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5 août 2023 6 05 /08 /août /2023 08:00

Nous avons déjà eu l'occasion du présenter au lecteur il y a quelques années, alors que commençait son réaménagement, l'Atelier des Capucins à Brest (voir notre billet du 2 septembre 2018). La transformation de cet immense atelier de l'Arsenal de Brest, cédé en 2009 à la Ville par la Marine nationale qui occupait ce plateau depuis 1791, en un gigantesque centre culturel est à présent achevée et sa fréquentation est impressionnante - surtout les jours assez nombreux cet été où le temps est plus que maussade...Nous donnerons d'abord un aperçu d'une intéressante exposition qui s'y déroule, proposée par l’Université de Bretagne Occidentale.

"L’une était un port militaire, l’autre était un joyau baroque de la Saxe. Leur destruction lors de la Seconde Guerre mondiale leur donne une destinée commune, mais leurs situations géopolitiques après 1945 les entrainent dans des logiques de reconstruction distinctes. Comparant trois siècles de projets réalisés ou rêvés, Brest-Dresde invite à réfléchir sur la singularité de chaque ville face aux enjeux d’aujourd’hui."

Le passé

Deux belles images des deux villes au XVIIIe siècle

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

La naissance de l'urbanisme - Die Geburt der Stadtplanung

À Brest, l'avènement de l'âge industriel entraîne des modifications importantes dans le port militaire qui cherche à s'accroître au détriment du commerce et de la pêche. Les aménagements paysagers sans précédent, la construction de gigantesques ateliers navals et les équipements modernes de la Marine auront raison de la ville qui se replie progressivement. En 1865, la Penfeld devient un port définitivement fermé aux civils.
Jusqu'en 1861 Brest est comme coupée en deux : l'accès à Recouvrance est difficile car aucun pont ne relie les deux rives de la Penfeld. Des projets audacieux qui essayent de réconcilier l'usage militaire du port et l'usage civil du passage d'une rive à l'autre aboutiront à la construction d'un pont tournant.
Pendant un siècle, les Brestois, conscients des atouts géographiques de leur ville, caressent le rêve d'un port transatlantique qui contrebalancerait l'emprise maritime de l'armée. Ce projet du « port le plus vaste du monde » qui aurait nécessité des comblements importants ne resta qu'une utopie face à la concurrence d'autres villes françaises. Néanmoins il complète la mosaïque de l'imaginaire océanique de Brest.
Du côté de la terre, Brest commence à étouffer dans l'intra-muros. L'afflux de la main d'œuvre rurale nécessite l'agrandissement de la ville au-delà de ses fortifications qui sont de plus en plus subies par la population. Le quartier de Saint-Martin (dit d'abord Annexion) résulte du désir de la municipalité de créer une extension dotée de tous les équipements indispensables (non seulement l'église, mais aussi l'école, les halles, le lavoir). Brest commence sa croissance fragmentaire et tentaculaire sur les terres agricoles où se construisent les fabriques et les habitations. Se posera aussi la question de la jonction avec la ville de Quimper (siège de la préfecture) et donc du franchissement de la rivière Elorn qui se jette dans la rade de Brest.

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

Le XIXe siècle, marqué par des progrès scientifiques et technologiques importants, voit le développement des villes s'accélérer. L'industrialisation provoque l'exode rural : les villes attirent une population de plus en plus nombreuse. Cet exode est facilité par le développement des chemins de fer qui ont un fort impact sur l'anatomie urbaine. À Dresde, l'énergie constructive de la noblesse est remplacée par celle des entrepreneurs fabricants de tabac, chicorée, sucre, chocolat, mécanique de précision, caméras, produits cosmétiques... Ils imposent une nouvelle vision de la ville : celle de la ville efficace. L'économie florissante est tributaire de la main d'oeuvre nombreuse et des échanges multiples. La mobilité devient alors un thème récurrent des discussions urbanistiques car elle ne cessera de modeler la ville en augmentant son périmètre construit. Pour freiner la croissance chaotique, la nécessité de planification urbaine concertée s'impose aux décideurs municipaux. La discipline qu'on allait appeler l'urbanisme est née au XIXe siècle précisément.
Quoique Dresde possède déjà un pont remarquable, d'autres devront être construits pour faire face aux défis de la modernité. Les travaux d'ampleur colossale imposent de se battre contre les éléments de la nature avec les moyens techniques innovants, deviennent un nouveau sujet de représentation pour générer peu à peu l'image d'une ville en construction permanente.
L'esthétique de ces réalisations hardies est résolument tournée vers l'avenir. Le pont suspendu qui relie les quartiers Blasewitz et Loschwitz recevra le nom admiratif de « Miracle bleu », la couleur étant celle de sa structure métallique apparente. Non loin de lui, la Schwebebahn - un des premiers monorails suspendus du monde - voit le jour en 1901. Le quartier qui se développe sur les collines environnantes (désormais facilement accessibles) est celui des sanatoriums où on soigne la tuberculose - le mal du siècle favorisé par les taudis urbains. Ces établissements de santé font la nouvelle renommée de Dresde, ville où l'hygiène sera bientôt célébrée à l'échelle internationale grâce à l'entremise de l'industrie chimique florissante.

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

La modernité à l'œuvre - Die Moderne am Werk

À Brest, la ville par laquelle le jazz arrive en Europe, la modernité architecturale pénètre à petits pas, parfois de façon agressive comme le tram qui s'invite dans l'étroite rue de Siam. De l'entre-deux guerres, on peut retenir quelques belles réalisations isolées insérées dans le dense tissu urbain, et empreintes souvent de l'esthétique Art déco : la gare, le vaste hôpital ou encore trois immeubles d'habitation construits par Aimé Freyssinet. Son frère Eugène, l'ingénieur inventeur du béton précontraint, marquera les esprits en réalisant sur l'Elorn un pont qui permettra enfin de relier Brest au sud de la péninsule bretonne par une voie terrestre appropriée. Une prouesse technique d'esthétique moderne qui semble sonner le glas au pittoresque historique ! Aux yeux des civils de passage, Brest apparaît comme une ville paradoxale à l'image de ses grandes marées : une ville aux mille possibilités mais » assoupie dans un sommeil provisoire », une ville déchirée entre le souvenir d'un glorieux passé marin matérialisé par d'inaccessibles terrains militaires et les impératifs futurs qui se font déjà sentir dans tous les domaines.
Dans cette ville qui souffre d'insalubrité, les efforts se multiplient pour améliorer la qualité de vie des ouvriers. La construction des logements sociaux (Habitations à Bon Marché) démarre timidement pour donner naissance à un nouveau quartier populaire.
Pour l'architecte municipal Georges Milineau l'articulation de ces extensions avec la ville ancienne représentait un véritable casse-tête. Son plan de 1920 prévoyait la destruction des remparts afin de créer un nouveau centre-ville et des zones de verdure qui auraient permis à la ville de respirer. Il ne se faisait pas d'illusions quant à la faisabilité rapide de ce projet car détruire l'œuvre solide de Vauban représentait un coût très important pour la municipalité. La guerre se chargera d'accélérer cette opération urbanistique compromise. Ironiquement,

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

Le début du XXe siècle est caractérisé par l'élan optimiste de la Belle Époque jusqu'à ce que la Grande Guerre le brise. Les deux décennies suivantes, vécues différemment en Allemagne (pays vaincu) et en France (pays célébrant la victoire), sont capitales pour la réflexion sur la ville moderne qui est menée collectivement par les architectes et les urbanistes de l'Europe entière. Le mouvement hygiéniste né au XIXe siècle rencontra un accueil très favorable dans les milieux de l'architecture moderne. À Dresde, plus encore que dans d'autres villes allemandes, on prône l'accès à la lumière dans les logis, à l'air frais et à la présence de la verdure dans les rues, aux stades et aux piscines. La planification urbaine intègre ces exigences dans les nouveaux quartiers, mais il est plus difficile d'y répondre dans la ville déjà construite où, de surcroît, se pose la question épineuse de la gestion du trafic et de l'articulation de l'ancien et du moderne. Dans les années 1920 se dessine une ville périurbaine fonctionnelle à l'aspect uni, avec verdure, axes droits et façades alignées, lisses, sans ornements et dotées parfois de surfaces vitrées importantes. Dresde, par son activité artistique continue, séduit les architectes renommés et inventifs. Certains, comme Peter Birkenholz, osent des formules inédites, restées cependant au stade du prototype expérimental.
Avant l'avènement du Troisième Reich (1933), Dresde se profile comme une ville moderne qui a su tirer profit de son attractivité historique et de sa compétitivité économique pour se réinventer.

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

La destruction

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

Après l'Apocalypse - Nach der Apokalypse

Brest se transforme pendant une décennie en un gigantesque chantier. Le port militaire qui n'a pas perdu son intérêt stratégique doit être rapidement remis en service, la ville déblayée des ruines, les anciens ponts réparés ou reconstruits, de nouveaux ponts construits.
La population qui a dû quitter la ville pendant la guerre revient en nombre pour participer à la reconstruction. Le problème du logement est résolu grâce aux baraques livrées pour beaucoup en kit par les pays alliés (notamment les USA). Elles offrent le confort moderne (eau courante, électricité) à un prix de loyer défiant toute concurrence. L'inévitable promiscuité incite à une vie en communauté où la solidarité de voisinage apporte une valeur ajoutée au quotidien.
Une ville provisoire, sans noms de rues mais avec un système de numérotation des logis, s'est ainsi développée autour de la ville historique et dans ses interstices. Solution temporaire, elle devient le décor de vie de toute une génération. Les habitants des baraques auront souvent du mal à s'en aller pour s'installer dans les « fleurs en béton » (tours et barres d'immeubles) qui poussent autour de la ville reconstruite. Les dernières baraques seront détruites en 1976 seulement, bien au-delà de la date officielle de la fin de la Reconstruction en France. Elles font désormais partie d'un souvenir qui s'estompe : celui d'une deuxième ville détruite.

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Baraques du Polygone à Brest (Archives municipales de Brest)

Baraques du Polygone à Brest (Archives municipales de Brest)

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

À Dresde, la population est hostile à l'idée de raser la ruine de la Frauenkirche qui s'élève au milieu de la ville anéantie par les bombes. Sous la houlette du maire Walter Weidauer, les efforts sont déployés par les soldats de l'armée rouge pour reconstruire à l'identique le Zwinger (attraction touristique majeure), mais le reste du centre-ville historique restera pendant quatre décennies à venir un vaste terrain abandonné à la pelouse.
Un concours d'idées est pourtant lancé dès 1946 pour imaginer la ville nouvelle (« Das neue Dresden ») où les projets d'architectes renommés côtoient ceux des amateurs qui rêvent leur ville future. Un geste idéologique précoce qui veut faire croire aux habitants du pays et aux observateurs étrangers qu'une concertation est à l'œuvre dans la reconstruction...
Dans la ville historique, les années 1950 donneront surtout lieu à un aménagement urbain dans le goût du réalisme socialiste (doctrine officielle de la période stalinienne) : la place du Vieux marché (Altmarkt) sera bordée d'imposants « palais des travailleurs » et longée d'une large avenue conçue pour les défilés qu'affectionne le nouveau régime, un élément urbanistique obligatoire pour toutes les grandes villes de la RDA.

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

Remises en cause - In Frage gestellt

Au cours des années 1980 émerge l'idée d'une reconstruction du cœur de la ville historique de Dresde (la place du Marché neuf - Neumarkt). Des séminaires internationaux et des concours sont organisés qui font rêver de la possibilité d'une reconstruction « à l'identique », c'est-à-dire d'une architecture qui rappellerait celle de l'illustre époque historique: baroque (XVIIIe siècle) et éclectique. (XIXe siècle). C'est une solution qui a été d'emblée adoptée après la guerre dans certaines villes européennes (Varsovie, Gdansk, Saint-Malo par exemple). À Dresde ces projections utopiques se heurtent à la réalité bâtie et aux considérations économiques.
Toutefois, après la chute du mur de Berlin, la donne politique et économique change et la population de Dresde s'organise pour que le rêve devienne réalité. La démolition de l'imposante extension en béton du siège de la police libère la place pour la reconstruction époustouflante de la Frauenkirche dont la première pierre est posée en 1994. Les discussions porteront ensuite sur l'entourage de cet édifice emblématique des heures glorieuses de Dresde qui réactive un imaginaire occulté, adapté aux intérêts économiques actuels (tourisme culturel).

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

En quête d'un nouvel imaginaire urbain, Brest, empêtrée dans son malaise, cherche à redynamiser son centre-ville, jugé monotone, voire médiocre.
La mauvaise connexion piétonne entre les quartiers proches de la rue de Siam, les problèmes grandissants de circulation et de stationnement, une offre insuffisante de services et d'animation culturelle sont autant de maux identifiés par la municipalité qui lance, en 1980, un concours d'idées sur l'aménagement du centre-ville. À l'exposition qui en découle se côtoient des dessins très sérieux et quelques autres, plus extravagants, qui veulent bousculer l'identité brestoise. La place de la Liberté, point névralgique et symbolique de la ville, concentre tous les regards : un concours pour son réaménagement est organisé en 1992 et remporté par Bernard Huet. À l'occasion des travaux, quelques restes des remparts historiques de la ville sont exhumés.
Un long processus de reconstruction de l'imaginaire qui porte sur la perception topographique de la ville se met en marche : l'opération « Un cœur pour ma ville » lancée en 1979 sera suivie bien des années plus tard par celle de « Coeur de métropole ». L'enjeu est de redonner une image positive de la ville de Brest non seulement auprès de ses visiteurs, mais avant tout auprès de ses habitants qui sont appelés à participer à la réflexion urbanistique.

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

Cette video "teaser" permet d'avoir un aperçu global de cette intéressante exposition bilingue franco-allemande (avec un peu d'anglais en plus !)

Avant de clore ce billet, quelques images des Capucins, en complément de celles que le lecteur pourra retrouver dans le billet de 2018 évoqué au début :

Quelques vues depuis les terrasses, sous le crachin breton :

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

À l'intérieur, une très grande médiathèque, aux aménagements très originaux - et au bilinguisme prégnant...

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction
Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

Dans le grand hall, outre les machines qui y sont restées et qui étaient déjà présentées dans notre premier billet, une impressionnante hélice de la Jeanne d'Arc, le navire-école retiré du service en 2010 (fusion d'alliage cuivre et aluminium, 4,9 m de diamètre, 6,3 tonnes)

Brest-Dresden : l'imaginaire urbain en (re)construction

et le canot de l'empereur. Construit sur les plans de l'ingénieur Guillemard en 1810 à Anvers (alors préfecture du département des Deux-Nèthes), il mesure un peu moins de 19 m et a une hauteur de 545 cm.

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