierre Matisse à New York, et le catalogue d'une rétrospective, deux ans après sa mort.
Brancusi - L'art ne fait que commencer
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Magistrale rétrospective au Centre Pompidou, consacrée au sculpteur Constantin Brancusi (1876-1957). Le Centre Pompidou a en effet un lien particulier avec Brancusi qui, en 1956 a légué tout ce que contenait son atelier (œuvres achevées, ébauches, meubles, outils, bibliothèque, discothèque, photographies…) à l’État français, sous réserve que celui-ci s’engage à le reconstituer tel qu’il se présentera à la mort de l’artiste. Après une première reconstitution partielle en 1962 à l’intérieur de la collection du Musée national d’art moderne alors situé au Palais de Tokyo, cette reconstitution est réalisée en 1977, face au Centre Pompidou, et réinstallée en 1997 par l’architecte Renzo Piano, comme un espace muséal dans lequel est inséré l’atelier. Si l’architecte n’a pas tenté de reproduire, dans un lieu public, l’intimité de l’impasse Ronsin où était installé l'atelier du sculpteur, il a su préserver l’idée d’un lieu protégé, d’un espace très intérieur, dans lequel s’infuse une lumière zénithale, et où le spectateur est préservé de l’animation de la rue et de la Piazza, notamment par un jardin clos. La rénovation du Centre, prévue de 2025 à 2030, va conduire à revoir encore cette installation : cette exposition est l'occasion de revoir toutes ces œuvres avant une nouvelle éclipse de cinq ans.
À l'entrée, nous sommes accueillis par Le Coq, 1935, plâtre sur socles en plâtres, figure emblématique que nous retrouvons dès la première salle :Grand Coq I, 1924
Grand Coq II, 1930
Grand Coq III, [vers 1930-1934]
Plâtre, sur socle en plâtre
La figure du coq revêt une importance particulière pour Brancusi qui l'a déclinée en différentes tailles et matériaux pendant trois décennies. Dès 1924, il modèle ces ébauches de Grands Coqs directement dans le plâtre, avec pour projet, inabouti, d'en réaliser une version monumentale en acier inoxydable pour la France. Posée sur une étroite base, leur silhouette élancée est rythmée par une découpe en dents de scie qui rappelle à la fois la forme de leur crête et la saccade de leur chant strident. « Le Coq de Brancusi est une scie de joie », écrit le sculpteur Jean Arp.
La Muse endormie, 1910, bronze poli
La lumière est l'une des composantes de la sculpture de Brancusi. Par un patient travail de polissage, la surface de ses bronzes devient réfléchissante comme un miroir. Avec La Muse endormie, Brancusi remplace le buste traditionnel par un fragment de tête couchée, en équilibre sur la joue. Si le visage est clos dans sa forme, un ovale parfait où les traits sont à peine esquissés, il s'ouvre par le jeu de reflets à l'espace environnant en intégrant l'image du regardeur.
Dans la section nommée Sources, une mise en regard d'œuvres de Brancusi et d'autres œuvres.
Le Sommeil, 1908, marbre (à droite) en regard du Sommeil, 1894, marbre, d'Auguste Rodin dont Brancusi a été brièvement l'assistant en 1907.
Danaïde, 1908-1909, pierre (calcaire), à droite, en regard d'une tête ibérique masculine du 3e siècle avant JC [volée en 1907 par le secrétaire de Guillaume Apollinaire sur le site de Cerro de los Santos et vendue à Pablo Picasso]
Torse de jeune fille, 1910, plâtre, à droite, en regard d'une statuette d'Aphrodite nue, époque hellénistique, marbre
Le Baiser, 1907, pierre, à droite, en regard de Homme accroupi, d'André Derain, 1907, grès
Torse de jeune fille III, 1925, onyx, à droite, en regard d'une tête de statue du type aux bras croisés, dite « Tête de Kéros », 2600-2400 av. J.-C, marbre
La Sagesse de la Terre, 1907-1908, calcaire crinoïde poli et ciré, à droite, en regard de Oviri, de Paul Gauguin, 1894, statuette en grès partiellement émaillé
Tête d'enfant, 1906, bronze patiné
Portrait de Georges, 1911, marbre
Tête d'enfant endormi, [vers 1908], marbre
Tête d'enfant endormi, [vers 1921], marbre blanc
Tête d'enfant endormi, [vers 1921], pierre noire
Le Nouveau-Né I, 1915-1920, plâtre
Les portraits d'enfants occupent une part importante de la création de Brancusi autour de 1906-1911, au contact des fils ou filles de ses amis, comme le petit Georges Farquhar. La série des Têtes d'enfant coïncide avec le passage d'un style naturaliste à une stylisation radicale marquée par la fragmentation du corps, la bascule à l'horizontale et la réduction des traits du visage.
La Prière, 1907, bronze patiné foncé
On entre dans la salle suivante par une porte de ferme roumaine (Gorj, Olténie) de 1884 : dans l'enfilade, une porte en chêne réalisée par Brancusi (entre 1923 et 1936) qui marquait la séparation entre l'espace public et privé de son atelier.
Des meubles en bois réalisés par Bancusi entre 1920 et 1930
Cariatide, 1943-1948, bois (chêne)
« L'architecture, c'est de la sculpture », disait Brancusi. De 1914 aux années 1940, il crée plusieurs cariatides en bois conçues comme des sculptures à part entière et non comme un support architectural ou un élément de socle. Influencée par la statuaire africaine, celle-ci présente des genoux fléchis, un ventre bombé et joue sur l'alternance entre les arrondis et les formes cubiques.
Tête d'enfant [Tête du Premier Pas], 1913-1915 et Tabouret, 1930, bois (chêne) teinté en noir, sur socle en bois (chêne)
Petite fille française (Le Premier Pas III), vers 1914-1918, bois (chêne) sur socle en bois (pin)
Des photos prise par Brancusi de ses sculptures :
Tête de jeune fille, 1907, pierre et La Baronne R.F. (Tête de femme), vers 1909, pierre
Quelques œuvres graphiques de Brancusi :
Trois enfants, non daté, plume et encre noire sur papier calque vélin beige, monté sur une carte vélin crème
Nu allongé, 1910, gouache et mine graphite sur carton
Femme nue debout, 1920-1922, crayons de couleur sur papier
Deux portraits de Brancusi par des artistes amis :
- par Amedeo Modigliani, vers 1909, encre sur papier
- par Oskar Kokoschka, 1932, huile sur toile
Un autoportrait de Margit Pogany, 1913, huile sur carton, qui fut la muse de Brancusi et qui a inspiré les sculptures "Mlle Pogany".
L'atelier de l'artiste est reconstitué au centre de l'exposition...
avec quelques œuvres :
une ébauche de L'Oiseau dans l'espace, 1950, marbre bleu turquin
Projet d'architecture, 1918, bois (chêne)
Tête d'enfant [Tête du Premier Pas], vers 1917 et Tabouret, 1925, marbre sur socle en bois (chêne)
Coupe I, vers 1917, bois (fruitier)sur socle bois (chêne)
Féminin et masculin
Chez Brancusi, la simplification des formes et la suppression des détails sont paradoxalement sources d’ambiguïté. Dès 1909, l’artiste entame une réflexion sur le motif du torse féminin. De sa Femme se regardant dans un miroir, nu encore classique, il ne retient que la courbe unissant les formes arrondies de la tête et de la poitrine pour aboutir à l’ambivalente Princesse X. L’aspect équivoque de la sculpture fait scandale et lui vaut d’être refusée au Salon des indépendants de 1920. Un même trouble s’exprime dans son Torse de jeune homme, au genre incertain. Perturbant l’ordre symbolique de la division des sexes, ces œuvres font écho à l’esprit contestataire de Dada, porté à la même époque par ses amis Marcel Duchamp, Man Ray et Tristan Tzara.
Princesse X, 1915-1916, bronze poli, pierre (calcaire)
Torse de jeune homme
1919, plâtre patiné
1923, bois (noyer) sur socle de pierre (calcaire)
1917-1924, laiton
Portraits
En s’éloignant du visible pour aller à l’essentiel, le sculpteur n’en délaisse pas moins la figure humaine, en particulier féminine. Alors que les titres des sculptures conservent les noms des amies ou compagnes qui inspirent le sculpteur (Margit Pogany, la baronne Frachon, Eileen Lane, Nancy Cunard, Agnes Meyer…), leurs personnalités tendent à se fondre et se confondre en un visage stylisé, ovale et lisse. Chacune se distingue par quelques signes élémentaires : yeux en amandes, chignon,bouclettes… Travaillant sans modèle, préférant reconstruire la figure de mémoire, Brancusi pose à travers ses portraits la question de la ressemblance et de la représentation.
De gauche à droite :
Tête de femme, vers 1908, plâtre sur socles en plâtre, marbre, pierre (calcaire)
Une muse, après 1917, plâtre sur socles en pierre (calcaire) et bois (peuplier)
Une muse, 1912, marbre sur socle en chêne daté 1920
Tête de femme, avant 1922, plâtre, marbre sur socles en marbre et bois (chêne)
La Baronne, vers 1920, plâtre, sur socle en pierre (calcaire)
Mlle Pogany I, 1912-1913, plâtre, sur socle en plâtre et bois (noyer)
Mlle Pogany I, 1913, bronze avec patine noire, sur socle en calcaire
Mlle Pogany II, 1920, plâtre patiné à la gomme laque, sur socles en pierre (calcaire) et chêne
Mlle Pogany III, 1933, bronze, sur socles en pierre (calcaire), bois (chêne)
Danaïde, 1913, bronze patiné noir (et doré à la feuille), sur socle en pierre (calcaire)
Danaïde, vers 1913, bronze avec patine noire, sur socle en pierre (calcaire)
La Négresse blanche I, 1923, marbre veiné
La Négresse blonde II, 1933, plâtre patiné à la gomme laque, sur socles en plâtre, pierre (calcaire) cruciforme et bois (chêne)
La Négresse blonde II, 1933, bronze, sur socles en marbre, pierre calcaire et bois
Portrait de Nancy Cunard (jeune fille sophistiquée), 1928, plâtre patiné, sur socles en plâtre et bois (chêne)
Eileen Lane, 1923, onyx blanc, sur socles en pierre (calcaire) et bois (chêne)
Étude pour le Portrait de Mme Eugene Meyer Jr., 1916-1933, bois (noyer), sur socles en pierre (calcaire) et chêne
En apprenant que le sculpteur Charles Despiau vient de faire le portrait de sa mécène et amie américaine Agnès Meyer, Brancusi réagit : « Je vais vous montrer à quoi ressemblerait vraiment un portrait de vous. » La version finale en marbre noir tire son origine de cette étude en bois qui présente le même haut du visage en forme de tiare, prolongé par un long cou bombé au-dessus d'un petit piètement. L'autorité du modèle s'incarne dans cette figure imposante aux allures de totem abstrait.
L’envol
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Le motif de l’oiseau, qui comporte plus de trente variantes en marbre, bronze et plâtre, occupe Brancusi pendant trois décennies. Initiées en 1910, les Maïastras au corps bombé, cou allongé et bec grand ouvert font référence à un oiseau fabuleux des contes populaires roumains. [ci-contre, 1911, bronze sur socle en calcaire]
Dans les années 1920, le sculpteur simplifie la forme, l’amincit et l’étire verticalement jusqu’à la limite de la rupture pour créer la série des Oiseaux dans l’espace. L’envol symbolise pour Brancusi le rêve de l’homme échappant à sa condition terrestre, son ascension vers le spirituel.
Maïastra, 1923/1940, marbre bleu turquin, sur socle
Cariatide-chat en bois (chêne)
L'Oiselet II, 1928, marbre veiné, sur socle en pierre (calcaire)
L'Oiseau dans l'espace, 1927/1934, plâtre, sur socles en plâtre et bois (noyer)
L'Oiseau dans l'espace, 1926, plâtre, sur socles en marbre noir et bois (chêne)
L'Oiseau dans l'espace, 1936, plâtre coloré en gris, sur socles en plâtre et pierre (calcaire) cruciforme
L'Oiseau dans l'espace, 1941, bronze poli, onyx
Lisse et brut
Dans les photographies prises dans l’atelier, Brancusi cadre souvent ses sculptures au plus près, exploitant le pouvoir d’évocation des matériaux. Les surfaces patiemment polies, sur lesquelles toute trace du geste est effacée, contrastent avec des morceaux bruts ou taillés grossièrement. Ce jeu de matière est autant tactile que visuel, comme le souligne par son titre
sa Sculpture pour aveugles. Avec le travail en série, chaque sculpture est à la fois unique et multiple, souvent posée sur des socles superposés auxquels Brancusi porte un soin tout particulier. Composés de formes géométriques simples (croix, cube, disque…), ces supports créent un rythme ascensionnel dynamique et des jeux de correspondances. Brancusi remet en question le statut conventionnel de cet accessoire, traditionnellement utilisé pour surélever la sculpture et la distinguer de son environnement. Il convertit à plusieurs reprises certains socles en sculpture autonome, refusant toute hiérarchie entre le haut et le bas, entre le banal et le noble.
Sculpture pour aveugles, 1920-1921, plâtre, sur socle en bois (chêne)
Sculpture pour aveugles, 1925, onyx, sur socle en plâtre
Le Commencement du monde, vers 1920, marbre, maillechort et pierre
Le Commencement du monde, 1924, bronze poli, sur disque en acier poli et socle en bois (chêne)
Plante exotique, 1923-1924, bois (chêne), sur socle en pierre (calcaire)
L'Oiselet, 1928, plâtre, sur socle-poutre en bois (platane)
Bois forme, début 1920-1930, bois (chêne)
Le Nouveau-Né II, 1927, acier inoxydable, sur disque en acier inoxydable et socle en bois (chêne) en partie teinté
Cette version du Nouveau-Né en acier inoxydable est un modèle unique dans la production de Brancusi. Elle est née de sa collaboration avec l'architecte Jean Prouvé, alors ferronnier d'art à Nancy. Celui-ci, enthousiasmé par ce nouveau matériau, réalise une fonte que Brancusi vient meuler dans l'atelier nancéen. La collaboration tourne court : l'acier inoxydable ne permet pas encore un rendu lisse et la dureté de l'alliage rend son polissage ardu. Cette tête témoigne cependant de la curiosité de Brancusi pour les innovations techniques.
La Timidité, 1917, pierre (calcaire), sur socle en bois (platane)
Forme simple par excellence, La Timidité est une des rares œuvres que Brancusi ait conservé en l'état mais qui fut sans doute une étude pour un Torse de jeune fille. Bloc de calcaire taillé et poli, la surface ne porte aucune trace d'outil, donnant seulement naissance à une sculpture lisse, au profil de nuage. Elle contraste avec le tronc massif, à peine dégrossi, qui lui sert de socle.
Le Nouveau-Né II, vers 1923, bronze poli, sur disque bronze poli et socle en marbre cruciforme, bois (chêne) et pierre
Brancusi réalise plusieurs versions du Nouveau-Né, reconnaissable à sa bouche démesurément ouverte. Il joue sur le reflet du bronze poli posé sur un disque miroir, fabriqué dans le même métal. Ce plateau est aussi le berceau sur lequel semble se pencher le monde alentour, accueillant la naissance de la sculpture. Le dispositif des quatre socles empilés crée un effet de rythme et de correspondance, la cavité ronde du bois pouvant s'apparenter à la matrice d'où serait issue la sculpture.
La Sorcière, 1916-1924, noyer, sur socle en calcaire posée sur Chien de garde, vers 1924, bois (chêne)
La Sorcière, [1924-1955], plâtre, sur socle en plâtre et pierre (calcaire)
Un section Reflet et mouvement est entièrement dévolue à une sculpture que Brancusi a voulue mobile, posée sur un roulement à billes et tournant sur elle-même grâce à un moteur. Un grand exemplaire, installé dans une salle circulaire :
Léda, 1926, bronze poli, disque en maillechort
et un plus petit,
Léda, vers 1920, marbre sur socle en ciment
où c'est un film réalisé par l'artiste qui donne l'illusion du mouvement.
L’animal
Dans les années 1930 et 1940, plusieurs séries consacrées à la thématique de l’animal marquent une évolution vers des formes obliques ou horizontales. Au sein de ce bestiaire, deux groupes se distinguent : les volatiles (coqs, cygnes, oiseaux…) et les animaux aquatiques (poissons, phoques, tortues…). Avec de multiples versions, dans des matériaux et des formats variés, ses sculptures semblent répondre au principe naturaliste de l’espèce. Par la simplification des formes, Brancusi vise à la fois à atteindre une figuration symbolique de l’animal et à retranscrire son mouvement.
Phoque II, 1943, marbre bleu turquin sur socle en pierre
Le Phoque, 1943-1946, plâtre, sur table à double tambour en plâtre
Le Poisson, 1922, marbre veiné, socle en deux parties (miroir et chêne)
Le Poisson, 1930-1949, plâtre patiné, sur socle en marbre gris et table double tambour en plâtre
Brancusi décline le motif du poisson pendant une dizaine d'années, réalisant une première version en marbre blanc veiné avant de réaliser des bronzes puis une version monumentale en marbre gris dont il conserve le plâtre dans son atelier. Figure plane en forme d'os de seiche aérodynamique, Brancusi joue sur les propriétés des matériaux pour créer des effets chatoyants ou réfléchissants. Ici, les veines du marbre évoquent les ondulations de l'eau, là, le disque de métal réfléchissant accentue l'aspect fragile, en suspension, de la sculpture.
La Tortue, 1941-1943, bois (marronnier d'Inde), sur socles en acier non poli et bois (chêne)
Bête nocturne, vers 1930, bois (érable), sur socle en plâtre
Le Coq, 1935, bronze poli, sur socle en pierre (calcaire) et chêne
Le Coq, 1924, bois (cerisier)
Le Coq, vers 1926, plâtre teinté, sur socles en plâtre et bois (chêne et peuplier)
Le Crocodile, 1924, bois (chêne-liège) sur poutre en bois (chêne)
Durant l'été 1924, alors que Brancusi est en vacances à Saint- Raphaël (Var), il manque de se noyer en mer et doit son salut à un morceau de chêne-liège flottant qui lui permet de regagner le rivage. Sur la plage, Brancusi lui consacre un autel qu'il photographie. Souvenir d'un accident qui aurait pu être tragique, la branche salvatrice se transmue en animal magique, nommé «le crocodile» et doté d'un collier, qui est ensuite rapatrié et conservé dans l'atelier parisien.
L'exposition se termine en apothéose avec une installation :
Le socle du ciel
Brancusi a toujours nourri l’espoir de réaliser des œuvres monumentales, comme en témoigne la reprise inlassable du motif du Baiser, stylisé et développé à l’échelle architecturale, sous forme de colonne et de porte. Une première occasion s’offre à lui en 1926, quand il plante sa Colonne sans fin dans le jardin de son ami Edward Steichen à Voulangis (Seine et Marne). Née d’un modeste socle en bois, cette œuvre radicale procède de la scansion verticale de l’espace par la répétition du même module, évoquant les piliers funéraires du sud de la Roumanie. C’est d’ailleurs dans son pays natal, à Târgu Jiu en 1937-1938, qu’il mène à bien son unique projet monumental. Sur un axe d’un kilomètre et demi traversant la ville, il place trois éléments symboliques : La Table du Silence, La Porte du Baiser et La Colonne sans Fin. Érigée en fonte métallisée à près de trente mètres de haut, cette dernière figure l’axis mundi, le trait d’union entre la terre et le ciel, offrant au regard de multiples perspectives.
Au centre :
La Colonne sans fin I, vers 1925, bois (chêne)
La Colonne sans fin II, 1926-1927 - présentation partielle - bois (peuplier), métal
La Colonne sans fin, vers 1930-1931, présentation partielle - plâtre
La Colonne sans fin III, avant 1928, bois (peuplier)
Le Baiser, 1923-1925, pierre, sur socles en pierre (calcaire) et bois (peuplier)
Torse de jeune fille I, 1922, plâtre patiné et teinté, sur Maquette du linteau de La Porte du Baiser, 1935-1937, Maquette du pilier de La Porte du Baiser, 1935-1937 en pierre (calcaire) et socle en bois naturel (1933-1934) en bois (chêne)
Médaillon (Le Baiser), vers 1919, pierre (volcanique), fer
Le Baiser, 1916, calcaire
Maquettes pour le pilier de La Porte du Baiser, vers 1935-1937, plâtre, crayon et plâtre, sur socle en pierre (calcaire)
Moule de la maquette du pilier de La Porte du Baiser, 1935-1937, plâtre
Moulage du pilier de la Colonne du Baiser, vers 1930-1933, plâtre
Le Baiser, vers 1940, pierre (calcaire jaune), sur socle en pierre (calcaire)
Borne-frontière, 1945, pierre (calcaire)
En 1945, à une époque où la Roumanie passe sous influence soviétique et voit ses territoires profondément recomposés, Borne-frontière figure une ultime fois le motif du baiser sous la forme de trois blocs de pierre superposés. Symbole de l'harmonie entre les peuples, elle est l'une des rares œuvres de Brancusi empreintes d'une dimension politique. Au centre, le couple en pied est répété à l'identique sur chaque face, perdant toute profondeur. Au-dessus et en dessous, trois couples se déploient horizontalement en bas-relief.
Pampelune, Navarre
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Continuons à alterner les billets "culturels" et "touristiques", avec quelques images de Pampelune, capitale de la communauté forale de Navarre, surtout connue pour ses fêtes de la Saint-Firmin, où les taureaux dévalent les rues de la vieille ville jusqu'aux arènes.
Commençons par un tour aux Archives de Navarre, installées près de notre hôtel sur les hauteurs de la ville, au bord des remparts, dans un bâtiment où l'architecture moderne (Rafael Moneo, 2003) se mêle aux vestiges de l'ancien palais royal édifié par Sanche VI le Sage, roi de Navarre de 1150 à 1194.
L'entrée abrite un plan de la ville en 1900, qui met en évidence les fortifications "à la Vauban" qui lui donnent un caractère si particulier.
Dans la crypte romane, intacte depuis le XIIe siècle, une exposition sur le libéralisme navarrais au XIXe siècle, un peu délicate à appréhender pour le touriste français peu familier avec l'histoire tourmentée de la péninsule...
À deux pas, les rues étroites de la vieille ville nous mènent à la cathédrale Sainte-Marie, dont nous découvrons la façade néo-classique édifiée au XVIIIe siècle par l'architecte Ventura Rodriguez.
Passé l'entrée néo-classique, le nef gothique, construite à partir de 1395 par Charles III le Noble, roi de Navarre de 1387 à 1425, à la suite de l'effondrement de la nef romane, frappe par son ampleur et sa pureté.
Les nombreuses chapelles latérales abritent des retables d'une richesse qui surprend toujours le visiteur qui comme nous, n'était pas entré depuis quelque temps dans une église espagnole...
Autour du maître-autel, dominé par une statue monumentale de la Vierge du XIIe siècle, un bel ensemble de stalles réalisé autour de 1540 par Étienne d'Obray
Au milieu de la nef, le tombeau en albâtre de Charles III le Noble et de son épouse Éléonore de Castille, par Jamin Lomme de Tournai.
Attenant au bas-côté droit, le cloître gothique édifié de 1280 à 1375, antérieurement à l'effondrement de la nef romane mais qui fut préservé lors de la construction de la nef gothique actuelle. Ses élégantes baies parfois surmontées de gâbles lui donnent une grande légèreté.
Depuis le cloître, on accède à un dédale d'annexes et de cours : une salle voûtée où ont encore lieu des fouilles, le magnifique réfectoire des chanoines, achevé en 1335, avec ses six travées...
...des cours intérieures, dont un curieux jardin rempli de d'anciennes cloches...
Ces annexes abritent le très riche musée diocésain, avec un ensemble de vingt-huit vierges polychromes d'une grande beauté,
et une scénographie très étudiée.
Au gré de nos déambulations dans la vieille ville,
l'hôtel de ville, édifice baroque construit entre 1753 et 1759,
un vieux commerce d'instruments de musique, le centre culturel du Palacio del Condestable avec ses costumes traditionnels de danseurs basques,
la grande Plaza del Castillo, et le Parlement de Navarre tout proche.
Poursuivons notre promenade en direction des remparts, en longeant le petit fortin de San Bartolomé
Une passerelle nous permet d'atteindre le grand fortin du Labrit
d'où nous longeons les remparts, derrière la cathédrale.
De là, un très bel aperçu des fortifications de la ville,
autour de la porte de France, construite en 1553 par le vice-roi Beltrán II de la Cueva y Toledo, duc d’Alburquerque, la mieux conservée des six que comportait autrefois l’ancienne muraille de la ville.
Terminons ce billet en revenant à la tradition tauromachique de la ville évoquée en introduction. Près des arènes, le buste d'Ernest Hemingway, venu à Pampelune en 1923, à l’âge de 24 ans comme reporter du quotidien Toronto Star, en quête de matériel pour ses reportages et qui trois ans après sa première visite à Pampelune, publia ce qui deviendra son premier roman à succès, The Sun Also Rises (Le soleil se lève aussi).
Quelques vues de l'extérieur des arènes.
Dans la ville, le parcours des taureaux (encierro) est balisé, notamment l'angle droit entre la rue des marchands et la rue de l'estafette, où il est précisé en espagnol, en basque, en anglais et en français : "En prenant ici une courbe serrée de 90°, la plupart des taureaux lancés en plein galop patinent et s'écrasent contre les barrières".