Christian Krohg (1852-1925) - Le peuple du Nord
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Encore une découverte au musée d'Orsay, avec une rétrospective sur le peintre Christian Krohg (1852-1925), organisée en partenariat avec le Nasjonalmuseet d’Oslo. C'est la première rétrospective de cet artiste en dehors de la Scandinavie. Après les expositions consacrées à Edvard Munch (nos billets du 12 novembre et du 19 novembre 2022) , qui fut l’élève de Krohg, et à Harriet Backer (notre billet du 5 octobre 2024), le musée d’Orsay offre ainsi un éclairage nouveau sur l’art norvégien.
Christian Krohg, à la fois peintre, intellectuel engagé et journaliste, est une figure centrale de la scène norvégienne au tournant du XIXe et du XXe siècle. Dans le sillage du naturalisme scandinave, incarné notamment par le dramaturge Henrik Ibsen, Krohg transpose dans ses œuvres les grands débats de société de son temps. Ses peintures rendent hommage aux plus vulnérables : des pêcheurs luttant contre les éléments jusqu’au peuple misérable des grandes villes et aux prostituées. C’est à ces dernières qu’il consacre son chef-d’œuvre Albertine, mêlant l’art et la littérature de manière inédite.
Cosmopolite, Krohg étudie en Allemagne, vit à plusieurs reprises à Paris, voyage sans cesse et devient l’un des peintres majeurs de la colonie d’artistes de Skagen, au Danemark. Admirateur des réalistes, des impressionnistes et de Manet, il incarne pleinement les tendances picturales de son époque.
Dans l'entrée de l'exposition, son premier autoportrait,1883, huile sur toile, réalisé lors d'un séjour à Skagen, au Danemark.
De la même année, Lendemain de fête, autoportrait, huile sur toile marouflée sur bois.
Enfin, Christian Krogh à son chevalet, entre 1885 et 1890, par sa femme Oda Krogh (1860-1935), elle aussi artiste-peintre, élève de Christian.
Tout est une question de cadrage
Pour Krohg, l’art doit toucher le spectateur et susciter son empathie, par le fond comme par la forme. Après des études en Allemagne, son séjour français – à Paris et à Grez-sur-Loing (Seine-et-Marne) – l’engage plus loin dans cette voie. À Gustave Courbet, il emprunte l’inspiration sociale ; à Edouard Manet, des procédés picturaux pour impliquer physiquement l’observateur dans le tableau : personnages de dos au premier plan, figures pleinement absorbées dans leur tâche, regards directs vers le spectateur. Mais ce que Krohg retient surtout de Manet et des impressionnistes, tel Gustave Caillebotte, ce sont les cadrages audacieux qui créent l’illusion de fragments de vie pris au hasard. Il ira jusqu’à en faire son slogan : « Tout est une question de cadrage. » Selon lui, l’image ne doit pas être construite en termes de perspective. Assis devant son sujet, il le peint dans une intense proximité. Krohg applique ces principes tout au long de sa carrière, notamment dans ses tableaux de marins qui éludent le paysage au profit de plans rapprochés sur l’action.
Un Adieu, 1876, huile sur toile
Rue de village à Grez, 1882, huile sur toile
Portrait du peintre suédois Karl Nordström, 1882, huile sur toile
Jeune fille nouant sa jarretière, 1914, huile sur toile
Un Homme à la mer, 1906, huile sur toile
Le Projet est étudié, 1910, huile sur toile
La Barre sous le vent !, 1882, huile sur toile
Vers le ciel, sans date, huile sur toile
Le Haut-Font, vers 1897, huile sur toile
Attention devant ! Le port de Bergen, 1884, huile sur toile
Vent du Nord, 1887, huile sur toile
Babord !, 1879, huile sur toile
La Bohème de Kristiania
De retour en Norvège en 1882, Krohg devient l’un des chefs de file de la « Bohème de Kristiania ». Ce petit cercle d’artistes, intellectuels et étudiants – parmi lesquels les peintres Edvard Munch et Oda Krohg (née Lasson), ou l’écrivain Hans Jæger – bouscule la capitale norvégienne par son mode de vie non conformiste et ses idées radicales.
Les grands modèles de la Bohème sont le critique danois Georg Brandes (1842-1927), dont Krohg dira qu’il fut l’un des « rares repères de sa vie », et le dramaturge norvégien Henrik Ibsen (1828-1906). Tous deux ont provoqué de nombreux débats de société, de portée parfois européenne, que ce soit sur la pauvreté urbaine, sur la prostitution, sur les droits des femmes ou encore sur la religion.
Krohg, aussi bien en tant que peintre qu’en tant qu’écrivain et journaliste, s’inscrit dans ce mouvement connu sous le nom de « percée moderne » ou de naturalisme scandinave. Son ambition est de produire un art qui puisse jouer un rôle dans le progrès social, et de donner une image réaliste de son temps, notamment à travers ses nombreux portraits des personnalités de la vie culturelle scandinave.
Au restaurant Kisten, vers 1888, huile sur carton
La Terrasse du café Engebrets, vers 1895, crayon sur papier
(Johannes Brun, Hans Jæger et Hjalmar Hammer)
La Terrasse du café Engebrets, vers 1895, crayon sur papier
(Christian Krohg, Karl Edvard Diriks, Frits Thaulow, Ludvig Skramstad)
Les Bohémiens (Dans mon atelier), 1885, huile sur toile
Krohg, en dévoilant ici son atelier, immortalise quelques-uns de ses élèves, sur lesquels il exerça une influence profonde. A gauche, Edvard Munch, encore inconnu, allume une cigarette qui éclaire subtilement son visage. L'actrice Constance Bruun, souriante, regarde Kalle Løchen, peintre et acteur, qui se tient debout. Oda Engelhart, élève et maîtresse de Krohg, nous tourne le dos.
Portrait de Georg Brandes, 1879, huile sur toile
Portrait du rédacteur en chef Ola Thommessen, 1884, huile sur toile
Portrait d'August Strindberg, 1893, huile sur toile
et, par Sven Jørgensen (1861-1940) : Portrait de Hans Jæger, 1888, huile sur toile
Portrait du peintre Gerhard Munthe, 1885, huile sur toile
Portrait de Constance Bruun, 1885, huile sur toile
Portrait de Gerhard Gran, 1884, huile sur toile
Portrait du peintre Frits Thaulow, 1881, huile sur toile
Portrait de la peintre Oda Krohg, 1888 huile sur toile
Ce tableau, réalisé à l'été 1888 sur le domaine de vacances de la famille Lasson dans le fjord d'Oslo, a été peint quelques mois avant le mariage d'Oda Lasson et Christian Krohg.
Soirée à Løkken, 1889, huile sur toile
Oda Lasson, épouse de Krohg, vient d'une famille influente : son père, Christian, est procureur général et parmi les dix enfants Lasson plusieurs ont marqué la vie culturelle norvégienne. Cette toile de 1889 donne à voir une réunion de la famille, après la réconciliation de Krohg et de son beau-père, qui l'accepte enfin comme gendre. Mariés et parents de deux enfants, Oda et Krohg semblent prêts à adopter une vie plus conventionnelle.
Portrait d'Alexandra Thaulow, 1892, huile sur toile
Portrait d'Oda Krohg, vers 1885, huile sur bois (palette)
Un art social
Dans ses écrits et conférences, Krohg explique que l’art doit jouer un rôle social, s’adresser à un large public tout en abordant des sujets sociaux. Ses œuvres relevant directement de l’art social sont peu nombreuses, mais elles ont eu un impact considérable sur la société norvégienne. Cela tient en partie au double scandale suscité par Albertine, le tableau et le roman, interdit et confisqué par la police dès le lendemain de sa publication.
Loin de toute idéalisation, ces peintures sociales sont dominées par un sévère pessimisme typique du naturalisme littéraire. Krohg explore la façon dont l’extrême précarité engendre la prostitution, l’alcoolisme, la maladie ou la mort, réduisant certaines vies à une « lutte pour l’existence », selon la formule de Charles Darwin. C’est d’ailleurs le titre du dernier grand tableau naturaliste de Krohg, La Lutte pour l’existence, poignant constat d’une société incapable de venir en aide à ses membres les plus vulnérables.
Albertine dans la salle d'attente du médecin de police, 1885-1887, huile sur toile
Albertine, 1884, huile sur toile
L'Avertissement, 1886, huile sur toile
Jossa, 1886, huile sur toile
Krohg réalise ici le portrait d'une prostituée du quartier pauvre de Kristiania (actuelle Oslo), dont la chevelure noir charbon et le teint clair créent un contraste saisissant. La jeune femme, surnommée Svart-Anna (Anna la brune) a posé pour son grand tableau Albertine. Elle y apparaît à l'arrière-plan vêtue d'une robe rouge et d'un manteau jaune, avec une expression pensive et sérieuse. Le titre du portrait, Jossa, se réfère au nom fictionnel de l'amie d'Albertine dans le roman.
La Lutte pour l'existence, 1889, huile sur toile
Sur l'avenue Karl-Johan à Kristiania, au cœur de l'hiver, des femmes et enfants affamés tendent leurs mains gelées pour attraper du pain rassis offert par un boulanger. Serrés les uns contre les autres dans le froid, ils occupent la partie gauche du tableau, créant un déséquilibre avec la rue presque déserte, traversée par un policier indifférent à la scène. Inspirée par la formule de Darwin, « Struggle for existence » (la lutte pour l'existence), cette grande composition naturaliste dénonce l'échec de la société à protéger ses membres les plus vulnérables.
Jeune fille malade, 1881, huile sur toile
La sobriété de la scène place l'événement hors du temps tandis qu'une rose fanée suggère la fin inéluctable. Avec une grande intensité psychologique, Krohg évoque certainement dans cette toile le souvenir de la perte de sa sœur Nana en 1868.
Socialistes, 1888, huile sur toile
Madeleine, 1883, huile sur toile
Dans un cadrage resserré, Krohg représente une jeune femme en chemise de nuit, assise sur un lit en fer dans un décor dépouillé. Inclinée en avant, la tête reposant sur sa main gauche, elle se cache les yeux, peut-être parce qu'ils sont remplis de larmes, ou pour ne pas se voir dans le petit miroir qu'elle tient. Cette scène semble suggérer que le personnage a honte d'elle-même. La palette de gris et de verts renforce l'atmosphère de désespoir. L'œuvre a été admirée lors de l'Exposition nordique de Copenhague en 1883.
Garçon de courses buvant du café, 1885, huile sur toile
Aube, 1880, huile sur toile
La Couturière, 1881, huile sur toile
Fatiguée, 1885, huile sur toile
La série de tableaux de couturières, réalisés entre 1879 et 1885, sont des préludes à l'œuvre majeure de Krohg, Albertine. Dans le roman, la jeune fille n'exerce pas ce métier par hasard : on considérait alors, statistiques à l'appui, que la situation très précaire des couturières constituait une première étape vers la prostitution.
La dernière section de cette rétrospective s'intitule : Peindre la famille
Quand Krohg découvre Skagen, au nord du Danemark, en 1879, ce sont les habitants qui le captivent, plus encore que la nature unique et la lumière. Les Gaihede, une famille de pêcheurs qui vivent à trois générations sous le même toit, deviennent le sujet principal de ses œuvres. Krogh les peint peu au travail. Il préfère les représenter chez eux, prenant soin les uns des autres, unis dans des relations de tendresse.
Lorsqu’Oda Lasson et Christian Krohg fondent leur propre foyer à la fin des années 1880, leur peinture s’en ressent directement. Oda représente Krohg en père aimant, antithèse de la figure autoritaire et despotique que combat la Bohème. Krohg peint Oda en mère attentionnée dans des moments de grande intimité – allaitement, lecture du soir – aux antipodes de sa réputation sulfureuse.
Toutes ces scènes de famille s’inscrivent dans la continuité des grandes compositions sociales de Krohg : une peinture de la sollicitude, promouvant l’idéal d’une société capable de s’occuper de ses membres les plus vulnérables.
Femme coupant du pain, 1879, huile sur toile
Niels Gaihede et le petit Sophus, 1883, huile sur toile
Un homme endormi, 1882, huile sur toile
Intérieur d'une cabane de pêcheur à Skagen, 1883, huile sur toile
La Mère endormie, 1883, huile sur toile
Lors de son séjour à Skagen en 1883, Krohg peint avec subtilité l'épuisement d'une mère, Tine Gaihede, qui s'est endormie avec son tricot sur les genoux alors qu'elle berçait son enfant. Certains détails comme le bol de bouillie oublié, autour duquel tournent les mouches, et le cadrage resserré renforcent l'impression d'un instant pris sur le vif.
La Mère au chevet de son enfant, 1884, huile sur toile
Tine Gaihede, assise de dos dans une robe bleu foncé, veille tendrement un enfant endormi ou malade, probablement sa fille Maren Sofie, âgée de trois ans. La sobriété du décor et de la palette - dominée par le gris, le bleu et le blanc - renforce l'atmosphère d'intimité.
Le Tressage des cheveux, 1888, huile sur toile
Après La Mère endormie et La Mère au chevet de son enfant, Krohg poursuit le thème de la maternité. Tine Gaihede, assise de dos, s'occupe de sa fille Maren Sofie, âgée d'environ sept ans. L'atmosphère calme et intime évoque la peinture hollandaise prisée des artistes de Skagen ou encore les œuvres de Jean-François Millet, comme La Leçon de tricot.
Enfant endormi, Maren Sophie Gaihede, Skagen, avant 1883, huile sur toile
Deux tableaux par Oda Krohg dans cette section :
Pauvre petite!, 1891, huile sur toile
Oda Krohg s'est elle aussi intéressée aux motifs familiaux. Elle représente son époux Christian réconfortant avec douceur leur fille Nana, alors âgée de quatre ans. Le tableau révèle une relation paternelle attentionnée et bienveillante. Ce geste contraste avec la figure du père autoritaire que Krohg et son cercle d'amis combattent. Homme moderne, Christian Krohg incarne, aux côtés d'Oda, une vision nouvelle de la famille, où parents et enfants sont unis par des liens de tendresse et de confiance.
Une abonnée de l'Aftenposten, 1887, huile sur toile
Revenons à Christian Krohg :
Nana, 1893, huile sur toile
Per assis sur le canapé, 1890, huile sur toile
Dans le bain, 1889, huile sur toile
À l'été 1889, Oda et Christian Krohg séjournent à Åsgårdstrand, au sud d'Oslo, où naît leur fils Per, modèle probable de cette scène intime. La nourrice lave le nouveau-né, tandis que d'autres figures assistent à la scène et l'entourent avec bienveillance : sa mère Oda, avec la robe bleue, qui tient le savon, et ses demi-frères et sœurs Fredrik et Alexandra. A droite, Lyder Bruun, le parrain de l'enfant, introduit une présence masculine dans un rituel familial traditionnellement féminin.
Et pour terminer :
À l'est du soleil et à l'ouest de la lune, avant 1887, huile sur toile
Krohg donne ici encore une vision douce et apaisée de la vie familiale. Oda captive ses enfants en leur lisant une histoire avant leur coucher. La lueur d'une lampe renforce l'intimité de la scène en créant un effet de clair-obscur, Le tableau tire son titre d'un célèbre conte norvégien dans lequel une jeune fille, ayant rompu une promesse faite à un ours blanc ensorcelé, entreprend un long voyage semé d'épreuves pour le retrouver et le délivrer de son sort.
Le Matin, 1889, huile sur toile
Dans Le Matin, Krohg s'inspire de sa vie familiale pour représenter sa femme Oda et leur fils Per, allongés dans un lit élégant. Réalisée peu après la naissance de l'enfant, la scène respire le calme et le confort: la lumière douce, le bouquet et le linge soigneusement disposé tranchent avec l'austérité des intérieurs de Skagen. Exposée à Kristiania (actuelle Oslo) à l'automne 1889, la toile est jugée trop intime par certains. Elle choque d'autant plus que le modèle, Oda, était aisément reconnaissable.
L'art est dans la rue (I/II)
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Exposition haute en couleurs au musée d'Orsay ce printemps : dans une scénographie particulièrement soignée, elle met en scène le développement spectaculaire des affiches au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.
La propagande imprimée avait connu un essor considérable pendant la Révolution française. Mais à partir du milieu du XIXe siècle, la ville – notamment Paris où l’affichage prend une importance particulière – est le lieu d’une dissémination d’un nouveau type d’affiche, illustrée et en couleurs. C’est cette rupture que l’exposition se propose de donner à voir.
Organisée en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, elle réunit des réalisations marquantes des maîtres de l’affiche : Bonnard, Chéret, Grasset, Mucha, Steinlen, Toulouse-Lautrec… Conçu comme une plongée dans l’univers visuel de la ville du XIXe siècle, le parcours retrace l’âge d’or de l’affiche artistique en analysant les mutations sociales et culturelles qui ont favorisé son développement, avec un ensemble unique d’affiches, peintures, photographies, costumes, sculptures et objets d’art décoratif qui évoquent l’univers de la rue au tournant du siècle.
L'affiche transforme la ville
Dans l'entrée, une grande affiche de Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923) La Rue, 1896, lithographie en couleurs, Imprimerie Charles Verneau (Paris)
Proche des milieux libertaires, Steinlen est un observateur incisif de la rue, titre de cette publicité dessinée pour l'imprimeur Charles Verneau. Visant à capter le regard des passants, l'affiche agit comme un miroir de la rue parisienne où se mêlent blanchisseuses, bourgeois, ouvriers, bonnes et enfants. L'absence de cadre et la monumentalité de la composition entraînent le regardeur dans cette mise en abyme saisissante, qui fut commentée comme « la plus extraordinaire estampe murale de ce temps » par l'écrivain Octave Uzanne dans Le Monde moderne en 1899.
Un tableau de Louis-Robert Carrier-Belleuse (1848-1913) : L'Étameur, 1882, huile sur toile, rend compte du caractère polychrome et éphémère du décor créé par l'accumulation des affiches.
Illustrateur anonyme, imprimerie Rouchon (Paris) : À l'Eil, 1864, gravure sur bois en couleurs
Anonyme, imprimerie Rouchon (Paris) : Au Bon Diable, 1859, gravure sur bois en couleurs
En 1844, Jean-Alexis Rouchon fait enregistrer un brevet d'invention pour l'impression d'affiches en couleurs, dérivée de procédés de fabrication du papier peint. De manière inédite, leur polychromie éclatante s'étale sur les pignons parisiens, où elles sont parfois peintes, suivant une pratique qui présente le double avantage d'être résistante aux intempéries et plus économique.
Giuseppe De Nittis (1846-1884) : La Place des Pyramides, 1875, huile sur toile
Union photographique française (1893-1920) : 93 rue d'Angoulême, Paris, novembre 1905, épreuve sur papier au citrate
Édouard Vuillard (1868-1940) : Le Métro, la station Villiers, 1916, peinture à la colle rehaussée au pastel sur papier marouflé sur toile
Le Métropolitain, dont la première ligne est inaugurée en 1900, contribue à doper l'affichage parisien qui s'y trouve protégé des intempéries. Doté dès l'origine d'emplacements réservés aux affiches et éclairés, ce lieu parcouru par un flux continu de passagers devient rapidement l'un des supports publicitaires privilégiés dans la capitale.
Félix Vallotton (1865-1925) : Les Rassemblements. Physiologies de la rue, 1896, éditions de la Revue blanche, Paris
Jules Chéret (1836-1932) :
Élysée Montmartre, 1890, lithographie en couleurs
Saxoléine, 1893, lithographie en couleurs
Imprimerie Chaix (Paris)
Les innovations graphiques apportées par Chéret à l'affiche s'accompagnent d'une production en masse, qui entraîne un véritable changement d'échelle quant à la présence de l'affiche polychrome dans la ville. Ses œuvres, dont les couleurs sont de plus en plus éclatantes, fascinent de nombreux critiques, qui le considèrent comme le père de « la polychromie murale contemporaine » (Octave Uzanne, La nouvelle Bibliopolis, 1897).
Étienne Moreau-Nélaton (1859-1927) : Bec Auer, 1895, lithographie en couleurs, Imprimerie Charles Verneau (Paris)
André Devambez (1867-1944), La Charge, vers 1902, huile sur toile
C'est la rue haussmannisée - le boulevard Montmartre - que l'artiste a choisi pour cadre de cette scène nocturne d'émeutes. L'alignement des kiosques à journaux lumineux y crée une puissante perspective, renforcée par le point de vue plongeant. Cette toile constitue un témoignage pictural rare, à cette date, de l'emprise de la publicité lumineuse dans la ville moderne.
Anonyme : Absinthe chinoise, 1862, gravure sur bois en couleurs, Imprimerie Rouchon (Paris)
Philippe-Ernest Kalas (1861-1928) : Exposition d'Affiches artistiques, 1896, lithographie en couleurs, Imprimerie Matot-Braine (Reims)
Jules Chéret : Bonnard-Bidault. Affichage et Distribution d'Imprimés, 1887, lithographie en couleurs, Imprimerie Chaix (Paris)
Célestin Nanteuil (1813-1873) : Robert Macaire, 1896, lithographie en noir, Imprimerie d'Aubert & Cie (Paris)
Albert d'Arnoux, dit Bertall (1820-1882) : Petites misères de la vie conjugale par H. de Balzac, 1845, lithographie en noir, Imprimerie Bertauts (Paris)
D'après Albert d'Arnoux, dit Bertall : Petites misères de la vie conjugale par H. de Balzac, 1845, gravure sur bois en couleurs, imprimerie Rouchon (Paris)
Édouard Manet (1832-1883) : Champfleury, les chats, 1868, lithographie en noir et impression typographique, Imprimerie lithographique du Sénat Barousse et Imprimerie typographique Gaittet .
Cette affiche pour l'ouvrage de Champfleury est composée d'une grande feuille colorée portant la lettre, sur laquelle a été collée une lithographie en noir sur fond blanc due au peintre Manet. Il s'agit d'un dispositif courant avant le développement de l'affiche illustrée polychrome, imprimée en grand format et en plusieurs couleurs. L'image conçue par Manet pour le livre est ici réutilisée pour en faire la promotion, Elle a également inspiré Chéret qui la cite dans son affiche pour le spectacle Duo des Chats au café de l'Horloge en 1876.
Jules Chéret :
Orphée aux enfers, tirage de 1860, lithographie en couleurs, Imprimerie Lemercier (Paris)
Olympia. Anciennes Montagnes Russes, 1892, lithographie en couleurs, Imprimerie Chaix (Paris)
Valentino, Grand Bal de Nuit, 1869, lithographie en couleurs, Imprimerie Jules Chéret, Paris
Folies-Bergère. Les Almées, 1874, lithographie en couleurs, Imprimerie Chaix (Paris)
Les affiches face à la censure
Jules Chéret :
Alcazar d'Été Les Rigolboches [version interdite], 1876
Alcazar d'Été Les Rigolboches [version autorisée], 1876
lithographies en couleurs, Imprimerie Jules Chéret (Paris)
Alfred Choubrac (1853-1902) :
Grand choix de feuilles de vigne [...] pour affiches illustrées, vers 1892
Cette partie du dessin a été interdite, 1891
Lithographies en couleurs, Imprimerie François Appel (Paris)
Henri-Gustave Jossot (1866-1951) : Le plus grand format tiré jusqu'à ce jour en un seul morceau, 1897, lithographie en couleurs, Imprimerie Camis (Paris)
Le style en aplats colorés de Jossot se prête ici au message simple et spectaculaire de l'imprimeur Camis : grâce à ses machines innovantes, il peut imprimer de très grands formats en couleurs. Jossot montre un lithographe au travail, traçant sur la pierre les lettres d'une affiche.
Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) : Ambassadeurs. Aristide Bruant, 1892, lithographie en couleurs, Imprimerie Edward Ancourt (Paris)
- Épreuve d'essai, pierre de jaune
- Épreuve d'essai, pierres de jaune, rouge et vert olive
- Épreuve d'essai, pierres de jaune, rouge, vert olive et noir
- Épreuve du tirage définitif
La technique de la lithographie en couleurs est fondée sur la décomposition de l'image couleur par couleur ; à chaque couleur correspond en général une pierre et un passage sous la presse. La juxtaposition progressive des couches colorées crée l'image. Le processus offre une variété d'effets, appréciée des artistes : combinaison de couleurs, texture en aplat ou en mouchetis.
Au centre de la dernière salle de cette première section consacrée aux débuts de l'affiche illustrée, cette presse lithographique manuelle de Jules-Albert Voirin (1863-1943), vers 1890, acier, bois, bronze, fonte, textile
Cette presse lithographique connut rapidement un grand succès. Reconnaissable à son moulinet en forme d'étoile à longues branches, ce type de presse à bras est surnommée « bête à cornes » par les imprimeurs qui l'utilisent pour le tirage d'essais ou de petites séries. Les imprimeries industrielles étaient équipées de presses mécaniques actionnées par une machinerie à vapeur. Ces presses permettaient aussi l'automatisation du mouillage de la pierre, de l'encrage et de l'entraînement du papier.
L’affiche stimule la consommation
La publicité, la vente par correspondance et les grands magasins comptent parmi les innovations commerciales qui favorisent l’essor de la consommation au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Le succès des « cathédrales du commerce moderne », comme les désigne Émile Zola dans Au Bonheur des dames (1883), repose sur un principe essentiel : vendre en grande quantité et rapidement. Devenue un moyen de communication de masse, l’affiche illustrée en couleurs s’impose rapidement comme l’une des armes au service de ces nouvelles stratégies commerciales. Séduits par ses qualités esthétiques, certains annonceurs se tournent vers les affichistes les plus réputés, comme Jules Chéret, Henri de Toulouse-Lautrec ou encore Alphonse Mucha. Le média devient un champ d’expérimentations fécond, qui privilégie progressivement l’efficacité commerciale. Au début du XXe siècle, cette évolution est incarnée par Leonetto Cappiello dont le graphisme épuré et percutant est entièrement mis au service du message publicitaire.
Les "cathédrales du commerce"
Anonyme : Au Paradis des Dames, 1856
Anonyme : Aux enfants d'Édouard, 1858
Gravures sur bois en couleurs, Imprimerie Rouchon (Paris)
Anonyme : Maison de la Belle Jardinière, 1849, gravure sur bois en couleurs, Imprimerie Rouchon (Paris)
Fernand Fernel (1865-1933) : Belle Jardinière, vers 1895, lithographie en couleurs, Imprimerie Devambez (Paris)
Frédéric Sorrieu (1807-1887) : Maison de la Belle Jardinière, nouveau magasin, vue perspective depuis le Pont-Neuf, après 1878, lithographie en couleurs
Belle Jardinière, fabricant :
Tenue de livrée, vers 1880-1890, drap de laine et métal
Costume de premier communiant, vers 1910-1920, drap de laine, satinette, toile de coton
Extraits de catalogues, de calendriers...
La publicité pour tout et pour tous :
Henri-Gustave Jossot : Arsène Saupiquet. Sardines Jockey-Club, 1897, lithographie en couleurs, Imprimerie Camis (Paris)
Pour promouvoir leur boîte de sardines « Jockey-Club », les établissements Arsène Saupiquet font un choix audacieux. Le caricaturiste Jossot met en scène cinq célébrités attablées, très reconnaissables par les contemporains. De gauche à droite, ces personnalités très diverses font l'actualité en 1897 : l'homme politique Philippe Grenier, désigné « député des musulmans » de France » par Jean Jaurès, la chanteuse de café-concert Yvette Guilbert, l'anti-dreyfusard Henri Rochefort, la comédienne Sarah Bernhardt et le chansonnier Aristide Bruant.
Théophile Alexandre Steinlen : Lait pur de la Vingeanne stérilisé, 1894, lithographie en couleurs, Imprimerie Charles Verneau (Paris)
Firmin Bouisset (1859-1925) : Chocolat Menier, 1893, lithographie en couleurs, Imprimerie Camis (Paris)
Leonetto Cappiello (1875-1942) :
Chocolat Klaus, 1903, lithographie en couleurs, Imprimerie P. Vercasson & Cie (Paris)
Maquette de l'affiche Chocolat Klaus, 1903, pastel et encre de Chine sur papier
Leonetto Cappiello compose une affiche d'une grande efficacité, sans illustrer littéralement les produits vantés. Cherchant à créer des affiches « simples et faciles à retenir », Cappiello imagine une figure de cavalière dans des couleurs vives et contrastées. La force visuelle de l'affiche contribue à la renommée de la marque, dont le cheval rouge devient l'emblème.
Firmin Bouisset : Lu. Biscuits Lefèvre-Utile, après 1897, lithographie en couleurs, Imprimerie Camis (Paris)
Objets publicitaires pour l'entreprise Louis Lefèvre-Utile, 1858-1940
Vincent Bocchino (1863-1935) : Les Enfants à la vitrine, vers 1904, gouache et encre sur carton.
Jules Chéret : Job, 1895, Lithographie en couleurs, Imprimerie Chaix (Paris)
Alphonse Mucha (1860-1939) : Job, 1896, lithographie en couleurs, Imprimerie Ferdinand Champenois (Paris)
Jane Atché (1872-1937) : Job, vers 1896, lithographie en couleurs, Imprimerie Cassan & fils (Toulouse)
La marque JOB mise sur des artistes réputés pour la promotion de son papier à cigarettes. Après Chéret et Mucha, la jeune illustratrice Jane Atché se voit confier la conception d'une affiche. Celle-ci donne à voir une image de fumeuse très éloignée des figures féminines aguicheuses fréquemment convoquées pour attirer le regard masculin. Alors que la fumeuse s'expose encore à la réprobation sociale, l'artiste en propose ici une vision apaisée et, finalement, banalisée.
José Belon (1861-1927) : St Raphaël Quinquina, vers 1895, lithographie en couleurs, Imprimerie Camis (Paris)
Eugène Ogé (1861-1936) : Quinquina Dubonnet, 1897, lithographie en couleurs, Imprimerie Charles Verneau (Paris)
Cette affiche fait la promotion du célèbre quinquina Dubonnet, un vin apéritif aromatisé à la quinine couramment consommé à la fin du siècle. Le bandeau inférieur, sur lequel le nom du produit se détache ostensiblement, est surmonté d'une frise de personnages représentant « l'échelle des âges buvant et dégustant le breuvage reconstituant » (L'Estampe et l'Affiche, 15 janvier 1898). Reposant sur les supposées vertus fortifiantes du spiritueux, l'affiche encourage sa consommation à tous les âges.
Jules Chéret : Vin Mariani, 1894, lithographie en couleurs, Imprimerie Chaix (Paris)
Henri-Gustave Jossot : Guignolet. Cointreau, 1898, lithographie en couleurs, Imprimerie Camis (Paris)
Albert Guillaume (1873-1942) : Armour & Co, extrait de viande, 1891, lithographie en couleurs, Imprimerie Camis (Paris)
Adolphe Léon Willette (1857-1926) : Fer Bravais contre l'anémie, 1897, lithographie en couleurs, Imprimerie Delanchy & Cie (Paris)
Wilfred Monod (1867-1943) : L'Absinthe c'est la mort, 1902, lithographie en couleurs, Imprimerie L'Impression en couleurs (Paris)
Face à la prolifération de placards publicitaires célébrant apéritifs et toniques en tous genres apparaissent les premières affiches de prévention alertant sur les dangers de l'alcool. Conscientes du pouvoir de persuasion des images, des ligues contre l'alcoolisme s'emparent également de ce nouveau média pour diffuser leur message. Conçue par le pasteur Wilfred Monod, cette affiche d'une brutale efficacité met en garde contre les dangers de l'absinthe, dont les ravages sont de mieux en mieux connus.
Jean-Louis Forain (1852-1931) : Deuxième Salon du Cycle, 1894, lithographie en couleurs, Imprimerie H. Hérold (Paris)
Henri de Toulouse-Lautrec : La Chaîne Simpson, 1896, lithographie en couleurs, Imprimerie Chaix (Paris)
Eugène Grasset (1845-1917) : Cycles et automobiles, 1899, lithographie en couleurs, Imprimerie de Vaugirard, G. de Malherbe & Cie (Paris)
Henri Gray (1858-1924) : Pétrole Stella, 1897, lithographie en couleurs, Imprimerie Courmont (Paris)
Alphonse Mucha : Cycles Perfecta, 1902, lithographie en couleurs, Imprimerie Ferdinand Champenois (Paris)
Leonetto Cappielo : Automobiles Brasier, 1907, lithographie en couleurs, Imprimerie P. Vercasson & Cie (Paris)
Anonyme : Imprimerie Camis. Revue de ses principales créations artistiques, 1898, lithographie en couleurs, Imprimerie Camis (Paris)
L'imprimerie Camis rassemble dans cette affiche réalisée pour sa propre réclame un grand nombre d'effigies publicitaires sorties de ses presses. Se côtoient ici des célébrités, comme Sarah Bernhardt ou Aristide Bruant, et des personnages fictifs devenus iconiques comme la petite fille Menier, le petit écolier LU, ou le Pierrot de Poulain. En juxtaposant les styles de Firmin Bouisset, d'Albert Guillaume et de Jossot, l'établissement met l'accent sur la variété et le prestige des artistes
Jules Chéret :
Vous les avez vus courir, 1875, lithographie, Imprimerie Jules Chéret (Paris)
Où courent-ils ??, 1889, lithographie en couleurs, Imprimerie Jules Chéret (Paris)
Henri Thiriet (signé Henry) 1873-1946 : Exposition de blanc À la Place Clichy, 1898, lithographie en couleurs, Imprimerie de Vaugirard, G. de Malherbe, directeur (Paris)
Jules Chéret : Aux Buttes Chaumont, 1889, lithographie en couleurs, Imprimerie Chaix (Paris)
Eugène Grasset : À la Place Clichy, vers 1890, lithographie en couleurs, Malherbe & Cellot, imprimeurs-éditeurs (Paris)
Anonyme : Aux Classes laborieuses. Vente à crédit, 1892, lithographie en couleurs, Imprimerie Camis (Paris)
À partir des années 1860, des grands magasins s'installent dans des quartiers populaires, dans le nord-est de Paris. Le succès de ces enseignes, qui s'adressent à une population ouvrière, repose sur une innovation essentielle : un système de crédit à la consommation performant, visant à capter cette clientèle économiquement vulnérable. Les Grands Magasins Dufayel dominent ce secteur. Fondé en 1866, Aux Classes Laborieuses, dont le magasin parisien se situe boulevard de Strasbourg, dans le Xe arrondissement, est l'un de ses principaux concurrents.
Terminons cette première étape, en cette période de vacances scolaires, avec quelques affiches promouvant le tourisme.
Théophile Alexandre Steinlen : Vernet-les-Bains, 1896, lithographie en couleurs, Imprimerie Edward Ancourt (Paris)
Julien Lacaze (1875-1942) : Le Lac Majeur, 1913, lithographie en couleurs, Imprimerie Ferdinand Champenois (Paris)
Frédéric Hugo d'Alési (1849-1906) : Belle-lle-en-Mer, 1897, lithographie en couleurs, Imprimerie F. Hermet (Paris)
Abel Faivre (1867-1945) : Sports d'hiver. Chamonix, 1905, lithographie en couleurs, Imprimerie P. Vercasson & Cie (Paris)
Jules Grün (1868-1938) : Plage de Mesnil-Val, 1901, lithographie en couleurs, Imprimerie Chaix (Paris)
Nous poursuivrons ce riche parcours dans un prochain billet.
Louvre Couture : Objets d'art, objets de mode (II/II)
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Nous achevons dans ce billet la visite de l'exposition Louvre Couture commencée dans notre billet du 29 mars dernier.
Les étapes précédentes avaient parcouru les salles consacrées aux objets d'art de Bizance à la Renaissance, en passant par le Moyen-Age.
Ce billet fera une large part aux 18e et 19e siècles.
Nous nous étions arrêtés avec le numéro 49, dans la salle des armures : le numéro 50 est toujours dans la salle des armures, sans doute le plus emblématique des accords avec les objets présentés :
50. Balenciaga, Demna, 2023-2024
Robe armure, résine galvanisée
51. Fendi, Silvia Venturini Fendi, 2019-2020
Robe en tulle brodée de fleurs en mosaïque, bretelles du bustier en sequins blancs superposés au corsage jusqu'à la taille
52. Mugler, Thierry Mugler, 1995-1996
Body en métal or pavé de motifs diamants, en collaboration avec Jean-Pierre Delcros
53. Vivienne Westwood, Vivienne Westwood, 2012-2013
Corset et jupe en soie brodée de perles de verre
54. Prada, Miuccia Prada, 2011
Robe bustier volantée en coutil de coton fougère et bandes noires
55. Louis Vuitton, Marc Jacobs, 2009-2010
Sac en patchwork et broderies, métal, textile, Lurex, cuir de serpent, cuir de lézard
56. Chanel, Karl Lagenfeld, 2010
Soulier haute couture avec talon sculpté
57. Erdem, Erdem Moralıoğlu, 2024
Robe, toile déconstruite, drapée à la main, chutes de rideaux de chintz de Chatsworth ayant appartenu à feu la duchesse douairière du Devonshire, brodées à la main par Cecily Lasnet, son arrière-petite-fille.
58 . Moschino, Jeremy Scott, 2022-2023
Robe, soie moirée effet « arrosé », corsage appliqué de poignées et serrures en laiton, jupe structurée par une armature de plastique rigide, broderies saari et zardosi incorporant paillettes, perles et tubes de verre dorés.
59. Givenchy, Hubert de Givenchy, 1990-1991
Ensemble pantalon et veste, damas de soie broché, Lurex de la maison Bianchini, broderies de la maison Lesage
60. Schiaparelli, Daniel Roseberry, 2022
Veste-manteau brodée par la maison Lesage, satin double faille rebrodé de fils lamés, tubes, perles dorées et strass Swarovski: pantalon de lainage
61. Christian Dior, John Galliano, 2006-2007
Robe en organza de soie brodé et peint.
62. Yves Saint Laurent, Yves Saint Laurent, 1984-1985
Ensemble du soir, veste en velours de soie de la maison Moreau, broderie de la maison Lesage, pantalon en grain de poudre de Laine de la maison Dormeuil. Prototype Atelier Jean-Pierre.
63. Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière, 2020-2021
Ensemble, veste boléro en taffetas brodé, soie, polyuréthane et coton, robe droite sans manches en cuir d'agneau enduit et polyuréthane
64. Dries Van Noten, Dries Van Noten, 2017
Manteau en coton imprimé, pantalon en coton.
65/66 Thom Browne, Thom Browne, 2020
Ensemble de cricket trompe-l'œil, robe à paniers en seersucker à rayures.
Manteau en tweed de coton rose, veste en seersucker blanc avec appliqués gris-rose, pantalon patchwork, chemise à fronces en oxford blanc.
67. Yves Saint Laurent, Yves Saint Laurent, 1997
Robe de mariée, ottoman de soie façonné de la maison Abraham; chapeau de damas de soie avec broche dorée filigranée et diamants. Prototype Atelier Renée.
68. Chanel, Karl Lagenfeld, 1996-1997
Manteau du soir entièrement brodé par Lesage d'un décor inspiré des paravents en laque de Coromandel.
69. Chanel, Karl Lagenfeld, 2019
Ensemble, veste brodée par Lesage d'un motif décoratif inspiré d'une commode du 18e siècle conservée au musée du Louvre, jupe brodée de plumes d'autruche par Lemarié.
70. Schiaparelli, Daniel Roseberry, 2022
Sac en cuir de veau lisse, cuir d'agneau, laiton doré et résine.
71. Chloé, Karl Lagenfeld, 1972-1973
Veste Papyrus, satin de soie peint-main par Nicole Lefort et broderies de perles, strass et fils métalliques; jupe en crêpe de chine, reproduction contemporaine par l'atelier Chloé.
72. Chloé, Karl Lagenfeld, 1976-1977
Robe « Du Rêve », georgette de soie peinte main par Nicole Lefort.
73. Jacquemus, Simon Porte Jacquemus, 2018
Sac Chiquito, cuir de vache.
74. Balenciaga, Demna, 2021-2022
Ensemble, veste basculée, pantalon en twill technique lourd, chapeau dômé laqué
75. Balenciaga, Cristóbal Balenciaga, 1961-1962 et 1967-1968 :
Toiles en tarlatane amidonnées
76. Maison Margiela, 2014-2015
Ensemble, body en lampas d'époque Louis XV, broché de soie au motif « décor à rivière de fleurs », jupe en mousseline de soie brodée de pièces de monnaie anciennes en argent, laiton et nickel: masque en dentelle.
77. Dolce&Gabbana, Domenico Dolce / Stefano Gabbana, 2016
Sac Dolce Box, contreplaqué de peuplier et pin massif, ornements peints à la main, feuilles d'or appliquées à la main, poignée en laiton.
78. Duro Olowu, Duro Olowu, 2024-2025
Manteau du soir Inez en brocarts de soie, viscose et fils métalliques; pantalon large Makeba en satin de soie imprimé.
79. Loewe, Jonathan Anderson, 2024-2025
Robe trapèze en coton ornée de perles de verre.
80. Chanel, Karl Lagenfeld, 1995-1996
Broche ronde en métal doré entrelacé de cuir, ornée de cabochons de pâte de verre et d'une marqueterie de pierres.
81. Carven, Louise Trotter, 2025
Manteau raglan en satin couture de couleur fauve, col à bords bruts, bords tranchants et boutonnières coupés et soudés par ultrasons.
82. Versace, Donatella Versace, 2002-2003
Minirobe en brocart, dentelle dorée à l'ourlet.
83. Gucci, Alexandro Michele, 2017
Manteau croisé en jacquard floral, pantalon de jogging à carreaux.
84. Rick Owens, Rick Owens, 2020
Robe V fendue en crêpe cocon; manteau péplum Poblana en coton «pelleovo » (peau d'œuf), couronne en métal.
85. Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière, 2018
Ensemble, redingote en brocart de soie, polyester et métal, blouse à col cravate en pongé soie et coton, short en jersey de polyester.
86. Balmain, Olivier Rousteing, 2022
Robe en patchwork de denim, velours, résille et cuir, ornée de tubes métalliques. de broderie au point de bullion doré matelassé, de perles.
87. Christian Louboutin, Christian Louboutin, 2008-2009
Escarpins Marie-Antoinette, satin et broderies de la maison Lesage, cannetille, perles, sequins, rubans de velours et mousseline déchirée.
88. Christian Dior, John Galliano, 2005
Manteau en satin cuir de soie brodé.
89. Christian Louboutin, Christian Louboutin, 1994
Bottes Wedgwood, cuir et cuir verni.
90. Givenchy, Lee Alexander McQueen, 1997
Ensemble, veste courte en lainage et tulle, broderies en cannetille, manchons en satin matelassé avec broderies d'abeilles, pantalon en sergé de laine.
91. Versace, Donatella Versace, 2018
Ensemble, robe en faille de soie et de coton, legging en Lycra, le tout imprimé du motif Classic Baroque.
92. Balenciaga, Demna, 2020
Robe de bal, velours contrecollé.
93. Giambaptista Valli, Giambaptista Valli, 2018-2019
Robe, 600 mètres de tulle polyester plissé « soleil », drapé sur une base bustier et froncé de volants « millefeuille ».
94. Jean-Paul Gaultier, Jean-Paul Gaultier, 2008-2009
Fourreau en mousseline et paillettes amazone revoilées de fine dentelle, porté sous une robe longue à buste-cage « mannequin d'osier » en satin de soie canari et merle prolongé en volutes-serpentins.
95. Christian Dior, John Galliano, 2004-2005
Robe en moire brodée et velours façonné.
96. Chanel, Karl Lagenfeld, 1997-1998
Ensemble Île enchantée en satin de soie rouge brodé par Lesage à partir d'un motif de rideaux d'opéra.
97. Jacquemus, Simon Porte Jacquemus, 2023-2024
Robe, broderie de fleur métallisée et ornée de cristaux, sur une base de tissu technique.
98. Iris van Herpen, Iris van Herpen, 2018-2019
Robe Syntopia, organza de soie, crêpe découpé au laser, Mylar, acier inoxydable.
Et pour finir,
99. Yohji Yamamoto, Yohji Yamamoto, 2015-2016
Robe à crinoline, en feutre de laine et taffetas de nylon avec armature en métal.
Tous Léger ! au Musée du Luxembourg
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Exposition haute en couleur et très divertissante au Musée du Luxembourg ce printemps, qui fait dialoguer les œuvres de Fernand Léger (1881-1955), pionnier de l’art moderne avec plus d’une trentaine d’œuvres d’artistes issus des avant-gardes européennes et américaines des années 1960 à nos jours. Elle met en avant le lien historique et artistique fort existant entre l’œuvre de Fernand Léger et la génération qui lui a immédiatement succédé : celle des Nouveaux Réalistes. Lancé en 1960 par le critique d’art Pierre Restany, le mouvement des Nouveaux Réalistes réunit des artistes tels que Arman (1928-2005), César (1921-1998), Raymond Hains (1926-2005), Yves Klein (1928-1962), Martial Raysse (1936), Daniel Spoerri (1930-2024), Niki de Saint Phalle (1930-2002). Ces artistes s’emparent des objets du quotidien de la société de consommation et de l’esthétique de la rue. Leur démarche ne vise pas la représentation du réel mais son appropriation poétique. D’autres périodes, d’autres mouvements, y compris à l’échelle internationale, comme le Pop Art américain avec Robert Indiana, Roy Lichtenstein, May Wilson, mais aussi des artistes qui émergent dans les années 1970 et 1980 comme Gilbert & George à Londres et Keith Haring à New York sont également présentés en interaction avec l’œuvre de Fernand Léger.
1. Les cinq éléments
« Faisons entrer la couleur, nécessité vitale comme l’eau et le feu, dosons-la
savamment. » Fernand Léger (1924)
FL : Composition aux deux oiseaux sur fond jaune, vers 1955, huile sur toile
Arman (1928-2005) : The Birds 11, novembre 1981, pinces autobloquantes métalliques
L'année 1981 marque une nouvelle étape dans la série des « Accumulations » (1959-2005). Les « Wall Relief » (1981-1984) sont de grandes compositions murales d'outils mécaniques mettant en évidence l'efficacité plastique de l'objet industriel produit en masse. Ici, la puissance évocatrice des pinces métalliques se mue en une nuée d'oiseaux, associant l'outil inerte au vivant, l'artificiel au naturel. Cette fascination pour la mécanique est très présente chez Fernand Léger, qui traite de la même manière « un nuage, une machine, un arbre ».
FL : La Danseuse bleue, 1930, huile sur toile
Yves Klein (1928-1962) : Vénus bleue (La Vénus d'Alexandrie) (S 41), vers 1962, pigment pur et résine synthétique sur plâtre
Dans sa quête d'absolu, Yves Klein s'empare d'un chef-d'œuvre de l'Humanité, la Vénus d'Alexandrie conservée au musée du Louvre à Paris en l'imprégnant de son bleu IKB. La couleur pure, appliquée sur un moulage de l'œuvre antique, aboutit à une expérience esthétique unissant de façon organique, la peinture au corps. Avec sa Danseuse bleue, Fernand Léger se montre peu intéressé par les formes archétypales de la femme qu'il estompe et déforme. Mais il partage avec Klein la volonté de poser un bleu outremer sur une figure féminine pour en souligner la beauté et la pureté des formes.
FL : La Baigneuse, 1932, huile sur toile
Alain Jacquet (1939-2008) : La Source (Ingres), 1965/2004, sérigraphie marouflée sur toile
Dans la mouvance du Pop Art, Alain Jacquet détourne dès 1964 les icônes de l'histoire de l'art en les juxtaposant avec des images populaires. Avec un traitement tramé emprunté aux modes de reproduction industriels, il réalise une allégorie moderne de La Source (1820-1856) d'Ingres. Coiffée d'un casque, une pin-up se tient dans une cabine de douche, un jerricane sur l'épaule en lieu et place de l'amphore initiale. Trente ans plus tôt, Fernand Léger évoque, dans La Baigneuse, le mouvement du bras du nu d'Ingres. Ici, le corps déstructuré répond aux formes humanisées d'un tronc d'arbre. Une draperie bleue les sépare et se fond avec la chevelure féminine qui évoque les remous d'une cascade. Léger et Jacquet mêlent les motifs naturels, humains et manufacturés.
Yves Klein : Sculpture sans titre (S11), 1960, pigment pur et résine synthétique sur bois [Édition posthume sur bronze en 2002]
FL : La Forêt, 1942, huile sur toile
Exilé à New York depuis 1940, Fernand Léger passe l'été 1942 dans le New Hampshire, qui lui inspire cette toile annonçant les « Paysages américains » (1942-1945).
FL : Dessins préparatoires pour la décoration de l'usine de Gaz de France à Alfortville, vers 1955, gouache sur papier
Peu avant sa mort, Fernand Léger reçoit une commande pour la décoration de la nouvelle usine de Gaz de France. Afin d'incarner cette industrie en pleine modernisation, il choisit le feu, peu représenté dans son œuvre, mais souvent célébré comme élément vital dans ses écrits. Par ses couleurs pures et vives, ce projet de décor rayonnant vise à rendre l'usine accueillante chaque matin aux employés. Léger donne ainsi à la couleur une fonction à la fois utilitaire et psychologique.
Yves Klein : Peinture de feu sans titre (F71), 1962, carton brûlé sur panneau
Dans sa quête de transmettre l'énergie et la sensibilité du monde cosmique, Yves Klein travaille dès 1957 avec le feu. La flamme d'un brûleur donne naissance à des empreintes sur papier ou à des sculptures.
FL : Troncs d'arbre, 1928, huile sur toile
Christo et Jeanne-Claude : Three Wrapped Trees, 1968, tissu, polyéthylène, corde, carton, bois et peinture acrylique
L'empaquetage protège autant qu'il révèle ce qui est caché. En 1966, le couple envisage d'envelopper des arbres en hiver. Refusé dans plusieurs parcs américains, puis pour l'avenue des Champs-Élysées à Paris, le projet ne se concrétise qu'en 1998 en Suisse.
2. La vie des objets
« L’objet [...] devait devenir personnage principal et détrôner le sujet. » Fernand Léger (1945)
Arman : Colère (meuble de style Henri-II), 1961, assemblage de morceaux de meuble
Dès 1961, Arman s'engage dans un corps-à-corps avec des objets domestiques ou des instruments de musique, symboles de la bourgeoisie, qu'il casse avec violence avant de les disposer sur un panneau de bois. Ces « Colères » expriment une critique en acte de la société conservatrice ; elles révèlent aussi la beauté du geste qui détruit pour reconstruire et montrent des objets usuels sous de nouveaux angles, à la manière des natures mortes cubistes.
FL : Composition, vers 1930, crayon graphite sur papier
May Wilson (1905–1986) :
Untitled (Madonna and circles), vers 1960, assemblage d'objets, technique mixte
Untitled (Silver Broom and Cheese Grate), vers 1960, assemblage d'objets, technique mixte
Untitled (Green Drawer), vers 1960, assemblage d'objets, technique mixte
May Wilson débute sa carrière artistique à quarante-deux ans, après une vie de femme au foyer. Dès lors, elle bouscule les normes sociales, imagine des portraits féminins entre réalité et idéalisation, crée des assemblages d'objets divers. Des objets domestiques sont réunis dans des tiroirs disposés verticalement. La couleur monochrome qui les recouvre leur confère une forme d'abstraction. Ses assemblages sont à la fois des ex-voto du temps présent et des signes de l'obsolescence programmée des objets du quotidien.
Daniel Spoerri (1930-2024) : Palette Katharina Duwen, 1989, objets divers fixés sur une table et une chaise d'écolier
Daniel Spoerri commence dès 1959 la série des « Tableaux-Pièges ». Il fixe sur un support des étals de marchés aux puces, des restes de repas, des établis de travail tels qu'ils se présentent, avant de redresser la composition à la verticale. Par ce basculement, des instants dus au hasard s'élèvent au rang d'œuvres d'art et créent un point de vue nouveau sur des objets quotidiens. Les « Palettes d'artistes » (1989-1990) révèlent le contexte de création des artistes contemporains qui délaissent la traditionnelle palette du peintre au profit de nouveaux outils extérieurs au domaine de l'art. Ainsi, sur la table de travail de sa compagne, l'artiste Katharina Duwen, on peut observer un ensemble d'objets chinés aux puces de Munich.
Niki de Saint Phalle (1930-2002) : Paire de ciseaux (Scissors), vers 1960-1961, peinture, bois et objets divers sur contreplaqué
Dès la fin des années 1950, l'artiste réalise des bas-reliefs en accumulant, sur un lit de plâtre disposé sur un panneau de bois, toutes sortes de petits objets quotidiens. On y trouve des débris, des outils et des objets pointus ou rouillés, des jouets en plastique colorés. Ces assemblages fonctionnent comme des paysages archéologiques du présent, des portraits psychologiques. Plus tard, l'artiste évoque son séjour en clinique psychiatrique à vingt-deux ans en raison de son obsession pour les objets tranchants. Avec la parution du livre Mon secret (1994), elle aborde les abus sexuels qu'elle a subis de son père lorsqu'elle avait onze ans. La présence d'objets tantôt enfantins tantôt agressifs prend dès lors une portée cathartique. L'art est un espace de liberté salvateur où elle peut surmonter ses angoisses les plus profondes.
Marcel Alocco (né en 1937) : Bande objet n° 6, février 1966, technique mixte
FL : Main et ciseaux, 1929, crayon graphite sur papier
FL : Les Gants, vers 1930, encre sur papier
Niki de Saint Phalle : Gant de travail, vers 1960-1961, peinture, plâtre et objets divers sur bois
FL : La Joconde aux clés, 1930, huile sur toile
Raymond Hains (1926-2005) : Seita, 1970, bois mélaminé et peint, toile émeri
Œuvre emblématique de Léger, La Joconde aux clés tourne en dérision une image iconique de la Renaissance en attirant l'attention du spectateur sur des objets ordinaires. Poussant plus loin la démarche de Léger qui grossit et isole au centre du tableau un trousseau de clés, Raymond Hains réalise en 1964 sa première pochette d'allumettes géante, copie fidèle d'un modèle courant. Polymorphe, son œuvre évolue des affiches lacérées vers la création d'un répertoire d'objets quotidiens monumentaux non dénués d'un certain humour quant à la notion d'œuvre d'art. Cette série fait écho aux pièces contemporaines du Pop Art américain, en particulier les pastiches d'objet de Claes Oldenburg.
Roy Lichtenstein (1923-1997) : Interior with Chair, 1997, sérigraphie extraite du portfolio Leo Castelli 90th Birthday
Fernand Léger, qui a séjourné quatre fois aux États-Unis, notamment lors de son exil à New York de 1940 à 1945, exerce une forte influence sur le Pop Art américain et sur l'œuvre de Roy Lichtenstein. Fascinés par la publicité, ils partagent une technique picturale impersonnelle, froide et linéaire, l'emploi du cerne noir et de couleurs pures contrastées, la stylisation des formes, l'absence de hiérarchie dans le choix des sujets traités, la composition en strates de couleurs superposées. À plusieurs reprises, Lichtenstein cite directement l'œuvre de Léger dans ses tableaux.
FL : Contrastes d'objets, 1930, huile sur toile
Au cours des années 1920, Fernand Léger s'intéresse à l'objet et à sa valeur plastique et cherche à renouveler le genre de la nature morte. Dès 1927, avec la série des « Objets dans l'espace », il supprime le support traditionnel de la table, disperse les objets en l'air et s'affranchit des lois de la perspective. Il étudie les rapports et les contrastes entre les objets tirés du quotidien, les formes géométriques ou abstraites et les couleurs. Il introduit également des figures humaines - ici une danseuse nue aux détails gommés, rappelant que, pour lui « la figure humaine n'a pas plus d'importance que des clés ou des vélos. »
Niki de Saint Phalle : Plastic Circles and Rectangles, vers 1960-1961, peinture, plâtre, bois et objets divers sur contreplaqué
FL : Composition aux dominos, vers 1955, estampe d'après une peinture
FL : Nature morte, A.B.C., 1927, huile sur toile
Dès 1914, dans la continuité des recherches cubistes, Fernand Léger introduit lettres et chiffres dans ses compositions, en écho à la publicité qui envahit les paysages : « La vie moderne est souvent en état de contraste et facilite le travail. L'exemple le plus fréquent c'est le panneau-réclame dur et sec, couleurs violentes, lettres typographiques, qui coupe un paysage mélodieux. »
Robert Indiana (1928-2018) : The Figure 5, 1971, sérigraphie extraite du portfolio « Decade »
La série « Decade » (1971) représente le parcours artistique d'une décennie. La dimension accessible et populaire de son œuvre, tout comme ses couleurs et ses formes, évoquent l'art de Fernand Léger.
Arman : Cachet, vers 1956-1957, empreintes de tampons sur papier (2)
Dès le milieu des années 1950, Arman emploie pochoirs et tampons encreurs dans une série d'œuvres qui préfigure son attrait pour les objets ordinaires et l'accumulation. À quarante ans d'intervalle, Arman et Léger se rejoignent dans une expérimentation typographique et iconoclaste à mi-chemin entre abstraction et figuration. L'importance accordée au hasard et aux mots dénote également leurs influences surréalistes.
« La Fin du monde filmée par l’Ange N-D. » – Blaise Cendrars, 1919, illustrations de Fernand Léger
En 1919, les éditions de La Sirène publient La Fin du monde filmée par l'Ange N-D., rédigée par Blaise Cendrars, farce satirique, pacifiste et anticapitaliste conçue comme un scénario. Ce « film de papier » illustré par son ami Fernand Léger, évoque le vocabulaire cinématographique, joue sur l'interpénétration entre texte et images et la remise en cause du principe de lisibilité. Lettres noires ou en couleurs, rappelant le lettrage au pochoir, motifs figuratifs ou abstraits et plages colorées sont associés, dissociés, superposés, entremêlés dans des compositions dynamiques qui évoquent l'agitation du monde moderne.
Sur fond de photographies de César à la société française des ferrailles de Gennevilliers (1961) et Villeglé déchirant des affiches :
César Baldaccini, dit César (1921-1998) : sans titre, sans date, tôles compressées
Jacques Mahé de Villeglé dit Villeglé (1926-2022) : Métro Arts et Métiers, 1974, affiches lacérées sur toile
Dès 1949, Villeglé opte pour le rapt urbain et décolle des affiches dans les rues de Paris (ici à l'arrêt de métro Arts et Métiers) avant de les ré-agencer sur toile. Avec les arrachages, l'artiste parodie la peinture abstraite, gestuelle
et lyrique encore dominante dans les années 1950. Cette volonté de créer un art figuratif, populaire et politique inspiré par l'esthétique de la rue le rapproche de Fernand Léger.
Niki de Saint Phalle en collaboration avec Larry Rivers (1923-2002) : Jean III (Méta-Tinguely), 1992, peinture, éléments métalliques et moteurs électriques sur bois
Après la mort du sculpteur Jean Tinguely en 1991, Niki de Saint Phalle réalise plusieurs portraits de son compagnon de vie et de travail. Ces hommages marquent le début des « Tableaux éclatés » (1992-1994) qui jouent sur le mouvement dynamique. En collaboration avec le peintre américain Larry Rivers qui réalise le portrait, Niki de Saint Phalle emploie des roues et des mécanismes engendrant sons, couleurs et mouvements pour illustrer l'homme et ses machines. Ce vocabulaire plastique rappelle la fascination de Fernand Léger pour les engrenages et l'introduction du mouvement dans l'œuvre d'art.
Benjamin Vautier, dit Ben (1935-2024) : Si l'art est partout, il est aussi dans cette boîte, 1985, peinture acrylique sur Plexiglas
Ben développe un art de gestes et d'attitudes liant l'art à la vie. Il consigne ses idées et opinions dans des écritures à la calligraphie souple et presque enfantine, jouant avec les langues dans une dialectique locale/internationale. Cette boîte, qui illustre le concept de « tout est art », n'est pas sans rappeler les mots de Fernand Léger, pour qui la typographie joue un rôle plastique important : « Il n'y a pas le beau, catalogué, hiérarchisé. Le beau est partout, dans l'ordre d'une batterie de casseroles sur le mur blanc d'une cuisine, aussi bien que dans un musée. »
Fernand Léger - Roland Brice (1911-1989), céramiste :
Les Femmes au perroquet, couleurs en dehors, vers 1952, bas-relief en terre cuite émaillée composé de 4 éléments
Visage à la main sur fond rouge, vers 1954, bas-relief en terre cuite émaillée
Martial Raysse (né en 1936) : Nissa Bella, 1964, report photographique sur feutrine marouflée sur contreplaqué, acrylique et néon sur toile
Dès 1962, l'artiste met en scène des figures féminines stéréotypées aux couleurs acidulées et aléatoires inspirées de l'imagerie publicitaire, qu'il associe à des objets du quotidien. Initialement intitulée Le Portrait de France, en l'honneur de son épouse, l'artiste France Cristini, le tableau est rebaptisé, après la séparation du couple, Nissa Bella, en hommage à la cité azuréenne et à l'esprit de vacances perpétuelles qui y règne.
Niki de Saint Phalle : Petit Témoin visage vert, 1971, polyester peint et vernis acrylique
FL : L'Homme au chapeau bleu, 1937, huile sur toile
Cette œuvre représente un personnage dans un univers de contrastes et de couleurs où les fleurs coupées sont traitées comme des objets inertes. Malgré la dimension relativement impersonnelle du tableau, on pourrait voir dans cet homme un portrait déguisé du peintre qui compose, sans distinction, avec le vivant et le non-vivant et propose une nouvelle manière de peindre le réel.
Daniel Spoerri : Agg i Hatten, 1965, assemblage, bois, verre, plâtre
Cette sculpture de Daniel Spoerri traduit en image une expression suédoise peu usitée relevant le caractère impoli d'une personne qui n'ôterait pas son couvre-chef parce qu'elle y cache les fruits d'un vol. « Avoir des œufs dans son chapeau » est un clin d'œil aux petits larcins que l'artiste a commis pendant sa jeunesse et à ses premiers pas dans le monde du spectacle, de la danse et du théâtre.
3. L’art, c’est la vie
« Transportés par l’imagination, nous atteignons la « Vie », la vie elle-même qui est l’art absolu. » Yves Klein (1959)
Pour Léger, artiste foncièrement optimiste, la peinture est un moyen de rendre hommage à la vie tout en témoignant des profondes mutations sociales de son époque. Inscrits dans le temps présent, les sujets qu’il traite reflètent la transformation des modes de vie avec l’adoption des premiers congés payés sous le Front populaire, en 1936.
FL : Le Campeur, vers 1954, huile sur toile
En 1952, Fernand Léger s'installe à Gif-sur- Yvette en région parisienne, et entame la série « La Partie de campagne », inspirée de la nature environnante où les classes populaires viennent se ressourcer et se divertir pendant leur temps libre.
Fernand Léger - Roland Brice, céramiste :
Le Tournesol, 1954, bas-relief en terre cuite émaillée
La Fleur jaune, vers 1952, bas-relief en terre cuite émaillée
Gilbert & George (Gilbert Prousch, né en 1943 et George Passmore, né en 1942) : Flower Worship, 1982, technique mixte
Ce duo de performeurs-photographes, formant une entité artistique, dépeint avec humour la société londonienne des années 1970-1980. Parodiant le conformisme, figeant les clichés, il se représente dans des situations ordinaires avec impertinence. Cet attachement à la banalité prône un art populaire comme chez Fernand Léger.
FL : Cirque, 1950, lithographie, Éditions Verve, Paris, planche extraite d'un album illustré de 63 lithographies en couleurs et en noir et blanc
FL : La Danseuse au chien, étude pour La Grande Parade, 1952, crayon graphite, fusain, encre de Chine et gouache sur papier
Niki de Saint Phalle :
Volleyball, 1993, sérigraphie
Nana Santé, 1999, lithographie
Cirque Knie, 1994, sérigraphie
FL : Les Quatre Cyclistes, 1943-1948, huile sur toile
Fernand Léger débute la série des « Cyclistes » aux États-Unis. Symbole de modernité, de liberté et de loisir populaire, le vélo le fascine comme « objet en mouvement >> mais aussi pour ses contrastes entre cadre orthogonal et roues mobiles. Avec Les Quatre Cyclistes, Léger expérimente pour la première fois la technique de la « couleur en dehors », inspirée des lumières de New York. Librement distribuées, les couleurs s'affranchissent du contour cerné des formes et animent la composition frontale des quatre jeunes femmes aux corps enchevêtrés.
Karel Appel (1921-2006) : Le Cycliste, 1969, huile sur toile et bois peint en relief
FL : Maquette pour le stade de Hanovre, vers 1955, gouache sur papier
Niki de Saint Phalle :
Football, 1992, sérigraphie
Footballers, 1994, sérigraphie
Dernière salle de l'exposition :
4. Le beau est partout
« Mes dessins ne tentent pas d’imiter la vie, ils tentent de créer la vie, de l’inventer. » Keith Haring
Dès les années 1930, Léger crée, parallèlement à ses tableaux de chevalet, des œuvres abstraites et décoratives spécialement conçues pour l’architecture. Dans le contexte de la reconstruction d’après-guerre, il répond à des commandes publiques pour accomplir son rêve d’insérer sa peinture dans les paysages urbains ou naturels. En 1946, sa première réalisation, la façade en mosaïque de l’église du plateau d’Assy, est suivie d’autres commandes, tels que les décors de l’Hôpital mémorial de Saint-Lô, manifeste le plus frappant de sa foi dans le pouvoir thérapeutique de la couleur.
Niki de Saint Phalle rejoint les préoccupations de Léger en multipliant dès 1967, les projets de sculptures monumentales et habille le monde de ses figures rondes aux couleurs éclatantes.
Une utopie artistique et politique, un idéal d’art pour tous, que les inventeurs du Street Art dans les années 1980, reprennent à leur compte en faisant des murs de New York le support de leur expressivité. Ainsi, Keith Haring rend hommage à Léger en affirmant que « l’art n’est pas une activité élitiste réservée à l’appréciation d’un nombre réduit d’amateurs, il s’adresse à tout le monde. »
Fernand Léger : Maquette pour la mosaïque de l'église Notre-Dame-de-Toute- Grâce du Plateau d'Assy, 1947
2° état, gouache sur papier
3° état, gouache sur papier
Véritable œuvre d'art totale réunissant toutes les techniques, cet édifice religieux témoigne du renouveau de l'art sacré grâce à la collaboration d'artistes tels que Marc Chagall ou Georges Braque. Le programme iconographique confié à Léger est consacré aux litanies de la Vierge.
Fernand Léger :
Projet pour une peinture murale « Vulcania », 1951, huile sur toile
Au début des années 1950, la réhabilitation du navire « Lucania » dédié au transport des passagers est en cours dans les chantiers navals de Provence à Marseille. L'architecte italien Giancarlo de Carlo fait appel à Fernand Léger pour réaliser le décor mural de la salle à manger de première classe. Une fois le choix du motif établi avec l'architecte, Léger peint sur toile la maquette du projet de dimensions réduites, qu'il confie à ses élèves pour exécuter le panneau définitif de 2,14 x 5,40 mètres. Léger intitule ce décor avec fantaisie « Vulcania » en détournant le nom du paquebot.
Les Trois Musiciens, 1930, huile sur toile
Thème prisé par les artistes depuis la Renaissance, Les Trois Musiciens de Fernand Léger sont transposés dans le monde moderne. Leurs costumes endimanchés et leurs instruments évoquent les bals populaires parisiens que l'artiste fréquente dans les années 1920.
Niki de Saint Phalle : Miles Davis, 1999, de la série « Black Heroes », mousse de polyuréthane, résine, armature acier, mosaïque de verre teinté et miroir, doré à l'or fin
Installée en 2002 sur la promenade des Anglais à Nice devant le prestigieux hôtel Le Negresco, cette sculpture monumentale représente Miles Davis jouant de la trompette. Cette œuvre illustre la joie de vivre et l'amour de la musique de Niki de Saint Phalle, tout en inscrivant son œuvre dans un paysage urbain public. En parfaite harmonie avec les décors abstraits conçus par Léger dans les années 1950, les couleurs chatoyantes et les motifs circulaires du veston en mosaïque du musicien tirent parti des contrastes dynamiques. Les deux artistes partagent la conviction que l'art et la beauté doivent inonder la vie pour le bonheur de tous.
Fernand Léger :
Les deux Guidons, 1945, huile sur toile
Composition pour une peinture murale, 1945, huile sur toile
Fernand Léger - Roland Brice, céramiste :
Le Soleil, 1954, bas-relief en terre cuite émaillée
Fernand Léger - Roland Brice, céramiste : La Branche Rockfeller, 1952, sculpture en terre cuite émaillée
Niki de Saint Phalle :
Oiseau de feu, fontaine, 1993, sérigraphie
Le Soleil, 1987, mosaïque de miroir et de céramique
Niki de Saint Phalle travaille la mosaïque dans ses réalisations monumentales, notamment au Jardin des Tarots. Cette pratique décorative, artisanale et populaire, lui permet des déploiements merveilleux et fantastiques jouant sur les rapports d'échelles de l'infiniment petit à l'infiniment grand.
Wall Street, vers 1975, polyester peint
À la sortie de l'exposition, dernière œuvre de cette salle, un tableau de Keith Haring : Untitled (n° 2557), 1986, acrylique et huile sur toile