Surréalisme - L'exposition du centenaire (I/II)
C'est avec un peu de nostalgie que nous relatons dans ce billet (et dans un autre billet ultérieur, tant cette exposition est foisonnante) une des dernières grandes manifestations du Centre Pompidou avant sa fermeture pour cinq ans au début de l'année prochaine.
Retraçant plus de quarante années d’une exceptionnelle effervescence créative, de 1924 à 1969, l’exposition « Surréalisme » célèbre l’anniversaire du mouvement, né avec la publication du Manifeste du surréalisme d’André Breton. Adoptant la forme d’une spirale ou d’un labyrinthe, l’exposition rayonne autour d’un «tambour» central au sein duquel est présenté le manuscrit original du Manifeste du surréalisme, prêt exceptionnel de la Bibliothèque nationale de France. Une projection audiovisuelle immersive en éclaire la genèse et le sens. Chronologique et thématique, le parcours de l’exposition est rythmé par 13 chapitres évoquant les figures littéraires inspiratrices du mouvement (Lautréamont, Lewis Carroll, Sade...) et les mythologies qui structurent son imaginaire poétique (l’artiste-médium, le rêve, la pierre philosophale, la forêt...).
Nous suivrons en deux étapes ce parcours labyrinthique, éminemment surréaliste :
L'entrée de l'exposition est une reconstitution de la Porte de l'enfer, porte du Cabaret de L'Enfer situé dans l'immeuble qu'habitait André Breton et qui était fréquenté par les Surréalistes. Après un sombre couloir où s'affichent des "photomatons" de divers surréalistes, le "tambour" autour duquel s'organise l'exposition.
1 | Entrée des médiums
Le surréalisme a fait du poète un « voyant », capable de faire résonner son âme au diapason de l’univers, de retrouver l’accord antique de la poésie et de la divination. Giorgio de Chirico avait ouvert la voie en 1914 en peignant un portrait de Guillaume Apollinaire désignant l’endroit où le poète sera blessé, trois ans plus tard, par un éclat d’obus. En novembre 1922, André Breton publie dans la revue Littérature, un article intitulé « Entrée des médiums », qui rend compte des séances de sommeils hypnotiques auxquelles se livrent les futurs surréalistes. Cet abandon total à l’inconscient rejoint son intérêt pour les œuvres d’artistes médiumniques ou pour les propos des malades psychotiques qui lui avaient inspiré en 1919, Les Champs magnétiques, écrits à quatre mains avec Philippe Soupault. L’écriture automatique, libérée du contrôle de la raison, trouve rapidement une traduction plastique avec les frottages de Max Ernst et les sables de Masson.
Matta (1911, Santiago - 2002, Civitavecchia) : Le Poète (Un poète de notre connaissance), 1945, huile sur toile
Victor Brauner (1903, Piatra Neamt - 1966, Paris) : Le Surréaliste, 1er janvier 1947, huile sur toile
Hector Hyppolite (1894, Saint-Marc (Haïti) - 1948, Port-au-Prince) : Ogou Ferraille, vers 1947, huile sur masonite
Edith Rimmington (1902, Leicester - 1986, Bexhill-on-Sea) : Museum, 1951, plume, encre, gouache et aquarelle sur papier
Giorgio De Chirico (1888, Vólos - 1978, Rome) :
Portrait [prémonitoire] de Guillaume Apollinaire, printemps 1914, huile et fusain sur toile
Le Cerveau de l'enfant, 1914, huile sur toile
Fleury Joseph Crépin (1875, Hénin Liétard -1948, Montigny-en-Gohelle) : Temple, 11 octobre 1941, huile sur toile
Victor Brauner : Autoportrait, 1931, huile sur toile
Jean-Claude Silbermann, né en 1935 à Boulogne-Billancourt : La Voyante, 1961, huile sur toile
André Masson (1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris) : Les Cerfs-Volants, 1927, sable, tempera et huile sur toile
Marcel Jean (1900, La Charité-sur-Loire - 1993, Louveciennes) : Le Spectre du Gardénia, 1936/1972, flocage sur plâtre, fermeture éclair, pellicule de film et daim
Eileen Agar (1899, Buenos Aires - 1991, Londres) : Angel of Anarchy, 1936-1940, plâtre, tissu, coquillages, perles, pierres diamantées et autres matériaux
Max Ernst (1891, Brühl-1976, Paris) : L'Armée céleste, vers 1925-1926, huile sur toile
Óscar Domínguez (1906, San Cristóbal de La Laguna - 1957, Paris) : Lion-Bicyclette, 1937, décalcomanie, gouache au pochoir sur papier
2 | Trajectoire du rêve
Étudiant en médecine, André Breton s’était passionné pour l’ouvrage d’Albert Maury, Le sommeil et les rêves (1861) qui posait les prémisses de l’étude neurologique du rêve. En 1916, assistant au centre neuropsychiatrique de saint Dizier, il découvre les méthodes d’interprétation des rêves de malades psychotiques à des fins curatives, menées par le psychanalyste Sigmund Freud. Transposant les méthodes de la psychanalyse à des fins poétiques, les surréalistes publient leurs « récits de rêve » dans les pages des revues et cherchent à déclencher le même pouvoir d’émerveillement que les images qui s’offrent à l’esprit, à la lisière du sommeil. Dans Les Vases communicants, publiés en 1932, Paul Eluard et André Breton s’appliquent à confondre le monde réel et celui du rêve. Dans le Manifeste du surréalisme, ce dernier interroge : « Le rêve ne peut-il être appliqué à la résolution des questions fondamentales de la vie ? »
Salvador Dalí (1904, Figueras -1989, Figueras) : Le Rêve, 1931, huile sur toile
Odilon Redon (1840, Bordeaux - 1916, Paris) : Les Yeux clos, 1890, huile sur toile marouflée sur carton
André Masson : Dans la tour du sommeil, 1938, huile sur toile
Joan Miró (1893, Barcelone - 1983, Palma de Majorque) : La Sieste, juillet-septembre 1925, huile sur toile
Salvador Dalí : Rêve causé par le vol d'une abeille autour d'une pomme-grenade, une seconde avant l'éveil, 1944, huile sur bois
Grete Stern (1904, Elberfeld-1999, Buenos Aires) : Sueño No. 17: ¿quién será?, 1949, épreuve gélatino-argentique
Valentine Hugo (1887, Boulogne-sur-Mer - 1968, Paris) : Rêve du 21 décembre 1929, mine de plomb sur papier
Sonia Mossé (1917, Paris - 1943, Sobibór) : Trois femmes, 1937, encre de Chine sur papier
Dora Maar (1907, Paris - 1997, Paris) :
Sans titre [Main-Coquillage], 1934, épreuve gélatino-argentique
Cavalier, vers 1936, épreuve gélatino-argentique contrecollée sur carton
3 | Machines à coudre et parapluies / Lautréamont
En 1914, la revue Vers et Prose publie le texte d’un auteur oublié, mort en 1870 à l’âge de vingt-et-un ans : Isidore Ducasse, alias le Comte de Lautréamont. « Cette lecture a changé le cours de ma vie » dira Philippe Soupault, qui transmet une édition des Chants de Maldoror à Breton, qui partage à son tour la découverte avec Aragon. Un mythe littéraire vient de naître. Les Chants ressemblent à la confession d’un génie malade. Le texte est un défi à toute construction logique, en appelle à la violence et à la destruction. Pour les jeunes surréalistes, il répond à la faillite du monde qui les a conduits dans la boucherie des tranchées. Faisant de la beauté « la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! », Lautréamont lègue au surréalisme une définition qui vaut aussi comme principe, celui d’une esthétique du collage, qui ne doit rien aux lois de la logique et de l’harmonie.
Man Ray (1890, Philadelphie - 1976, Paris) : Beau comme la rencontre fortuite d'une machine à coudre et d'un parapluie sur une table de dissection, 1932-1933, collage, dessin et épreuve gélatino-argentique
Wolfgang Paalen (1905, Vienne - 1959, Taxco) : Nuage articulé, 1937/2023, éponges naturelles, tissu, métal, bois (parapluie)
Konrad Klapheck (1935, Düsseldorf - 2023, Düsseldorf) : Die Gekränkte Braut, 1957, huile sur toile
René Magritte (1898, Lessines- 1967, Schaerbeek) : La Durée poignardée, 1938, huile sur toile
Salvador Dalí : Le Téléphone aphrodisiaque, 1938, plastique, métal
Pierre Roy (1880, Nantes - 1950, Milan) : L'Été de la Saint-Michel, 1932, huile sur toile
Giorgio De Chirico : Le Chant d'amour, 1914, huile sur toile
Alberto Giacometti (1901, Borgonovo - 1966, Coire) : Table, 1933, plâtre
Max Ernst : La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929, gravures découpées et collées sur papier collé sur carton
Au printemps 1929, alors qu'il séjourne en Ardèche, Max Ernst collecte des illustrations de revues du 19e siècle qui suscitent chez lui un état de « grande excitation visuelle ». Il réalise pas moins de cent cinquante collages en quinze jours. Sans structure narrative et cohérence visuelle, La Femme 100 têtes remet en question la forme romanesque et s'impose, un an après Nadja d'André Breton, comme l'autre « antiroman surréaliste ». Multipliant les lieux, les personnages et les actions, jouant de la polysémie du titre (« La femme cent têtes », « La femme sans tête », « La femme sang tête », « La femme s'entête »), Ernst redouble d'incohérence. S'y retrouvent néanmoins les grands sujets surréalistes, notamment l'anticléricalisme, l'érotisme, le rêve et la folie.
4 | Chimères
Dans l’Illiade, Homère décrit la Chimère : « Lion par-devant, serpent par-derrière, chèvre au milieu ». La fascination durable qu’exerce Chimère sur l’imaginaire surréaliste tient à sa forme composite, illogique, au collage, à la greffe dont elle procède. Appliquant l’appel de Lautréamont à une « poésie [faite] par tous, non par un », les surréalistes inventent en 1925 le jeu du cadavre exquis. D’abord assemblage de mots, à l’origine de son nom (« Le cadavre - exquis - boira - le vin - nouveau »), le jeu s’applique bientôt à l’image. Ces créatures « inimaginables par un seul cerveau » seront jusqu’à la fin des années 1960 l’emblème de l’activité collective surréaliste. Fille de Gaïa, enfant d’un âge dont la nature foisonnante ne connait pas les lois d’un développement raisonné, la Chimère s’impose comme l’animal totémique du surréalisme.
Victor Brauner : Loup-Table, 1939/1947, bois et éléments de renard naturalisé
Friedrich Schröder-Sonnenstern (1892, Sovetsk - 1982, Berlin) : Der Zauberfisch, 1954, crayon de couleur sur carton
Max Walter Svanberg (1912, Malmö - 1994, Limhamn) : Himlens Ljusbla orkidé och stärnans tiohöbdade atra, 1969, aquarelle et gouache sur papier
Dorothea Tanning (1910, Galesburg-2012, New York), Birthday, 1942, huile sur toile
Max Ernst : Chimère, 1928, huile sur toile
Suzanne Van Damme (1901, Gand - 1986, Ixelles), Couple d'oiseaux anthropomorphes, 1944, huile sur toile
Kurt Seligmann (1900, Bâle - 1962, Sugar Loaf), Magnetic Mountain, 1948, huile sur toile
Deux "cadavres exquis" de 1928, auxquels ont participé André Breton, Marcel Duhamel, Max Morise et Yves Tanguy.
5 | Alice
« C’est peut-être l’enfance qui approche le plus de la vraie vie » écrit André Breton. La gloire surréaliste d’Alice est celle de cette enfance rêvée. Elle entre au panthéon surréaliste grâce à Aragon qui rédige en 1931 un important article sur Lewis Caroll dans Le Surréalisme au service de la révolution et traduit son roman La Chasse au Snark. Incarnation du merveilleux, de l’illogisme et de l’humour, Alice subvertit les fondements rationnels de la réalité. Cet imaginaire conduit Breton à compter Caroll parmi les ancêtres du surréalisme et à l’intégrer à son Anthologie de l’humour noir (1940) : « Tous ceux qui gardent le sens de la révolte reconnaîtront en Lewis Carroll leur premier maître d’école buissonnière ». Après Arthur Rimbaud et Lautréamont, une jeune poétesse, Gisèle Parassinos, incarne le génie poétique que le surréalisme attribue à l’enfance. Ses poèmes, préfacés par Paul Eluard, sont publiés en 1934 dans la revue Minotaure.
René Magritte : Alice au pays des merveilles, 1946, huile sur toile
Marcel Jean : Armoire surréaliste, 1941, bois verni, quatre portes ornées d'une peinture surréaliste
Clovis Trouille (1889, La Fère - 1975, Neuilly-sur-Marne) : Le Rêve d'Alice (dans un fauteuil), 1945, huile sur toile
Georges Malkine (1898, Paris-1970, Paris) : Demeure de Lewis Carroll, 1966, huile sur carton toilé
Leonora Carrington (1917, Clayton Green - 2011, Mexico) : Green Tea, 1942, huile sur toile
Dorothea Tanning : Eine Kleine Nachtmusik, 1943, huile sur toile
René Magritte : Les Valeurs personnelles, 1952, huile sur toile
Mimi Parent (1924, Montréal - 2005, Villars-sur-Ollon) : Comptine pour une enfant perverse ou Children's corner, 1969, boîte en bois peinte à l'huile. Feuilles mortes, cartes à jouer, coquilles, plastique, fils
Dorothea Tanning : Portrait of a Family, 1954, huile sur toile
René Magritte : Les Idées de l'acrobate, 1928, huile sur toile
Suzanne Van Damme : Composition surréaliste, 1943, huile sur toile
Jean-Claude Silbermann : Alice, 2002, huile sur toile marouflée sur bois découpé
6 | Monstres politiques
Le surréalisme a voulu répondre à la double injonction de Marx (« transformer le monde ») et de Rimbaud (« changer la vie »). Premier acte de leur engagement politique, les surréalistes se rapprochent des jeunes communistes du groupe Clarté avec lesquels ils signent en 1925 un manifeste opposé à la guerre coloniale menée par la France au Maroc. Si chacun veille à rendre étanche la frontière entre création poétique et engagement politique, les tensions qui résultent de la montée des fascismes dans l’Europe des années trente incitent nombre d’artistes à reconsidérer cette imperméabilité. Le surréalisme se peuple de monstres qui font écho à la monté des totalitarismes. Un an avant l’avènement d’Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne, le mouvement se dote d’une nouvelle revue qui se donne comme emblème une figure bestiale : Le Minotaure.
Simon Hantaï (1922, Bia - 2008, Paris) : Femelle-Miroir II, 1953, huile sur toile, miroir, ossements
Pablo Picasso (1881, Malaga - 1973, Mougins) : Acrobate bleu, novembre 1929, fusain et huile sur toile
André Masson (1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris) :
Portrait charge de Franco, vers 1938-1939, plume et encre de Chine sur papier vergé
De Pie en pie, 1939, encre sur papier
Dorothea Tanning (1910, Galesburg - 2012, New York) : Chambre 202, Hôtel du Pavot, 1970, bois, tissus, laine, papier peint, tapis, ampoule électrique
Salvador Dalí (1904, Figueras -1989, Figueras) : Construction molle avec haricots bouillis (prémonition de la guerre civile), 1936, huile sur toile
Victor Brauner (1903, Piatra Neamt - 1966, Paris) : Hitler, 1934, huile sur carton
René Magritte (1898, Lessines-1967, Schaerbeek) : Le Présent, 1939, gouache sur papier
Max Ernst (1891, Brühl - 1976, Paris) : L'Ange du foyer (Le Triomphe du surréalisme), 1937, huile sur toile
Gérard Vulliamy (1909, Paris - 2005, Labastide-d'Armagnac) : Le Cheval de Troie, 1936-1937, huile sur panneau
Jacques Hérold (1910, Piatra Neamt - 1987, Paris) : Les Têtes, 1939, huile sur toile
Max Ernst : Capricorne, 1948/1964, bronze
André Masson : Le Labyrinthe, 1938, huile sur toile
Pablo Picasso : La Minotauromachie, 1935, eau-forte, grattoir et burin sur papier
Couvertures de la revue Minotaure, 1933-1939
En juin 1933 parait le premier numéro d'une revue qui se donne pour emblème et pour titre, une créature mi-homme, mi-animal : Minotaure. Hybride, la revue l'est également dans sa forme et son contenu. Georges Bataille, dont la revue Documents a cessé de paraitre depuis janvier 1931, et André Breton, dont le dernier numéro du Surréalisme au service de la révolution est publié en mai 1933, se partagent le sommaire de la revue, enrichi des études ethnologiques qui avaient marqué Documents. En 1936, Georges Bataille et André Masson imaginent une nouvelle revue, Acéphale, capable de donner naissance à une mythologie nouvelle. Masson lui donne pour emblème une créature symbolique de ses intentions: sans tête pour dire son émancipation à la raison, un labyrinthe dessiné sur le ventre, symbole d'une pensée de l'instinct, capable de transformer l'égarement en principe civilisateur.
Nous poursuivrons ce parcours dans un prochain billet.
Fin d'été à Paris
Un billet sur des sujets variés, façon d'aborder la rentrée en région parisienne, un peu à la manière des billets de cartes postales bretonnes.
Commençons par quelques images de la Collection nationale de convolvulacées abritées par l'Arboretum des Hauts-de-Seine, dans le domaine départemental de la Vallée-aux-Loups à Chatenay-Malabry.
Un écriteau nous informe que les convolvulacées sont la famille des liserons, ipomées, volubilis et de la patate douce, entre autres.
La collection est, l'hiver, dans une serre qui faisait partie de l'établissement horticole Busson-Dumas créé en 1919, spécialisé dans la production d'azalées, hortensias et chrysanthèmes. Le Département a acquis la propriété en 1995. Mais, à la belle saison, de nombreux specimen sont exposés à l'air libre.
Une exposition de la plasticienne Eva Jospin, née en 1975 à Paris, à la Galleria Continua de Paris, intitulée Tromper l'œil. Nous avons déjà évoqué cette artiste dans notre billet du 11 juin 2016 à propos de son installation Panorama dans la Cour Carrée du Louvre. Quant à la Galleria Continua, nos lecteurs ont déjà pu découvrir son site des Moulins en Seine et Marne, dans notre billet du 6 novembre 2021.
La pièce maîtresse en est Promontoire, 2024, carton, bois, laiton, matériaux divers 185x340x293 cm (max). Citons le communiqué de presse :
Dans un jeu d’échelle permanent, l’artiste sculpte, découpe, taille le carton pour assembler son Promontoire, sculpture majestueuse constituant un chef d’œuvre (en référence à la pièce qu’un compagnon doit réaliser pour devenir maître dans sa pratique). Une gloriette, une grotte et un labyrinthe s’érigent dans l’espace, liés entre eux, par un aqueduc et un pont, invitant le visiteur à donner libre cours à son imagination. L’œuvre d’Eva Jospin se construit par une accumulation de couches successives de carton, qu’elle sculpte par addition, créant peu à peu le volume. Elle se concentre ensuite sur l’ornement, la profusion de détails. Le carton se transforme en roche, en nymphées, peuplées de lianes et d’éléments empruntés à la nature.
On y retrouve plusieurs évocations de la forêt, thème de prédilection d'Eva Jospin, en carton bien sûr qui est son matériau habituel, mais aussi dans d'autres matériaux :
Forêt, suite Tromper l'œil, 2024, bois, carton, 260x240x45 cm
Petit bois, 2024, bois, carton, 70,5x83x23 cm
Bois de soie, 2024, carton, tissus, divers matériaux, 71x83,5x14,5 cm
Bois doré, 2024, bronze, 69x81x12 cm
Bosquet, 1924, encre sur papier, cadre en bois et carton, 75x110x9 cm
Deux broderies de soie sur toile de soie, cadre en bois et carton
Une grande broderies de soie sur toile de soie, cadre en bois et carton : Bosquet, suite Tromper l'œil, 2024, 176x256x10 cm avec encadrement
Diverses Folies et Nymphées, en carton, bois, mais aussi avec des textiles et matériaux divers, et, là aussi, l'une d'elles coulée en bronze. Et des falaises, rochers, en carton à la manière traditionnelle de l'artiste, formant un ensemble harmonieux.
Avant de quitter la Galleria Continua, un coup d'œil sur d'autres installations :
Pascale Marthine Tayou [artiste plasticien camerounais né en 1966] : Colorful Stones, 2028-2024, granit, peinture en spray, dimensions variables
Sun Yuan & Peng Yu : Teenager Teenager, 2011, simulation de sculpture, canapé, simulation de pierre, dimensions variables
Sun Yuan et Peng Yu sont un couple d'artistes chinois qui collaborent et exposent ensemble depuis la fin des années 1990. Leur travail aborde l'influence de la culture commerciale dans le monde tout en conservant un regard singulier sur la liberté individuelle au sein d'une culture de divertissements. Ils sont connus pour leurs réflexions sur la condition humaine, qu'ils illustrent dans leurs œuvres, loin des méthodes conventionnelles. L'œuvre Teenager Teenager présente des sculptures hyperréalistes de personnes assises sur des canapés et fauteuils dont les têtes remplacées par d'énormes rochers. Cette image frappante empêche les spectateurs d'identifier les personnages et de communiquer avec eux, servant à la fois de représentation humoristique et sinistre de la société moderne. À travers cette œuvre, les artistes explorent la nature et les limites de la communication, invitant les spectateurs à se libérer des règles imposées et à aborder leur place dans le monde avec une nouvelle perspective.
Un petit détour par la rue des Solitaires, dans le XIXe arrondissement de Paris, avec de jolies maisons du XIXe siècle et une peinture murale réalisée en 2022 par l'artiste de street art Demoiselle MM.
Une autre sculptrice, dont les œuvres étranges réalisées en grillage sont à découvrir dans le Parc Montsouris où elles parsèment et animent le grand étang : Daniela Capaccioli, artiste italienne travaillant dans son atelier de Montreuil (Seine-Saint-Denis).
L'absence de cartels laisse libre cours à l'imagination du promeneur pour qualifier ces objets oniriques qui donnent à l'étang alimenté par l'ancien aqueduc Médicis des allures mystérieuses.
À quelques pas du Parc Montsouris, pour terminer ce billet, quelques maisons d'artistes dans la villa Seurat, impasse pavée largement constituée de maison-ateliers construites entre 1924 et 1926 pour des artistes. L’architecte André Lurçat (1894-1970) en a réalisé un grand nombre, obtenant plusieurs commandes d’artistes par l’entremise de son frère Jean Lurçat (1892-1966), artiste créateur de tapisseries.
Au n°1, maison-atelier construite en 1926 par André Lurçat pour le peintre-illustrateur américain Frank Townshend.
Au n°1bis, la maison du sculpteur Robert Couturier (1905-2008) par l’architecte Jean-Charles Moreux
Aux n°3 et 3bis, maison-atelier construite par André Lurçat pour les peintres Marcel Gromaire (1892-1971) et Edouard Goerg (1893-1969)
Au n°9, maison-atelier construite par André Lurçat pour le peintre Pierre-André Bertrand (1884-1975), jouxtant au n°7bis, la maison-atelier réalisée par l’architecte Auguste Perret pour la sculptrice Chana Orloff (voir notre billet du 17 février dernier)
Les chefs-d'œuvre de la collection Torlonia au Louvre
Inaugurons la rentrée culturelle avec un billet sur une exposition parisienne que le lecteur a encore presque deux mois pour visiter. Nous n'avons pas résisté à une invitation à visiter au calme un mardi, jour de fermeture du musée, l'exposition consacrée à la collection Torlonia, la plus grande collection privée de sculpture antique romaine conservée à ce jour, rassemblée par les princes Torlonia durant tout le XIXe siècle à Rome qui n'avait pas été exposée au public depuis les années 1950 et dont c'est le premier séjour hors d'Italie.
C'était aussi l'occasion de découvrir, après leur restauration, les somptueux appartements d'Anne d'Autriche, siège des collections permanentes de sculpture antique depuis la fin du XVIIIe siècle et la naissance du musée du Louvre. Ces salles offrent un magnifique écrin aux marbres présentés dans cette exposition temporaire, avant d'accueillir dans quelque temps les propres collections de sculpture romaine antique du Louvre.
Dans le vestibule, le prince Alessandro Torlonia (1800-1886), immortalisé vers 1840 par le peintre Natale Carta (1790-1888), accueille les visiteurs
Une statue de bouc, dite Il Caprone, du 2e siècle ap. JC, dont la tête restaurée au 17e siècle par Le Bernin (1598-1680) incarne à merveille la réception artistique des sculptures antiques, qui conduit à les restaurer.
La première section est intitulée Portraits
Le portrait produit un effet esthétique qui va au-delà de l'incarnation de la personne. Dans l'art romain, ce genre remplit de nombreuses fonctions: il sert à honorer dans l'espace public, il est mémoriel ou funéraire dans la sphère privée. Des formes diverses répondent à ces usages dans l'art romain. Statues et bustes sculptés en sont aujourd'hui les plus fameuses. À partir du 16° siècle, les collections d'antiques attachent un intérêt particulier aux portraits, créant des galeries de grands personnages connus par les sources historiques. Avant sa fermeture, le Museo Torlonia, héritier de la tradition de ce collectionnisme, n'échappait pas à cette pratique. Il présentait une longue série continue de figures célèbres sous une forme emblématique des collections modernes, celle du buste-portrait.
Autour du chef-d'œuvre de cet ensemble, Portrait de jeune femme, dit La Fanciulla di Vulci (milieu du 1er siècle avant Jésus-Christ) :
Portrait d'homme âgé, dit Euthydème de Bactriane, marbre pentélique (Athènes), vers 200 av. J.-C.
Portrait d'homme âgé restauré sur un buste moderne, dit Le Vieillard d'Otricoli, marbre, première moitié du 1° siècle av. J.-C.
Portrait d'Auguste, empereur de 27 av. J.-C. à 5 ap. J.-C., restauré sur un buste moderne, marbre, vers 15 av. J.-C. - 5 ap. J.-C.
Buste d'Hadrien, empereur romain de 117 à 138 ap. J.-C., marbre, années 130 ap. J.-C.
Portrait d'Agrippine l'Ancienne (14 av. J.-C. - 33 ap. J.-C.), restauré sur un buste moderne, marbre, entre 37 et 41 ap. J.-C.
Buste de femme, dit Aquilia Severa, marbre, début du 3e siècle ap. J.-C.
Portrait de Julia Domna (160-217 ap. J.-C.) restauré sur un buste antique, marbre, après 203 ap. J.-C.
Buste de Septime Sévère, empereur romain de 193 à 211 ap. J-C., marbre, entre 203 et 211 ap. J.-C.
Buste de Lucius Verus, empereur romain de 161 à 169 ap. J.-C., marbre, entre 160 et 169 ap. J.-C.
Avant de passer à la salle suivante, un regard au plafond...
Section suivante : Un art de la copie
Le monde grec développe, à partir du 2° siècle avant Jésus-Christ, des techniques qui permettent de reproduire fidèlement des œuvres de sculpture. Les commanditaires romains encouragent cette pratique artistique de la copie. Ils entendent ainsi célébrer les maîtres de la sculpture grecque, exaltés par une histoire de l'art qui se développe à partir du début du 3° siècle avant Jésus-Christ. Cela va donner lieu à une abondante production, parfois de très haute qualité, dans laquelle certains ateliers de sculpteurs se spécialisent. Révélant l'existence d'un répertoire d'œuvres et d'artistes consacrés, cette activité d'imitation conduit les sculpteurs grecs et romains à s'approprier les formes et les manières de l'art grec. À Rome et dans l'Empire, la production se nourrit de cette pratique artistique. Les sculpteurs assimilent ces modèles, peuvent extraire des motifs ou des traits de style qui sont ensuite réinvestis dans des compositions nouvelles, caractéristiques d'un art savant, c'est-à-dire d'un art qui assimile les exigences de l'art grec.
Statue de satyre, deux copies romaine sculptées au début du 2° siècle ap. J.-C., d'après une œuvre originale grecque des années 330 av. J.-C. marbre
Statue de philosophe, dite Chrysippe Cesarini, marbre, copie romaine sculptée au 1er siècle ap. J.-C., d'après une œuvre originale grecque du 3° siècle av. J.-C. attribuée à Praxitèle
Statue féminine, dite Hestia Giustiniani, marbre de Paros (Cyclades, Grèce), copie romaine sculptée à l'époque de l'empereur Hadrien (117-138 ap. J.-C.), d'après une œuvre originale grecque des années 470-460 av. J.-C.
Statue d'athlète, marbre, copie romaine sculptée au début du 2° siècle ap. J.-C., d'après une œuvre originale grecque des années 450 av. J.-C. attribuée à l'Athénien Myron
Section suivante : Les styles du passé grec
La conquête du monde grec par les Romains éveille leur goût pour les styles élaborés par les artistes du passé. Les sculpteurs des 2e et 1" siècles avant Jésus-Christ, ceux d'Athènes surtout, se nourrissent d'un copieux répertoire d'œuvres anciennes. Ces artistes grecs déclinent, sur différents supports, des originaux d'époque archaïque (6 siècle avant Jésus-Christ) ou classique (5-4° siècles avant Jésus-Christ), produisant des modèles stylistiquement variés. Les styles artistiques sont alors sémantisés, c'est-à-dire qu'ils acquièrent eux-mêmes une signification : les modèles classiques expriment la solennité, l'ordre, la dignité, tandis que leurs prédécesseurs archaïques sont des vecteurs privilégiés de l'idée du sacré. Leur combinaison au sein de certaines œuvres produit un mélange des styles qui donne naissance à un art résolument éclectique.
Statue d'Éros archer, marbre pentélique, copie romaine sculptée à la fin du 2° siècle ap. J.-C., d'après une œuvre originale grecque en bronze des années 330 av. J.-C. attribuée au sculpteur grec Lysippe (actif entre 370 et 305 avant Jésus-Christ).
Relief figurant trois héros (Héraclès, Thésée et Pirithoos), marbre pentélique, copie romaine sculptée à l'époque augustéenne (27 av. J.-C. - 14 ap. J.-C.), d'après une œuvre originale grecque de la fin du 5° siècle av. J.-C.
Héraclès, appuyé sur sa massue, est montré avec ses compagnons Thésée et Pirithoos, qu'il libère des Enfers où ils étaient tenus captifs. Ce relief, dont le modèle est connu par d'autres répliques, copie un original grec. Dans l'art romain, il formait une série avec d'autres reliefs mythologiques réélaborant des modèles anciens. L'origine des modèles artistiques, comme de la mythologie qu'ils illustrent, invite à désigner les dieux et les héros de leurs noms grecs.
Statue d'Aphrodite accroupie, marbre, copie romaine sculptée au 1er siècle ap. J.-C. d'après une œuvre originale grecque du milieu du 3° siècle av. J.-C.
Une déesse aux formes généreuses, repliée sur elle-même au moment où on la saisit, occupée à sa toilette : l'original est hellénistique, peut-être du 3° siècle avant Jésus-Christ, et des plus appréciés dans le monde romain. Il se signale par le caractère tridimensionnel de l'image, conçue sans point de vue privilégié, et jouait à plein des ressources de la sculpture (rendu des volumes et des textures) pour créer un effet de réel.
Statue féminine, marbre pentélique (corps), marbre de Carrare (tête), première moitié du 1er siècle ap. J.-C.
Cratère, marbre pentélique, début du 1er siècle ap. J.-C.
Sur la panse de ce cratère se déploient six ménades dansantes vêtues à la grecque. Le modèle initial de ces compagnes du dieu Dionysos est attribué à l'artiste Callimaque, actif à Athènes à la fin du 5e siècle avant Jésus-Christ. Néanmoins il ne faut pas voir ici une copie directe : ce décor s'appuie sur un modèle codifié dont on retrouve les déclinaisons sur différents supports.
Vase, dit Tazza Albani, marbre pentélique (vasque), granite (pied moderne), africano (base moderne), troisième quart du 1er siècle av. J.-C.
Ce grand vase, qui reproduit en marbre une forme usuelle de coupe, devait être destiné à l'ornement d'un jardin ou d'un sanctuaire. Se déploient sur son pourtour les douze travaux imposés au héros Héraclès, gages de son immortalité. Ce décor combine pour les saynètes plusieurs modèles des 5° et 4° siècles avant Jésus-Christ, transposés en relief. Ses créateurs se sont donc appuyés sur un vaste savoir artistique.
Un regard vers le plafond...
Modernité hellénistique
Rome embrasse aussi pleinement l'art grec hellénistique (4-1° siècle avant Jésus-Christ). L'influence prononcée de la Grèce sur la culture romaine à partir du 3° siècle avant Jésus-Christ se reflète ainsi dans la réception enthousiaste de la production des grands centres artistiques contemporains: Athènes, Alexandrie, Pergame ou Rhodes. L'histoire grecque de l'art vénère surtout le sculpteur Lysippe (4° siècle avant Jésus-Christ) et son art fondé sur la mimesis - l'imitation concrète des choses. Cela se traduit par une esthétique réaliste, qui privilégie l'impression de présence du sujet représenté. Le portrait romain et les statues de culte des temples de Rome incarnent sans réserve cette modernité grecque.
Mais, dans l'art romain, les œuvres inspirées par le monde rustique du dieu Dionysos, ou des mises en scène sculptées illustrant l'épopée homérique bénéficient d'un succès encore plus grand. C'est dans les jardins de l'aristocratie que s'exprime ce goût. Ces sculptures y côtoient volontiers les copies d'œuvres classiques et les créations qui imitent les styles du passé : s'y épanouit ainsi un mélange de styles variés.
Statues d'un satyre et d'une nymphe, groupe dit «de l'invitation à la danse», marbre de Thasos (nymphe), marbre d'Asie Mineure (satyre), copies romaines sculptées entre la seconde moitié du 1er siècle ap. J.-C. et le début du 2° siècle ap. J.-C. d'après une œuvre originale grecque du 2e siècle av. J.-C.
Un satyre à l'anatomie nerveuse esquisse un pas de danse ; à côté, une nymphe au corps gracile, à moitié dévêtue. S'apprête-t-elle à le rejoindre ? Quelle que soit la signification de cette scène légère, emblématique de l'imagerie dionysiaque développée par l'art hellénistique à partir du 3° siècle avant Jésus-Christ, les deux statues Torlonia, trouvées ensemble, constituent l'une des rares attestations archéologiques du groupe dans son ensemble.
Statue d'Isis Pelagia restaurée en Cérès, bigio morato (corps), marbre de Dokimeion (buste), marbre blanc (pieds), copie romaine sculptée au début du 3° siècle ap. J.-C. d'après une œuvre originale grecque d'époque hellénistique (323-31 av. J.-C.)
Statue du Nil, bigio morato, seconde moitié du 1er siècle ap. J.-C.
L'iconographie de cette figure, à demi allongée, avec une chevelure et une barbe mouillées, est celle de la personnification d'un fleuve. L'accumulation des symboles (corne d'abondance, sphinx, roseau et crocodile) permet d'y reconnaître le Nil. Sculpteurs et commanditaires romains s'emparent avec enthousiasme de l'art allégorique et symbolique développé par les artistes hellénistiques, où les personnifications d'éléments naturels abondent.
Statue d'Isis restaurée en Cérès, bigio morato (corps), marbre blanc (tête, bras, pieds), copie romaine sculptée au début du 3° siècle ap. J.-C. d'après une œuvre originale grecque d'époque hellénistique (323-31 av. J.-C.)
Statue de l'Artémis d'Ephèse, marbre (corps), marbre noir (tête, mains modernes), copie romaine sculptée à l'époque impériale (1er-3e siècle ap. J.-C.) d'après une œuvre originale grecque d'époque hellénistique (323-31 av. J.-C.)
Statue de Silène, marbre, copie romaine sculptée au 1er ap. J.-C., d'après une œuvre originale grecque du 2° siècle av. J.-C.
Buste de satyre ivre, marbre de Dokimeion (Phrygie, Turquie actuelle), copie romaine sculptée au 1er siècle ap. J.-C. d'après une œuvre originale grecque de la seconde moitié du 2° siècle av. J.-C.
Groupe sculpté représentant Ulysse caché sous un mouton, marbre de Carrare (Italie), copie romaine sculptée dans la seconde moitié du 1er siècle ap. J.-C. d'après une œuvre originale grecque du 2° siècle av. J.-C.
Groupe sculpté représentant un enfant jouant avec une oie, marbre, copie romaine sculptée d'après une œuvre originale grecque des 3e-2e siècles av. J.-C.
Les sujets de genre, au thème et au style pittoresques, se développent à partir du 3° siècle avant Jésus-Christ. lls satisfont un goût pour le réalisme qui n'empêche pas ces images nouvelles de revêtir des fonctions traditionnelles, comme l'offrande aux divinités. Quels qu'aient été le contexte et la signification de l'original en bronze, il témoigne de l'élargissement du répertoire de la statuaire à l'époque hellénistique.
L'exposition se poursuit dans la salle d'Auguste, créée au XIXe siècle dans l'enfilade des appartements d'été d'Anne d'Autriche par l'architecte Hector-Martin Lefuel (1810-1880) dans le style du second empire pour accueillir avec ces derniers la collection des sculptures gréco-romaines.
Cette salle accueille la section Les originalités de la sculpture romaine
Dans l'art romain, le réalisme d'une image n'implique pas qu'elle soit conçue comme un instantané du réel. Sous les dehors d'une représentation réaliste (fondée sur les principes de la perspective spatiale et de la construction classique de la figure humaine), elle sert aussi de véhicule à des idées abstraites. C'est le cas de la figuration des individus, où le vêtement, les gestes, le recours à la narration ou à des figures du mythe permettent d'évoquer des concepts juridiques (le statut social), moraux, ou des affirmations de culture. Les représentations des dieux sont quant à elles des modèles pour la vie terrestre. L'art des sarcophages en marbre, proprement romain, exploite abondamment cette inventivité artistique: les thèmes de la vie publique, de l'excellence morale, de la culture, de l'idéal divin s'y déploient à loisir, s'entrecroisant parfois. Dans certaines images, la composition symétrique des scènes transforme le récit de l'événement mythique en symbole de portée plus générale. Cela peut conduire l'image à perdre l'illusion de l'instantané au profit de l'efficacité visuelle. Son message est simplifié et plus aisément perceptible.
Sarcophage figurant un cortège accompagnant un magistrat et son épouse, marbre, 250-260 ap. J.-C.
Relief votif avec une figuration du Portus Augusti, marbre pentélique et traces de polychromie, début du 3° siècle ap. J.-C.
Ce relief exceptionnel associe en une composition foisonnante les registres réaliste, topographique et symbolique. La figuration du Portus Augusti, le port de Rome, y perd toute cohérence, malgré le choix de représenter des édifices précis, et la grande minutie dans le rendu des détails, notamment des activités portuaires. Les figures ne sont pas disposées selon des critères objectifs, mais symboliques.
Relief figurant une scène de boucherie, marbre du Proconnèse (Cyzique, Turquie actuelle), milieu du 2 siècle ap. J.-C.
Relief figurant le mythe du sacrifice d'un taureau par le dieu Mithra, marbre, vers 181 ap. J.-C.
Relief figurant un navire, offrande de la corporation des fabri navales (fabricants de navires) et relief figurant le déchargement d'un navire de commerce, marbre, moitié du 3° siècle ap. J.-C.
Les fouilles Torlonia du 19e siècle ont contribué à la redécouverte archéologique du Portus Augusti, aménagé sous l'impulsion des empereurs Claude (41-54) et Trajan (98-117) pour être le grand port de commerce de Rome. À côté de sculptures provenant des espaces d'apparat, elles ont livré des documents plus modestes, qui sont venus enrichir le panorama de la sculpture antique exposé au Museo Torlonia.
Groupe statuaire représentant un couple, marbre de Carrare, milieu du 2e siècle ap. J.-C.
Statue inachevée de Dace captif, marbre de Carrare, 106-117 ap. J.-C.
L'image réaliste du barbare vaincu est un motif récurrent de l'art impérial officiel. Répliqué dans le décor des grands programmes architecturaux de Rome, il fonctionne comme un refrain visuel célébrant la victoire impériale. Trouvé à l'emplacement d'un atelier spécialisé de sculpteurs, qui produisait de telles images en série, ce barbare inachevé était destiné au forum de Trajan (empereur de 98 à 117 et vainqueur des Daces).
Sarcophage figurant le mythe du triomphe indien de Dionysos, marbre de Thasos, seconde moitié du 2° siècle ap. J.-C.
Campés sur des chars tirés par des centaures, le dieu Dionysos et sa compagne Ariane triomphent de l'Inde. Le thème triomphal du mythe est renforcé par les Victoires encadrant un bouclier rond posé au-dessus de deux vaincus, empruntées à l'art officiel impérial. La construction symétrique de l'image atténue son caractère narratif au profit d'une écriture emblématique, où l'idée de victoire l'emporte sur le détail de l'événement.
Sarcophage figurant les travaux d'Héraclès, marbre de Thasos (nord de la mer Égée), 160-170 ap. J.-C.
La cuve des grands sarcophages, qui apparaissent au début du 2e siècle après Jésus-Christ, offre aux sculpteurs de larges surfaces à travailler. Ils se prêtent donc bien à l'invention de nouveaux décors. Les cycles narratifs tirés de la mythologie sont un élément important de leur répertoire. Ici, les épreuves imposées à Héraclès, qui lui valurent l'immortalité parmi les dieux.
Sarcophage du centurion Lucius Pullius Peregrinus, marbre du Proconnèse, milieu du 3° siècle ap. J.-C.
Le couple de commanditaires occupe le centre du décor de la cuve. Le portrait de Peregrinus a été sculpté à son effigie; celui de son épouse aurait dû l'être, mais n'a jamais été réalisé. Tenant des rouleaux de parchemin (volumina), ils se sont fait figurer en homme et femme de lettres. Lui, comme l'un des Sept Sages de la tradition grecque ; elle, comme l'une des neuf Muses de la mythologie.
La dernière salle de l'exposition est dans l'ancienne cour dite du Sphinx, couverte d'une verrière dans les années 1930. (Les statues bâchées sont situées sous un carreau de la verrière à remplacer)
Elle a pour thème
Une histoire en commun : le Louvre et le Museo Torlonia, deux collections sœurs
Au début du 19° siècle, les collections du musée des antiques installé au Louvre sont très largement composées, comme celles de la collection Torlonia, d'œuvres issues des anciennes collections de la noblesse romaine. Les marbres des collections royales et aristocratiques, puis ceux des acquisitions Borghèse et Albani au début du 19° siècle ont majoritairement la même origine romaine, voire une histoire commune avec les sculptures Torlonia.
On peut ainsi reconnaître dans les deux collections des œuvres passées par les mêmes mains: celles des personnalités qui ont, dans la Rome de la Renaissance et des siècles suivants, bâti des collections de grande ampleur. Il en résulte, malgré des trajectoires variées, une connivence esthétique et historique profonde. Ces deux collections, marquées par la pratique du faste aristocratique (les sculptures servent au décor des résidences de réception) et sa conséquence, la restauration des antiques, se superposent sans accroc. Des provenances archéologiques communes se dévoilent également, comme la villa antique d'Hérode Atticus sur la Via Appia à Rome, fouillée à de multiples reprises pour différents commanditaires.
Nous signalerons les pièces du Louvre dans les légendes, celles sans mention appartiennent à la collection Torlonia
Relief avec trois figures féminines, marbre, vers 160 ap. J.-C.
(Musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines)
Statue de la déesse Hygie assise, marbre pentélique, copie romaine sculptée dans les années 160 ap. J.-C., d'après une œuvre originale grecque de Phidias des années 430 av. J.-C
Vasque sur un pied moderne, dite Tazza Medici, brèche verte égyptienne (Ouadi Hammamat, Égypte), entre la fin du 1er siècle av. J.-C. et le début du 2° siècle ap. J.-C.
Cratère orné de scènes de banquet, dit Tazza Cesi, marbre pentélique, fin du 2e siècle - début du 1er siècle av. J.-C.
Statue d'Oriental captif, dit Le Roi prisonnier, brèche verte égyptienne (corps), marbre blanc (tête, mains), 1er siècle ap. J.-C.
(Musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines)
Statue de Dace captif, porphyre (Djebel Dokhan, Égypte), marbre de Carrare (tête, mains), entre 106 et 117 ap. J.-C.
(Musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines)
Groupe statuaire représentant Pan et Daphnis, marbre, copie romaine sculptée vers 150 ap. J.-C. d'après une œuvre originale grecque de la fin du 2° siècle av. J.-C.
Hermès à la sandale, marbre pentélique (corps), marbre de Paros (tête), copie romaine sculptée à l'époque impériale, d'après une œuvre originale grecque des années 325-275 av. J.-C.
(Musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines)
Sarcophage figurant les travaux d'Héraclès, marbre, vers 170 ap. J.-C.
Décrit et dessiné à partir du début du 16° siècle, ce sarcophage, sculpté par un atelier d'Asie Mineure (Turquie actuelle) puis importé à Rome, se trouvait dans la cour du palais Savelli. Cette famille de la noblesse romaine y rassemblait des antiques depuis le 15° siècle, suivant une logique d'affirmation d'une origine romaine antique. Le sarcophage ne changea de lieu qu'après son achat, vers 1820, par Giovanni Torlonia.
Quelques sculptures au centre sont des témoins des restaurations effectuées par les collectionneurs à l'époque moderne. On reconnaîtra :
Statue masculine, restaurée en Méléagre, héros grec, marbre de Thasos (tête, cou), marbre blanc (calotte), marbre blanc d'Asie Mineure (torse), marbre pentélique (bras), occhio di pavone bigio (Nicomédie, Turquie actuelle ; corne), pavonazzetto (Synnada, Turquie actuelle ; bas des jambes, support, base), bigio (sanglier), milieu du 1er siècle ap. J.-C.; restaurations du 17° siècle
Sept sortes de marbres différents, dont certains assez rares, ont servi à la recréation, au 17e siècle, d'une statue de Méléagre à partir d'un torse héroïque et d'une tête d'éphèbe antiques. Issue de l'une des grandes collections du 17e siècle, la collection Giustiniani, cet antique révèle une restauration emblématique des pratiques de ce temps, où l'on recherche très souvent des effets de polychromie en diversifiant les matériaux employés.
Statue d'Aphrodite accroupie, dite Cléopâtre, marbre, copie romaine sculptée au 1er siècle ap. J.-C. d'après une œuvre originale grecque du milieu du 3° siècle av. J.-C., restaurations des 16-17e siècles
Cette statue d'Aphrodite a été identifiée à la reine grecque d'Égypte Cléopâtre, en raison de la présence du bijou en forme de serpent, compris comme une référence à son suicide. Cette interprétation a motivé la restauration d'un vase à parfum dans la main droite de la figure. Elle procède d'une démarche d'interprétation des vestiges sculptés d'après les sources littéraires, courante du 16 au 18e siècle.
Portrait de jeune homme, dit Ptolémée XIII, marbre pentélique, vers 130-140 ap. J.-C., restaurations du 18e siècle
Bartolomeo Cavaceppi (1715-1799) a révolutionné le champ de la restauration des sculptures en traduisant en prescriptions de méthode les principes de Winckelmann. Il exhorte le sculpteur à s'effacer derrière le fragment authentique, à l'altérer le moins possible, à employer un matériau proche de l'original, à faire sienne la manière de l'antique. Le fragment original se voit reconnaître une valeur nouvelle d'authenticité.
Et deux encore deux exemples très pédagogiques pour terminer ce billet :
Groupe sculpté représentant Léda et le cygne, marbre pentélique, copie romaine sculptée à la fin du 2° siècle ap. J.-C. d'après une œuvre originale grecque de la première moitié du 4e siècle av. J.-C.
La restauration des sculptures aspirait à les présenter comme des ensembles intègres et entiers plutôt que comme des œuvres composites. Avant leur nettoyage, les œuvres du Museo Torlonia présentaient ainsi une surface jaunâtre, ici laissée partiellement visible. Elle résulte de l'évolution des produits appliqués sur les surfaces afin de créer l'illusion de cette complétude.
Statue d'Héraclès restaurée à partir de plusieurs originaux antiques, marbre pentélique (fragments du torse et des bras), marbre de Carrare (base, une partie des jambes, support), marbre blanc (tête et ajouts modernes), marbre du Proconnèse (massue), pastiche moderne (17° siècle ?) composé de plusieurs fragments antiques
L'ampleur des restaurations de cet Héraclès, probablement du 17° siècle, et la diversité de ses éléments constitutifs (des fragments antiques issus de plusieurs statues et des ajouts modernes, au nombre de cent douze) sont caractéristiques des processus de création mis en œuvre par les sculpteurs pour forger, à partir d'un matériau antique, des œuvres originales. Elles ont été intentionnellement laissées visibles pour cette exposition.
Robert Ryman - Le regard en acte
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Marquons cette semaine de rentrée avec une exposition parisienne que nous n'avions pas évoquée au printemps dernier mais qui avec le recul méritait un billet, même s'il manque un peu de couleur et force le lecteur à affiner son regard.
Il s'agit de la rétrospective consacrée par le musée de l'Orangerie au peintre Robert Ryman. Tous les textes sont du commissariat de l'exposition.
Robert Ryman (1930-2019), peintre américain actif à New York à partir des années 1950, a consacré l’essentiel de son travail artistique à analyser les fondements de la peinture. Reprenant toile après toile la formule du carré blanc, choisi pour sa neutralité, Ryman explore tout ce qui compose matériellement un tableau, du support à la surface en passant par l’éclairage ou le système d’accrochage. D’abord voué à une carrière de saxophoniste jazz, Ryman occupe pendant presque une décennie un emploi de gardien de salle au Museum of Modern Art de New York. Il y découvre les maîtres modernes européens (Claude Monet, Paul Cézanne, Henri Matisse) et les nouvelles références américaines (Mark Rothko, Jackson Pollock, Barnett Newman) et décide alors de se consacrer uniquement à la peinture.
Peintre de ce qu’il revendique lui-même, non sans provocation, comme une œuvre « réaliste », en ce qu’elle ne propose aucune illusion ou symbole, l’artiste poursuit ses expérimentations jusqu’aux dernières années de sa vie. Poussé par les possibilités infinies du médium, jouant sans cesse de la variation, Ryman pose sur la peinture un regard toujours en acte. Il convient dès lors de regarder la peinture de Ryman comme l’artiste nous incite à le faire : une peinture active, qui convoque tout autant le regard du peintre que celui de ceux à qui il s’adresse (les visiteurs, ou plutôt les regardeurs).
La première section de l'exposition est intitulée SURFACE
Untitled, 1959, huile et gesso sur toile de lin
Arrow, 1976, huile sur Plexiglas poncé, attaches de Plexiglas poncées avec boulons hexagonaux plaqués en cadmium
Spectrum IV, 1984, encre sur panneau d'aluminium
Spectrum II, 1984, encre sur panneau d'aluminium
Robert Ryman, se veut, avant tout, peintre. Ses premières explorations dans le domaine pictural s’attachent aux modalités d’application de la peinture sur un support. Il recherche et étudie les différents effets provoqués par l’épaisseur de la matière, les variations de tonalités, le travail de la touche. Ces expérimentations marquent les étapes d’une quête dont le peintre sait pertinemment qu’elle n’a pas de fin ; elles sont pourtant prétextes à interroger ce qui fait un tableau et sa nature. L’utilisation du format carré et de la peinture blanche, mais aussi les principes techniques qui gouvernent la pratique de l’artiste (choix méthodiques de pinceaux, de brosses, de supports…), sont pour lui autant de moyens d’atteindre une certaine neutralité, de fermer la porte à toute forme d’interprétation.
Quand Ryman évoque son travail, il insiste sur le processus créatif et souligne les aspects les plus pratiques de son œuvre, comme l’origine marchande de sa peinture, l’épaisseur du pinceau ou les spécificités du support utilisé.
Untitled, 1958, caséine et graphite sur papier
Untitled, 1959, huile sur toile de lin apprêtée
Untitled, 1962, huile sur toile de lin
Untitled [Background music], 1962, huile sur toile de lin
Lisson, 1972, laque Enamelac sur toile de lin apprêtée
Untitled, 1965, peinture à l'émail sur carton bristol
Untitled, 1965, huile sur toile de lin (2 toiles)
General 54 1/2 "x 54 1/2", 1970, peinture à l'émail et laque Enamelac sur toile de coton
Untitled A, 1961, huile sur toile de lin apprêtée, non tendue et montée sur une toile de lin tendue
LIMITES
En s’interrogeant sur les éléments constitutifs de la peinture, Ryman s’intéresse également à ses limites, qu’elles soient physiques ou conceptuelles.
Il s’attache régulièrement à explorer les possibilités d’intégration de ses œuvres à leur environnement direct et joue pour cela de différentes modalités de présentation : toiles non tendues (Adelphi) ou sur châssis (Concert), compositions en plusieurs parties assemblées (Untitled Triptych), supports en Plexiglas dévoilant en partie le mur (Arrow).
Poussant plus loin encore cette démarche, à partir du milieu des années 1970, il s’essaie à rendre visibles les modes d’attaches de ses tableaux, qu’il choisit soigneusement pour leurs propriétés intrinsèques. Peu conventionnels, les accroches métalliques débordant de la toile ou les cadres en papier ciré rejoignent la mallette d’outils de l’artiste.
En ne camouflant aucun des aspects d’une peinture, Ryman repense tout ce qui compose un tableau et l’espace dans lequel il s’inscrit.
Adelphi, 1967, huile sur toile de lin non tendue, papier ciré, agrafes, ruban de masquage
Arrow, 1976, huile sur Plexiglas poncé, attaches de Plexiglas poncées avec boulons hexagonaux plaqués en cadmium
Large-Small, Thick-Thin, Light Reflecting, Light Absorbing 2, 2008, peinture à l'émail et encre sur Tyvek, agrafes [Le Tyvek est un textile synthétique léger utilisé notamment dans les institutions culturelles comme un matériau de conditionnement ou de protection des œuvres d'art. Ryman utilise ici ce matériau particulier comme un support à ses nouvelles expérimentations sur la réflexion de la lumière, en l'associant à une peinture à l'émail. Ce « test » peut rappeler formellement les grilles musicales d'improvisation du free jazz dont Ryman était un grand amateur.]
Concert, 1987, acrylique Lascaux et laque Enamelac sur panneau de fibre de verre, boulons ronds
Check, 1993, huile et laque Enamelac sur panneau Lumasite, clous
National #1, 1976, huile, acrylique Elvacite et apprêt de Polycoat sur support plastique Acrylivin et attaches métalliques recouvertes de Coricone, boulons carrés
Classico 6, 1968, acrylique sur six feuilles de papier Classico [La série des « Classico » de la fin des années 1960 tire son nom de la marque du papier utilisé. Ryman assemble ici plusieurs feuilles du même format qu'il scotche puis peint à même le mur. Le ruban adhésif est ensuite retiré, laissant des espaces en négatif dévoilant la couleur originale du support. Les feuilles assemblées créent une œuvre monumentale parfaitement intégrée à son environnement, nouvelle étape dans la réflexion de l'artiste sur le rapport de la peinture à l'espace qui l'entoure.]
Untitled Triptych, 1974, peinture à l'émail sur toile de lin apprêtée et montée sur panneau de bois
No Title Required 3, 2010, peinture à l'émail et acrylique sur panneaux en contreplaqué de bouleau ou en carton
DANS L'ESPACE
L’œuvre de Robert Ryman prend une forme plus sculpturale dans les années 1980. Voulant pousser plus loin encore les notions traditionnelles de la peinture, il en vient à la déployer dans l’espace (Journal ; Factor). L’artiste, que la critique avait associé dès les années 1970 à l’art minimal, rejoint alors les recherches de ses contemporains Sol LeWitt ou Fred Sandback sur le contexte de visibilité d’une œuvre : l’espace qui la reçoit est une condition nécessaire de son existence.
Au-delà de son mode d’accrochage, il s’intéresse ainsi à l’intégration de sa peinture dans son environnement. Certaines de ses œuvres se détachent alors largement du mur tout en y restant fixées, tandis que d’autres sont présentées à l’horizontale. Il met ainsi en valeur des éléments oubliés de la peinture, comme la tranche du tableau, qu’il travaille au bois ou à l’aluminium pour la rendre plus visible.
Plutôt qu’elle ne ferme les portes, sa peinture se veut ainsi œuvre ouverte, en ce qu’elle interagit avec l’espace qui l’environne, mais aussi par ce qu’elle attend de notre regard.
Journal, 1988, acrylique Lascaux sur panneau Lumasite, attaches en acier, boulons hexagonaux
Factor, 1984, huile, acrylique Lascaux et vernis sur panneau de fibre de verre avec âme en aluminium alvéolé, tranches en époxy, tiges et attaches en aluminium
Pair Navigation, 1984/ 2002, huile sur panneau de fibre de verre, posé sur un panneau de fibre de verre avec âme en aluminium alvéolé, face supérieure en aluminium poli, tranches en bois rouge, tiges en aluminium
District, 1985, huile sur aluminium, boulons hexagonaux
LUMIÈRE
Plutôt que le peintre du blanc, Ryman est peintre de la lumière. Moment essentiel du processus de création, son éclairage rend visible l’œuvre, en créant des ombres ou des reflets et en soulignant toutes les variations de la peinture blanche. Les réflexions de l’artiste sur la surface et les limites de la peinture trouvent ainsi leur aboutissement dans son travail sur la lumière : c’est elle qui va accrocher la matière, révéler ses reliefs ou délimiter l’ombre d’un support sur le mur.
Ainsi, pour Ryman, la lumière est constitutive d’un tableau au même titre que tous les autres éléments matériels qui entrent dans sa composition : une œuvre n’est achevée que si elle est éclairée. Que ce soit sous un éclairage naturel ou artificiel, une mise en lumière douce et uniforme doit mettre également en valeur les œuvres et les murs environnants afin d’intégrer pleinement la peinture à son espace.
Chapter, 1981, huile et gesso sur toile de lin, attaches métalliques, boulons carrés
Empire, 1973, huile sur toile de lin
Twin, 1966, huile sur toile de coton
Large-Small, Thick-Thin, Light Reflecting, Light Absorbing 23, 2007, peinture résine (époxy et shellac) sur apprêt B-I-N sur panneau de fibre à densité moyenne
Carrier, 1979, huile sur toile de coton apprêtée, attaches, boulons carrés
Large-Small, Thick-Thin 2, 2009, huile sur toile de coton
Series #15 (White), 2003, huile et gesso sur toile de coton
Series #1 (White), 2004, huile et gesso sur toile de coton, attaches en bois
Beacon, 1974, huile sur toile de lin
Swift, 2002, huile sur toile de coton, attaches en bois
On retrouve un peu de couleur dans la dernière salle.
ÉPILOGUE
Après près de soixante ans de carrière en tant que peintre, Ryman met un terme à son activité artistique en 2011. Parmi ses dernières œuvres, il laisse dans l’atelier un ensemble de huit toiles sans titre, aux tonalités vertes, oranges, violettes et grises. La couleur, absente depuis ses premières expérimentations des années 1950, y fait son grand retour.
Point d’orgue de ses recherches inlassables sur les éléments premiers de la peinture, ces œuvres ouvrent une nouvelle perspective sur son parcours, mais aussi sur l’histoire de la peinture en général. Les perpétuelles variations d’un tableau à l’autre affirment la peinture comme une discipline vivante, sensible, éminemment protéiforme, dont les potentialités restent, plus que jamais, à explorer. Là se trouve peut-être le lien le plus direct entre les séries des Cathédrales ou les Nymphéas de Monet et les toiles de Ryman : une peinture résultant d’une approche sensible, qui convoque tout autant le regard du peintre, que celui de ceux à qui il s’adresse – un regard en acte : « Qu’elle soit abstraite ou figurative, c’est ça, la peinture – c’est ce qu’elle fait », confie Ryman.
Sur un des murs latéraux :
Untitled, 2011, huile sur toile de coton
Untitled, 2010, huile sur toile de coton
Untitled, 2011, huile sur toile de coton
Untitled, 2010, huile sur toile de coton
Au fond, trois Cathédrales de Rouen de Claude Monet
et sur l'autre mur latéral :
Untitled, 2010, huile sur toile de coton
Untitled, 2010, huile sur toile de coton
Untitled, 2011, huile sur toile de coton
Untitled, 2010, huile sur toile de coton
Pour remercier le lecteur de sa patience, le grand tableau très coloré - dépôt du Musée national d'art moderne - qui accueille en ce moment le visiteur au pied de l'escalier de l'Orangerie, juste à l'entrée des expositions temporaires :
In Lovely Blueness (n°1), 1955 - 1957, huile sur toile, H. 300cm, L. 700 cm, du peintre américain Sam Francis (1923 - 1994).
Ce tableau a remplacé il y a quelque temps, à la même place, un autre tableau lui aussi en dépôt du MNAM, le grand quadriptyque de Joan Mitchell (1925 -1992) The Goodbye Door (1980).