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Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)

28 Juin 2025 , Rédigé par japprendslechinois

À force d'annoncer la fermeture prochaine du Centre Pompidou pour une rénovation qui durera plusieurs années, elle finit par arriver.
La dernière grande exposition au 6e étage du bâtiment historique est un véritable feu d'artifice. De la création de la revue Présence Africaine à celle de Revue noire, « Paris noir » retrace la présence et l’influence des artistes noirs en France entre les années 1950 et 2000. Elle met en lumière cent cinquante artistes, de l’Afrique aux Amériques en passant par la Caraïbe, dont les œuvres ont rarement été montrées en France. Il nous faudra deux billets pour en parc la richesse et la diversité.

Paris Panafricain

En 1947, la maison d'édition Présence Africaine, fondée par l'intellectuel sénégalais Alioune Diop, façonne une culture propre aux diasporas africaines. Une conscience internationale noire s'y forge autour des penseurs de la négritude comme les poètes Léopold Sédar Senghor ou Léon-Gontran Damas. Aimé et Suzanne Césaire contribuent dans la revue Tropiques à affirmer une identité martiniquaise. Dans les cafés et clubs de jazz de la rive gauche, l'écrivain américain James Baldwin s'entoure de nombreux artistes. Le premier Congrès des artistes et écrivains noirs à la Sorbonne (1956) témoigne d'une pensée panafricaine et anticoloniale en France.

 

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)

Ben Enwonwu 1917, Onitsha (Nigeria) - 1994, Ikoyi, Lagos (Nigeria) :
Africa Dances, 1954, gouache sur papier
Negritude, 1977, aquarelle et gouache sur papier
Ben Enwonwu, qui étudie de 1944 à 1947 à la Slade School of Fine Art de Londres, compte parmi les premiers artistes nigérians formés par les Britanniques dès les années 1930.
Gerard Sekoto 1913, Botshabelo (Afrique du Sud) - 1993, Nogent-sur-Mame (France) : Self-portrait, 1947, huile sur carton
Exilé politique sud-africain, Sekoto sera vite confronté à des conditions de vie difficiles à Paris. Empêché de retourner dans son pays natal, il continuera à représenter le quotidien des populations noires des townships sud-africains
Paul Ahyi 1930, Abomey (Bénin, alors Afrique-Occidentale française)-2010, Lomb (Togo) : Les Musiciens, sans date, huile sur isorel
Dès les années 1950, Paul Ahyi participe à la mouvance intellectuelle qui se développe autour de la revue Présence Africaine à Paris.
Wilson Tiberio 1920, Porto Alegre (Brésil)-2005, Vaucluse (France) :
Chanteurs noirs, sans date, huile sur toile
Scène de la fête du Vaudou au Dahomey, sans date, huile sur toile
Arrivé à Paris en 1947, Wilson Tiberio obtient une bourse du Musée de l'Homme pour voyager en Afrique occidentale. Il y rend compte de la vie des populations locales, de leurs luttes et des exactions coloniales. Artiste militant, il participe avec son ami Gerard Sekoto aux congrès des artistes et écrivains noirs organisés par Présence Africaine à Paris et Rome, puis au premier Festival Mondial des Arts Nègres de Dakar. 

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Raymond Honorien 1920, Paris (France) - 1988, Fort-de-France (Martinique, France) : sans titre, après 1956, huile sur toile
Né à Paris en 1920, Raymond Honorien s'inspire, avec Marcel Mystille et Germain Tiquant, des écrits de Joseph Zobel. Ensemble, ils créent le premier mouvement artistique martiniquais: l'Atelier 45. En dépit de réminiscences avec l'art de Paul Gauguin ou de Paul Cézanne, leur peinture s'émancipe de l'héritage culturel européen, abandonnant l'exotisme ou « doudouisme » antillais pour révéler une Martinique authentique.
Roland Dorcély 1930, Port-au-Prince (Haïti)-2017, New York (États-Unis) : sans titre, 1959, huile sur toile
Après avoir successivement rejoint le Centre d'art d'Haïti en 1946, puis fait sécession avec les artistes du Foyer des Arts plastiques en 1950, Roland Dorcély obtient une bourse du gouvernement français afin d'étudier à Paris en 1951, avant de revenir en Haïti, où il fonde la galerie Brochette.
Paul Keene 1920, Philadelphie (États-Unis) - 2009, Warrington Township (États-Unis) : The Cliff Dwellers, 1950, huile sur Isorel
Inscrit à l'Académie Julian entre 1949 et 1951, Keene fréquente l'atelier 17 et cofonde la Galerie Huit, l'une des premières coopératives-galeries organisées par un collectif d'artistes américains à Paris.
Eldzier Cortor 1916, Richmond (États-Unis) - 2015, Long Island (États-Unis) : The Couple, vers 1949, huile sur Isorel
À la fin des années 1940, le peintre africain-américain Eldzier Cortor voyage aux Antilles, cherchant les traces de la culture africaine dans les diasporas caribéennes. Il se rend en Jamaïque, à Cuba, puis en Haïti où il enseigne au Centre d'Art de Port-au-Prince en 1949 et fréquente des artistes ayant séjourné à Paris comme l'artiste américaine Lois Mailou Jones. À la fin des années 1980, il se rend à son tour dans la capitale française.
Skunder Boghossian 1937, Addis-Abeba (Éthiopie) - 2003, Washington D.C. (États-Unis) : Composition, 1963, huile sur toile
À Paris, où il arrive en 1957, Skunder Boghossian étudie l'art africain auprès de Madeleine Rousseau, ethnologue au Musée de l'Homme. Il s'engage avec le peintre Gerard Sekoto notamment dans le mouvement culturel panafricain porté par Présence Africaine autour d'Aimé Césaire, de Cheikh Anta Diop ou de Léopold Sédar Senghor, dont il découvre les écrits.

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Dès cette section, on trouve des œuvres de  Beauford Delaney, né en 1901 à Knoxville (États-Unis) et mort en 1979 à Paris où il s'était établi en septembre 1953. On les retrouvera dans plusieurs sections de l'exposition.
Street scene, 1968, huile sur toile
Untitled (Jazz Band), 1965, huile sur toile
James Baldwin, 1967, huile sur toile
Autoportrait, 1965, huile sur toile
James Baldwin, vers 1945-1950, huile sur toile
« C'est par Beauford Delaney que j'ai découvert la lumière, la lumière que contient chaque chose, chaque surface, chaque visage. » - James Baldwin. Arrivé à Paris en 1948, Baldwin, jeune écrivain engagé, invite son parrain spirituel, Delaney, à le rejoindre. Sur une période de plus de trente ans, Delaney a peint plus d'une douzaine d'œuvres inspirées par l'écrivain, souvent mises en dialogue avec ses propres autoportraits, explorant les représentations noires et queer.

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Gordon Parks 1912, Fort Scott (États-Unis) - 2006, New York (États-Unis) :
Boys Wait for Metro, Paris, France, 1951
Jam Session in Cellar of Vieux Colombier Paris, France, 1951
Sans titre, Paris, France, 1951
Tirages modernes
Photographe, compositeur, poète et réalisateur, Gordon Parks alterne commandes et projets personnels, reportages documentaires et photographies de mode. Premier photographe noir engagé par le magazine Life, il est envoyé à Paris en 1949 pour photographier le monde de la mode, la haute-société, les expatriés américains et le quotidien des Parisiens des milieux populaires.

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)

Georges Coran 1928, Fort-de-France (Martinique, France) - 2017, Paris : Idorah, 1964, huile sur toile
Georges Coran débute son parcours à l'École des Arts Appliqués de Fort-de-France, avant d'obtenir son diplôme de l'École Boulle à Paris en 1953, où il perfectionne son approche de la gravure et enseigne jusqu'en 1983.
Roland Dorcély :
Sans titre (Au café de Flore), 1958, huile sur toile
Sans titre, 1958, huile sur toile
Sans titre, 1958, huile sur toile

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Romare Bearden 1911, Charlotte (États-Unis) - 1988, New York : collages sur papier de la série Paris Blues/Jazz
Inspirée par son séjour parisien de 1950, la série Paris Blues/ Jazz de Romare Bearden est composée d'une vingtaine de collages conçus comme les pages d'un livre monumental, et répond au film éponyme de 1961. Bearden y explore les correspondances entre art visuel, jazz et paysages urbains à Paris, Harlem et La Nouvelle-Orléans.

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Édouard Glissant

Au centre du parcours, cet espace circulaire est une métaphore de la Caraïbe et du « Tout-Monde ». Ce concept, développé par le poète et philosophe Édouard Glissant, convoque l'image de Paris comme espace de la Poétique de la relation, qu'il an définit comme « la somme finie de toutes les différences du monde ». Durant les années 1950, Glissant publie aux éditions Présence Africaine des textes engagés. Il fréquente la galerie du Dragon dans le 6e arrondissement et écrit notamment sur l'œuvre de son ami, l'artiste cubain Agustín Cárdenas, évoquant des passages et des totems, qu'il compare à la silhouette irréductible de l'exilé debout.

Agustín Cárdenas 1927, Matanzas (Cuba) - 2001, La Havane (Cuba) :
Quarto Famba, 1973, bois brûlé
Le Quarto Famba est le lieu où les membres des sociétés secrètes afro-cubaines, les ñáñigos, tiennent leurs cérémonies d'entrée des nouveaux membres, choisis pour leur attachement aux traditions du continent africain d'où ils ont été arrachés.
Couple, 1952-1972, bronze
Sans titre, vers 1978, gouache sur papier
Sans titre, sans date, gouache sur papier
Stèle, 1974, bois

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Victor Anicet 1938, Marigot (Martinique, France), vit et travaille en Martinique
Carcan n°5, 1987, huile sur Iin
Sans titre (Invocation amérindienne), 1994, acrylique sur bâche
Proche d'Edouard Glissant, Victor Anicet, céramiste et cofondateur en 1984 du collectif Fwomajé, étudie à l'École des Arts Appliqués de Fort-de-France, puis obtient en 1961 son diplôme à l'Ecole des Métiers d'Art de Paris.

Henri Guédon 1944, Fort-de-France (Martinique, France) - 2006, Paris 
Black Label, 1989, technique mixte et assemblage sur bois
Portrait d'Édouard Glissant, 1979, technique mixte
Tel un « plasticien linguiste », l'artiste réalise un portrait de Glissant, qui lui-même honore son art par ces mots : « Il a la patience des argiles rouges, la vitesse des lianes, la sérénité d'un peuple de masques. » La figure du poète y est suggérée par des lettres grises et en relief pour la physionomie du visage, enchevêtrées et colorées dans l'arrière-plan, soulignant l'attention de l'artiste à la composition, déployée comme une partition alphabétique et symbolique.

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Paris comme école

À Paris, l'attention des artistes à l'histoire de l'art européen est cruciale. Venus se former dans les ateliers de Fernand Léger ou de Ossip Zadkine, dans les écoles et les académies, ils fréquentent le Musée du Louvre et les collections d'art africain du Musée de l'Homme, procédant à des hybridations et à des relectures des canons de la modernité. Revisiter la peinture classique devient un moyen de représenter l'expérience des communautés noires comme une émancipation artistique et politique, et de faire entrer dans l'histoire de l'art des figures noires jusqu'alors écartées.

Georges Coran : Délire et paix, 1954, encre sur toile de coton
Empruntant son titre au poème Au serpent d'Aimé Césaire, Coran marie dans cette composition le foisonnement luxuriant de la jungle caribéenne à
la fantasmagorie des tapisseries de la Dame à la licorne. Parmi les feuillages denses, deux figures féminines rappellent la scène du tableau Gabrielle d'Estrées et l'une de ses sœurs, conservé au Musée du Louvre.

Bob Thompson 1937, Louisville (États-Unis) - 1966, Rome (Italie)
Sans titre (La Pêche miraculeuse), 1961, huile sur toile
Le Triomphe de Bacchus,1964, huile sur toile
« J'ai interprété cette composition comme je la vois et la ressens, tout comme Poussin aurait pu le faire avec la même scène - bien que le sujet soit le même, l'interprétation diffère», déclare Bob Thompson. 

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Roland Dorcély : Léda et le cygne, 1958, huile sur toile
Iba N'Diaye 1928, Saint-Louis (Sénégal, alors Afrique-Occidentale française) - 2008, Paris : Portrait d'Anna, 1962, huile sur toile
Paul Ahyi : Jeune femme, 1960, huile sur Isorel
Christian Lattier 1925, Grand-Lahou (Côte d'Ivoire, alors Afrique-Occidentale française) - 1978, Abidjan (Côte d'Ivoire) : Le Christ, 1957, armature en fer, ficelle, bois
Alors que ses parents l'envoient en France pour devenir médecin, Christian Lattier opte pour une carrière artistique dès la fin des années 1940. En 1953, il développe une technique sculpturale autour d'armatures en fil de fer surmontées de ficelle.

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Surréalisme afro-atlantique

Dans les années 1940-1950, le peintre cubain Wifredo Lam, inspiré par Aimé Césaire, enrichit le surréalisme d'un vocabulaire afro-atlantique, influencé par les échanges historiques et culturels entre l'Afrique et les Amériques, qu'il transforme en outil politique et poétique. Ses voyages à Cuba, en Martinique et en Haïti nourrissent un style mêlant écologie et pensée décolonisatrice, créant des formes tropicales qui renouvellent la représentation des paysages caribéens marqués par l'exploitation coloniale. D'autres artistes intègrent des écritures afro-atlantiques et des symboles africains, générant des abstractions-signes enrichies à Paris par le contact avec les mouvements CoBrA et lettriste.

Wifredo Lam 1902, Sagua La Grande (Cuba) - 1982, Paris (France) : Umbral, 1950, huile sur toile
Wifredo Lam a fait l'objet il y dix ans d'une grande rétrospective à Beaubourg (notre billet du 1er octobre 2015)

Sebastião Januário 1939, Dores de Guanhães (Brésil)-2025 Rio de Janeiro (Brésil) :
Numa ilha africana (Sur une île africaine), 1968, gouache sur carton
Sans titre, 1968, gouache sur carton
Sans titre, 1968, gouache sur carton
Sebastião Januário grandit dans la région du Minas Gerais au sud-est du Brésil. Il rejoint l'armée brésilienne et s'installe à Paris de 1964 à 1966, pour servir comme majordome dans la famille d'un militaire. C'est lorsqu'il rentre à Rio qu'il se consacre pleinement à son art et crée ses premières œuvres synthétisant le répertoire visuel découvert en France pour en faire les images originales d'un imaginaire panafricain.

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Roland Dorcély :
Sans titre, 1962, huile sur toile
Pour déposer la plante, 1958, huile sur toile
Lianes, vers 1958, huile sur toile

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Skunder Boghossian : Juju's Wedding Feast (Banquet de mariage de Juju), 1964, technique mixte sur papier posé sur carton
Guido Llinás 1923, Pinar del Río (Cuba) - 2005, Paris :
Signes, 1967, huile sur toile
Pintura negra (Peinture noire), 1970, acrylique et huile sur toile
Pintura negra (Peinture noire), 1971, huile sur papier marouflé sur toile
Guido Llinás débute sa carrière artistique à Cuba, où il participe en 1953 à la création du groupe d'artistes Los Once, comme le sculpteur Agustín Cárdenas. Après plusieurs séjours en France, Llinás s'installe définitivement à Paris en 1963, fuyant le régime de Fidel Castro. Dès 1965, il fait la connaissance d'artistes lettristes dont le maître mot est le signe.

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Le saut dans l'abstraction

Dès les années 1950, les artistes renouvellent l'abstraction à Paris et exposent dans les galeries Huit et Darthea Speyer. Ils recomposent l'espace pictural et sculptural via des assemblages de matériaux récupérés. Inspirés par le collage et l'improvisation pratiqués dans le jazz, leurs œuvres déploient aussi des abstractions gestuelles. Marqués par l'impressionnisme de Claude Monet comme par le rayonnement des vitraux des cathédrales, ils travaillent la lumière comme force naturelle mais aussi comme aspiration spirituelle. Ces abstractions corrigent la genèse de l'expressionnisme abstrait, d'abord influencé par la culture noire du jazz.

Ernest Mancoba 1904, Turffontein, Johannesburg (Afrique du Sud) - 2002, Clamart (France) : Peinture 1965, 1965, huile sur toile
À Paris, où il arrive en 1938, Ernest Mancoba rencontre Madeleine Rousseau avec laquelle il partage une appréhension sociale et cosmique de l'art. A ses côtés, et avec sa future épouse Sonja Ferlov, il étudie avec intérêt les objets africains du Musée de l'Homme. Ces derniers seront à l'origine d'œuvres fondées sur le motif du masque et développées en sculpture dans les années 1940 au Danemark, où il participe au mouvement CoBrA, qui rassemble des artistes de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam. Peinture 1965 témoigne d'un travail de déconstruction d'un masque kota du Gabon: d'un archétype d'humanité. dans cette toile quasi-abstraite, le masque-visage se dissout dans des vibrations colorées, témoignant de la recherche

Herbert Gentry 1919, Pittsburgh (États-Unis)-2003 Stockholm (Suède) :
Sans titre, 1961, huile sur isorel
The Claw (La Griffe), 1950, huile sur toile
Herbert Gentry séjourna à Paris de 1946 à 1958, fréquenta l'Académie de la Grande Chaumière, Ossip Zadkine, Yves Brayer.

Larry Potter 1925. Mount Vermon (États-Unis)-1966, Paris
Untitled, 1962, huile sur toile de lin
Arrivé à Paris en 1956, Potter s'imprègne de l'Ecole de Paris, de Jean Dubuffet et de Pierre Soulages. Il développe une abstraction organique, influencée par la géométrie colorée des peintures de Serge Poliakoff et la transparence de celles de Maurice Esteve. 

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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On retrouve Beauford Delaney :
Sans titre, vers 1957, huile sur toile
Sans titre, 1957, huile sur toile
Sans titre (alias Lumière jaune tourbillonnante), vers 1962, huile sur toile
Sculpture africaine, 1968, huile sur toile

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Ed Clark 1926, La Nouvelle-Orléans (États-Unis)-2019, Détroit (États-Unis) :
Sans titre (Vétheuil), 1967, acrylique sur toile
Sans titre (Vétheuil), 1968, acrylique sur toile
Untitled, 1954, huile sur toile
Self-portrait, 1953, huile sur toile
Ed Clark séjourna à Paris de 1952 à 1956, où il fréquenta James Baldwin, Beauford Delaney, et Joan Mitchell. Il passa du figuratif à l'abstrait sous l'influence de Nicolas de Staël.

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Sam Middleton 1927, New York (États-Unis) - 2015, Shagen (Pays-Bas)
Paris, 1964, gouache, pastel, encre, papier journal et tirage offset collé sur carton
Telling It the Way It Is (Dire les choses comme elles sont), 1969, gouache, pastel, mine graphite, stylo bille, épreuve gélatino-argentique papier journal et impression offset collée sur carton
Sam Middleton est actif à New York, Paris puis dans le mouvement CoBrA (Copenhague Bruxelles Amsterdam). 

Antonio Bandeira 1922, Fortaleza (Brésil) - 1967, Paris : Les Arbres, 1958, huile sur toile
Antonio Bandeira, né dans le nord-est du Brésil, fréquente les avant-gardes brésiliennes avant de s'installer en France en 1946. À Paris, il se lie avec des artistes emblématiques tels que Wols et Camille Bryen. 

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Haywood « Bill » Rivers 1922, Morven (États-Unis) - 2001, New York (États-Unis) : Untitled, 1970, huile sur toile de jute
Cette toile d'Haywood « Bill » Rivers illustre l'évolution de son style abstrait après son séjour à Paris de 1949 à 1952. À Paris, Rivers cofonde la Galerie Huit en 1950, lieu crucial pour les artistes américains expatriés et s'imprègne de l'art informel français.

Max Pinchinat 1925, Port-au-Prince (Haiti)-1985, Paris (France)
Oiseau, 1967-1982, huile sur toile
Étude 14, à la semblance de la sculpture africaine et du Picasso du cubisme analytique, 1983-1984, huile sur toile
Max Pinchinat entame sa carrière en 1946 au Centre d'art d'Haïti. Partisan du réalisme merveilleux en littérature et influencé par les spiritualités haïtiennes, il explore dans sa peinture ce qu'il considère comme une double aliénation : « il faut que je triture jusqu'à la perfection la peinture populaire haïtienne, il faut que je travaille Picasso et Matisse, ces deux peintres qui ont rencontré la Sculpture Africaine ». 

Sam Gilliam 1933, Tupelo (États-Unis) - 2022, Washington DC. (États-Unis) : Cape II, 1970, huile sur toile
Nous avons déjà mentionné dans ce blog cet artiste aux créations oniriques et originales, dans l'exposition La Couleur en fugue à la Fondation Louis Vuitton (cf notre billet du 3 septembre 2022). À Paris, où il rêve de rencontrer l'artiste abstrait Beauford Delaney, Gilliam est exposé dès 1970 par la galerie Darthea Speyer qui contribue activement à sa reconnaissance internationale.
 

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
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Luce Turnier 1924, Jacmel (Haïti) - 1994, Créteil (France)
Composition, 1970, huile sur papier, collage
Cabane de chantier, vers 1970, huile sur papier, collage
Sans titre, 1969, collage réalisé avec des feuilles ronéotypées
Présente lors de l'ouverture du Centre d'art d'Haïti en 1944, Luce Turnier poursuit sa formation à l'Art Students League de New York, avant de rejoindre l'École de la Grande Chaumière à Paris en 1951. Reconnue pour ses portraits de la société haïtienne, elle amorce dans les années 1960 une série de collages abstraits. Durant cette période, elle travaille comme secrétaire et utilise une ronéo (ancêtre manuel de la photocopieuse) pour dupliquer des documents qu'elle trouve dans les rebuts de l'administration.

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)

Kelly Williams 1919, Atlanta (États-Unis) - 1983, Détroit (États-Unis)
Luminous Paintings, vers 1950, acrylique et ficelle sur papier
En quête de reconnaissance, Kelly Williams se fait appeler « Kelly, l'Américain noir » lors de son séjour à l'atelier de Fernand Léger à Paris dès 1949. Vers 1950, il invente la peinture à la lumière noire combinant expressivité graphique et art informel. Visibles sous ultraviolets, ses Luminous Paintings, aux entrelacs chaotiques formar.t des silhouettes anthropomorphes, utilisent ficelle collée et pigments phosphorescents.

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)

Robert Blackburn 1920, Summit (États-Unis) - 2003, New York (États-Unis) :
Interior, 1958, lithographie sur papier
Quiet Instrument, 1958, lithographie sur papier
Figure incontournable de la gravure au 20° siècle, Robert Blackburn connaît une phase décisive de son développement artistique à Paris entre 1951 et 1954 aux côtés de Krishna Reddy et John Wilson. Il se forme à l'Atelier Desjobert, où il est influencé par le peintre cubiste André Lhote. Il fréquente aussi l'Atelier 17 de Stanley William Hayter, laboratoire transatlantique de gravure fréquenté par les artistes Pablo Picasso et Joan Miró. De retour à New York, ses lithographies abstraites, au chromatisme raffiné, révèlent ses influences parisiennes, comme en témoignent ces deux œuvres, réalisées quatre ans après son départ de la capitale.
 

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)

Enfin, dans cette section, deux sculptures de Harold Cousins [1916, Washington DC (Etats-Unis)-1992, Bruxelles (Belgique)] :
Plaiton suspendu, 1958, acier
Gothique plaiton, 1962, acier, marbre
Harold Cousins étudie à Paris avec Ossip Zadkine et à l'Académie de la Grande Chaumière, avant de rencontrer en 1952 le sculpteur Shinkichi Tajiri qui lui enseigne la soudure. Influencé par Julio González, il développe sa série Plaiton, un néologisme combinant «plate (plaque) et laiton». Limitant ses interventions sur le métal, il découpe, galbe, superpose et soude des plaques métalliques martelées.

Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)
Paris noir - Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000 (I/II)

Nous poursuivrons le parcours de cette exposition dans un prochain billet.

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Images du Roussillon

21 Juin 2025 , Rédigé par japprendslechinois

Quelques images d'une ancienne province devenue française en 1659 par le traité des Pyrénées, signé à un endroit qui nous est plus familier, l'Île des Faisans, au milieu de la Bidassoa entre Irun et Hendaye.

En frontispice de ce billet, la cathédrale Sainte-Eulalie-et-Sainte-Julie d'Elne, siège historique de l'évêché qui couvrait la plus grande partie de la province, et dont le plus célèbre des évêques fut sans doute, de 1495 à1498, César Borgia (1475-1507), fils du pape Alexandre VI.

 

 

 

 

 

Commençons par quelques images de Collioure, pour rester dans la ligne de ce blog où cette cité a été plus souvent évoquée par des tableaux de Matisse, Derain ou d'autres que par des photographies live.

Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon

Un peu plus de détails sur les barques catalanes, pour les amateurs

Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon

Nous avons poussé jusqu'au bout de la jetée du phare, d'où la vue sur l'anse est la plus complète.

Images du Roussillon
Images du Roussillon

Restons au bord de la Méditerranée, avec quelque images des cabanes de pêcheur au bord de l'étang de Canet, ville où nous étions les hôtes de nos bons amis.

Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon

Non loin, un autre type d'architecture, typique des années 1960 et de l'aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon, avec des façades coté mer et coté terre très différentes. (Résidence Port Cipriano à Saint-Cyprien).

Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon

À Canet même, le front de mer est une succession d'immeubles bordant les avenues qui longent la plage.

Images du Roussillon
Images du Roussillon

Rompant cette uniformité, des villas des années 50 à 70, dans un état de fraîcheur variable, retiennent l'attention.

Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon

Nous avions déjà évoqué Elne dans notre billet du 15 avril 2016. Nous convions le lecteur à s'y reporter pour y découvrir la cathédrale. Mais, au moment de notre visite à cette époque, son magnifique cloître était fermé.
Nous comblerons donc cette lacune avec quelque clichés de ce dernier. (Cette fois, c'est l'intérieur de la cathédrale qui était inaccessible en raison d'un office religieux)

Images du Roussillon
Images du Roussillon
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Images du Roussillon
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Quelques détails sur les chapîteaux 

Images du Roussillon
Images du Roussillon
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La terrasse offre une très belle vue sur l'ensemble de l'édifice.

Images du Roussillon
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Nous avons revu avec plaisir Saint-André et Saint-Génis-des-Fontaines, que nous avions décrit avec force détails dans notre billet du 5 mai 2019. (ici, une vue de la nef de Saint-André et le linteau du portail de l'église abbatiale de Saint-Génis-des-Fontaines, assez similaire d'ailleurs à celui de Saint-André.

Images du Roussillon
Images du Roussillon

Quittons (à peine) le Roussillon pour évoquer, un petit peu plus au nord, au cœur du massif des Corbières, le petit village de Lagrasse.
C'est du bord de l'Orbieu, traversé par de vieux ponts, qu'on découvre le mieux le site.

Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon

Sur la rive opposée au village, l'abbaye bénédictine Sainte-Marie de Lagrasse, où les bâtiments médiévaux jouxtant l'église abbatiale côtoient un bel ensemble du XVIIIe siècle autour du palais abbatial. 

Images du Roussillon
Images du Roussillon
Images du Roussillon
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Les vieilles portes dans les remparts, la petite église paroissiale Saint-Michel, les étroites ruelles...

Images du Roussillon
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Et les places, les petites ou la grande pour accueillir la halle.

Images du Roussillon
Images du Roussillon
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Ce petit aperçu ne serait pas complet sans évoquer les fleurs qui en cette saison sont un enchantement pour le regard :
Les lauriers-roses, omniprésents, comme ici près du cloître de la cathédrale d'Elne,

Images du Roussillon

ces bignones à fleurs oranges dans une rue de Canet,

Images du Roussillon

ce flamboyant bleu (Jacaranda mimosifolia) aux nuances si subtiles à Saint-André,

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Sans oublier le bougainvillier qui a enchanté notre séjour !

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Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement

14 Juin 2025 , Rédigé par japprendslechinois

Peu d'artistes ont autant marqué l'environnement visuel de ses contemporains que Georges Mathieu (27 janvier 1921 - 10 juin 2012) : ses images abstraites, devenues un style-signature, se sont en effet incarnées dans des peintures, mais aussi sur tous les supports de la modernité, de l'affiche au générique de télévision, en passant par les médailles et la monnaie. Alors que sa personnalité publique hors-norme faisait polémique, Mathieu a assuré sa place dans la culture populaire. 
Plus de 50 ans après celle qui s'y était tenue en 1971, l'Hôtel de la Monnaie, en collaboration avec le Centre Pompidou, elle met notamment en regard son œuvre picturale et ses nombreuses créations pour l'institution monétaire, dont la pièce de 10 francs reste la production la plus emblématique.
Le parcours de l'exposition retrace la carrière de Georges Mathieu depuis les années 1940, où il participe à la création d'un expressionisme abstrait international, jusqu'aux années 1990, en faisant une large place au fonds Mathieu du Musée national d'art moderne qui a fermé ses portes pour de longues années au début du mois de mars.

Visions d'histoire

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement

Le grand hall par lequel débute l'exposition accueille trois toiles monumentales :

La Bataille de Bouvines, 25 avril 1954, huile sur toile
Mathieu revêt un costume médiéval pour peindre cette œuvre, quelques jours avant sa présentation au 10 Salon de Mai. La mise en scène se poursuit avec la traversée de Paris de la peinture en carriole à cheval, puis par un pèlerinage collectif sur le lieu même de la bataille. S'extrayant du fouillis des taches et des différents tracés, pour beaucoup directement sortis du tube, la grande barre noire qui se dirige vers le bas à droite est censée représenter la fuite de l'Empereur du Saint-Empire romain germanique défait par les troupes de Philippe- Auguste.
Les Capétiens partout !, 10 octobre 1954, huile sur toile
S'inspirant de l'élection de Hugues Capet le 1er juin 987, Mathieu peint Les Capétiens partout ! en plein air, dans le parc de la demeure du galeriste et antiquaire Jean Larcade à Saint-Germain-en-Laye et exposée sans attendre à la Galerie Rive Droite. Son fond sombre met particulièrement en valeur les longues touches blanches évoquant le climat de réjouissance qui accompagne l'événement fondateur de la dynastie capétienne.
La Victoire de Denain, 26 mars 1963, huile sur toile
Dernière des « batailles » abstraites de Mathieu, La Victoire de Denain a été peinte trois jours seulement avant sa présentation au Musée d'art moderne de la Ville de Paris en mars 1963, pour la première rétrospective de l'artiste. L'œuvre est réalisée dans les salles de l'exposition. L'artiste s'inspire de la bataille du 24 juillet 1712, épisode décisif de la guerre de Succession d'Espagne qui se solda par une victoire inespérée des armées de Louis XIV.

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement

Limbes

Dans les années 1940, Georges Mathieu, tout comme le peintre allemand Wols, est un acteur important de l'abstraction informelle, dont le critique Michel Tapié se fait le promoteur. Mathieu développe une « non figuration psychique », mêlant graphismes abstraits et formes organiques sur des fonds chromatiques raffinés. Sa technique distinctive consiste notamment à écraser le tube de couleur directement sur la toile. Cette période dite des « Limbes » évolue vers des signes plus autonomes au début des années 1950.
Evanescence, 1945, huile sur toile
Appartenant au tout début de la production abstraite de Mathieu, Evanescence constitue une rare et précoce manifestation chez l'artiste du dripping. Initié par l'artiste surréaliste Max Ernst, ce mode de recouvrement de la surface picturale qui consiste à laisser s'écouler la peinture depuis un récipient maintenu en hauteur, sera bientôt popularisé aux États-Unis par Jackson Pollock. Se détachant sur un fond brun aux subtils rehauts de rouges et de verts, les entrelacs obtenus par ce procédé manifestent l'influence de l'automatisme prôné par les surréalistes.
Phosphène, 22 septembre 1946, huile sur toile
Opalescence, 1948, huile sur bois
Cette œuvre a d'abord porté le titre Sanguinolence sourde, jugé peut-être trop explicite par l'artiste. Peint sur un support de fortune, Opalescence confirme l'inspiration organique de Mathieu. Dans cette forme complexe, désormais centrée dans l'espace pictural, où dominent le noir et le rouge, ne croit-on pas reconnaitre carapace, pattes ou antennes de quelque insecte démembré ? Sur le fond, sali de bruns, l'artiste varie les modes de recouvrement : traces, frottis ou filets directement sortis du tube.

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Frotissance, 1946, huile sur bois
Dynasty, 1949, huile et case-arti sur contreplaqué

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Dans le même mouvement :
Jackson Pollock (1912-1956) : Painting (Silver over Black, White, Yellow and Red), 1948, peinture sur papier marouflé sur toile
Alfred Otto Wolfgang Schulze dit Wols (1913-1951) : Aile de papillon, 1947, huile sur toile
Camille Bryen (1907-1977) : Hépérile, 1951, huile sur toile

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Emprise du signe et geste médiévale

En mai 1950, la galerie parisienne René Drouin expose les illustrations de Mathieu pour le poème La Complainte sauvage d'Emmanuel Looten, ainsi que huit peintures. Cette exposition marque une nouvelle phase dans l'œuvre de Mathieu, caractérisée par des signes autonomes sur des fonds uniformes. Techniquement, l'artiste rehausse de tracés rouges d'épais graphismes noirs. Pour ses titres, Mathieu s'inspire désormais d'épisodes méconnus de l'histoire médiévale française, ce qui donne à son art abstrait une dimension figurative paradoxale.
Hommage à Louis XI, 1950, huile sur toile
Présenté avec sept autres peintures à la Galerie René Drouin en mai 1950, l'Hommage à Louis XI est l'une des premières peintures de Mathieu portant un titre historique. Le large motif qui semble léviter dans l'espace pictural est constitué d'impulsifs coups de brosses chargées de peinture noire sur lesquels Mathieu écrase rapidement une calligraphie furieuse de rouge, de noir et de blanc directement sortis du tube.
La Tour de Villebon, 1951, huile sur bois

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement

Un Silence de Guibert de Nogent, 1951, huile sur bois
Faisant allusion à un obscur abbé bénédictin du XIIe siècle, cette peinture recourt à des motifs qui s'inscrivent de manière plus cadrée dans le rectangle de la toile. À la manière d'un idéogramme japonais, celui de droite est puissamment charpenté, tandis que celui de gauche, vaguement anthropomorphe, rappelle les signes de La Complainte sauvage, le poème que Mathieu vient d'illustrer. Le sens de la plupart des coulures qui partent vers le haut indique que Mathieu a choisi de retourner la toile à un moment décisif du processus pictural.
Lothaire se démet de la Haute-Lorraine en faveur d'Othon, 1954, huile sur toile
Peint peu après Les Capétiens partout ! pour la caméra des Actualités Fox-Movietone, Lothaire se démet de la Haute-Lorraine en faveur d'Othon, par sa relative simplicité et son absence de toute couleur, apparaît comme une démonstration presque sommaire de l'« abstraction lyrique ». C'est sans doute la raison pour laquelle Mathieu croit bon, en 1994, de trouver « cette pochade indigne de figurer dans les collections » du Centre Pompidou où elle était pourtant entrée en 1986 sans qu'il y trouve à redire.

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Un imaginaire topographique

À partir des années 1950, Georges Mathieu multiplie les expositions internationales, notamment au Japon en 1957 et au Brésil en 1959. Son cosmopolitisme le rend apte à concevoir en 1966 une série d'affiches pour la compagnie Air France, visant à capturer l'essence des destinations desservies. Pour cela, Mathieu intègre des éléments figuratifs dans ses compositions. Réalisées avec des papiers et encres spéciaux, ces affiches sont présentées au Musée national d'art moderne en 1967 et connaissent une grande diffusion.

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Seventh Avenue, 1957, huile sur toile
Pour sa sixième et dernière exposition à la Galerie Kootz de New York en novembre 1957, Mathieu exécute à l'abri des regards 14 peintures dans le sous-sol d'un palace. Seventh Avenue compte parmi celles auxquelles il attribue le nom d'une artère de la métropole américaine, manifestant ainsi son attachement à l'univers urbain (la nature est de fait peu présente dans l'art de Mathieu). Légèrement décentrés, les élégants graphismes blancs et rouges se détachent sur un fond bleu profond, alors peu usité par l'artiste.
Orry, 1965, huile sur toile
Mathieu s'inspire de cette peinture pour concevoir, pour Air France, l'affiche consacrée à l'Espagne. Dans le luxueux livret édité par la compagnie aérienne qui accompagne le lancement de la série, Mathieu décrit ainsi les éléments qui constituent ce « grand chant funèbre qui monte au-dessus des plateaux désertiques » : « Couleur d'ingratitude. Déchirure noire, broderie sublime ».

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement

L'attrait du Grand Siècle

L'esthétique et les fastes du XVIIe siècle français constituent pour Mathieu une source d'inspiration récurrente. Dans ses Dix-huit moments de la conscience occidentale, présentés à l'Hôtel de la Monnaie en 1971, trois sont consacrés au siècle de Louis XIV.

 

Hommage au maréchal de Turenne, 19 janvier 1952, huile sur toile
L'Hommage au maréchal de Turenne est une manifestation précoce de la révérence de Mathieu envers les figures aristocratiques du XVIIe siècle. La peinture frappe par son strict bi-chromatisme : sur le fond d'un rouge éclatant, une addition de signes noirs, certains aux forts empâtements, s'agglutine le long d'une large oblique noire, tandis que des taches viennent çà et là animer la surface.
Hommage à Delalande, 1970, huile sur toile
Choisi pour l'affiche et la couverture du catalogue de l'exposition que l'Hôtel de la Monnaie consacre en 1971 à Mathieu, l'Hommage à Delalande célèbre le dernier maître de la Chapelle royale de Louis XIV. Comme d'autres peintures de cette série consacrée à la musique, l'œuvre fait appel à un motif récemment apparu dans l'œuvre plastique de Mathieu, le cartouche ou blason muet, motif décoratif lui aussi hérité du Grand Siècle. L'aplat rouge, festonné de graphismes jaune vif, contraste de manière particulièrement séduisante avec le bleu lumineux du fond.

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Hommage à Monsieur de Vauban, auteur de la « Dîme royale », 21 septembre 1969, huile sur toile
Athys, 1970, huile sur toile
Composition, 1974, huile sur toile

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Dix-huit moments de la conscience occidentale, 1971, médailles / frappe, bronze argenté (avers) et cuivre (revers)
Créée à l'automne 1970, cette ambitieuse série de médailles illustre le vœu de Mathieu de réinventer l'esthétique et la technique de cet art ancestral, en y transposant les codes de l'« abstraction lyrique » à l'avers (côté pile) et le tracé calligraphique de son écriture au revers (côté face). Curieux du processus de fabrication, l'artiste s'est rendu dans les ateliers de la Monnaie de Paris pour collaborer avec les artisans d'art.
5. 534, La Règle de saint Benoît
6. 590, Saint Colomban fonde Luxeuil
7. 1099, Godefroy de Bouillon entre à Jérusalem

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement

8. 1125, Morienval, la naissance du gothique - frappe, bronze dore et émail noir; bronze argente et email rouge
11. 1658, Charles Le Brun à Vaux, le classicisme français
12. 1675, Leibniz invente le calcul infinitésimal

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Période orthogonale

 Au début des années 1960, Georges Mathieu adopte une nouvelle manière faisant désormais place à des tracés rectilignes. Jusque dans les années 1970, ce langage plus géométrique fait appel à des graphismes qui peuvent évoquer un univers urbain ou industriel. Cette évocation du progrès technique des Trente Glorieuses (1945-1975) est celui que Mathieu choisit de symboliser au revers de la pièce de 10 francs frappée en 1974.


Projet de façade pour le siège de RTL à Paris, 1968, plâtre et résine dorée 
Dans le domaine architectural, qui le verra notamment signer le bâtiment d'une usine vendéenne en 1972, Mathieu réalise plusieurs études pour répondre au concours lancé par la station de radio RTL pour la façade de son siège, rue Bayard à Paris. Le motif de la résille, lointainement inspirée par la grille cubiste, inclut des éléments colorés. C'est finalement Victor Vasarely qui remporte le concours en 1969 avec une proposition très différente (démontée en 2017).
Étude pour l'affiche célébrant le 50e anniversaire de l'Union internationale des chemins de fer, 1971, huile sur toile

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Rupture promise, 1973, huile sur toile
Micromégas, 1973, huile sur toile
Port-Royal, 1964, huile sur toile

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Arsilda, 1970, huile sur toile
Méru, 1965, huile sur toile
Mégapolis II, 1969, huile sur toile

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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La pièce de 10 francs, 1974-1981
En janvier 1974, le ministre de l'Économie et des Finances, Valéry Giscard d'Estaing, organise un concours pour la conception de la nouvelle pièce de 10 francs. Désireux qu'une de ses œuvres entre dans la poche des Français, Mathieu se lance dans la compétition avec l'intention d'inventer de nouveaux symboles monétaires. Esquissant d'abord différents motifs abstraits s'inspirant de ses créations antérieures, il choisit de représenter les contours de la France à l'avers et, au revers, des tracés orthogonaux pour évoquer la modernité industrielle

Diverses esquisses pour l'avers.

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Agrandissement du revers, 1974, galvanoplastie, cuivre doré

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La pièce en cupronickel et aluminium qui a habité nos portemonnaies de 1974 à 1987, avant d'être remplacée brièvement par une pièce blanche en nickel qui a été vite retirée car elle se confondait trop facilement avec la pièce de deux francs, puis par une pièce bicolore, amorce des pièces d'un et deux euros, qui eut cours jusqu'à l'arrivée de ces dernières le 1er janvier 2002. (Rappelons à nos jeunes lecteurs que cette pièce valait 1,524 €)

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Suite en blanc

Mathieu se livre à plusieurs reprises dans les années 1960 à de drastiques réductions chromatiques. Sous la forme de longs filets sortis du tube, le graphisme blanc sur blanc ne s'accompagne que de quelques discrets aplats de couleurs. Les commandes de la Manufacture nationale de céramique de Sèvres permettent à Mathieu d'appliquer ce minimalisme sur porcelaine avec des services présentant des filets d'or sur blanc.

Guermantes, 1964, huile sur toile
Prière, 1962, huile sur toile
Orion I, 1980, huile sur toile

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Assiettes, 1967-1969, céramique - Manufactures nationales, Sèvres & Mobilier national
En 1967, Mathieu entame une collaboration avec la Manufacture de Sèvres. Calligraphe habile, il s'approprie la surface blanche et diaphane des assiettes en porcelaine des services Diane et Brimborion et invente des décors tracés à l'or pur. Commandés à l'occasion des expositions universelles de 1967 et de 1970, les motifs des services Montréal et Osaka reprennent le dispositif architectural des deux pavillons français. En 1970, Mathieu conçoit la marque de fabrique de la manufacture pour la Ve République, toujours en usage.

 

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Artiste populaire

Outre la pièce de 10 francs, le graphisme de Mathieu a marqué le quotidien des années 70-80 :

Le premier logo de la chaîne de télévision Antenne 2 (6 janvier 1975 au 12 septembre 1983)

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Le trophée des Sept d'or, cérémonie de récompenses de la télévision française, organisée par le magazine de programmes télévisuels Télé 7 jours, de 1975 à 1991, puis de 1993 à 2001 et enfin en 2003.

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Timbre célébrant le double anniversaire du 18 juin 1940 et de la mort du Général de Gaulle en 1970

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Œuvres Zen

En 1957, un voyage au Japon confirme l'intérêt de Mathieu pour l'esthétique Zen qui l'amène épisodiquement vers une plus grande économie de moyens. En 1964, il illustre le livre de Robert Godet, Le Judo de l'esprit. En 1971, on le voit peindre Karaté au début du film Mathieu ou la Fureur d'être. Cette séquence vient illustrer les notions de risque et de vitesse qui sont au fondement de sa pratique artistique.


Anneau de la Princesse Honora, 1961, huile sur toile
Relevant de ces « œuvres zen» que Mathieu aura régulièrement conçues à partir de la fin des années 1950, cette peinture, dont le titre convoque le souvenir d'une princesse byzantine ayant cherché à nouer alliance avec Attila, n'est constituée que de quelques tracés elliptiques exécutés à la force du poignet, à la manière d'un paraphe agrandi.
Karaté, 1971, huile sur toile
Réagissant aux mouvements et aux cris martiaux de deux karatékas placés devant lui, l'un européen, l'autre asiatique, respectivement vêtus de noir et de rouge, Mathieu brosse énergiquement cette composition, en commençant par les ponctuations de rouge avant d'exécuter un graphisme noir aux allures d'idéogramme japonais. Les éclaboussures qui en émanent manifestent la fulgurance du geste pictural.

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Hommage à Louis IX, 1957, huile sur toile
Le Vide interrompu, 1999, gouache et encre sur papier
L'Ombre chinoise désintégrée, 1999, aquarelle et encre sur papier

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Et en conclusion : « L'avenir d'un style »

À partir des années 1980, Georges Mathieu poursuit son œuvre dans un contexte artistique désormais moins favorable à l'« abstraction lyrique » dont il reste l'ultime représentant. Unique dans son œuvre, La Libération d'Orléans par Jeanne d'Arc constitue un étonnant retour à la figuration, alors que Mathieu continue à produire des peintures pleinement abstraites. Par leurs titres, poético-psychologiques, celles-ci traduisent une sorte de désenchantement.

La Libération d'Orléans par Jeanne d'Arc, 1982, huile sur toile
Cette œuvre a été présentée pour la première fois à Tokyo en 1982 dans une exposition consacrée par l'historienne Régine Pernoud à « Jeanne d'Arc et son temps ». C'est d'abord une commande de la municipalité d'Orléans destinée à son nouvel Hôtel de Ville. Qualifiée par Mathieu lui-même d'« œuvre hybride, que l'on pourrait appeler abstracto-figurative», cette peinture d'histoire, dans le sens le plus académique du terme, aurait été conçue pour le plaisir de Régine Pernoud et celui des enfants qui pouvaient y retrouver certains repères, comme ces lances, drapeaux et croupes de chevaux orientés vers les tours d'une cathédrale bien reconnaissable.
 

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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L'Heure sans nuit, 1986, huile sur toile
Rêves desséchés, vers 1990, huile sur toile
Sous ce titre trahissant un état dépressif, la composition de cette peinture, caractéristique de la production du dernier Mathieu, se déploie dans la partie supérieure du support. Sur des faisceaux de touches effilées noires, de larges tracés et amas rougeoyants s'écoulent comme des larmes de sang. L'œuvre, comme la grande majorité des œuvres de Mathieu conservées par le Musée national d'art moderne, provient d'une des dations acceptées par l'Etat depuis la disparition de l'artiste.

Georges Mathieu - Geste, vitesse, mouvement
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Dans le flou - Une autre vision de l'art de 1945 à nos jours

7 Juin 2025 , Rédigé par japprendslechinois

Au musée de l'Orangerie, une exposition qui sort un peu de l'ordinaire, consacrée au "flou". Les commissaires la présentent ainsi :

Les Nymphéas ont longtemps été regardés par les artistes ou étudiés par les historiens comme le parangon d’une peinture abstraite, all over, sensible, annonciatrice des grandes installations immersives à venir. En revanche, le flou qui règne sur les vastes étendues aquatiques des grandes toiles de Monet est resté un impensé. Ce flou n’avait pas échappé à ses contemporains, mais ils y voyaient l’effet d’une vision altérée par une maladie oculaire. Il nous semble aujourd’hui pertinent et plus fécond d’explorer cette dimension de l'oeuvre tardif de Monet comme un véritable choix esthétique dont la postérité doit être mise au jour.

Prologue

L'esthétique du flou apparaît bien avant la période moderne. Elle donne de l'imprécision à certains contours, joue des effets vaporeux dans le paysage et, jusqu'au flou atmosphérique des œuvres de William Turner, gagne progressivement le premier plan des tableaux. À la fin du XIXe siècle, l'impressionnisme marque véritablement un tournant ; le flou y culmine, au point que la figure se dissout. Dans le même temps, la photographie naissante s'empare du potentiel esthétique induit par la nature même de son procédé mécanique et fait du flou le signe de la subjectivité de son auteur. Cette affirmation de la vision de l'artiste trouve un écho dans les créations des symbolistes. En explorant leur moi intérieur, ceux-ci révèlent par le trouble ce que la vision nette dissimule d'ordinaire à la conscience.

Joseph Mallord William Turner (1775-1851) : Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain ou Confluent de la Severn et de la Wye, vers 1845, huile sur toile
 

Dans le flou - Une autre vision de l'art de 1945 à nos jours

Claude Monet (1840-1926) : Le Bassin aux nymphéas. Harmonie rose, 1900, huile sur toile
Auguste Rodin (1840-1917) : Dernière vision, L'Étoile du matin ou Avant le naufrage, 1902, marbre
À partir du milieu des années 1890, le sculpteur Auguste Rodin fait évoluer son esthétique, floutant les contours de ses marbres, faisant vibrer la matière. Comme Eugène Carrière en peinture, comme Edward Steichen dans ses tirages photographiques, il semble voir désormais toute chose comme «à travers un imperceptible voile». 
Eugène Carrière (1849-1906) : Portrait de Rodin, vers 1900, huile sur toile
Julia Margaret Cameron (1815-1879) : Mrs Herbert Duckworth (Julia Jackson), 1872, épreuve au charbon

Dans le flou - Une autre vision de l'art de 1945 à nos jours
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Edvard Munch (1863-1944) : L'Œil malade de l'artiste. Nu agenouillé avec un aigle, 1930, aquarelle sur papier
Dans les années 1930, le peintre norvégien Edvard Munch est atteint d'une maladie oculaire. Une hémorragie de la rétine atteint son œil droit, alors qu'il souffrait déjà d'une acuité réduite à gauche. Il peint et note au jour le jour les effets de cette dégénérescence, intégrant les taches noires qui perturbent sa vision à ses compositions.
Medardo Rosso (1858-1928) : Ecce Puer, 1906, bronze
Georges Seurat (1859-1891)  : La Voilette, non daté, crayon Conté
Odilon Redon (1840-1916) : L'Œil au pavot, 1892, fusain, estompe, traces de gommage, grattage, rayures et traits d'encadrement au crayon rouge sur papier vergé
Edward Steichen (1879-1973) : Balzac - The Silhouette, 4 a.m., 1911, héllogravure

Dans le flou - Une autre vision de l'art de 1945 à nos jours
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Aux frontières du visible

En jouant des effets du flou, les artistes questionnent nos modes de perception, proposent de revenir à la source du regard, et nous poussent ainsi à nous défaire d'une lecture univoque du réel. Ils interrogent les lisières du visible, reprenant le vocabulaire de l'imagerie scientifique, de la vision de l'inframince à l'immensité du cosmos (Gerhard Richter, Sigmar Polke ou Thomas Ruff). Ils font vaciller les repères traditionnels de la représentation, jouant de l'indis- tinct plutôt que de l'opposition entre figuration et abstraction (Mark Rothko, Hiroshi Sugimoto, Hans Hartung). Par des effets optiques, ils mettent à l'épreuve le regardeur en stimulant son acuité vi- suelle avec malice (Wojciech Fangor, Ugo Rondinone, Vincent Dulom). En déstabilisant le regard, le flou tend à rendre la vision consciente d'elle-même.

Sigmar Polke (1941-2010) : Pasadena, 1968, huile et peinture acrylique sur toile
Cette peinture est tirée d'une photographie de la première mission Surveyor (1966-1968) destinée à capturer des images de la surface lunaire. En imitant la trame de l'image telle qu'elle a été diffusée dans la presse, Polke tourne en dérision le choc de cette vision qui ne montre rien.
Clémence Mauger (née en 1991) : Darker Shines Planet of Grapes Deep Blowing, 2023, encre de Chine sur papier
Ugo Rondinone (né en 1964) :
N°42 VIERZEHNTERJANUARNEUNZEHNHUNDERTDREIUNDNEUNZIG, 1996, acrylique sur toile
Wojciech Fangor (1922-2015) : N 17, 1963, huile sur toile de jute

Dans le flou - Une autre vision de l'art de 1945 à nos jours
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Laure Tiberghien (née en 1992) : 499#2, 2023, tirage chromogène unique
Thomas Ruff (né en 1958) : ma.r.s.01_III, 2011, tirage chromogène sous Diasec
Cette œuvre appartient à une série que l'artiste, passionné d'astronomie, consacre à Mars. Il travaille d'après des photographies haute résolution de la surface de la planète, prises par un satellite de la NASA. Si l'œil peine à lire cette image, c'est que le photographe l'a ensuite retouchée numériquement par compression et ajout de couleurs, réduisant ainsi sa qualité. Sous l'apparence de la réalité, cette représentation n'est que la vision imaginaire et fantasmée d'une planète qui reste inaccessible aux regards humains.
Hiroshi Sugimoto (né en 1948) : English Channel, Weston Cliff - Lake Michigan, Gills Rock - Sea of Japan, Hokkaido - North Pacific Ocean, Mount Tamalpais, 1994, 1995, 1987, 1994, tirages gélatino-argentiques
Albert Oehlen (né en 1954) [notre billet du 11 janvier 2025] : Untitled, 2016, huile sur toile

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Vincent Dulom (né en 1965) : Hommage à Monet, 2024, jet d'encre sur toile (unique)
Vincent Dulom produit ses peintures en déposant sur la toile, en un unique passage, une pellicule de pigments par le biais d'une imprimante. Ce procédé produit un halo qui émerge à la surface du support en offrant d'infimes variations vibratoires. Au gré de ses tentatives d'accommodation, l'œil voit des nappes colorées apparaître, des nuances chromatiques se préciser, une dissipation progressive de la forme advenir.
Claire Chesnier (née en 1986) : 140223, 2023, encre sur papier
Mark Rothko (1903-1970) [nos billets du 2 mars et du 16 mars 2024] : Untitled, 1948, huile sur toile
Cette toile est réalisée peu après le passage de l'artiste à l'abstraction. Rothko y superpose des couches de peintures diluées, Jouant sur l'intensité des couleurs, l'irrégularité des formes, et leur distinction avec le fond de la tolle. Le peintre propose ainsi une expérience à la fols perceptive et corporelle, celle de l'observation sur le temps long, pour saisir l'atmosphère, mouvante et nuageuse, de la peinture. «J'utilise des bords estompés. J'al dit qu'ils sont atmosphériques, donc ils suscitent une réaction atmosphérique.» Le flou procède ici pleinement de son cheminement vers le color field (champ coloré).
Yves Klein (1928-1962) : La Marque du feu (F85), 1961, carton brûlé sur panneau

Dans le flou - Une autre vision de l'art de 1945 à nos jours
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Gerhard Richter (né en 1932) : Appearance (Schein), 1994, huile sur toile
Hans Hartung (1904-1989) [nos billets du 15 février et du 25 février 2020] : T1982-H31, 1982, acrylique sur toile
Daniel Turner (né en 1983) : Oxnard Burnish (03.07.24), 2024, Gesso, lanoline et cuivre bruni sur toile
Artiste installé à New York, Daniel Turner accorde beaucoup d'importance aux matériaux employés qui lui permettent de donner forme à des récits ancrés dans un territoire donné. Pour réaliser cette toile, l'artiste a extrait des composants en cuivre contenus dans des tuyaux prélevés dans la centrale électrique désaffectée d'Oxnard, au sud de Los Angeles. Ces composants ont ensuite été transformés en laines de cuivre raffinées, prenant la forme de filaments abrasifs. Ces sortes d'éponges métalliques ont été frottées sur la toile pour créer des ombres voilées, présences fantomatiques et images poétiques de ce lieu aujourd'hui déserté.
Claudio Parmiggiani (né en 1943) : Polvere, 1998, fumée et suie sur panneau
Le travail de Parmiggiani s'inscrit dans la lignée de l'Arte Povera [nos billets du 1er février et du 8 février 2025], mouvement italien des années 1960 dont les moyens de création s'opposent à la logique productiviste de la société de consommation. En créant un feu contrôlé, l'artiste laisse ici se former une fine pellicule de suie sur les étagères de sa bibliothèque recouverte d'ouvrages. Une fois le mobilier enlevé, se dessine en négatif une empreinte aux contours vaporeux. «Il ne restait que les ombres des choses, presque les ectoplasmes de formes disparues, évanouies, comme les ombres des corps humains vaporisés sur les murs d'Hiroshima.»

Dans le flou - Une autre vision de l'art de 1945 à nos jours
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Érosion des certitudes

C'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que l'on voit véritablement se déployer la dimension proprement politique de l'esthétique du flou. Après la découverte des camps de concentration, face à l'impossibilité de représenter l'irreprésentable, le flou vient voiler une réalité que le regard ne peut soutenir. Dans le même temps, il vient aussi nous forcer à faire la mise au point, nous obligeant de ce fait à nous attarder sur l'image, à regarder cette réalité en face. Remettant en question le statut et la valeur de l'image, les artistes proposent une vision à la fois poétique et désenchantée des tragédies qui ont traversé l'histoire du xxe siècle, jusqu'aux crises les plus actuelles.

Christian Boltanski (1944-2021) : 
École de Grosse Hamburgerstrasse (Les enfants cachés), 2005, huile sur tirage argentique noir et blanc
Kaddish: Menschlich, Sachlich, Örtlich, Sterblich, 1998, Paris, musée d'Art moderne de la Ville de Paris et Munich, éditions Gina Kehayoff
Menschlich, 1994, Aachen, Leipzig, Paris, Thouet, W. König
Artiste plasticien français né en 1944 d'un père juif ayant échappé à la déportation, Christian Boltanski questionne la mémoire individuelle et collective en exploitant la dimension funèbre propre à la photographie. Dans ses livres comme dans cette œuvre, Boltanski recourt à des portraits anonymes flous obtenus souvent par reproduction de reproduction. Ce procédé brouille l'identité des sujets et renvoie l'image universelle d'une humanité dans laquelle chacun peut se reconnaître.
 

Dans le flou - Une autre vision de l'art de 1945 à nos jours
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Bracha Lichtenberg Ettinger (née en 1948) :
Medusa (series), 2012, encre de Chine, pigments et cendres photoscopiques, aquarelle, crayon de couleur et craie sur papier
Aerial Views (series), 1985/2018-2021, encre de Chine, poudre de toner au carbone, pigment et cendres photocopiques, aquarelle et crayon de couleur sur papier
Eurydice - Pieta (series), 2013-2018, encre de Chine, pigment, cendres photocopiques et aquarelle sur papier
Zoran Mušič (1909-2005) : Enclos primitif, 1960, huile sur toile

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Krzysztof Pruszkowski (né en 1943) : Quinze miradors du camp d'extermination de Majdanek (Pologne), 1992, Fotosynteza, sels d'argent sur papier
Le photographe Krzysztof Pruszkowski développe, à partir de 1975, un nouveau procédé qu'il appelle «photosynthèse». Il photographie plusieurs fois le même motif, en le superposant avec un léger écart, pour créer une image synthétique. Il produit ainsi, par ce léger chevauchement, une image vibrante, presque spectrale, qui modifie la perception de la réalité et la trace que notre mémoire va en conserver.
Christer Strömholm (1918-2002) : Child in Hiroshima, 1963, tirage argentique d'époque
Thomas Ruff (né en 1958) : jpeg ny01, 2004, tirage chromogène sous Diasec
Gerhard Richter (né en 1932) : September, 2005, huile sur toile
Cette tolle représente la collision du premier avlon sur la tour nord du World Trade Center, le 11 septembre 2001 à New York.
 

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Miriam Cahn (née en 1949) : das schöne blau, 2008 + 28.05.2017, huile sur toile
Artiste activiste et féministe, Miriam Cahn envisage son œuvre comme une caisse de résonance des conflits contemporains et de leur médiatisation. Ici, des figures humaines diaphanes affrontent silencieusement une situation dans laquelle leur corps se dissout, exposées dans toute leur fragilité. Les personnages se fondent dans un environnement aquatique sur le point de les aspirer dans les profondeurs. Commencé en 2008, ce tableau est inspiré par les images de migrants fuyant l'Afrique du Nord en traversant la Méditerranée au péril de leur vie.
Philippe Cognée (né en 1957) : Métamorphose I, 2011, peinture à la cire sur toile
La technique singulière de Philippe Cognée consiste à reproduire des images photographiques en utilisant une peinture encaustique de pigments mêlés à de la cire d'abeille.
Luc Tuymans (né en 1958) : Sniper, 2009, huile sur toile
Peintre de la banalité du mal, l'artiste belge Luc Tuymans travaille d'après des images glanées dans les médias.
Estefanía Peñafiel Loaiza (née en 1978) : Un air d'accueil, 2013-2019, photographie reproduite sur papier peint
Née en Équateur et installée en France depuis 2002, Estefanía Peñafiel Loaiza s'intéresse à l'histoire et à la mémoire des lieux et des personnes qui les traversent. Dans cette série, elle prend comme source les systèmes de vidéosurveillance empêchant les migrants de traverser les frontières terrestres.
Nicolas Delprat (né en 1972) : Zone 3, 2007, acrylique sur toile
Cette toile appartient à une série plus large dans laquelle le spectateur est confronté à la représentation d'un grillage grandeur nature.

Dans le flou - Une autre vision de l'art de 1945 à nos jours
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Éloge de l'indistinct

Le monde est flou, quoi que nous fassions pour en dessiner les contours. Toute mise au point n'est finalement qu'éphémère. L'identité, elle aussi, est floue, insaisissable, constamment changeante (Oscar Muñoz, Hervé Guibert, Bertrand Lavier). Entre mémoire incertaine du passé (Eva Nielsen) et refus d'une représentation figée au présent (Mame-Diarra Niang), le flou devient une quête d'identité. Résultat d'une forme de naïveté technique, mais aussi garantie de la spontanéité du moment saisi, le flou de la photographie amateur capte la vie là où elle est la plus réelle et donne à voir ce qui échappe souvent au regard. Les effets de défiguration permis par cette esthétique révèlent parfois aussi la part d'animalité qui traverse la représentation humaine (Francis Bacon, Pipilotti Rist).

Alfredo Jaar (né en 1956) : Six Seconds, 2000, impression jet d'encre pigmentaire
Artiste, architecte et réalisateur chilien, Alfredo Jaar questionne dans son travail la possibilité de produire une œuvre d'art à partir d'événements déformés par leur médiatisation. Six Seconds est la dernière pièce d'un projet de plus de six ans consacré au génocide rwandais. «C'est l'image d'une jeune fille de dos. Cette jeune fille avait été témoin de la scène où son père et sa mère se font tuer à coups de machette. J'avais pris un rendez-vous avec elle pour qu'elle me raconte son histoire. Mais quand elle est arrivée, elle a changé d'avis (...) Au moment où elle se retourne et rebrousse chemin, je saisis mon appareil et prends une photo sans vraiment faire le point, d'où le flou. Cette image floue représente mon incapacité à raconter l'expérience de cette femme ou l'expérience du Rwanda.» 
Gerhard Richter : I.G., 1993, huile sur toile
Alberto Giacometti (1901-1966) : Figurine, vers 1947, bronze
Hiroshi Sugimoto (né en 1948) : Past Presence 071, L'Homme qui marche II,  Alberto Giacometti, 2016, tirage argentique

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Antoine d'Agata (né en 1961) : Service Covid-19, Hôpital Bagatelle, Bordeaux, mai 2020, impression jet d'encre pigmentaire sur papier Hahnemühle
Pendant le confinement, Antoine d'Agata réalise deux séries
de photographies à la caméra thermique, dans les rues et à l'hôpital. Il s'approprie ainsi une technologie de surveillance et de reconnaissance conçue à des fins scientifiques et militaires. Ces photographies d'un nouveau genre témoignent de la solitude forcée par l'interdiction des contacts physiques, mais aussi du soin porté aux personnes hospitalisées pendant cette période. Il en résulte des images aux contours flous, presque brûlés. Les traits des visages sont comme avalés par la lumière émanant des radiations infrarouges. Les corps s'en trouvent tout à la fois anonymisés et sublimés.
Eva Nielsen (née en 1983) : Scope (6), 2021, acrylique, encre de Chine sur toile et organza imprimé
Artiste franco-danoise, Eva Nielsen explore la perméabilité entre peinture et photographie par l'usage de la sérigraphie sur toile.
Christian Boltanski : LOST, New York Projects, 1995, boîte en fer-blanc, photo et objet
Thomas Lélu (né en 1976) : Manuel de la photo ratée, 2007, Paris, éditions Léo Scheer

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Anonyme : Ensemble de 103 photographies amateur collectionnées par Sébastien Lifshitz, examinés par une visiteuse attentive

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Mame-Diarra Niang (née en 1982) : Morphologie du rêve #6, 2021, impression jet d'encre sur papier métallique photo rag, édition de 7+ 2AP
Artiste et photographe française, Mame-Diarra Niang explore dans ses photographies récentes l'identité du corps noir, refusant toute tentative de définition ou de narration qui reposerait sur les siècles d'histoire de la représentation occidentale. Elle cherche ainsi à l'abstraire, à travers ce qu'elle appelle des formes de non-portraits.
Bertrand Lavier (né en 1949) : MERION, 2024, peinture et gel médium acryliques sur bois et Dibond® 
Francis Bacon (1909-1992) : Figure Crouching, 1949, huile et sable sur toile

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Et pour finir, la dernière section de l'exposition, au titre aussi énigmatique que les précédentes :

Incertains futurs

La spiritualité, abordée sous l'angle des lieux ou des gestes sacrés saisis par Hiroshi Sugimoto et Y.Z. Kami, résonne comme une réponse possible aux incertitudes contemporaines. Capturé pendant le confinement de 2020, le bouquet de Nan Goldin vient souligner la beauté et la fugacité d'un quotidien troublé dans un monde en perte de repères. La question du temps, qu'il s'agisse de celui donné par l'horloge faussement numérique de Marteen Baas, ou du futur imprévisible annoncé par Mircea Cantor, s'expose comme objet de contemplation et d'interrogation existentielle. Paradoxalement, le flou se fait à la fois symptôme d'une époque troublée et condition d'un réenchantement, signe d'une inquiétude et espace de réinvention des possibles.

Léa Belooussovitch (née en 1989) : Sequoia National Forest, Californie, États-Unis, 27 septembre 2021, série Brasiers, 2023, dessin au crayon de couleur sur feutre de laine
Léa Belooussovitch réalise des dessins aux crayons de couleur sur feutre de laine à partir d'images médiatiques. Appliquée sur ce matériau textile isolant, la couleur se répand en profondeur, sans limite apparente, et crée un trouble dans l'œil comparable à celui d'une nuée ardente en train de tout consumer sur son passage.
Gerhard Richter : Blumen (815-1), 1994, huile sur toile
Nan Goldin (née en 1953) : 1st Days in Quarantine, Brooklyn, NY, 2020, impression jet d'encre pigmentaire
La photographe et activiste américaine Nan Goldin a toujours affronté dans son œuvre, sans détourner le regard mais en leur donnant forme, la douleur et l'angoisse. Ce bouquet posé sur une table devant une fenêtre possède pourtant le charme désuet des natures mortes classiques. Le flou qui y règne semble y apporter une touche de poésie nostalgique. Si ce n'étaient ces deux dessins de crânes, symboles de danger, discrètement apposés sur un papier collé à la vitre. Nous sommes tous mortels, nous rappelle cette image, moment suspendu, volé par l'artiste alors qu'elle voyait les fleurs se faner, pétale par pétale, pendant qu'elle était confinée lors de la première vague de COVID-19.
Maarten Baas (né en 1978) : Real Time Analog Digital Clock, 2009, vidéo sans son, 12 heures

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Y.Z. Kami (né en 1956) : 
Hands, 2019, huile sur toile de lin
Untitled (Hand) I, 2013, huile sur toile de lin
Né à Téhéran en 1956, Y.Z. Kami vit et travaille à New York depuis 1984. Dans son œuvre peint, réalisé à partir de ses propres photographies, il explore le flux entre matière et esprit et cherche à évoquer le sentiment d'une présence. Ces deux peintures prennent leur source dans des fragments de portraits de proches: la main d'une femme indienne détentrice d'une pratique ancestrale de danse sacrée, et les mains Jointes d'un moine bouddhiste.
Hiroshi Sugimoto : Chapelle Notre-Dame du Haut, Ronchamp, 1998, tirage gélatino-argentique

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À la sortie de l'exposition, Mircea Cantor (né en 1977) : Unpredictable Future, 2015, caisson lumineux
Artiste d'origine roumaine, installé en France à la fin des années 1990, Mircea Cantor se définit comme «artiste du monde». Il interroge les failles de notre société contemporaine au travers d'une œuvre poétique plurielle.
Dans Unpredictable Future, il photographie la trace tremblante laissée par son doigt sur une vitre embuée. Du même coup, il conserve à dessein la petite faute d'orthographe en anglais (« unpredicteble ») du jeune artiste. De ce «futur imprévisible», il propose avec autodérision d'accepter le sort, rendant pérenne un acte éphémère, et fixant sur la pellicule l'instabilité du futur, entre espoir et inquiétude.

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