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24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 09:00

Exposition originale en ce moment au musée national d'art moderne, au Centre Pompidou, ou plutôt une installation qui à travers tout l'étage supérieur du musée met en dialogue des œuvres et des créations de mode. En 2022 déjà, avec « Yves Saint Laurent aux Musées », le Centre Pompidou initiait une conversation chromatique et conceptuelle entre silhouettes de créateurs et œuvres de la collection du Musée national d’art moderne (notre billet du 9 avril 2022). « La Traversée des apparences » poursuit ce dialogue.

 De Christian Dior à Iris van Herpen, d'Azzedine Alaïa à Thebe Magugu, de Jean Paul Gaultier à Issey Miyake en passant par Chanel ou Charles de Vilmorin, le parcours dans le Musée, jalonné par dix-sept modèles, trace des lignes de correspondance entre créateurs de mode et artistes, modernes ou contemporains.

1. Viktor&Rolf

Viktor Horsting, né en 1969 à Geldrop (Pays Bas)
Rolf Snoeren, né en 1969 à Dongen (Pays Bas)
Robe longueur genou à épaules dénudées en toile blanche et finie avec un cadre en bois. (Wearable Art Haute Couture, automne-hiver 2015)
Depuis la création de leur griffe en 1993, Viktor&Rolf n'ont cessé de bousculer les codes de la mode, entre mises en scène conceptuelles et parodies de comédies musicales. Ils envisagent la mode du côté de la distorsion, de la déconstruction, de la remise en question, au nom d'un style « maximal minimal ». Avec cette collection « d'art portable », le duo néerlandais met en abyme les prétentions « plasticiennes » et les paradoxes d'un univers tiraillé entre le bruit et le silence.

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

2. Thebe Magugu / Ernst Ludwig Kirchner

Thebe Magugu, née en 1993 à Kimberley, (Afrique du Sud)
«Tswana Mother and Child dress», robe en crêpe polyester recyclé, avec motifs originaux signés Phathu Nembilwi ; pièce unique réalisée en 2023 à partir de la collection « Heritage Capsule » 2020

À travers cet échange polychrome et figuratif, et à plus d'un siècle d'intervalle, deux palettes magnifient l'attitude féminine dans ses universelles différences. L'une, à Berlin, l'autre à Johannesburg. Thebe Magugu est le premier lauréat sud-africain du prix LVMH en 2019. « J'ai compris que l'urgence était d'aller chercher au fond de soi-même la lumière, l'espoir, la force », affirme-t-il. À travers l'intensité de ses couleurs, il partage avec le peintre expressionniste Ernst Ludwig Kirchner le feu des souvenirs, l'exploration intimiste du corps féminin, qu'il s'agisse de la solitude face au miroir ou de la figure maternelle glorifiée. Pour le peintre allemand,
« toutes les rencontres de la vie quotidienne ont ainsi été inscrites dans nos mémoires ».

Ernst Ludwig Kirchner (1880, Aschaffenbourg - 1938, Frauenkirch, Davos) 
Toilette - Frau vor dem Spiegel [Toilette-Femme au miroir], 1913/1920 ​​

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

Dans la même salle, d'autres toiles de l'école expressionniste allemande :
August Macke (1887-1914) : Lautenspielerin [Joueuse de luth], 1910, huile sur toile
Emil Nolde (1867-1956) : Stilleben mit zwei Tänzerinnen [Nature morte aux danseuses], 1914, huile sur toile
Maria Marc (née Franck, 1876-1955) : Weihnachtengel mit Bethlehemszene, 2. Fassung [Ange de Noël avec scène de Bethlehem, 2e version], vers 1911-1912, huile sur toile
Gabriele Münter (1877-1962) : Drachenkampf [Combat du dragon], 1913, huile sur toile
Vassily Kandinsky (1866-1944) :
Improvisation 3, 1909, huile sur toile
Improvisation XIV, 1910, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

3. Yves Saint-Laurent / Henri Matisse

Yves Saint Laurent (1936, Oran - 2008, Paris)
Ensemble du soir, haute couture, automne-hiver 1969, prototype réalisé dans l'atelier de Madame Esther. Robe et étole de crêpe et georgette de soie Abraham; sculpture moulée de Claude Lalanne en cuivre galvanique doré.

« Le plus beau vêtement d'une femme, c'est sa nudité » assurait Yves Saint Laurent, attentif à affranchir la mode de toutes ses entraves et de tous les tabous. En 1969, il poursuit le dialogue avec l'art initié par ses premières robes tableaux (1965) en travaillant directement dans l'atelier de son amie la sculptrice Claude Lalanne. Celle-ci réalise des moulages du corps de la mannequin Verushka. Autour de Luxe 1, la conversation se prolonge avec Henri Matisse, l'un des peintres préférés du couturier, sur le thème du mouvement et de la liberté: une leçon d'épure qui ne cherche pas à imiter la vie, mais modèle le sujet autour de la lumière.

Henri Matisse (1869, Le Cateau-Cambrésis - 1954, Nice)
Le Luxe I, été 1907, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

Quelques autres toiles de Matisse dans la même salle :
Tête blanche et rose, 1914, huile sur toile
Marguerite au chat noir, 1910, huile sur toile​​​​​​​
Intérieur, bocal de poissons rouges, printemps1914, huile sur toile​​​​​​​
Porte-fenêtre à Collioure, 1914, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

4. Comme des Garçons / Francis Picabia

Comme des Garçons [Rei Kawakubo, née en 1942, Tokyo (Japon)]
Ensemble issu de la collection Paysage d'Ombres, technique 100% coton. automne-hiver 2021-2022

« Au milieu du débordement incessant de choses diverses, du déluge de couleurs, du flot de sons et du flot d'informations... J'avais besoin de respirer dans la sérénité monochrome » assure Rei Kawakubo à propos de cette collection. Le noir dont elle a fait un étendard devient la matière de toutes les expansions millimétrées. C'est en expérimentant de nouveaux volumes qu'elle se joue de tous les stéréotypes, jusqu'à la démesure. Avec son ensemble bouffant XL, le modèle semble surgi de l'Udnie de Francis Picabia, la transe d'une danseuse dont la silhouette tourbillonne parmi les formes abstraites.

Francis Picabia (1879, Paris - 1953, Paris)
Udnie (jeune fille américaine ; danse), 1913, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

Dans la même salle (Naissance de l'abstraction), on trouve :
Vassily Kandinsky : Mit dem schwarzen Bogen [Avec l'arc noir], 1912, huile sur toile
František Kupka (1871-1957) :
Étude pour Amorpha, Fugue à deux couleurs, 1911-1912, huile sur toile
Disques de Newton. Étude pour Fugue à deux couleurs, 1911-1912, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

5. Popy Moreni / Georges Rouault

Popy Moreni, née en 1947, Turin (Italie)
Ensemble en velours de coton, applications de satin, organdi, broderies de paillettes et de fils multicolores, automne-hiver 1988-1989.

Arlequins, serpentins et velours multicolores témoignent chez Popy Moreni de l'insouciance des années 1980. Issue d'une famille d'artistes, elle crée à Paris ses premières collections en reprenant, de collerettes en manches bouffantes, l'inspiration de la commedia dell'arte, déjà célébrée par la créatrice Elsa Schiaparelli en 1938, avec une collection sur le thème du cirque. Une danse au-dessus d un volcan, entre lamés et paillettes, dont les écuyères, les clowns et particulièrement le pantin du peintre Georges Rouault, expriment la mélancolie derrière le masque.

Georges Rouault (1871, Paris - 1958, Paris)
Clown, 1910-1913, aquarelle et huile sur papier marouflé sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

Quelques autres tableaux de Rouault dans la même salle :
Passion, 1929-1945, huile, encre, gouache sur toile
L'Apprenti ouvrier, 1925, huile sur papier marouflé sur toile
Acrobate, vers 1913, encre, gouache et huile sur papier marouflé sur toile
Nu de dos, 1929-1939, huile, encre, gouache sur papier marouflé sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

6. Charles de Vilmorin / Sonia Delaunay

Charles de Vilmorin, né en 1996 à Saint-Germain-en-Laye
Ensemble « Robe à la française » composé d’une veste oversize à épaulettes asymétriques en taffetas peint à la main à l’acrylique, jupe à panneaux en taffetas peint à la main, crinoline en crin et baleines, bottes en collaboration avec Francesco Russo en cuir peint à la main, Haute Couture printemps été 2021

L'œuvre textile de Sonia Delaunay aurait, selon certains, disqualifié sa peinture. Et l'approche trop artistique de l'un des plus jeunes créateurs de mode français l'éloigne des standards d'un monde dans lequel il a fait irruption, sur Instagram, en plein confinement. Entre les motifs simultanéistes de l'une et les personnages « non genrés, sans origine » de l'autre, la couleur hausse le ton, libérant l'énergie d'une vision singulière, hors de toute assignation à une école. « Il faut revenir à l'essentiel de ce que nous sommes.
C'est plus frontal, plus brutal. J'ai voulu faire quelque chose de coloré. Je ne me suis pas demandé si c'était trop criard... » assure Charles de Vilmorin.

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

La robe de Charles de Vilmorin est placée au centre de la salle où sont accrochées des toiles de Sonia Delaunay et de son mari Richard Delaunay, sans référence à une toile particulère.

Sonia Delaunay, née Terk (1885, Gradizhsk - 1979, Paris) :
Rythme, 1938, huile sur toile
L'Hommage au donateur, 1916, peinture à la cire sur toile
Exilée au Portugal depuis le début de la Première Guerre mondiale, Sonia Delaunay reçoit cette commande au cours de l'été 1916. Il s'agit d'une étude pour le décor de la chapelle d'un couvent jésuite, la Misericordia à Valença do Minho (Portugal) jamais réalisé.

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

Robert Delaunay (1885, Paris - 1941, Montpellier)
Rythme, Joie de vivre, 1930, huile sur toile
Manège de cochons, 1922, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

7. Iris van Herpen / Marc Chagall

Iris van Herpen, née en 1984 à Wamel (Pays-Bas)
Galactic Glitch' Dress, robe en organza transparent teint en dégradé dans des motifs aqua bleu ciel modélisés en trois dimensions dans un logiciel de CAO, puis découpés à la main en une centaine de fines vagues, cousues individuellement sur une tulle extensible.

Dans l'atelier d'Amsterdam, des mains découpent et simulent un corps en éclosion, en plein envol, à travers une robe. Sous ses ailes d'organza, cette « silhouette sculpturale frémissante » ainsi décrite par Iris van Herpen fait écho au tableau de Marc Chagall, Les Mariés de la Tour Eiffel : un autoportrait du peintre avec Bella, l'amour de sa vie, flottant parmi les souvenirs de Russie. Entre métamorphose et mémoire, illusion et exil, une double expression du bonheur et de sa fragilité.

Marc Chagall (1887, Vitebsk - 1985, Saint-Paul de Vence)
Les Mariés de la Tour Eiffel, 1938-1939, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

Quelques autres Chagall dans la même salle :
L'Âme de la ville, 1945, huile sur toile
Les Toits rouges, huile sur papier marouflé sur toile de lin
Dimanche, 1952 - 1954, huile sur toile de lin
Autour d'elle, 1945, huile sur toile
A ma femme, 1933 / 1944, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

8. Azzedine Alaïa / Marcel Breuer

Azzedine Alaïa (1935, Tunis - 2017, Paris)
Robe longue en jersey de laine noire, manches longues, col bateau, fermeture éclair en métal argenté, Azzedine Alaia haute couture 2003

Azzedine Alaïa, c'est une vie entière consacrée à un travail de coupe, associant le temps de l'Orient aux rythmes de l'Occident, dans une redéfinition anatomique du métier de couturier. Tout en collectionnant les maîtres, il observe, capte instinctivement les désirs de son temps, sculpte de ses propres mains des robes à fleur de peau. Pour sa collection automne- hiver 1981-1982, il s'inspire du modèle porté par Arletty dans Hôtel du Nord pour une robe au zip en spirale. Il revisite ce modèle vingt ans plus tard, dans un même élan. Cette démarche fait écho au Manifeste du Bauhaus par Walter Gropius en 1919: « Le monde des dessinateurs doit se tourner vers le bâtir. Il n'existe aucune différence, quant à l'essence, entre l'artiste et l'artisan. »

Marcel Breuer (1902, Pècs -1981, New York)
Salle à manger, 1926, 1 table, 3 chaises, bois laqué, acier chromé, textile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

9. Chanel / Christian Schad

Gabrielle Chanel (1883, Saumur - 1971, Paris)
Haute Couture, entre 1925 et 1930. Robe du soir en dentelle de soie et taffetas de soie.

« Des centaines d'hommes en vêtements de femmes et de femmes en habits d'hommes dansaient sous les regards bienveillants de la police » : dans Le Monde d'hier, Stefan Zweig témoigne ainsi de l'atmosphère des années 1920, qui s'électrisent au rythme du jazz et de tous les travestissements. À Berlin, capitale des arts et de la fête, l'illusion de paix et de prospérité enfièvre les nuits de l'Apollo Theater ou de l'Eldorado, entre smokings et robes de lingerie. Comme échappée du tableau de Christian Schad, écrivain, peintre et poète allemand, organisateur du premier grand bal dada, une robe de Chanel la pionnière semble refléter ces nuits de champagne...

Christian Schad (1894, Miesbach - 1982, Stuttgart)
Le Comte St-Genois d'Anneaucourt, 1927, huile sur bois

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

Dans la même salle (Figurations Allemagne-France) :
Otto Dix (1891-1969) : Errinerungen an die Spiegelsäle von Brüssel [Souvenirs de la galerie des glaces à Bruxelles], 1920, huile et glacis sur fonds d'argent sur toile
Roger de la Fresnaye (1885-1925) : Portrait de Guynemer, 1922, huile sur toile
Max Beckmann (1884-1950) : Der kleine Fisch [Le Petit poisson], 2 juillet 1933, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

10. Marine Serre / Marcel Duchamp

Martine Serre, née en 1991 à Brive-la-Gaillarde
Awakened Icon, défilé Marine Serre printemps-été 2021

« En inventant un langage, en privilégiant le regard porté sur l’objet trivial et banal, bicyclette, roue, urinoir, silhouettes de moulages flottant entre deux plaques de verre, Marcel Duchamp a initié de nouvelles relations entre l’art et le quotidien transfiguré en œuvre. "La collection Amor Fati est une invitation à embrasser concrètement tous les plaisirs et les adversités de la vie..." semble lui répondre la jeune créatrice française Marine Serre dans ce readymade expérimental que j’ai choisi parce qu’il associe en mode dada, le survivalisme et le recyclage. » (Laurence Benaïm, commissaire de l'exposition)

Marcel Duchamp (1887, Blainville-Crevon - 1968, Neuilly-sur-Seine)
Porte-bouteilles, 1914/1964

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

Marcel Duchamp :
Neuf Moules Mâlic, 1914-1915, verre, plomb, peinture à l'huile
Fontaine, 1917/1964, faïence, peinture
Fresch Widow, 1920/1964, bois peint, cuir

Le titre de cette œuvre tient à l'un de ces calembours qu'affectionne Duchamp. De French Window à Fresh Widow, cette fenêtre devient une « veuve effrontée » en référence au cuir noir de ses carreaux.

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

11. Jean-Paul Gauthier / Wilhelm Freddie

Jean Paul Gaultier, né en 1952 à Arcueil (France)
Corset de métal et dentelle plongé dans un bain d'argent, prêt à porter automne-hiver 1988-1989

Dans l'imaginaire surréaliste, l'anatomie se met à l'épreuve de tous les découpages qui sacralisent l'hybridité et la transgression. Ainsi en va-t-il du corps de la religieuse mis à nu par Wilhem Freddie autant que du corset « aux nénés pointus comme des cornets à la crème » celui dont Jean Paul Gaultier fera un emblème, en transformant ce vêtement de dessous en vêtement de dessus. Corset fétiche, corset talisman, perdant son image contraignante pour s'affirmer comme une arme de pouvoir. Un de ceux qu'arborera sur un costume masculin Madonna lors de sa tournée « Blond Ambition » (1990) : « La poitrine transperce la veste: c'est le pouvoir et la sensualité réunis » dira Jean Paul Gaultier.

Wilhelm Freddie (1909, Copenhague - 1995, Copenhague)
Nonnens bøn [La Prière de la religieuse], 1937, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

12. Martin Margiela / Giorgio De Chirico

Martin Margiela, né en 1957 à Louvain (Belgique)
Robe imprimée de cheveux blonds, satin de viscose, Maison Martin Margiela, prêt à porter automne-hiver 2004-2005.
Cape artisanale» faite de 19 chapeaux en feutre récupérés, Maison Martin Margiela, prêt à porter automne-hiver 2004-2005.

Il a bâti sa propre identité, incognito, à l'image de sa griffe sans nom et blanche : « j'aime les vêtements que je n'ai pas inventés », dit-il. En mettant en avant les étapes de la fabrication (bâti, non fini, Stockman transformé en bustier), en jouant avec les tailles comme avec l'envers du décor (doublures, habits récupérés), Martin Margiela s'est imposé comme un chef de file dont la ligne artisanale a révélé l'envers de l'endroit, les jeux de trompe-l'œil. L'imaginaire se soumet à la précision anatomique, telle « l'écriture du songe » évoquée par le poète Ardengo Soffici à propos du peintre Giorgio de Chirico et de ses clairs obscurs.

Giorgio De Chirico (1888, Volos (Grèce) - 1978)
Il Ritornante, hiver 1917-1918, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

13. Issey Miyake / Hans Hartung

Issey Miyake (1938, Hiroshima - 2022, Tokyo)
Mutants Pleats, polyester plissé, collection automne-hiver 1989-1990

À travers ses volumes poids plume issus de recherches technologiques, Issey Miyake suggère des formes primordiales et poétiques qui renvoient le futur à la nuit des temps, à l'éternel retour. Toute la mémoire se condense, fixant en apesanteur les peurs d'un enfant âgé de sept ans quand la bombe atomique explose à Hiroshima. Un temps hérissé de pointes auquel font écho les palmes noires de Hans Hartung, lui qui, petit, dessinait des éclairs. Deux corps ailés se côtoient, offrant au monde leurs blessures respectives.

Hans Hartung (1904, Leipzig - 1989, Antibes)
T 1956-14, 1956, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

14. Yohji Yamamoto / Kazuo Shiraga

Yohji Yamamoto, né en 1943 à Tokyo (Japon)
Long manteau de drap noir doublé de soie sur un faux cul de taffetas de sole rouge, automne-hiver 1986-1987, répétition patrimoniale réalisée en exclusivité par le studio et l'atelier de Yohji Yamamoto, Tokyo pour l'exposition ; chapeau de laine, chaussures de cuir, entièrement confectionnés au Japon.

Si pour Kazuo Shiraga, la peinture est un combat physique avec la couleur, c'est dans le noir extrême et « enveloppant » que Yohji Yamamoto a trouvé l'essence de son expression. Lorsqu'il présente à Paris pour la première fois sa collection en 1981, ses mannequins sont pieds nus, les étoffes semblent usées. À la « poursuite d'une silhouette », et très inspiré par les photographies d'August Sander, il privilégie les vêtements utilitaires et ce « noir enveloppant » pour mieux les calligraphier. Relevée par un faux cul rouge, une redingote très androgyne semble se refléter dans l'une des « performance paintings » de Shiraga, peignant avec son corps.

Kazuo Shiraga (1924, Amagasaki (Japon) - 2008, Amagasaki)
Chizensei Konseimao [Planète nature], juillet 1960, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

15. Kevin Germanier / Ulrike Ottinger

Kevin Germanier, né en 1992 à Granges (Suisse)
« Alien brodé », recyclage de trois silhouettes Germanier, printemps-été 2022,  perles de plastique upcyclées de Hong- Kong, fil de pêche

À l'image des visions mosaïques d'Ulrike Ottinger, les silhouettes de Kevin Germanier sont des apparitions. L'artiste observe et raconte le Paris des années 1960 dans ses peintures comme dans ses films (Paris Calligrammes). De son côté, le créateur « surcycle » tous les déchets de la société de consommation, chutes de tissus, invendus, plumes, strass, jouets, perles, gadgets, pour raconter «la vie dans tout son éclat » La ligne se courbe, électrisant l'anatomie dégenrée dans une fiction qui se joue de l'époque et de ses tabous moralisateurs. Entre jeu d'enfant et apocalypse au bazar,
sa signature est une ode déjantée au surcyclage qui rappelle les perles d'amour multicolores et pop d'Ulrike Ottinger.

Ulrike Ottinger, née en 1942 à Constance (Allemagne)
Liebesperlen [Perles d'amour], 1967, huile sur toile

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

16. Lanvin / Martial Raysse

Lanvin - Alber Elbaz (1961, Casablanca - 2021, Paris)
Robe droite sans manches en soie imprimée buste antique blanc, passage 13, printemps-été 2013

« Essayer de travailler avec le corps, pas contre lui », telle est la volonté d'Alber Elbaz, directeur artistique de Lanvin de 2001 à 2015. Qu'il s'agisse de ses robes drapées, de ses vestes à bords francs, de ses robes de soie à zip industriel, l'obsession est la même : célébrer non pas une femme, mais toutes les femmes, mères, épouses, sœurs, dans un hommage renouvelé à leurs attitudes. Se jouer ici d'un corps de déesse en l'exhibant dans un imprimé trompe-l'œil. Cette déconstruction de la féminité infroissable, de la recherche de l'anatomie parfaite et refaite vient ici faire écho aux compositions de Martial Raysse et à sa critique de la société de consommation, un demi-siècle plus tôt.

Martial Raysse (né en 1936 à Golfe-Juan, vit et travaille à Issigeac)
Tableau métallique : portrait à géométrie convexe, 1964, flocage, peinture industrielle sur toile avec encadrement de bois peint

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)

et le dernier dialogue :

17. Dior / Ellsworth Kelly

Christian Dior (1905, Granville - 1957, Montecatini)
«Bar», tailleur d'après-midi, veste en shantung naturel, jupe corolle en lainage plissé, haute-couture printemps-été 1947, ligne Corolle

Le 12 février 1947, Christian Dior lance au 30 avenue Montaigne à Paris, sa première collection. Quatre-vingt-dix modèles, taille fine et cintrée, buste souligné. Parmi tous les modèles, le tailleur Bar marque le « retour du joli, et du seyant » mais également « d'un idéal de bonheur civilisé » selon le couturier. Avec Dior, la haute couture se condense dans une science de l'aplomb, des volumes. Tout semble opposer cet artificier de la ligne et le peintre américain minimaliste Ellsworth Kelly. Tout sépare le couturier du bonheur et celui qui, en 1951, expose des tableaux qui « ne décrivent plus rien ». Il reste qu'au-delà des formes, figuratives ou impersonnelles, chacun défend à sa manière l'éloquence du silence, celui des lignes.

Ellsworth Kelly (1923, Newburgh (États Unis) - 2015, Spencertown)
White Over Black III, 2015, huile sur toile, deux panneaux joints

La Traversée des apparences (Musée national d'art moderne)
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