La Bande dessinée au Musée (II/II)
Nous poursuivons dans ce billet le parcours de l'exposition débuté dans notre billet du 15 juin dernier.
Au niveau 5 du Centre Pompidou, dans la traverse 6 du musée national d'art moderne, Robert Doisneau / Emmanuel Guibert
Les confidences d'Alan Ingram Cope sont à l'origine de plusieurs livres d'Emmanuel Guibert, parmi lesquels La Guerre d'Alan, son récit de la Seconde Guerre mondiale en tant que soldat américain. Dans Martha et Alan, il évoque un amour d'enfance, dans l'Amérique des années 1930. Guibert accompagne ses textes de dessins réalisés à l'encre sur des feuilles de Rhodoïd ; la couleur, à la craie, leur confère une fragilité et une intensité fascinantes. La singularité du procédé entre en résonance avec le processus de la mémoire les formes s'inscrivent en vol, suspendues.
Robert Doisneau fixe lui aussi la poésie du moment, par l'instantané. Inscrivant sur la pellicule un monde voué à la disparition, il photographie la vie quotidienne durant la guerre, le monde de la nuit - des images empreintes à la fois de légèreté et de gravité. Il réalise aussi des reportages chez des amis peintres et écrivains. Ainsi, il se rend chez Georges Braque, à Varengeville en Normandie. Avec le temps, l'endroit s'est métamorphosé aujourd'hui, la forêt a gagné sur la colline, l'atelier et la maison sont en ruines. Les photos de Doisneau en tête, Guibert hante les lieux, les pages de ses carnets se remplissent, ainsi que ses cartons à dessins - au point désormais, de projeter un livre.
Robert Doisneau (1912-1994) :
La Poterne des Peupliers, 1934, épreuve gélatino-argentique
Dîner chez Pierre, 1944, épreuve gélatino-argentique
Arcueil, dimanche matin, 1945, épreuve gélatino-argentique
Barricade, 1944, épreuve gélatino-argentique
14 juillet, Métro Laplace, épreuve gélatino-argentique
Emmanuel Guibert (né en 1964) :
Dessins de la série Alan (Alan et Martha, l'Enfance d'Alan, la Guerre d'Alan,...)
L'Atelier de Braque, 2023
Dans l'allée 1, Balthus / Blutch
Il émane de La Toilette de Cathy un mystère pénétrant. Balthus y peint les personnages du ténébreux roman d'Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent : Heathcliff au premier plan, et la servante Nelly démêlant les cheveux de Catherine. Dans une lettre, Balthus décrit le tableau «comme une vision, comme un souvenir évoqué par Heathcliff, qui au fond est assis seul dans la chambre». Il ajoute que la peinture symbolise aussi «l'instant où deux êtres humains qui d'ailleurs n'en font qu'un et qui sont complémentaires l'un de l'autre, arrivent au carrefour de leurs destinées respectives». Leur séparation fatale renvoie à celle de Balthus et d'Antoinette de Watteville, alors fiancée à un autre.
C'est cette image énigmatique que Blutch choisit de réinterpréter pour l'ex-libris de Vitesse moderne. La fascinante Cathy de Balthus y devient la jeune danseuse Lola. Le sombre Heathcliff se transforme en Renée, qui propose à Lola de partager sa vie afin d'écrire un livre dont elle serait l'héroïne. Au fil de ce récit onirique, Blutch sonde les plus étranges fantasmes, donnant lieu à une narration irrationnelle et troublante, réactivée par l'intrusion d'éléments incohérents, grotesques, effrayants, fantasmatiques.
Balthus (1908-2001) : La Toilette de Cathy, octobre 1933-décembre 1933, huile sur toile
Blutch (né en 1967) :
Étude pour l'ex-libris de Vitesse moderne, 2002 D'après La Toilette de Cathy de Balthus, crayon graphite sur papier
Ex-libris de Vitesse moderne, 2002 D'après La Toilette de Cathy de Balthus, sérigraphie éditée par la Librairie-galerie Brüsel
Vitesse moderne, 2002, dessin de couverture, pastel sur papier
Étude pour l'ex-libris du recueil collectif Crème solaire, 2002 D'après La Montagne de Balthus, encre de Chine, mine graphite et correcteur sur papier
Ex-libris du recueil collectif Crème solaire, 2002 D'après La Montagne de Balthus, sérigraphie éditée par les Éditions Cornélius
Dans la salle 23, René Magritte / Éric Lambé
Théâtre, trompe-l'œil, dédoublement, tout concourt dans l'œuvre de René Magritte à « mettre en cause le monde réel ». L'atmosphère onirique de sa peinture provient tant de la finesse de l'exécution et de la subtilité des harmonies colorées que de l'étrangeté des associations mises en œuvre. Collecte de fragments glanés au fil du temps, de bribes que la mémoire laisse échapper, l'image est agencée selon un dispositif scénique et parsemée d'indices d'une violence sous-jacente. En effet, les apparences sont trompeuses chez le surréaliste belge, a commencer par sa personnalité subversive, adoptant cependant des allures et un mode de vie bourgeois.
C'est en partie l'étrangeté du personnage qui intrigue Éric Lambé, dont l'atelier, à Bruxelles, se trouve à quelques pas de la maison du peintre. Les pierres, les masques, les mots qui hantent les peintures de Magritte s'installent dans ses propres dessins tandis qu'il lui consacre un livre, La Saison des vendanges. Cette bande dessinée se clôt sur un événement gardé longtemps secret par Magritte, le suicide de sa mère. Au fil du récit, surgissent des images morbides, afin de restituer un paysage mental où émergent des visions.
René Magritte (1898-1967) : Souvenir de voyage, 1926, huile sur toile
Éric Lambé (né en 1966) : La Saison des vendanges, 2016, Scénario de David B., encre de Chine, gouache, encre et stylo bille sur papier
La traverse 7 est consacrée à Edmond-François Calvo (1892-1957)
Sans formation artistique, Edmond-François Calvo développe une activité de dessinateur et de sculpteur en parallèle à de multiples métiers. Autant inspiré par les dessinateurs animaliers du 19e siècle que par son contemporain Walt Disney, il publie dès 1937 des planches de bande dessinée prisées par le jeune public puis, pendant la Seconde Guerre mondiale, trois albums consacrés au lapin Patamousse. Cette chronique forestière aux accents fantastiques est caractérisée par le graphisme dynamique des personnages, contrastant avec la minutie des dessins du sous-bois. À la même période, Calvo travaille dans la clandestinité à La Bête est morte! La guerre y est racontée par le prisme animalier, chaque peuple étant représenté par une espèce. Procédé inhabituel, les planches sont réalisées en couleur directe. L'ouvrage, publié dès août 1944, bouleverse toute une génération de lecteurs. De 1942 à 1958, Calvo publie quatorze autres séries. Tombé dans l'oubli, sa redécouverte est due à l'admiration que lui vouent des auteurs majeurs, comme Albert Uderzo.
La Bête est morte!, 1942-1944, texte de Victor Dancette, crayon graphite, encre de Chine, gouache et collages sur papier, contrecollé sur carton de fond
Les Aventures de Patamousse, Tromblon le Brigand, 1946, encre de Chine, collage et impression sur papier
Dans l'allée 2, Francis Bacon / Lorenzo Mattotti
Dans son atelier de South Kensington à Londres, Francis Bacon développe une figuration sous tension. De ses tableaux surgissent des visages aux traits instables, des corps en torsion, autant d'images qui semblent altérées par la violence. En 1971, il réalise cet Autoportrait. Émergeant d'un fond noir, pris dans le cadrage resserré d'un format carré, son propre visage est dépeint comme tuméfié, distordu. Le brouillage des traits et la dislocation des formes agissent comme une mise à mal, sans échappée possible.
Figure majeure de la bande dessinée d'avant-garde, Lorenzo Mattotti a fait de ce médium un champ de création picturale depuis Feux, publié en 1984. Il poursuit avec l'œuvre de Bacon un dialogue ininterrompu. Il précise: « Je pense surtout à la manière dont Bacon organise l'espace dans ses tableaux. À l'énergie qu'il parvient à créer autour de ses personnages. C'est tellement fort. » Avec The Raven, Mattotti crée des images pour faire écho à la musique de Lou Reed, qui réalise en 2003 un album inspiré par les contes noirs d'Edgar Allan Poe. Musique et images convergent pour exprimer les motifs obsessionnels du poète – motifs du deuil, de la culpabilité et des pulsions destructrices.
Francis Bacon (1909-1992) :
Selfportrait, 1971, huile sur toile
Study for Portrait (Michel Leiris), 1978, huile sur toile
Lorenzo Mattotti (né en 1954) : The Raven, 2009, pastel et crayon de couleur gras sur papier
Salle 26 : Antonin Artaud / Edmond Baudoin
En 1946, à la maison de santé d'Ivry, Antonin Artaud réalise La Projection du véritable corps, où il se représente en fusillé, face à une figure totémique menaçante, un double figurant sa propre mort. Ses dessins sont l'expression d'une guerre intime, d'une lutte forcenée contre la désintégration de soi. Progressivement, c'est le visage qui devient le principal sujet, détaché du corps, puis multiplié. Davantage qu'une représentation, les portraits sont une expression, une incantation, où Artaud s'engage entièrement.
L'implication du corps est également fondamentale dans la pratique du dessin d'Edmond Baudoin. De la guerre au Liban à l'actuelle crise migratoire, il dessine pour donner une voix aux personnes meurtries et oubliées. Mais aller à la rencontre de l'autre, c'est aussi aller à la rencontre de soi ; ainsi, depuis ses premières bandes dessinées, Baudoin a inauguré à la fois le genre du reportage et celui de l'autobiographie dessinés. Le visage constitue pour lui un chemin, un point de passage. Il le creuse, l'efface, le décline, le mêle à mille autres, jusqu'à faire tomber le masque qui le fige – jusqu'à le révéler. La proposition d'un dialogue avec l'œuvre d'Artaud a été féconde : elle a donné lieu à ces six dessins, spécifiquement créés par Baudoin pour cet accrochage.
Antonin Artaud (1896-1948) : La Projection du véritable corps, 18 novembre 1946, mine graphite et craie de couleur grasse sur papier
Edmond Baudoin (né en 1942) : Artaud, 2023, encre de Chine, peinture à l'acrylique, aquarelle et collages sur papier
Geer van Velde / Dominique Goblet
La peinture de Geer van Velde trouve son point d'équilibre entre figuration et abstraction, brumes du Nord et lumière du Sud. Dans ses tableaux, à partir de 1945, la lumière s'adoucit, la ligne vibre, le coloris s'estompe. Samuel Beckett écrit à leur propos : « Que dire de ces plans qui glissent, ces contours qui vibrent, ces corps comme taillés dans la brume, ces équilibres qu'un rien doit rompre, qui se rompent et se reforment à mesure qu'on regarde ? » Espaces extérieur et intérieur sont mêlés la peinture formant désormais un paysage-pensée.
La même suspension du réel clôt l'album Faire semblant c'est mentir, écrit et dessiné par Dominique Goblet. Récit intime entremêlant des blessures et des espoirs, ce livre annule la distinction entre le réel et la fiction. Dans ces dernières pages, à mesure que la conversation téléphonique entre les deux protagonistes se suspend, que le silence s'élargit, les cases passent de six à cinq puis deux par page. Enfin elles disparaissent. Reste le flottement des mots et deux nuances en demi-teinte qui esquissent une ligne de partage entre deux voix, ou entre ciel et terre. À la toute dernière page, le récit se dissout, se résout, en un monochrome, sans un mot, laissant le lecteur en apesanteur.
Geer van Velde (1898-1977) : Composition, 1958, huile sur toile
Dominique Goblet (né en 1967) : Faire semblant c'est mentir, 2007, crayon graphite et peinture à l'huile sur papier
La traverse 8 est consacrée à Hergé (1907-1983)
Georges Remi, alias Hergé, rédacteur en chef du Petit Vingtième, crée les personnages de Tintin et Milou pour l'édition du 10 janvier 1929. Très rapidement, paraissent les albums Tintin au pays des Soviets, Le Lotus Bleu et Le Crabe aux pinces d'or. Le journal Tintin est fondé en 1946. L'aventure lunaire y fait son apparition le 30 mars 1950 et donnera lieu à deux albums, Objectif Lune et On a marché sur la Lune. Élément central du récit, la fusée à damiers est inspirée des travaux de l'ingénieur allemand Wernher von Braun. Les Studios Hergé sont créés le 6 avril 1950 afin de mener à bien le projet. Bob De Moor y dessine notamment la fusée, les rampes de lancement mais aussi les splendides paysages lunaires. Si l'idée d'envoyer une fusée sur la Lune est déjà en jeu chez Jules Verne, dans les films de Georges Méliès ou de Fritz Lang, Hergé prend appui sur les recherches scientifiques de son époque. Celles-ci aboutiront au premier pas de Neil Armstrong sur la Lune en 1969.
Journal Tintin, On a marché sur la Lune (numéros de juin à décembre 1953)
Dessins techniques pour Objectif Lune et pour On a marché sur la Lune, 1953, crayon graphite sur papier
Études d'attitudes pour Objectif Lune, 1949, crayon graphite sur papier
On a marché sur la Lune, 1954, Planches 1 et 2, 3 et 4, 19 et 20, 21 et 22, bleus de coloriage
L'Affaire Tournesol, 1954, planche n° 12 de l'album L'Affaire Tournesol, encre de Chine et gouache blanche sur papier
Dans L'Affaire Tournesol, Hergé parvient à l'apogée de sa maîtrise du dessin, conjointement à un ingénieux scénario qui prend des allures de roman d'espionnage.
Cette planche s'insère dans un processus de création immuable : esquisses et crayonnés, encrage, mise en couleurs. Fluidité des contours, réalisme des décors, continuité des plans : Hergé est consacré comme maître de la « ligne claire ». Cette recherche de la perfection coïncide avec le véritable engouement qu'il connaît alors pour l'art moderne et l'abstraction. Unique œuvre de bande dessinée conservée dans la collection du Musée national d'art moderne, cette planche a été généreusement donnée à la suite de l'exposition « Hergé » au Centre Pompidou.
Allée 3, Mark Rothko / Catherine Meurisse
Mark Rothko, artiste russe émigré aux États-Unis en 1913, a d'abord développé une œuvre figurative avant de glisser progressivement vers l'abstraction dans les années 1940. Après 1960, il réduit sa gamme aux seules nuances de rouge, privilégiées tant pour leur caractère symbolique, étant associées au sacré, que pour leur charge émotionnelle. Ainsi, Untitled (Black, Red over Black on Red) convoque un imaginaire et des sensations liés au registre de la disparition - effusion de sang, incandescence et combustion, braises et cendres, obscurité.
Dans La Légèreté, paru en 2016, Catherine Meurisse fait le récit du traumatisme provoqué par l'attaque meurtrière à laquelle elle a échappé, menée le 7 janvier 2015 par des terroristes islamistes contre le journal satirique Charlie Hebdo. Au sortir du gouffre, la beauté lui apparaît comme la seule issue. C'est finalement l'immensité des espaces sans fin, ceux du paysage mais aussi de la peinture la plus abstraite, qui lui apportent réparation. William Turner, Mark Rothko: la manifestation de la lumière au cœur de la matière picturale, la vibration de la couleur font advenir dans le tableau un état d'apesanteur - auquel participe, par communion, le spectateur.
Mark Rothko (1903-1970) : Untitled (Black, Red over Black on Red), 1964, huile sur toile
Catherine Meurisse (née en 1980) : La Légèreté, 2015-2016, crayon graphite, pastel, encre de Chine, crayon de couleur et collages sur papier
Salle 28 : Jean Dubuffet / Benoît Jacques
Dans la série du Métro, en mars 1943, Jean Dubuffet décline un langage plastique singulier, réduisant les figures à des archétypes par le biais d'un dessin schématique et de compositions frontales. Dès cette période, trois adversaires sont désignés le savoir-faire, le bon goût et l'esprit de sérieux. Dubuffet privilégie le hasard et le saugrenu, l'inachevé et le brouillon, professant un «scepticisme-défaitisme morbide à l'égard de toute entreprise de connaissance par voies de raison ».
Nul doute qu'il s'agisse des mêmes poncifs que Benoît Jacques cherche à saper, sous couvert d'une même désinvolture, et avec la même méticulosité. Pratiquant l'écriture sans scénario préalable, il la contraint par des règles du jeu : « La bande dessinée, par l'entremêlement de textes et d'images qu'elle propose, et surtout, lorsqu'elle n'est pas nourrie uniquement de ses propres codes et stéréotypes, fait partie de ces territoires d'exploration qui me fascinent et m'attirent. » Une exploration qui prend comme support la feuille de papier, mais aussi le tissu (une longue « bande » brodée sur toile de lin), ou encore le bois (avec cette série de « planches »). Une exploration dont le langage est la matière première, et dont le bricolage est le mode opératoire revendiqué.
Jean Dubuffet (1901-1985) :Métro, mars 1943, gouache sur papier
Chaîne de mémoire III (EG 130), 03 décembre 1964, peinture vinylique sur papier marouflé sur toile
Benoît Jacques (né en 1958) :
Chinoiseries, 2001, encre de Chine et collages sur papier
Flubards, 2002, encre de Chine et aquarelle sur papier
Coureur des bois, 2010, toile de lin brodée par Harizo Rakotomalala
Planches, 1999, peinture latex blanche et encre de Chine sur planches de bois de palette
Et nous terminons ce parcours avec, dans la traverse 9, un grand dessinateur américain :
Will Eisner (1917-2005)
New-yorkais de naissance, le jeune Will Eisner publie des dessins dans le journal de son collège, puis fonde son propre studio de bande dessinée. Le 2 juin 1940 apparaît dans le Register and Tribune Syndicate un détective privé masqué d'un loup, portant imperméable, feutre mou et paire de gants : Denny Colt, alias le « Spirit ». Eisner détourne la commande du journal qui s'attendait à un héros de comics dans la lignée de Superman; avec ironie, il campe un justicier intrépide mais très ancré dans la réalité. Une constellation de seconds rôles entoure le personnage central, eux aussi absolument non-conventionnels : le commissaire Dolan, qui n'a rien d'un surhomme, sa fille Ellen, au caractère affirmé et aux convictions féministes, et Ebony White, dont le rôle comique se complexifie au fil des épisodes, se détachant du stéréotype de l'Africain-américain. Les aventures du Spirit permettent à Eisner de dépeindre l'Amérique des quartiers populaires, des foules travailleuses. Les ambiances nocturnes, les décors aux ruelles étroites et aux immeubles délabrés contribuent à l'atmosphère mélancolique de la série.
The Spirit, Flaxen Weaver, 11 décembre 1949, planches 5, 6 et 7, encre de Chine sur papier
The Spirit, Mr. McDool, 12 octobre 1947, planche 1, encre de Chine sur papier
The Spirit, Money, Money, 23 novembre 1947, planche 1, encre de Chine sur papier
The Spirit, Lilly Lotus, 10 juillet 1949, planche 1, encre de Chine sur papier
Wildwood Cemetery, 1986, encre de Chine et aquarelle sur papier
Couverture pour le Spirit Magazine #22, 1979, encre de Chine et aquarelle sur papier
Couverture pour le Spirit Magazine #29, 1981, encre de Chine, aquarelle et gouache blanche sur papier
Dessin pour le Lake Oswego Festival of the Arts, 2001, encre de Chine et aquarelle sur papier
Paris 1874 - Inventer l'impressionnisme (I/II)
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La grande exposition du Musée d'Orsay ce printemps est consacrée à ce qui en fait l'un des attraits, et l'institution ne pouvait manquer de célébrer le 150ème anniversaire de l'exposition de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs, ouverte le 15 avril 1874 dans les anciens ateliers de Nadar pour s'affranchir de la dictature du Salon officiel, et qui deviendra célèbre sous le nom d'Impressionniste, donné par des journalistes de façon plus critique qu'élogieuse...
Le parcours de l'exposition, qui se veut très pédagogique, est assez tourmenté. Les premières salles ne présentent que des œuvres présentes à l'exposition de 1874 :
Peindre le présent, exposer par soi-même
Le 15 avril 1874, l’exposition de la Société anonyme ouvre ses portes, avec quelque 200 œuvres sélectionnées par leurs artistes eux-mêmes – sans la sanction d’un jury, ni l’entremise d’un marchand. Elles sont accrochées par leurs soins, dans l’ancien atelier de Nadar, sur des murs tapissés de laine brun-rouge. L’exposition réunit 31 artistes ayant surtout en commun d’avoir payé leur cotisation. Ils sont d’âges et d’horizons divers : près de 40 ans séparent le doyen Adolphe-Félix Cals du cadet Léon-Paul Robert, et le milieu social des grands bourgeois Degas ou Morisot est très éloigné de celui de l’anarchiste Pissarro et des communards Ottin et Meyer. Ce n’est pas non plus un principe esthétique qui les rassemble, mais plutôt une même volonté d’exposer librement et de vendre leur travail. Leurs œuvres sont d’une étonnante variété de sujets, de techniques et de styles. On y trouve deux fois moins de peintures que d’œuvres sur papier, dont une quarantaine d’estampes, de même qu’une dizaine de sculptures et quelques émaux. Des paysages très esquissés, des scènes de chasse ou de courses, voire une vue de maison close, côtoient des gravures d’après Holbein, des intérieurs de synagogue ou un buste d’Ingres. L’entrée est payante, ainsi que le catalogue, et les œuvres sont assez onéreuses. 3 500 visiteurs environ verront l’exposition. La société, largement déficitaire, sera dissoute. Seule une poignée de peintures de Sisley, Monet, Renoir et Cézanne trouvent preneur. Un critique raille la « forte quantité de croûtes », tandis que d’autres discernent « sept ou huit oseurs, des œuvres desquels […] s’échappe un impérieux sentiment du vrai »
Auguste Renoir (1841-1919) :
La Danseuse, 1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 141]
La Parisienne, 1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 143]
La Loge, 1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 142]
Claude Monet (1840-1926) : Boulevard des Capucines, 1873-1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 97]
Edgar Degas (1834-1917) :
Classe de danse, vers 1870, huile sur bois [Première exposition impressionniste, 1874, no 55]
Répétition d'un ballet sur la scène, 1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 60]
Camille Pissarro (1830-1903) : Les Châtaigniers à Osny, 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 138]
Auguste Renoir : Fleurs dans un vase, vers 1869, huile sur carton monté sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 145]
Édouard Béliard (1832-1912) : Pontoise. Vue depuis le quartier de l'écluse, vers 1872, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 15]
Proche de Pissarro, travaillant également à Pontoise, Béliard est lui aussi animé d'un désir d'indépendance artistique. Il milite pour un Salon des refusés en 1872, y participe l'année suivante, puis rejoint le comité.
Édouard Brandon (1831-1897) : La Synagogue, vers 1860-1880, huile sur toile, [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 29]
Pierre Bureau (1827-1876) : Clair de lune sur les bords de l'Oise, à L'Isle-Adam, vers 1867, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 35 ou n° 35 bis]
Gustave Henri Colin (1828-entre 1910 et 1919) : Le Castillo et le goulet de Pasages. Marée haute, vers 1870-1880, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 49]
Adolphe Félix Cals (1810-1880) : Le Vieux Pêcheur, 1873, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 38]
Nettement plus âgé que ses confrères, le peintre Cals se jette pourtant « avec ardeur » dans l'aventure de l'exposition du boulevard des Capucines. Il y montre plusieurs scènes de genre puissamment réalistes, et, selon le journaliste Castagnary, applique « à la représentation des types et des scènes populaires son art méditatif et réfléchi ».
Paul Cézanne (1839-1906) : Une moderne Olympia, esquisse, 1873-1874, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 43]
Berthe Morisot (1841-1895) :
Portrait de Madame Edma Pontillon, née Edma Morisot, sœur de l'artiste, 1871, pastel sur papier [Première exposition impressionniste, 1874, hors catalogue]
Le Berceau, 1872, huile sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, n° 104]
Alfred Meyer (1832-1904) : Portrait d'homme, d'après Antonello de Messine, 1867, émail peint [Première exposition impressionniste, 1874, substitut au n° 90 ou au n° 91]
Félix Bracquemond (1833-1914) :
Érasme, 1863, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, substitut au n° 28 - Cadre d'eaux-fortes]
Alphonse Legros, 1875, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 24 - Cadre d'eaux-fortes]
Edwin Edwards gravant à la pointe, 1872, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 24 - Cadre d'eaux-fortes]
Quatre artistes exposant boulevard des Capucines montrent des estampes (37 au total). Les trois quarts sont de Félix Bracquemond, graveur renommé, qui est, au nombre d'œuvres, l'artiste le mieux représenté. Il affirme son talent autant dans ses eaux-fortes originales que
dans celles reproduisant les tableaux de maîtres, comme La Source - une peinture d'Ingres de 1856 gravée en 1861, qu'il montre à côté d'une estampe d'après Manet. Bracquemond entend ainsi affirmer l'étendue de ses allégeances artistiques.
Félix Bracquemond :
Hoschedé, lieutenant de la Garde Nationale, 1871, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, possibles n° 24 - Cadre d'eaux-fortes]
Margot la Critique, 1853, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 27 - Cadre d'eaux-fortes]
Théophile Gautier, 1859, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 24 -Cadre d'eaux-fortes]
Félix Bracquemond :
La Source, d'après Ingres, 1861, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 25 - Cadre d'eaux-fortes]
Jeune femme en costume espagnol, 1867, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 25 - Cadre d'eaux-fortes]
La Seine vue de Passy, 1868
Bachots au bord de la Seine, 1858
Pointe sèche [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 26 - Cadre d'eaux-fortes]
Antoine Ferdinand Attendu (1845-1917) : Nature morte au faisan, avant 1874, pastel sur papier marouflé sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 7 ou n° 11]
Ludovic Napoléon Lepic (1839-1889) :
Jupiter, 1861, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 80]
César, 1861, eau-forte [Première exposition impressionniste, 1874, possible n° 79]
Zacharie Astruc (1833-1907) :
Femme endormie dans un intérieur d'artiste (scène de somnambulisme), 1871, aquarelle [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 3 - Cadre d'aquarelles]
Poupées japonaises. Jouets d'Isabelle, vers 1871, aquarelle sur papier marouflé sur toile [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 3 - Cadre d'aquarelles]
Les Présents chinois (Londres), vers 1871, aquarelle [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 3 - Cadre d'aquarelles]
Intérieur parisien, vers 1871, aquarelle [Première exposition impressionniste, 1874, probable n° 3 -Cadre d'aquarelles]
À l'exposition de 1874, ces quatre aquarelles sont présentées dans un seul cadre. Astruc est un ami de Manet, et un talentueux touche-à-tout, sculpteur, peintre, écrivain et journaliste. Il est un fidèle soutien de Monet et des artistes du groupe des Batignolles (jeunes artistes qui se rassemblent dans ce quartier parisien). Ces scènes d'intérieur où des femmes conversent ou se reposent montrent un « costume du Céleste empire », des Présents chinois, un kimono ou des objets japonais, qui témoignent de la passion de l'artiste pour l'art extrême-oriental.
Auguste Louis Marie Ottin (1811-1890) : Buste de Jean Auguste Dominique Ingres, 1867-1868, marbre [Première exposition impressionniste, 1874, substitut (version en marbre) au plâtre n° 126]
Ottin, Prix de Rome, est un habitué du Salon où il montre de très académiques sculptures. On s'étonne donc de sa présence à la première exposition impressionniste. Mais ce fils d'ouvrier a la fibre politique : « les artistes [...] ont le droit et le devoir de se gouverner eux-mêmes » écrit-il. Membre de la Fédération des artistes pendant la Commune, ses commandes officielles se tarissent. Ce socialiste militant devient le trésorier de la Société anonyme. Il espère vendre, à prix modestes, des œuvres conçues plus de dix ans auparavant : marbres à sujet mythologique, « réductions » en plâtre ou terre cuite d'un buste d'Ingres, ou de sa Jeune fille au vase, d'un classicisme déroutant.
La salle suivante tente évoque Le Salon de 1874
Au Palais de l’Industrie et des Beaux-Arts, avenue des Champs-Élysées – à vingt minutes à pied du boulevard des Capucines –, le Salon ouvre ses portes le 1er mai 1874. Incontournable vitrine de la production artistique du moment, cette gigantesque exposition officielle est un événement annuel où le public se presse en masse. Il est aussi essentiel pour les artistes, car depuis deux siècles, c’est là que se jouent leur succès et leur carrière. Soigneusement sélectionnés par un jury sous l’égide de la Direction des Beaux-Arts, plusieurs milliers d’œuvres se côtoient, dont près de 2 000 peintures accrochées bord à bord: « grandes machines » – immenses tableaux à sujet historique, religieux ou mythologique –, scènes de genre anecdotiques, tableaux «orientalistes », nombreux paysages ou portraits léchés. La plupart de ces œuvres sont à mille lieues des tableaux « trop frais peints » des futurs impressionnistes, parfois arbitrairement rejetés dans les années 1860. En 1874, même si son jury est particulièrement sévère, le Salon n’est «ni plus mauvais ni meilleur » que les années précédentes, selon le critique Castagnary : «Ce qui lui fait défaut, c’est l’œuvre capitale […] qui […] devient une date dans l’histoire de l’art. » En effet, cette année-là, l’exposition qui passera à la postérité n’est pas le Salon
Camille Cabaillot-Lassalle (1839-1902) : Le Salon de 1874, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, no 292]
Mai 1874 : d'élégants visiteurs se pressent dans les galeries de peinture du Palais de l'Industrie. Dans ce tableau singulier, non seulement les œuvres que regardent ces hommes et ces femmes sont réellement présentées au Salon, mais les six reproductions en miniature à l'arrière- plan ont été exécutées sur la toile par les auteurs mêmes de ces tableaux. Cabaillot-Lassalle montre cette peinture «à sept mains» dans la salle 5, entre Bonvin et Chintreuil. À la fois évocation et préfiguration du Salon, son tableau stupéfait le public et fait sensation. Les peintures en réduction de haut en bas et de gauche à droite :
Eugène Petit, Chrysanthèmes et pêches
Jules Jacques Veyrassat, Charrette en forêt
Ernest Guillemer, Vallée de Franchard, Fontainebleau
Jean-Baptiste Camille Corot, Le Soir
Léon Richet, Moulin à vent, en Picardie
Henriette Browne, Portrait de M. E. S
Jules Bastien-Lepage (1848-1884) : Portrait du grand-père de l'artiste, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 84]
Henriette Browne (1829-1901) : Un poète; Les coptes dans la Haute-Egypte, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 275]
Jules Breton (1827-1906) : La Falaise, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 257]
Marie Bracquemond (1840-1916) : Marguerite, vers 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 249]
Émile Breton (1831-1902) : Nuit d'hiver en Artois, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 256]
Lawrence Alma Tadema (1836-1912) : La Mort du premier-né de Pharaon, 1872, huile sur toile [Salon, 1874, n° 18]
Alfred Dehodencq (1822-1882) : Scène de danse dans une rue de Tanger, 1853-1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 557]
Mary Cassatt (844-1926) : Ida, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, no 326]
Depuis 1868, Américaine Mary Cassatt expose au Salon des tableaux reflétant ses voyages en Europe et son intérêt pour la peinture ancienne. Coiffée d'une mantille, cette beauté rubénienne au regard direct est un de ses modèles rencontrés à Rome. Sans doute impressionné par la facture enlevée du tableau et la touche franche de l'artiste, Degas visitant le Salon déclare : «Voilà quelqu'un qui sent comme moi.» Cinq ans plus tard, il invitera Cassatt à rejoindre les artistes « indépendants » pour la quatrième exposition impressionniste ; elle en deviendra l'un des piliers.
Edouard Dantan (1848-1897) : Moine sculptant un christ en bois, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 513]
Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) : La Danse des bergères. Souvenir d'Arleux, 1871, huile sur toile [Salon, 1874, substitut au n° 458]
Jean-Jacques Henner (1829-1905) :
Portrait de Mme*** dit «La Femme au parapluie », 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 908]
Le Bon Samaritain, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 908]
Henri Gervex (1852-1929) : Satyre jouant avec une bacchante, vers 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 799]
Ferdinand Humbert (1842-1934) : La Vierge, l'Enfant Jésus et saint Jean Baptiste, vers 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 949]
Jean-Léon Gérôme (1824-1904) : L'Éminence grise, 1873, huile sur toile [Salon, 1874, n° 798]Jean Jules Antoine Lecomte du Nouÿ (1842-1923) : Éros, Cupido, 1873, huile sur toile [Salon, 1874, n° 1128]
Jules Élie Delaunay (1828-1891) : David triomphant, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, Hors catalogue - n° 569 bis]
Adélaïde Salles-Wagner (1825-1890) : La Leçon de lecture, avant 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 1637]
Émile Auguste Carolus-Duran (1837-1917) : Le Pisan, 1874, bronze [Salon, 1874, n° 2830]
Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) : Portrait de M. Alexandre Dumas fils, 1874, marbre [Salon, 1874, n° 2727]
Hélène Bertaux (1825-1909) : Vae Victoribus, 1874, bronze [Salon, 1874, n° 2674]
Paul Dubois (1829-1905) : Narcisse, 1867, marbre [Salon, 1874, n° 2823]
Terminons la première partie du parcours de cette riche exposition avec un aspect particulier su salon de 1974 :
Le Salon, la guerre et la défaite
En parcourant les 24 salles de peintures du Salon, le romancier et critique d’art Émile Zola se lamente : «Des tableaux, toujours des tableaux », des salles « long[ues] comme de Paris en Amérique », puis il descend vers la nef des sculptures, aspirant à « fumer un cigare ». Il observe que les œuvres qui passionnent le public sont « les scènes tragiques de la dernière guerre» qui s’est soldée par la défaite de la France face à la Prusse. Ces peintures et ces sculptures résonnent auprès des visiteurs, qu’il s’agisse de représentations directes, comme la scène de bataille de Detaille illustrant la tragique journée de Reichshoffen, le 6 août 1870, ou nettement plus symboliques comme le tableau de Maignan, un épisode de la conquête normande évoquant le sacrifice et le deuil. En 1874, bien des artistes, officiels ou indépendants, ont vu cette guerre
de près. Le Salon, qui en 1872 avait exclu des œuvres sur ce sujet d’une actualité encore très vive, s’est ouvert à ce thème, contrairement à celui de la Commune, qui n’y sera pas représentée. Les futurs impressionnistes se détournent de ces deux sujets au profit d’autres aspects de leur époque.
Édouard Detaille (1848-1912) : Charge du 9e régiment de cuirassiers à Morsbronn, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, n° 598]
Auguste Lançon (1836-1885) : Morts en ligne! Champ de bataille de Bazeilles, le 1er septembre 1870, à 5 heures du soir, 1873, huile sur toile [Salon, 1874, no 1065]
Albert Maignan (1845-1908) : Départ de la flotte normande pour la conquête de l'Angleterre, Dives 1066, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, no 1249]
Henri Lévy (1840 - 1904) : Sarpédon, 1874, huile sur toile [Salon, 1874, no 1206]
Nous poursuivrons le parcours de l'exposition dans un prochain billet.
La Bande dessinée au Musée (I/II)
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La BD à tous les étages est un ensemble d'expositions qui met à l'honneur le "9e art" dans tout le Centre Pompidou. Au sein même du musée national d'art moderne, au niveau 5 du musée, l'exposition "La Bande dessinée au Musée" met en regard, dans les salles, des peintres et des auteurs de bande dessinée, ou présente dans les traverses du musée des rétrospectives d'auteurs majeurs de BD.
Le parcours commence salle 7 : Henri Matisse / Philippe Dupuy
Se déployant sur une longue bande de papier faite d'une multitude de feuilles accolées, Une histoire de l'art de Philippe Dupuy constitue autant une promenade dans les musées que dans les émotions et les souvenirs de l'auteur. Matisse, « peintre préféré », y est évoqué comme fondateur dans sa pratique. « Avant bien d'autres, Matisse m'a ouvert la porte. Grâce à lui j'ai pu m'échapper », dit l'auteur, qui développe ses récits en s'éloignant de la fiction pour engager des explorations introspectives : « Partager ce qui nous touche. La couleur, la simplicité, la sensualité ou l'impertinence. Ne pas être objectif. »
Philippe Dupuy (né en 1960) :
Mon papa dessine des femmes nues, 2020, stylo bille, aquarelle et collages sur papier
Une histoire de l'art, 2016, séquence d'ouverture, stylo bille et correcteur sur papier
Traverse 7 : George McManus (1884-1954)
George McManus est un contemporain de McCay, dont les aventures de Nemo lui ont d'ailleurs inspiré une de ses nombreuses séries de strips. Mais si l'un explore le champ du merveilleux, l'autre est un maître du burlesque. Sa série la plus célèbre, Bringing Up Father (La Famille Illico), débute en 1913 dans le New York American – publiée jusqu'à la mort de McManus, en 1954, elle sera reprise ensuite par d'autres auteurs. Son potentiel comique repose sur un schéma théâtral : une famille d'immigrés irlandais adopte des réactions contrastées suite à l'acquisition soudaine d'une immense fortune. Jiggs, le père, ancien maçon, ne rêve que de retrouver ses vieux amis; Maggie, sa femme, développe une vie mondaine tapageuse; tandis que leur fille devient une véritable pin-up. Les voyages de la famille sont aussi l'occasion pour McManus d'emmener son lecteur dans une multitude de villes, esquissant un panorama de l'Amérique urbaine contemporaine.
Salle 12 : Jules Pacsin / Joann Sfar
En ouverture de Pascin. La Java bleue, Joann Sfar avertit : « Ceci n'est pas une biographie de Pascin. » De fait, la vie de Jules Pascin est lacunaire. Après Bucarest, Vienne, Munich et Berlin, l'artiste gagne Paris en 1905 et s'installe à Montparnasse, point de ralliement des artistes venus de tous horizons. Tandis que ses dessins conservent un trait aiguisé, sa peinture gagne peu à peu en douceur de tons et sa touche s'accorde avec la sensualité des sujets. Parmi les portraits, ceux représentant Hermine David sont singuliers et témoignent du lien étroit entre le peintre et son modèle. Également épris de Lucy Vidil, Pascin se retrouve finalement seul. En 1930, il se suicide, léguant son œuvre aux deux femmes.
S'immisçant dans les interstices vacants de cette histoire, Joann Sfar fait largement dériver le cours du récit vers des rivages fictionnels et érotiques. Dans les trois carnets de La Java bleue, l'aquarelle réhausse avec une prodigieuse liberté son graphisme ténu et vibrant. Les six volumes précédents de Pascin n'usent quant à eux que de l'encre de Chine. Les lignes fines, heurtées et tremblées, y sont parfois noyées de flaques d'encre, entraînant le dessin dans les profondeurs.
Jules Pacsin (1885-1930) : La Belle Anglaise, 1916, huile sur toile
Joann Sfar (né en 1971) : Pacsin, La Java bleue
Traverse 4 : Winsor McCay (1869-1934)
McCay crée en 1904 une bande dessinée au développement quasi cinématographique, Dreams of a Rarebit Fiend (Cauchemars de l'amateur de fondue au chester). L'année suivante, il fait paraître Little Nemo selon le même schéma narratif : le protagoniste se trouve dans une situation fantastique avant de se réveiller et de comprendre qu'il était en plein rêve. Dans l'univers onirique de Slumberland, Nemo rencontre le roi Morphée et sa fille, ainsi que Flip, personnage affublé d'un cigare et d'un chapeau haut-de-forme qui provoque immanquablement des catastrophes. Little Nemo paraît jusqu'en 1926 dans divers grands journaux américains. Pionnier du dessin animé, McCay travaille des 1911 à une adaptation de Little Nemo puis conçoit entre autres Gertie the Dinosaur (1914). Dans le même temps, il est chargé d'illustrer les éditoriaux politiques d'Arthur Brisbane, rédacteur en chef du New York American ; ce corpus de dessins se caractérise par une veine allégorique. Il poursuit ce travail jusqu'à sa mort, le 26 juillet 1934.
Dream of a Rarebit Fiend, 15 mars 1905, encre de Chine sur papier
A Tale of the Jungle Imps #15, 26 avril 1903, encre de Chine et encres de couleur sur papier
Little Nemo in Slumberland, 1906-1910, encre de Chine sur papier
Ignorance, 1920, encre de Chine sur papier cartonné
If a Rat Laughs at a Cat, 25 février 1923, encre de Chine sur papier
Born in the Brain, 9 juillet 1922, encre de Chine sur papier
Traverse 5 : George Herriman (1880-1944)
Un chat est épris d'une souris nommée Ignatz qui, insensible à cet amour, y répond par des jets de briques. Tel est le motif qui traverse les épisodes de Krazy Kat. George Herriman publie cette série dans le Los Angeles Herald durant plus de trente ans, de 1913 à sa mort, en 1944. Si Krazy Kat ne connaît pas un succès populaire, il est prisé par les milieux artistiques, en particulier par Charlie Chaplin, Jack Kerouac ou, en France, par Pablo Picasso. L'intrigue, caractérisée par une propension à l'absurde, se situe dans le comte de Coconino, au beau milieu du désert de l'Arizona. Le rigoureux agencement de la page joue de l'alternance entre de grands espaces vides et un graphisme très fouillé ; entre de longues vignettes panoramiques et d'étroites cases carrées. La symétrie, la géométrie, le traitement particulier de certains encadrements, tout contribue à faire de chaque page une composition d'avant- garde. Quant aux textes, ils sont d'un anglais mâtiné d'irlandais, de yiddish, de créole louisianais, incluant des emprunts au français et à l'espagnol. Les envolées lyriques côtoient des dialogues argotiques, parsemés de transcriptions phonétiques, formant un nouveau langage.
Krazy Kat, planches s'échelonnant entre 1916 et 1943 (de gauche à droite)
Salle 16 : Theo van Doesburg / Chris Ware
Fondateur avec Piet Mondrian de la revue De Stijl et du néo plasticisme, Theo van Doesburg met en œuvre dans Composition X un processus radical de réduction de la forme au signe. Dans le même esprit que les vitraux qu'il réalise alors, des plans modulaires y sont répartis de façon dynamique dans une gamme chromatique réduite aux noirs, gris et blancs.
Au sujet de cette œuvre, Chris Ware, dont les planches témoignent d'une même recherche de radicalité, note : « Cet entrelacement de lignes horizontales et verticales n'est pas sans parenté avec celui que je dois invariablement tisser avant de me mettre à ma table à dessin. » Caractérisées par un traitement graphique d'une extrême minutie, ses bandes dessinées développent depuis la fin des années 1980 une tonalité caustique et sombre. Jouant de tous les formats, en miniaturiste ou en affichiste, il révolutionne l'usage de la grille, page après page.
Theo Van Doesburg (1883-1931) : Composition X, 1918, huile sur toile
Chris Ware (né en 1967) :
Jimmy Corrigan, 1988, encre de Chine et crayon bleu sur papier cartonné
Rusty Brown, 2003, encre de Chine, gouache blanche et crayon bleu sur papier
Salle 16 Paul Klee / Brecht Evens
Durant la période du Bauhaus, Paul Klee expérimente de nombreux médiums: encre, gouache, aquarelle, craie, aérographe ou pochoir. Ses images, à l'équilibre parfois instable, deviennent un espace mental, jalonné de pictogrammes, de motifs mécaniques ou de lettres isolées, déposés sur la toile ou le papier comme des indices. Perturbée par ces éléments énigmatiques, la structure quadrillée devient une séquence rythmique qui semble danser, pathologiquement distordue.
Le motif du damier est aussi présent dans Le Roi Méduse, livre dont Brecht Evens vient tout juste de publier le premier tome. Il fait écho à la construction par les personnages d'un monde à part, dont les règles se transforment en carcan mortifère. Développant des univers fantasmagoriques, l'auteur explore ici les relations entre un père et son enfant, sur le mode de l'osmose et du déchirement. Dans une transcription qui privilégie les émotions et les sensations, les personnages et les décors sont liés par la fluidité des encres de couleur et de l'aquarelle. Ces pages, sans cases ni bulles, nous plongent dans un chaos sombre et luxuriant, où se mêlent suavité et violence, féerie et cauchemar.
Paul Klee (1879-1940) :
Analyse verschiedener Perversitäten, 1922 [Analyse des perversités diverses], encre de Chine et aquarelle sur papier collé sur carton
Rhythmen einer Pflanzung, 1925 [Rythmes d'une plantation], aquarelle sur papier collé sur carton
Brecht Evens (né en 1986) : Le Roi Méduse, 2023-2024, encres de couleur, gouache, aquarelle et crayons de couleur sur papier
Salle 19 : Christian Schad / Gabriella Giandelli
En 1927, année de réalisation du Comte Saint-Genois d'Anneaucourt, Christian Schad déclare : « C'est l'Italie qui m'a ouvert les yeux. » Après avoir réalisé à Munich des gravures de style expressionniste, puis des photomontages Dada à Zurich, Schad se tourne vers la peinture ancienne italienne. Dans l'Allemagne de la République de Weimar, il recherche une objectivité glacée afin de décrire sans complaisance cette société décadente. Ici, trois figures des nuits berlinoises apparaissent devant une vue de Montmartre, tel un décor de théâtre.
C'est précisément cette peinture qui inspire à Gabriella Giandelli un dessin destiné à la rubrique littéraire de La Repubblica. L'autrice décrit ainsi sa fascination pour ce portrait : « C'est un homme cynique mais aussi fatigué et son regard semble nous prévenir que ce sera bientôt pire. Il nous invite à vivre, vivre encore un peu avant que la mort n'arrive et que tout ne s'achève. » Les dessins de Giandelli vont de l'âpreté du trait à la délicatesse du modelé. Nourris par le graphisme underground et la culture punk, ils se réfèrent aussi largement à la peinture d'Otto Dix, de George Grosz et de Christian Schad, une association d'influences dont la bande dessinée Lisa offre le parfait témoignage.
Christian Schad (1894-1982) : Graf St. Genois d'Anneaucourt, 1927, [Comte St-Genois d'Anneaucourt], huile sur bois
Gabriella Giandelli (née en 1963) :
Prenazi, 2013, crayon de couleur sur papier
Lisa, 1984, crayon graphite, crayon de couleur et gouache sur papier
Salle 20 : Francis Picabia / Anna Sommer
Dans les années 1910, les œuvres de Francis Picabia sapent les notions de beauté, d'authenticité, ainsi que la pratique picturale elle-même. D'un style proche de celui des affiches publicitaires, Le Dresseur d'animaux de 1923 met en scène un dompteur sans fauves. Destiné au Salon d'automne, à Paris, ce tableau renvoie au scandale des artistes « fauves » présentés au salon de 1905. Selon Picabia, toute audace est révolue dans la pratique artistique de ses contemporains, et le classicisme prévaut - symbolisé ici par la chouette d'Athéna.
Bien que n'apparaissant pas au premier regard, un même esprit subversif est à l'œuvre dans les images d'Anna Sommer. Ses portraits de femmes semblent condenser d'étranges narrations. L'une, parée de tous les artifices de la femme fatale, est ici accompagnée d'un tigre dont le réveil contient en germe tous les débordements possibles. Chez l'autre, c'est le féminin frondeur qui l'emporte; le modèle, avec aplomb, affirme son plaisir de jouer avec le feu. Tandis que le cutter d'Anna Sommer s'enfonce dans de fins papiers japonais, elle révèle de manière incisive les contours des fantasmes et des désirs féminins, bien loin du « dressage » des images opéré par la publicité.
Francis Picabia (1879-1953) : Dresseur d'animaux, 1923, Ripolin sur toile
Anna Sommer (née en 1968) :
Barbara, 2020, papiers collés sur papier
Joséphine, 2018, papiers collés sur papier
Salle 21 : André Breton / David B.
Parmi les voix singulières qui émergent en bande dessinée dans les années 1990, celle de David B. se distingue par un univers ésotérique, une prédilection pour les rêves, les contes et les métamorphoses. En 2019, il fait paraître Nick Carter et André Breton. Une enquête surréaliste. Créé par John Russell Coryell en 1886, le personnage de Carter, repris ensuite par plusieurs auteurs, a passionné les surréalistes.
Intégrant le personnage de Carter à son propre récit, au côté de ceux, historiques, d'André Breton et des surréalistes, David B. en réactive la fiction et l'augmente de nouveaux mystères. Carter, chargé par Breton de trouver la cause des malheurs qui le frappent, quitte le champ rationnel pour des champs « magnétiques »; ses aventures s'orientent vers une quête alchimique, poétique. David B. s'inspire du roman de Breton, Nadja, qui repose sur « la rencontre fortuite, le hasard et la poésie, le merveilleux et le goût pour les péripéties ». La quête fondamentale du personnage - comme celle de l'auteur - est énoncée à la toute dernière ligne du livre : « continuer à parcourir les chemins d'ici-bas et de l'au-delà à la recherche de l'or du temps ».
Arrivés à la mi-parcours de cette exposition, qui marque la fin de ce premier billet, nous donnons au lecteur un aperçu conséquent de cet ouvrage (19 tableaux, que nous avons classés selon les numéros qui y apparaissent, sans être certain qu'ils correspondent au récit).
Concluons par une œuvre de l'auteur, David B. , né en 1959 : Un Rêve, 2009, encre de Chine et encres de couleur sur papier
En Espagne au printemps : Saragosse, Tarragone
Quelques images de deux belles villes espagnoles au soleil du printemps : Saragosse, au bord de l'Èbre, capitale de l'Aragon, et Tarragone, en Catalogne au bord de la Méditerranée, au riche passé romain sous les noms de Caesaraugusta et Tarraco.
Tout d'abord, Sarragosse, avec sa basilique Notre-Dame du Pilier - la colonne sur laquelle la Vierge Marie serait apparue à l'apôtre Jacques le Majeur en 40 apr. J.-C - lieu de pèlerinage pour tout le monde hispanique. Édifié de 1680 à 1754 pour le gros-œuvre, cet imposant bâtiment de style baroque a continué à être aménagé durant les siècles suivants : la couverture totale est terminée en 1872 avec l'achèvement de la coupole centrale et de la première tour, et les trois autres tours seront élevées en 1907 et 1961. L'édifice mesure 130 mètres de long, pour 67 de large. Il est couronné de onze coupoles, dix lanternes et quatre tours.
L'intérieur aux vastes allées baroques aux toits en coupole, avec en son centre la chapelle du Pilar.
Le jeune Goya, né en 1746 à Fuendetodos, à quelques lieues au sud de Saragosse, a participé à la décoration, avec notamment cette fresque Adoration du nom de Dieu, de 1772
Tous les drapeaux du monde hispanique sont présents dans la basilique...
Sur l'immense esplanade devant la basilique et l'hôtel de ville de Saragosse...
...une petite fontaine du sculpteur saragossan Francisco Rallo Lahoz (1924-2007) et un monument à la gloire de Goya.
À une extrémité de l'esplanade, l'église San Juan de los Panetes et la tour de la Zuda, seul vestige d'une forteresse qui abritait le gouvernement musulman jusqu'à la prise de contrôle chrétienne de la ville en 1118 par les troupes d'Alphonse Ier le Batailleur, et les restes de la muraille romaine, avec une statue d'Auguste, en l'honneur de qui fut nommée la ville.
À l'autre extrémité, la cathédrale Saint-Sauveur, la Seo (siège de l'archidiocèse de Saragosse), dont l'extérieur mêle le style baroque (pour la façade et la tour) et le style mudéjar (produit de la cohabitation culturelle des Juifs, des Musulmans et des Chrétiens, référence architecturale au XIIe siècle en péninsule Ibérique)
Quelques beaux détails de style mudéjar.
L'intérieur, en revanche, est un bel ensemble gothique, avec un mobilier plus tardif d'une grande exubérance.
Un peu plus loin, l'église Saint Marie-Madeleine offre un bel exemple d'architecture mudéjar.
Parmi les vestiges romains de Caesaraugusta, un grand théâtre et un bain romain.
Avant de quitter Saragosse, traversons l'Èbre sur le vieux pont de pierre, premier pont fixe à avoir été bâti à Saragosse, construit entre 1336 et 1437...
avec encore un regard sur la basilique de Nuestra Señora del Pilar.
Tarragone est une grande ville portuaire de Catalogne aux multiples aspects. Un peu d'air marin pour commencer. À l'extrémité de la grande avenue qui traverse la ville moderne, le Balcon de la Méditerranée domine la mer, ou plus exactement la voie ferrée qui longe la côte. sur le balcon, une statue colossale de Roger de Llúria (1245-1305), dit Le Grand capitaine, amiral qui s'illustra surtout par nombre de défaites infligées aux flottes françaises des Anjou à qui les rois d'Aragon disputaient la Sicile et par de multiples pillages sanglants dans les îles grecques. Au nord, des plages ; au sud, la zone portuaire.
À l'extrême sud de la ville, le quartier du port a des allures de village de pêcheurs, avec de jolies barques catalanes...
...qui contrastent avec les super-yachts amarrés entre le port de pêche et la ville, comme ce voilier SYL de 44m (construit en 2003 à Tarragone par le chantier Barcos Deportivos - à vendre pour 3 500 000 € si le cœur vous en dit), ou, à quai, le yacht DAR de 90m (construit en 2018 par le constructeur hollandais Oceanco, à louer à partir de 1 200 000 € par mois plus dépenses) sous son beau pavillon des îles Caïman.
Restons en bord de mer pour aborder le passé romain de Tarragone, avec son amphithéâtre construit au IIe siècle.
Un peu plus haut, à la lisière de la vieille ville, le cirque, construit à la fin du Ier siècle sous le règne de Domitien
Encore quelques images des vestiges de la Tarragone romaine, et de ses murailles reprises et fortifiées à l'époque médiévale...
Un autre monument intéressant de Tarragone, un peu plus tardif : le marché central (1915), dû à l'architecte Josep Maria Pujol de Barberà (1871-1949).
Enfin, perchée dans la vieille ville, en haut d'une rampe d'escalier bordée de fontaines antiques, la cathédrale Sainte Thècle, construite entre 1170 et 1331 dans le style roman puis gothique, et son magnifique portail central.
La nef principale est d'une grande sobriété
Au milieu de la nef centrale, un orgue monumental, muni de riches sculptures et de panneaux peints qui peuvent se refermer sur le buffet, de la deuxième moitié du XVIe siècle, et des stalles de la même facture
Le retable du grand autel, réalisé entre 1426 et 1434 par le sculpteur Pere Joan, qui est également l'auteur du retable du grand autel du Seo de Saragosse, vu un peu plus haut dans ce billet.
Des chapelles romanes...
gothiques...
baroques, comme celle de Sainte Thècle, patronne de la cathédrale
Terminons par un havre de beauté et de paix, le cloître.
son jardin ombragé par des orangers, d'où l'on a un aperçu de tous les bâtiments de cet ensemble complexe,
rafraîchi par des fontaines où paressent des tortues.
Ellsworth Kelly, formes et couleurs, 1949-2015
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En même temps que l'exposition autour de L'Atelier Rouge de Matisse (notre billet du 18 mai dernier) se tient à la Fondation Louis Vuitton une autre exposition : conçue dans le cadre du centenaire d’Ellsworth Kelly (1923-2015), elle regroupe plus
d’une centaine de peintures, sculptures, dessins, photographies et collages réalisés par l’artiste américain entre 1949 et 2015. La Fondation est particulièrement bien placée pour le faire, grâce à la présence dans son auditorium d’une œuvre pérenne, sa dernière commande et une des plus importantes en Europe.
Tout au long d’une carrière de soixante-dix ans, Ellsworth Kelly a produit des formes épurées, aux couleurs souvent éclatantes, qui forment une œuvre très décorative et attachante.
Le première salle est intitulée Pour un mur
Dès les années 1950, Ellsworth Kelly veut dépasser le format habituel du tableau. Pour lui, l’expérience de la vision se passe dans l’espace, entre la surface de la peinture et l’œil. L’architecture donne l’échelle de son œuvre. Le mur – comme fond sur lequel il pose une forme – en est un composant. Les formats de Spectrum IX (2014) ou White Form (2012) en témoignent. Quant au polyptyque Color Panels for a Large Wall II (1978), il a été réalisé parallèlement à une commande monumentale, similaire mais trois fois plus grande, visible désormais dans le patio de la National Gallery of Art (Washington, DC). La version présentée ici a été peinte à l’échelle de son atelier afin de s’assurer d’une vue d’ensemble pendant la réalisation.
Spectrum IX, 2014, acrylique sur toile, 12 panneaux joints
White Form, 2012, aluminium peint
Color Panels for a Large Wall II, 1978, huile sur toile 18 panneaux
Three Grey Panels, 1987, huile sur toile, trois panneaux
Les Années françaises (1948-1954)
Diplômé de l’École des beaux-arts de Boston, initié aux grands développements de l’art moderne, Ellsworth Kelly part vivre à Paris en 1948. Il passera six années en France, une période fondatrice pour son œuvre. Ni expressionniste, ni ordonné par des systèmes, le langage abstrait qu’il met en place se nourrit de son environnement visuel immédiat (un détail architectural, un fragment, le passage d’une ombre, un reflet…). Il recourt aussi au hasard. S’il noue des liens avec la génération d’avant-guerre (Jean Arp, Constantin Brancusi, Alexander Calder, Georges Vantongerloo), il développe un travail dont la singularité tient autant à l’origine de ses formes, prises dans le réel, qu’à l'ambivalence de ses œuvres. Elles sont à la fois objets et tableaux.
La Combe I, 1950, huile sur toile
La Combe II, 1951, huile sur bois, paravent composé de neuf panneaux articulés
Cut Up Drawing Rearranged By Chance, 1950, encre et collage sur papier
Gironde, 1951, huile et ripolin sur aggloméré
Seine, 1950, huile sur toile
White Relief, 1950, huile sur bois
Relief with Blue, 1950, huile sur bois
Cutout in Wood, 1950, gesso sur bois
Toilette, 1949, huile sur bois avec cadre en bois peint
Plant I, 1949, huile sur toile
Kilometer Marker, 1949, huile, gesso et graphite sur contreplaqué
Window, Museum of Modern Art, Paris, 1949, huile sur bois et toile, deux panneaux peints
Window V, 1950, huile sur bois
Transatlantique (1952-1956)
En France, Kelly réalise son premier monochrome, inspiré par une visite de l’atelier et du jardin de Monet à Giverny (Tableau Vert, 1952). Dans le sud du pays, il réalise quelques-unes de ses expérimentations chromatiques les plus abouties, jouant avec le hasard et employant le relief (Méditerranée, 1951-1952). C’est sur la base de cette palette vive, de ces formes tranchées et de ces formats singuliers qu’il poursuit son œuvre une fois rentré aux États-Unis. Il est alors en dissonance avec l’expressionnisme abstrait dominant. Ses compositions sont fluides mais il n’y a aucune improvisation chez lui, il construit précisément son œuvre en amont.
Méditerranée, 1951-1952, huile sur bois, neuf panneaux joints, trois en relief
Tableau Vert, 1952, huile sur bois
Train Landscape, 1953, huile sur toile, trois panneaux joints
Painting for a White Wall, 1952, huile sur toile, cinq panneaux joints
Sanary, 1952, huile sur bois
Yellow Relief, 1955, huile sur toile, deux panneaux joints
Carré composé de deux toiles distinctes (celle de droite est deux fois plus épaisse que l'autre), Yellow Relief a été peint peu de temps après le retour de Kelly aux États-Unis.
Painting in Three Panels, 1956, huile sur toile, trois panneaux
L'usage du « mur comme fond » est une des caractéristiques de Painting in Three Panels. L'œuvre n'est pas un simple polyptyque, c'est une peinture composée de trois formes posées sur un support unique : le mur dont les intervalles sont parties prenantes de la composition.
Atlantic, 1956, huile sur toile, deux panneaux joints
Concorde Relief I, 1958, orme
Pair of Wood Reliefs, 1958, bois, deux panneaux
Essentiel et sensible
À dater de son retour aux États-Unis en 1954, Ellsworth Kelly réduit ses formes à l’essentiel tout en restreignant sa palette. Puisant dans un répertoire désormais vaste, il produit des compositions d’une simplicité trompeuse, passant aisément de la peinture à la sculpture.
Basées sur des panneaux assemblés ou des shaped canvases (toiles mises en forme), ses peintures incorporent le mur comme élément de composition. Vers le milieu des années 1960, l’œuvre de Kelly est perçue dans le contexte du développement de l’art minimal. Précurseur de ce courant, il s’en détache par sa sensibilité toute particulière, qualité exacerbée dans ses accords presque musicaux entre formes et couleurs.
Gate,1959, aluminium peint
White Red, 1963, huile sur toile
Chatham I: White Black, 1971-2004, huile sur toile, deux panneaux joints
Chatham V: Red Blue, 1971, huile sur toile, deux panneaux joints
Black Green, 1970, huile sur toile, deux panneaux joints
Red White Blue, 1968, huile sur toile
Blue Yellow Red III, 1971, huile sur toile, trois panneaux joints
Black White, 1968, huile sur toile
Red Curve VI, 1982, huile sur toile
White Dark Blue, 1968, huile sur toile, deux panneaux joints
Une salle particulière est consacrée à Yellow Curve (1990)
Yellow Curve a d'abord été pensée pour le centre d'art de Portikus de Francfort. Les dimensions de la salle ont dicté celles de l'œuvre et les deux sont ici recréées. Une fois encore, Kelly interroge les liens de sa peinture avec l'environnement qu'elle partage avec les visiteurs. Mais il modifie un paramètre attendu de la peinture: elle n'est plus au mur mais au sol. Ce faisant, il démultiplie la sensation provoquée par sa forme et sa couleur. Avec son jaune saturé, la fraction de courbe irradie dans l'espace.
L'Auditorium de la Fondation est intégré dans le parcours de l'exposition
«En fait, j’ai toujours eu envie de travailler dans un espace où je puisse disposer les couleurs à ma guise. C'est une chance formidable de participer à ce projet, parce que l'architecture de Frank Gehry crée des espaces avec lesquels on peut jouer» s’enthousiasmait Kelly tandis qu’il concevait son intervention pour l’auditorium de la Fondation Louis Vuitton.
De fait, les différentes séquences et hauteurs de cette salle, ses décrochés, le fait que les gradins, comme la scène, disparaissent ou sortent du plancher créent un dynamisme spatial inédit. Contrairement à plusieurs des commandes reçues auparavant, l’artiste ne s’est pas vu proposer un mur ou une surface, mais bien un volume, où il pourrait «faire œuvre d’art total, prenant en compte l’ensemble des données visuelles du lieu (y compris les sièges, suggérant couleur et texture) et les exigences techniques (notamment acoustiques, l’amenant à recourir à des supports innovants diversifiés pour les panneaux muraux et le rideau de scène)» comme le souligne Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation.
En entrant dans l’auditorium, le spectateur aperçoit d’abord Spectrum VIII, un ensemble de 12 panneaux joints composant le fond de scène de l’auditorium, et dont la séquence va du jaune au jaune. Quant aux panneaux monochromes ils se dévoilent lorsque l’on découvre la salle. Le long rectangle jaune souligne la hauteur de l’auditorium ; les panneaux bleu et vert sur les murs qui lui font face relèvent les accents de l’architecture comme des notes de musique en contrepoint. Le panneau rouge en hauteur et le violet au fond apparaissent ensuite.
Le premier irradie d’une couleur chaude et lumineuse chère à l’artiste, le second s’enfonce dans l’espace et disparaît lorsque les gradins se lèvent. Le dialogue établi entre le peintre et l’architecte est tel qu’il est désormais impossible d’imaginer l’auditorium jadis totalement blanc sans les couleurs des panneaux.
Dans une petite galerie attenante à l'auditorium, une salle évoque les projets d'envergure confiés à Ellsworth Kelly, en particulier la "chapelle laïque" du Blanton museum d'Austin (Texas), par une maquette et des photos.
Elle ne fut terminée qu'en 2018, plus de deux ans après sa mort. Le programme pour l’auditorium de la Fondation Louis Vuitton est la dernière commande achevée par l’artiste de son vivant.
Nous terminons ce billet avec la galerie [4] du bâtiment de la fondation, avec des œuvres diverses : des dessins de plantes.
La fascination d’Ellsworth Kelly pour les formes de la nature est visible dans les nombreux dessins de plantes réalisés tout au long de sa vie. Exempts de toute allusion à un arrière-plan ou à un contexte, dépourvus de toute profondeur, ces «portraits » de plantes ne relèvent ni de l’abstraction, ni de la figuration. À partir de 1949, Kelly a fait disparaître les traces de son travail au pinceau. Ces dessins sont les rares occasions où il a autorisé la présence de sa main.
Cyclamen, 2000, mine de plomb sur papier, cinq feuilles
Seaweed, 1949, aquarelle, gouache et encre sur papier
Apples, 1949, aquarelle et mine de plomb sur papier
Rose, Palm Springs, 1984, mine de plomb sur papier
Wild Grape, 1961, aquarelle sur papier
Des cartes postales
À partir de son séjour en France, Ellsworth Kelly investit la carte postale comme support de collages. Jusqu’en 2005, il en réalisera environ quatre cents ; certaines sont adressées à des proches, d’autres resteront à l’atelier. Cette production est marquée par la diversité de ses sources et matières. La frontière entre abstraction et figuration y est inexistante, et la recherche côtoie l’humour et l’intime. Les cartes postales de Kelly restent aujourd’hui comme des missives saisissant son processus créatif.
Le lecteur pourra s'amuser à les reconnaître au passage :
Four Greens, Upper Manhattan Bay, 1957
Coenties Slip, 1957
Study for Green and White Sculpture for Les Invalides, 1964
Cincinnati River Front Stadium, 1980
Manhattan, 1985
Dolder Grand, 1977
Beverly Hills, 1986
Blue Yellow (Saint Michel, Paris), 1985
Statue of Liberty, 1957
Genet's Jaw, 1986
Study for Blue and White Sculpture for Les Tuileries, 1964
Beach Umbrella, 1974
The Young Spartans, 1984
St. Martin - Baie Rouge, 2005
(collage sur carte postale)
Enfin, la dernière salle présente des œuvres de grande dimension, pour beaucoup datant des dernières années de l'artiste, mais pas seulement.
Green Panel (Ground Zero), 2011, aluminium peint
Deux œuvres sans titre, 1983, acier patiné
Blue Relief with Black, 2011, huile sur toile, deux panneaux joints
Blue Diagonal, 2008, huile sur toile, deux panneaux joints
Comme pour la presque totalité des œuvres réunies dans cette salle, Kelly a composé en relief. Dès ses premières abstractions, il n'a cessé d'utiliser la mise en saillie pour positionner sa peinture dans l'espace : quelques centimètres plus loin du mur, quelques centimètres plus près de l'œil. Ici, il pose un plan sur un autre. La toile du fond est une première figure en relief sur le mur. Celle posée par-dessus la voile partiellement, tout en débordant sur le mur. A la structure d'un monochrome bleu posé en diagonale sur un fond blanc, vient s'ajouter une suite d'interactions entre chacun des plans et les espaces qui les lient.
Concorde Relief, 2009, huile sur toile, deux panneaux joints
Red Curve in Relief, 2009, huile sur toile, deux panneaux joints
Green Relief, 2009, huile sur toile, deux panneaux joints
Ces quatre oeuvres font partie de la collection permanente de la Fondation Louis Vuitton.
Black over White, 1966, huile sur toile, deux panneaux joints
White Relief with Black III, 1993, huile sur toile, deux panneaux joints
Blue Curves, 2014, aluminium peint
White Curves II, 1978, panneaux en aluminium alvéolés, deux parties